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Jérémie Gallon: «Pour Kissinger, il y a un vrai risque de confrontation entre Américains et Chinois»

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  • Jérémie Gallon: «Pour Kissinger, il y a un vrai risque de confrontation entre Américains et Chinois»



    ENTRETIEN - Tout juste centenaire, l’ancien secrétaire d’État américain s’est rendu en Chine pour échanger avec Xi Jinping et plusieurs de ses ministres. L’occasion d’évoquer sa vision des relations sino-américaines, la situation de «pré-Première Guerre mondiale» et la place de l’Europe sur l’échiquier mondial avec l’auteur de Henry Kissinger. L’Européen.

    Jérémie Gallon est associé et directeur général pour l’Europe du cabinet de conseil géopolitique McLarty Associates et enseignant à Sciences Po.

    Le FIGARO. - Le 20 juillet, Henry Kissinger a été reçu à Pékin par Xi Jinping. Quel était le sens de cette visite?

    Jérémie GALLON. - Henry Kissinger est absolument convaincu qu’il peut encore jouer un rôle positif dans la relation entre Pékin et Washington au moment même où celle-ci est extrêmement tendue et fragile. Sa légitimité est réelle car il n’y a pas aujourd’hui de dirigeants américains qui soient aussi respectés qu’il l’est en Chine. Et il ne faut pas penser qu’il le fait par vanité: il a 100 ans, aller à Pékin représente un voyage physiquement éprouvant. S’il fait cet effort, c’est qu’il est persuadé que cela peut être constructif. Par ailleurs, il n’entreprendrait jamais une démarche contraire à l’intérêt américain. Sa visite a pu susciter de la jalousie dans certains cercles à Washington, mais il n’y serait pas allé si la Maison-Blanche y était opposée.

    Il est vrai que les Chinois ont établi un contraste très clair entre la manière dont ils ont reçu Kissinger et l’attitude plus froide avec laquelle ils ont reçu un certain nombre de dirigeants américains venus récemment à Pékin, qu’il s’agisse de la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, du secrétaire d’État, Antony Blinken, de John Kerry, l’envoyé spécial pour le climat - qui y était au même moment que Kissinger - ou de Bill Burns, le patron de la CIA. Kissinger a eu une entrevue avec Xi Jinping ; il a vu Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères, ainsi que Li Shangfu, le ministre de la Défense, alors même que celui-ci, qui est la cible de sanctions de la part des États-Unis, a récemment refusé de voir son homologue américain, Lloyd Austin.


    Pour les Chinois, c’est une manière de montrer aux Occidentaux qu’ils sont capables de traiter avec respect un Américain qui fait l’effort de les comprendre. Un symbole était très fort à cet égard: Xi Jinping a reçu Kissinger à Diaoyutai, la résidence officielle où il avait rencontré Zhou Enlai lors de son premier voyage à Pékin, en 1971. La visite était donc pleine de symboles, mais pas pour autant vidée de substance.

    Y a-t-il un vrai espoir de rétablir une relation plus apaisée entre Pékin et Washington?

    Les Européens ont souvent l’impression que Washington a une vision monolithique de la Chine ; une vision un peu idéologique, hystérique. Mes voyages récents à Washington m’ont pourtant montré que la position américaine est beaucoup plus nuancée. Il y a certes une hostilité forte à la Chine, que l’on retrouve notamment au Congrès, aussi bien chez les républicains que chez les démocrates, avec une rhétorique très belliqueuse. En revanche, l’Administration Biden est beaucoup plus tempérée: elle a compris que les États-Unis sont allés trop loin dans l’escalade, et elle sait les dangers que représenterait une situation dans laquelle la Chine et les États-Unis ne se parlent plus.

    Aujourd’hui, les plus proches collaborateurs de Biden font tout pour réduire la tension sans toutefois faire preuve de naïveté ; ils veulent quand même dessiner une politique de fermeté à l’égard de la Chine, notamment sur le contrôle des exports de certaines technologies avancées. La grosse difficulté qu’a l’Administration Biden, c’est qu’on arrive dans un contexte de campagne électorale, et que les républicains, et en particulier Trump, se saisiront de la moindre opportunité pour vilipender sa prétendue faiblesse à l’égard de la Chine. L’équilibre est dur à trouver.

    Kissinger n’est pourtant pas si optimiste vis-à-vis de la Chine. Il a récemment évoqué une situation de «pré-Première Guerre mondiale» entre les deux pays…

    Kissinger n’est pas du tout naïf par rapport à Pékin ; il sait très bien que la Chine d’aujourd’hui n’est pas la Chine qu’il a connue. Elle est beaucoup plus agressive ; c’est économiquement un vrai compétiteur des États-Unis, et elle est en train d’augmenter ses capacités sur le plan militaire. La bonne grille de lecture, ce sont effectivement les années précédant la Première Guerre mondiale: une puissance dominante, les États-Unis - qui correspondait à l’Empire britannique à l’époque - voit son leadership être remis en question par une puissance émergente, la Chine - l’Allemagne au début du XXe.

    Pour lui, il y a donc un vrai risque de confrontation. Américains et Chinois savent très bien qu’une confrontation serait mortelle, mais Kissinger craint qu’une série d’incidents non maîtrisés conduise à une déflagration. C’est précisément pour éviter cela qu’il est absolument indispensable de recréer des canaux de communication.

    Lors de son déplacement dans le Pacifique, Emmanuel Macron a appelé à trouver une alternative à la rivalité sino-américaine. Comment Kissinger conçoit-il la place de l’Europe entre la Chine et les États-Unis?

    Pour être crédible en politique étrangère, il faut être fort sur le plan intérieur. Cet enseignement, qui est au cœur de la pensée de Kissinger, a été trop souvent oublié par nos dirigeants. Pour qu’une puissance soit crédible, il faut qu’elle ait une force de frappe économique, technologique et militaire à la hauteur de ses ambitions. Et évidemment, la France seule ne peut prétendre jouer un rôle important dans l’Indo-Pacifique. Les Européens peut-être. Mais il faut aussi se demander si c’est là que l’Europe a les leviers d’influence les plus importants. Ce n’est pas certain.

    C’est plutôt sur les questions d’ordre économique et commercial qu’elle peut aujourd’hui avoir une vraie influence, y compris sur l’axe Moscou-Pékin. Je salue à cet égard tout ce que l’Union européenne a fait au cours des dix-huit derniers mois en termes d’instruments de défense commerciale, la récente stratégie de sécurité économique proposée par la Commission européenne, toute cette volonté d’être moins naïf sur le contrôle des investissements chinois en Europe, mais aussi sur les technologies qu’on exporte vers la Chine.

    C’est donc toujours sur le plan économique que tout devra se jouer?

    On a peu parlé en France de deux discours très importants aux États-Unis. Le premier a été prononcé par la secrétaire au Trésor, Janet Yellen. Elle a rappelé que, malgré les tensions, les économies chinoise et américaine demeurent extrêmement interdépendantes et qu’il est donc irresponsable d’appeler au découplage de ces économies. C’est une évolution majeure, car les États-Unis reconnaissent enfin ce que les Européens disent depuis longtemps. Ensuite il y a eu un discours fondamental prononcé le 27 avril par Jake Sullivan, le très influent conseiller à la sécurité nationale. Il n’a proposé rien de moins qu’un nouveau consensus de Washington.

    Pour la première fois depuis au moins deux décennies, une Administration américaine articule de manière claire une stratégie englobant à la fois politique, géopolitique, sécurité nationale et stratégie économique et commerciale. En l’espèce, Jake Sullivan prend acte de la mort du consensus de Washington qui, depuis la fin des années 1980, établissait que la puissance américaine dans le monde reposait sur la libéralisation de l’économie, le libre-échange, et la réduction de la place de l’État. Ce consensus avait été battu en brèche par différents présidents, notamment Trump, mais rien ne l’avait vraiment remplacé.

    Jake Sullivan, lui, expose le nouveau consensus que les États-Unis veulent bâtir. Pour relever les grands défis, les États-Unis considèrent que l’État doit désormais intervenir de manière beaucoup plus forte dans toutes les sphères de l’économie. Cela doit notamment passer par l’établissement de politiques industrielles très ambitieuses. Et tout cela est intimement lié à la stratégie des États-Unis vis-à-vis de la Chine. Les stratèges américains pensent que c’est par ce nouveau consensus de Washington, cette sorte de «New Deal», qu’ils pourront demain rivaliser et contenir la Chine. Et cela nous touche, nous Européens, directement.

    Cette stratégie qui assume une véritable politique industrielle va nous obliger à faire de la politique industrielle de manière encore plus poussée que les efforts amorcés au cours des derniers mois. Toute la question est désormais de savoir si ce nouveau consensus de Washington va pouvoir se mettre en œuvre, et si les alliés des États-Unis, que ce soit l’Europe, la Corée du Sud ou le Japon, seront prêts à jouer le jeu.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    Comme l'Ukraine pour la Russie je doute que la Chine ne tombe dans le piège américain de Taïwan pour détruire sont économie.

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