Les valeurs démocratiques sont intrinsèquement vertueuses. Sur papier, la démocratie occidentale est une promesse d’intégrité des institutions, de séparation des pouvoirs, de respect des libertés fondamentales, de maintien de contre-pouvoirs opérants, et d’une transparence de la gouvernance. Dans la réalité, les affaires qui ont défrayé la chronique en France ces dernières années montrent un autre visage des démocraties.
Leur nouveau visage se rapproche de celui d’oligarchies où le pouvoir se fait complaisant avec les collusions et conflits d’intérêts, et répressif face aux contre-pouvoirs et à la contestation. Retour en quelques exemples sur cette détérioration des valeurs démocratiques à travers des événements récents en France.
Éthique bafouée
De part et d’autre de l’Atlantique, les affaires politico-judiciaires concernant des dirigeants politiques (Trump, Sarkozy, Fillon…) n’ont jamais été une exception. Plus insidieuse en revanche est la multiplication de pratiques peu éthiques, sans être clairement illégales, car elle témoigne d’un climat. Celui d’un affaissement des standards d’intégrité des institutions.
En France, l’affaire McKinsey est symptomatique de ces pratiques qui entachent la politique française. Pour rappel, une dizaine de consultants de McKinsey se sont impliqués officieusement en 2016 dans la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, sans que ces services soient comptabilisés et déclarés formellement dans les comptes de campagne. Cela entravait un principe de base en démocratie, qui consiste à facturer ce type de services et à refuser les dons ou avantages en nature, afin de limiter l’influence des acteurs économiques sur la vie politique.
Plus tard, quand Macron accède au pouvoir, c’est au cabinet McKinsey qu’il attribue des contrats en priorité, offrant des signes troublants de renvoi d’ascenseur, y compris pour des rapports inutilisés et surfacturés. Favoritisme et recel de favoritisme ? Une information judiciaire est ouverte à ce sujet, mais dans ces affaires, il est aisé de jouer sur la lettre de la loi pour éviter d’en respecter l’esprit.
Côté McKinsey, on invoque que « tout salarié de la firme, comme le prévoit la loi française pour tout citoyen, a le droit de s’investir à titre personnel dans la vie démocratique de son pays ». Cet argumentaire vaut-il pour les citoyens qui sont par ailleurs hauts dirigeants de McKinsey et en position d’obtenir un retour d’ascenseur ultérieur, comme ce fut le cas ? Même si la justice s’en tient à une interprétation complaisante, le laxisme éthique qu’illustre cette affaire et qui frappe l’opinion affaiblit la légitimité du pouvoir.
Quelques mois après l’affaire McKinsey éclatait l’affaire du Fonds Marianne. Soupçons de détournement de fonds, accusations de favoritisme, contenus controversés, l’utilisation de cet argent public par le gouvernement fait l’objet de deux enquêtes, judiciaire et parlementaire, car il aurait potentiellement servi un tout autre but, celui de cibler l’opposition contre Macron. Des pratiques qui dénotent, encore une fois, une culture politique dégradée. Si les méfaits s’avéraient difficiles à prouver dans un tribunal, ces agissements réduisent la confiance des citoyens dans l’intégrité des institutions.
Pantouflages normalisés
Un autre indicateur d’un climat éthique détérioré est le brouillage des frontières entre intérêt public et intérêts privés, entre bien commun et intérêts commerciaux. En France, l’Observatoire des multinationales vient de publier, le 29 juin dernier, un rapport qui montre la fréquence à laquelle des députés deviennent lobbyistes ou inversement, des hauts fonctionnaires se mettent au service d’intérêts économiques qu’ils étaient chargés de réguler.
Des allers-retours « devenus silencieusement la norme » sous la Macronie, déplore le rapport. Ainsi, 34 % des ministres et secrétaires d’État de Macron depuis 2017 venaient du monde des grandes entreprises, et 51 % de ceux qui sont partis se sont reconvertis dans le privé.
Contestation réprimée
Les réponses de l’Élysée aux manifestations des Gilets jaunes, puis à celles visant la réforme des retraites, témoignent d’une volonté de délégitimer la rue. Dans le Monde Diplomatique, le journaliste et historien Benoît Bréville parle d’un nouveau paradigme du pouvoir, héritier de l’ère Thatcher, qui consiste à « résister à la rue » :
« Peut-on encore faire reculer un gouvernement, mettre en échec une décision prise par le pouvoir ? Il n’y a pas si longtemps, la réponse allait de soi en France. Quand ils se trouvaient confrontés à des mouvements sociaux durables, déterminés, organisés, qui mettaient dans la rue des foules massives, les dirigeants pouvaient battre en retraite. Et leur recul démontrait la possibilité pour la population de se faire entendre en dehors des périodes électorales auxquelles une vie démocratique ne saurait se résumer. »
Mais dorénavant, les gouvernants ne reculent plus :
« Même devant les poubelles qui s’entassent, les stations-service à sec, les trains annulés, les classes fermées, les routes bloquées. […] Et si la situation devient intenable, ils réquisitionnent, ils répriment. Cette dureté serait même devenue un attribut du pouvoir en République : "résister à la rue" témoignerait d’un sens de l’État, du courage politique. »
Cette conception d’une sorte de démocratie 2.0 se trouve illustrée par les propos tenus par Emmanuel Macron le 21 mars dernier, lorsqu’il a estimé que la foule n’avait pas la légitimité des représentants élus : « L’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple et la foule n’a pas la légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus ».
Cette posture témoigne d’une méconnaissance des mécanismes démocratiques, qui incluent l’expression citoyenne, objecte un universitaire. « Le peuple citoyen est légitime dans son activité de surveillance », explique Patrick Charaudeau, professeur à la Sorbonne et chercheur au CNRS. « Le peuple prend le droit de tout critiquer publiquement », il dispose en quelque sorte d’un « droit de regard ».
Grève générale en protestation à la réforme des retraites, Place d'Italie, Paris, 31 janvier 2023 - Alain Jocard - @AFP
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