Annonce

Réduire
Aucune annonce.

L'Algérie et le sommet arabe de Jeddah : Le dindon de la farce

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • L'Algérie et le sommet arabe de Jeddah : Le dindon de la farce




    Honneurs et tractations autour du prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane. Son Sommet de Jeddah, il le voulait, il l’a obtenu avec, à la clé, le retour de Bachar Al-Assad. N’en déplaise à l’Algérien Abdelmajid Tebboune, frustré, dont la présidence de la Ligue arabe, insignifiante, n’aura duré que six mois.



    Les suiveurs de la politique arabe le savent. Les sommets arabes qui se succèdent depuis un certain nombre de décennies sont devenus une simple formalité. Celui qu’accueille Jeddah ce 19 mai 2023 ne doit pas y échapper. Il doit simplement servir à consacrer le statu quo sur les différentes questions d’intérêt commun. Et s’il est une question qui ne semble justement plus souffrir aucun débat dans la région, c’est celle de la réadmission de la Syrie à la Ligue arabe. Actée le 7 mai 2023 par les ministres des Affaires étrangères arabes, elle fait suite à un intense lobbying mené plusieurs semaines durant par l’Arabie saoudite. Celle-ci avait, contre toute attente, accueilli à bras ouvert, le 13 avril 2023, le ministre des Affaires étrangères syrien, Fayçal al-Meqdad.


    Puis c’est son propre chef de la diplomatie, Fayçal ben Farhane, qu’elle avait dépêché six jours plus tard à Damas, dans ce qui avait constitué le premier déplacement d’un haut responsable saoudien en Syrie depuis le déclenchement de la guerre civile en mars 2011 -depuis exactement mars 2010 et une visite du ministre des Affaires étrangères, Saoud al-Fayçal.


    À cette occasion, M. ben Farhane avait été reçu par le président syrien lui-même, à savoir Bachar el-Assad. Et entretemps, la partie saoudienne avait organisé le 14 avril 2023 à Djeddah une réunion dont le seul objectif était de trancher par rapport au retour de la Syrie dans le giron arabe. Y avaient participé les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) -qui comprend, outre l’Arabie saoudite elle-même, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatarainsi que l’Égypte, l’Irak et la Jordanie; groupement que l’on appelle communément le CCG+3. Et avaient également suivi le 1er mai 2023, mais cette fois à Amman, des discussions plus resserrées, dans lesquelles seule l’Arabie saoudite a représenté le CCG, et avec surtout, pour la première fois, la Syrie -en la personne de M. al-Meqdad.


    Susceptibilité des parties prenantes

    Mais comme le fait remarquer un observateur averti joint par nos soins, “du moment que les Saoudiens avaient décidé, les dés avaient été jetés”. “Tout ce qu’ils ont fait, c’était juste pour préserver les apparences et donner l’impression que les voix des autres pays pouvaient vraiment compter,” poursuit-il. “En gros, il fallait mettre les formes, car il en va de la susceptibilité des différentes parties prenantes.” Et de citer notamment le Qatar, qui a été le pays à mettre le plus la voix pour exprimer ses doutes vis-à-vis d’une réadmission de la Syrie.


    Ainsi, le premier ministre et ministre des Affaires étrangères de l’émirat, Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani, avait déclaré, le 13 avril 2023, à Qatar TV qu’“il y avait des raisons pour la suspension de la Syrie de la Ligue arabe et le boycott du régime syrien à cette époque et [que] ces raisons existent toujours”; ce qu’avait réitéré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères qatari, Majed al-Ansari, suite à la décision prise le 7 mai 2023 au Caire par les ministres des Affaires étrangères arabes de réadmettre la Syrie -selon des propos rapportés par la Qatar News Agency, il avait souligné que “la position de l’État du Qatar sur la normalisation avec le régime syrien n’a pas changé”.


    Grand Satan

    Sauf qu’il ne s’agirait là, dans le fond, que d’une posture. “Concrètement, le Qatar n’a rien fait pour empêcher la réadmission de la Syrie,” expose notre interlocuteur. Du côté du Maroc, on a également fini, après avoir jusque-là entretenu le doute, par se ranger à la nouvelle position de l’Arabie saoudite. Certes, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait bien insisté dans la foulée du vote effectué au Caire que “le retour de la Syrie dans la Ligue des États arabes” ne devrait pas constituer “un objectif en soi” et qu’il fallait aller “au-delà”, en renvoyant au “retour en toute sécurité des réfugiés, la facilitation de l’acheminement de l’aide humanitaire et médicale, le lancement du processus de la réconciliation nationale et la lutte contre le terrorisme sous toutes formes”.


    Mais il ne fallait sans doute pas attendre davantage du Royaume, dans la mesure où celui-ci doit également prendre en considération, par ailleurs, l’accord tripartite signé en décembre 2020 à Rabat avec les États-Unis et Israël, dans le cadre duquel l’oncle Sam avait entériné sa reconnaissance de la marocanité de la région du Sahara. À cet égard, la diplomatie américaine a vertement réagi à la décision de la Ligue arabe de réadmettre la Syrie. Par la voix du porte-parole adjoint du département d’État, Vedant Patel, elle a indiqué que “nous ne pensons pas que la Syrie mérite d’être réadmise dans la Ligue arabe à ce stade” et que “nous continuons à penser que nous ne normaliserons pas nos relations avec le régime de [M.] el-Assad et nous ne soutenons pas nos alliés et partenaires qui le font”.


    Toutefois, d’aucuns croient savoir que Washington n’ira pas jusqu’à activer la loi César, adoptée en décembre 2019 sous l’administration Trump et qui sanctionne quiconque s’engage dans des activités de reconstruction en Syrie. De toute façon, les dirigeants saoudiens, en particulier, et à leur tête le prince héritier Mohammed ben Salmane, doivent s’en moquer comme de l’an 40. Le 10 mars 2023, ils avaient tout bonnement franchi le Rubicon et pactisé avec celui qu’outre-Atlantique on considère sans doute comme le véritable “Grand Satan” dans l’histoire, à savoir l’Iran -les mollahs de la République islamique ont coutume de taxer de tel la première puissance mondiale. Et ils l’avaient fait, au surplus, en passant par la Chine, qui est à l’heure actuelle, et sans doute davantage que la Russie elle-même, la principale némésis des Américains (comme cela fut mis au jour, au cours de son mandat, par le président Donald Trump).





    Conséquence directe

    Derrière, il y a, à l’évidence, la somme de différents éléments concrets. De prime abord, il est clair que ben Salmane n’a pas du tout confiance dans l’actuel président, Joe Biden. Certes, ce dernier lui avait offert, le 17 novembre 2022, l’immunité juridique en ce qui s’agit de l’affaire de l’assassinat, en octobre 2018 à Istanbul en Turquie, du journaliste saoudien et opposant Jamal Khashoggi. Il lui avait également rendu visite quelques mois plus tôt, les 15 et 16 juillet 2022, à Djeddah, pour un sommet du CCG+3. Mais ses propos de février 2021, dépeignant ben Salmane comme un “paria”, sont sans doute restés. Et le fait est que derrière, ce sont tous les États-Unis que le concerné doit sans doute voir d’un oeil de plus en plus circonspect, et ce à l’instar d’une partie de l’establishment saoudien, selon différentes sources plus ou moins concordantes.


    Car alors que pendant près de 70 ans, et ce à partir du moment où le pacte du Quincy avait été scellé, le partenariat américano-saoudien avait grandement contribué à façonner le visage du Moyen-Orient -ledit pacte fait référence à l’engagement donné en février 1945 sur le croiseur américain Quincy au président Franklin D. Roosevelt par le roi Ibn Séoud d’assurer l’approvisionnement pétrolier des USA en échange de leur protection militaire-, une rupture a, de façon claire, été opérée avec l’avènement du président Barack Obama (2009- 2017). Ce dernier avait ainsi soutenu, à la fin de son premier mandat, ce que l’on appelle en anglais les “regime changes” -changement de régime, tout simplement, en français- dans les pays arabes où les pouvoirs en place étaient considérés comme peu démocratiques, bien qu’ils aient pourtant été pour certains, comme en Tunisie et en Égypte, des alliés de l’Occident: ce fut l’épisode du “Printemps arabe”, dont la crise syrienne et l’exclusion de la Syrie de la Ligue arabe -en novembre 2011- a d’ailleurs été une conséquence directe.


    Revirement doctrinal

    Et la signature, en juillet 2015 à Vienne, de l’accord sur le nucléaire iranien n’a également rien arrangé, dans la mesure où elle impliquait un maintien du régime iranien et non sa chute, comme c’était ouvertement le souhait de Riyad jusqu’à donc la fin du printemps 2023. Au Maroc d’ailleurs et jusqu’à la décision de M. Trump de reconnaître la souveraineté du Royaume sur son Sahara, on avait également commencé, dans le même contexte, à chercher de nouveaux partenaires en l’espèce de la Chine, de l’Inde et de la Russie; revirement doctrinal qui fut on ne peut plus clairement énoncé dans le fameux discours donné en avril 2016 à Dariya par le roi Mohammed VI à l’occasion du premier sommet Maroc- Pays du Golfe.


    Et il faut dire aussi qu’y avait joué l’“ambiguïté” -selon le propre mot de Mohammed VI dans son discours de la Marche verte du 6 novembre 2014- de l’administration Obama vis-à-vis de l’intégrité territoriale nationale, comme cela fut illustré en avril 2013 par le biais de l’initiative de la représentante permanente des États-Unis à l’Organisation des Nations unies (ONU), Susan Rice, de vouloir élargir la mission de la Minurso au Sahara marocain à la surveillance des droits humains; ce qui avait alors suscité une réaction au vitriol de la part de Rabat.


    Réaction au vitriol

    C’est donc à peu près dans la même configuration que l’Arabie saoudite ellemême semble désormais se trouver. Selon les différentes sources que nous avons consultées pour le besoin de cet article, il est peu probable qu’il y ait un éloignement définitif entre elle et les États-Unis. “Je vois toujours les Saoudiens maintenir une préférence pour Washington,” croit savoir l’une d’entre elles. Mais le pacte du Quincy est sans doute aujourd’hui devenu obsolète. On peut donc s’attendre, au cours des années à venir, à une normalisation avec une série d’acteurs qui, jusqu’hier, devaient y aller par une porte dérobée pour pouvoir trouver une place. Et cela pourrait, en fait, concerner le véritable allié des États-Unis dans la région, à savoir Israël.


    Dans son objectif ultime de faire du Moyen-Orient la nouvelle Europe, comme ben Salmane en avait lui-même formulé le voeu en octobre 2018 lors de l’Initiative d’investissement d’avenir (FII) à Riyad, l’Arabie saoudite chercherait à avoir des relations pacifiques dans l’ensemble de son voisinage, dans une politique qui n’est pas sans rappeler celle de l’ancien ministre des Affaires étrangères turc (mai 2009-août 2014), Ahmet Davutoglu, du “zéro problème” avec les États riverains de la Turquie (politique bien évidemment jetée depuis lors aux orties par le président Recep Tayyip Erdogan).





    Relations pacifiques

    Mais il faudrait alors que l’État hébreu se plie au plan de règlement soumis en mars 2002 par les pays arabes à Beyrouth, à savoir un retrait complet des territoires arabes occupés, y compris les hauteurs du Golan syrien, jusqu’à la ligne du 4 juin 1967, ainsi que des territoires encore occupés dans le sud du Liban; une solution juste au problème des réfugiés palestiniens, à convenir conformément à la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU; et l’établissement d’un État palestinien indépendant et souverain sur les territoires palestiniens occupés depuis le 4 juin 1967 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec l’Est d’Al-Qods Acharif comme capitale.


    Le monde arabe en est actuellement, en tout état de cause, à un moment charnière. Même si la décision de réadmettre la Syrie demeure, en elle-même, matière à controverse en ce qu’elle n’a rien vraiment encore réglé au problème sur le terrain, elle est sans doute bien la première depuis fort longtemps qui obéit à des considérations strictement arabo-arabes avant toute chose. Depuis la révolte de 1916-1918 en passant par la proclamation de l’État d’Israël en mai 1948, les Arabes n’ont pas vraiment eu leur mot à dire sur leur sort.


    Leurs terres ont été triturées; dans les présides espagnoles au Maroc et à Mayotte aux Comores, ils abritent certains des derniers vestiges du colonialisme européen du XIXe siècle; déjà privé de tout son versant méridional en février 2011, le Soudan continue d’être déstabilisé; comme avait averti Mohammed VI à Dariya, l’Irak, la Libye et la Syrie semblent depuis une dizaine d’années en point de mire; et n’était la résistance du Maroc et de son peuple, un État fantoche aurait d’ores et déjà pu voir le jour au Sahara marocain. Pour formel qu’il doit donc être, le sommet de Riyad peut, à n’en point douter, rester comme un moment de rupture. Ou pas.
    Maroc hebdo
Chargement...
X