Niger: «Le temps ne joue pas pour les putschistes», selon le ministre Hassoumi Massaoudou
Au Niger, y aura-t-il une intervention militaire de la Cédéao ou au contraire une entente avec les militaires putschistes, comme ceux-ci l'ont déclaré ce 4 septembre au soir ? Hassoumi Massaoudou, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement du président Bazoum, continue de croire à une intervention militaire. Pour lui, la décision politique est prise. Et ce n’est plus qu’une question de délai opérationnel. Entretien.
RFI : Hassoumi Massaoudou, le 4 septembre 2023, le Premier ministre de la junte Ali Mahaman Lamine Zeine a déclaré : « On s’attend à tout moment à pouvoir être attaqué, mais nous poursuivons les échanges avec la Cédéao [Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest]. Nous avons bon espoir de parvenir à une entente dans quelques jours ». Comment réagissez-vous ?
Hassoumi Massaoudou : Pour moi, il n’y a rien de neuf. Évidemment, il confirme là tout simplement, puisqu’il dit qu’il s’attend à être attaqué à tout moment. La position de la Cédéao n’a pas changé. On ne peut éviter l’intervention que s’ils se soumettent aux conditions posées par la Cédéao, c’est-à-dire la libération du président [Mohamed] Bazoum et son rétablissement dans ses fonctions. À partir de là, ils peuvent négocier leur sortie.
Voilà plus d’un mois que le putsch a eu lieu et il n’y a toujours pas d’intervention militaire de la Cédéao. Est-ce que le temps n’est pas en train de travailler pour les putschistes ?
Je ne pense pas. C’est une erreur de la part des putschistes de penser cela. Les dirigeants de la Cédéao que j’ai eus, que j’ai écoutés au dernier sommet, sont très déterminés. Ils ont donné toute la chance aux négociations, mais les militaires ne l’ont pas compris et les négociations apparemment n’ont pas donné. Il va de soi que la Cédéao maintenant va enclencher l’autre phase prévue par la conférence, c’est-à-dire la préparation et l’organisation d’une intervention militaire.
Jusqu’à la semaine dernière, on croyait que le Nigeria était un pays moteur dans le projet d’intervention militaire, mais le 31 août le président Bola Tinubu a évoqué une possible transition de 9 mois, comme dans son propre pays il y a 24 ans. Est-ce que le Nigeria n’est pas en train de changer de position ?
Mais non. Le même jour, son ministre des Affaires étrangères a fait une interview à la BBC en haoussa où il disait clairement que la question de l’intervention militaire était bel et bien sur la table et que le Nigeria n’a pas de position autre que celle de la Cédéao. Donc, le Nigeria est prêt. Le Nigeria se met en ordre de marche, comme les autres pays.
Tout de même, est-ce que ce n’est pas le signe qu’il est hésitant maintenant ?
Mais non, il n’est pas hésitant. Il essaie de donner du temps et essaie de faire comprendre [les enjeux] aux différentes composantes du nord du Nigeria, qui sont très actives parce qu’il y a eu beaucoup d’intoxications au nord du Nigeria en parlant de « guerre contre le Niger ». Je crois que la préparation de l’opinion au Nigeria est aujourd’hui mûre. Elle a été faite et je pense que, maintenant, il n'y a vraiment plus de problème pour le gouvernement du Nigeria pour avancer.
Il y a l’Algérie qui plaide pour une transition de six mois, dirigée par un civil nigérien consensuel. Est-ce que l’avis de l’Algérie, ce n’est tout de même pas important ? Vous avez 1 000 kilomètres de frontière commune…
L’avis de l’Algérie, pour nous, n’a pas d’importance. Sur cette question, l’Algérie n’a jamais vraiment participé à la gestion de nos affaires. Nous sommes un pays ancré dans la Cédéao. Nous sommes signataires des traités de la Cédéao. Avec l’Algérie, nous n’avons aucun traité. La Cédéao ne répondra pas à l’Algérie. La question de la transition ne se pose pas. La revendication claire de la Cédéao et de tous ces pays-là, c’est la libération du président [Mohamed] Bazoum et son rétablissement. Il n’est pas question d’un [seul] jour de transition. Accepter une transition, c’est accepter le fait accompli du coup d’État. C’est ce dont les chefs d’État de la Cédéao ne veulent surtout pas entendre parler.
Vous qui rentrez de Tolède en Espagne, où a eu lieu une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne les 30 et 31 août, est-ce que vous n’avez pas entendu le ministre italien Antonio Tajani vous dire qu’il n’était pas pour une intervention militaire ?
Le ministre italien et quelques ministres ont exprimé des réserves au départ. Mais ils ont posé des questions très précises auxquelles j’ai répondu. À la fin, un consensus s’est dégagé et il a très bien compris parce que, en réalité, que disent les Italiens ? C’est une propagande qui est faite par les partisans du putsch qui disent qu’une intervention militaire serait une grande guerre comme en Libye. Donc, une déflagration générale de la région. Il n’en est pas question. D’abord, le Niger n’est pas la Libye, le président [Mohamed] Bazoum n’est pas [Mouammar] Kadhafi. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une guerre contre le Niger, il s’agira d’une opération pour mettre fin à une entreprise crapuleuse de prise d’otages. Et effectivement, elle ne concernera pas l’ensemble du pays. Et je suis certain - je leur ai expliqué - que l’armée nigérienne ne se battra pas pour défendre ce quatuor de généraux et cette prise d’otages. Donc, les Européens ont très bien compris et à la fin, un consensus s’est dégagé au niveau de l’Europe : l’Europe soutiendra les positions et décisions de la Cédéao, y compris appuiera, d’une manière qu’ils auront à définir ensemble avec la Commission, l’intervention militaire.
Vous dites que les Nigériens ne se battront pas pour un quatuor de généraux. Mais depuis plusieurs jours, il y a des milliers de manifestants anti-Français et pro-putschistes qui se montrent dans les rues de Niamey…
Ce qu’il faut retenir au Niger, c’est que ces manifestations se font seulement à Niamey. À l’intérieur du pays, il n’y en a pas, ils n’arrivent pas à organiser des manifestations.
Dans deux semaines, du 18 au 22 septembre, il y aura l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Est-ce que vous ne craignez pas que les chefs d’État de la Cédéao veuillent attendre ce grand rendez-vous diplomatique avant de faire quoi que ce soit et que, avec le temps qui passe, rien ne se produise pendant des semaines et des semaines ?
Non. L’agenda militaire est actuellement en marche. En réalité, le temps d’intervention est essentiellement technique, il n’est plus politique. C’est le temps technique seulement qui nous sépare de l’intervention.
Et vous voyez cette intervention d’ici combien de temps ?
Je n’en sais rien. Je dis un temps technique qui ne regarde que les militaires. Moi, je ne sais pas. Je ne suis pas à l’état-major. Mais c’est une question technique, ce n’est plus une question politique aujourd’hui.
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