Le 15 janvier dernier, Ali Boujouham 31 ans, décapitait à la hache une touriste française. Très vite les autorités marocaines ont argué des antécédents psychiatriques graves de l'auteur du meurtre. Mais des soupçons pèsent aujourd'hui sur une telle décision. Le Royaume a-t-il voulu taire la réalité pour ne pas inquiéter sa population et les touristes ?
Le 15 janvier dernier, Christiane Fourret une Varoise de 79 ans originaire de Muy, au nord de Fréjus, a été décapitée sur le marché municipal de Tiznit, à l’aide d’une hache. Elle se trouvait ce jour-là dans cette petite ville au sud du Maroc car elle avait rejoint des amis. Tous résidaient dans un campement touristique aux abords de la cité. Depuis vingt ans, cette mère de trois enfants passait l’hiver dans le royaume en camping-car avec son époux.
Plus tôt le même jour à moins de 100 km de là, à Agadir, station balnéaire prisée par les touristes européens, une ressortissante belge âgée de 67 ans, originaire de la région de Mons et résidant au Maroc, a été violemment attaquée à l’arme blanche, alors que le suspect, commun à ces différentes affaires, avait tenté d’agresser physiquement les clients d’un café sur la côte. Si elle a été hospitalisée, son pronostic vital n’est pas engagé.
« Graves antécédents psychiatriques ».
Très vite, un suspect de 31 ans, Ali Boujouham, a été arrêté à quelques kilomètres du lieu du premier attentat. Il a été rapidement identifié grâce aux images de vidéosurveillance du marché de Tiznit.
Selon des sources proches de l’enquête, l'homme avait de « graves antécédents psychiatriques ». « Il compte une tentative de suicide en 2012, par défenestration, au domicile parental à Bouizkaren », assurent ces mêmes sources qui indiquent que la perquisition à son domicile a permis la saisie de « 13 ordonnances étayant son déséquilibre mental et lui prescrivant des neuro-psychotropes et des antidépresseurs qu’il a pris l’habitude de prendre depuis années ». Et d’ajouter que « lors de son interrogatoire, le mis en cause tenait des propos incohérents exprimant son instabilité psychique ». Des propos « délirants » tenus lors de sa garde à vue, par lesquels il a notamment affirmé avoir agi sur injonction de « voix » et se disant « possédé par le démon » qui lui aurait intimé l’ordre de sévir contre des Occidentaux. Selon la police marocaine, le suspect avait séjourné pendant un mois dans un hôpital psychiatrique, du 25 septembre au 25 octobre 2021. Néanmoins, jusqu'à présent son casier judiciaire est vierge.
Incertitudes sur les motifs du meurtrier
Mais des incertitudes planaient encore sur les motifs de son acte. Le parquet antiterroriste marocain a été dans un premier temps saisi dans cette affaire : le procureur général près la cour d'appel de Rabat, spécialisé en matière de terrorisme, a mandaté le Bureau central des enquêtes judiciaires (BCIJ, service antiterroriste) pour instruire l'affaire. Selon les données préliminaires de cette enquête « l’hypothèse d'une agression pour vol », avait été elle aussi évoquée, puis abandonnée. Finalement, le juge d’instruction à Rabat, après consultation du procureur général du roi, a ordonné que l’homme soit de nouveau interné à l’hôpital psychiatrique Ar-Razi à Salé, ville jumelle de la capitale, où il devait subir une nouvelle expertise psychiatrique.
Le 19 janvier, le parquet national antiterroriste français (PNAT) a annoncé dans un communiqué avoir ouvert une enquête pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste ». Le PNAT a précisé que les investigations ont été confiées à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à la sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire et à la direction centrale de la police judiciaire. Le lendemain, le parquet fédéral belge a également annoncé l’ouverture d’un dossier pour « tentative d’assassinat dans un contexte terroriste ». Le mobile terroriste a été retenu au regard du profil des victimes.
Profil de musulman rigoriste
Les suspicions sur un mobile terroriste du crime demeurent ainsi intactes. Son profil « de musulman rigoriste » avancé par des témoins proches et étayé par son style vestimentaire et le modus operandi de ses actes permettent le doute.
Son double attentat rappelle en effet un précédent acte terroriste du même acabit : la décapitation de deux jeunes randonneuses, la Danoise Louisa Vesterager Jespersen et la Norvégienne Maren Ueland, en décembre 2018, au nom du groupe Etat islamique, alors qu’elles campaient dans le Haut-Atlas, non loin d’Imlil, un site touristique du sud marocain. Les trois principaux accusés du double assassinat ont été condamnés à mort en juillet 2019, même si la peine de mort n’est plus appliquée dans le pays depuis 1993.
Politique sécuritaire ferme
Le verdict avait été prononcé moins de sept mois après les faits, à l’issue de deux mois et demi d’audiences. Un procès rapide qui voulait montrer l’exemple : Par ce jugement, le Maroc réaffirmait son identité de terre d’un islam modéré, avec à sa tête le roi Mohammed VI en « commandeur des croyants », qui préside aux destinées de 35 millions d’habitants, en écrasante majorité musulmans.
Le pays est d’ailleurs le seul dans la région qui n’avait pas connu d’attaques terroristes depuis les attentats suicides de Casablanca en 2003 (33 morts) et l’attentat de Marrakech en 2011 (17 morts). Depuis, le royaume chérifien a mis en place une politique sécuritaire ferme de lutte contre le terrorisme et la radicalisation, faisant même valoir l’expertise de ses services de renseignement auprès de « pays amis » comme la France et l’Espagne voisine.
Sauver le tourisme
Le contexte actuel des restrictions sanitaires liées au Covid-19 qui a sévèrement ralenti le tourisme marocain – au point que les autorités ont décidé d’un plan d’urgence pour sauver l'un des moteurs de l’économie – a-t-il poussé Rabat à vider le caractère terroriste de l’affaire Ali Boujouham ? La question mérite d’être posée tant le sentiment anti-occidental s’est manifestement propagé auprès des classes populaires déclassées par la crise, mais aussi alimenté par un rejet de la nouvelle alliance diplomatique scellée avec l’État d’Israël dans le cadre des Accords d’Abraham.
Interrogé le 19 janvier sur l’éventualité d’une ouverture des frontières lors d’un grand oral à la télévision marquant les 100 jours de sa prise de fonction à la tête du gouvernement, Aziz Akhannouch, richissime homme d’affaires et tombeur des islamistes aux législatives de septembre 2021, a voulu rassurer sur une décision dans ce sens « dans les semaines à venir ». Un message qui ne peut souffrir d’une menace terroriste interne alors que le Maroc se veut une destination touristique qui joue justement sur son image de pays ouvert et tolérant.
Marianne
Le 15 janvier dernier, Christiane Fourret une Varoise de 79 ans originaire de Muy, au nord de Fréjus, a été décapitée sur le marché municipal de Tiznit, à l’aide d’une hache. Elle se trouvait ce jour-là dans cette petite ville au sud du Maroc car elle avait rejoint des amis. Tous résidaient dans un campement touristique aux abords de la cité. Depuis vingt ans, cette mère de trois enfants passait l’hiver dans le royaume en camping-car avec son époux.
Plus tôt le même jour à moins de 100 km de là, à Agadir, station balnéaire prisée par les touristes européens, une ressortissante belge âgée de 67 ans, originaire de la région de Mons et résidant au Maroc, a été violemment attaquée à l’arme blanche, alors que le suspect, commun à ces différentes affaires, avait tenté d’agresser physiquement les clients d’un café sur la côte. Si elle a été hospitalisée, son pronostic vital n’est pas engagé.
« Graves antécédents psychiatriques ».
Très vite, un suspect de 31 ans, Ali Boujouham, a été arrêté à quelques kilomètres du lieu du premier attentat. Il a été rapidement identifié grâce aux images de vidéosurveillance du marché de Tiznit.
Selon des sources proches de l’enquête, l'homme avait de « graves antécédents psychiatriques ». « Il compte une tentative de suicide en 2012, par défenestration, au domicile parental à Bouizkaren », assurent ces mêmes sources qui indiquent que la perquisition à son domicile a permis la saisie de « 13 ordonnances étayant son déséquilibre mental et lui prescrivant des neuro-psychotropes et des antidépresseurs qu’il a pris l’habitude de prendre depuis années ». Et d’ajouter que « lors de son interrogatoire, le mis en cause tenait des propos incohérents exprimant son instabilité psychique ». Des propos « délirants » tenus lors de sa garde à vue, par lesquels il a notamment affirmé avoir agi sur injonction de « voix » et se disant « possédé par le démon » qui lui aurait intimé l’ordre de sévir contre des Occidentaux. Selon la police marocaine, le suspect avait séjourné pendant un mois dans un hôpital psychiatrique, du 25 septembre au 25 octobre 2021. Néanmoins, jusqu'à présent son casier judiciaire est vierge.
Incertitudes sur les motifs du meurtrier
Mais des incertitudes planaient encore sur les motifs de son acte. Le parquet antiterroriste marocain a été dans un premier temps saisi dans cette affaire : le procureur général près la cour d'appel de Rabat, spécialisé en matière de terrorisme, a mandaté le Bureau central des enquêtes judiciaires (BCIJ, service antiterroriste) pour instruire l'affaire. Selon les données préliminaires de cette enquête « l’hypothèse d'une agression pour vol », avait été elle aussi évoquée, puis abandonnée. Finalement, le juge d’instruction à Rabat, après consultation du procureur général du roi, a ordonné que l’homme soit de nouveau interné à l’hôpital psychiatrique Ar-Razi à Salé, ville jumelle de la capitale, où il devait subir une nouvelle expertise psychiatrique.
Le 19 janvier, le parquet national antiterroriste français (PNAT) a annoncé dans un communiqué avoir ouvert une enquête pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste ». Le PNAT a précisé que les investigations ont été confiées à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à la sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire et à la direction centrale de la police judiciaire. Le lendemain, le parquet fédéral belge a également annoncé l’ouverture d’un dossier pour « tentative d’assassinat dans un contexte terroriste ». Le mobile terroriste a été retenu au regard du profil des victimes.
Profil de musulman rigoriste
Les suspicions sur un mobile terroriste du crime demeurent ainsi intactes. Son profil « de musulman rigoriste » avancé par des témoins proches et étayé par son style vestimentaire et le modus operandi de ses actes permettent le doute.
Son double attentat rappelle en effet un précédent acte terroriste du même acabit : la décapitation de deux jeunes randonneuses, la Danoise Louisa Vesterager Jespersen et la Norvégienne Maren Ueland, en décembre 2018, au nom du groupe Etat islamique, alors qu’elles campaient dans le Haut-Atlas, non loin d’Imlil, un site touristique du sud marocain. Les trois principaux accusés du double assassinat ont été condamnés à mort en juillet 2019, même si la peine de mort n’est plus appliquée dans le pays depuis 1993.
Politique sécuritaire ferme
Le verdict avait été prononcé moins de sept mois après les faits, à l’issue de deux mois et demi d’audiences. Un procès rapide qui voulait montrer l’exemple : Par ce jugement, le Maroc réaffirmait son identité de terre d’un islam modéré, avec à sa tête le roi Mohammed VI en « commandeur des croyants », qui préside aux destinées de 35 millions d’habitants, en écrasante majorité musulmans.
Le pays est d’ailleurs le seul dans la région qui n’avait pas connu d’attaques terroristes depuis les attentats suicides de Casablanca en 2003 (33 morts) et l’attentat de Marrakech en 2011 (17 morts). Depuis, le royaume chérifien a mis en place une politique sécuritaire ferme de lutte contre le terrorisme et la radicalisation, faisant même valoir l’expertise de ses services de renseignement auprès de « pays amis » comme la France et l’Espagne voisine.
Sauver le tourisme
Le contexte actuel des restrictions sanitaires liées au Covid-19 qui a sévèrement ralenti le tourisme marocain – au point que les autorités ont décidé d’un plan d’urgence pour sauver l'un des moteurs de l’économie – a-t-il poussé Rabat à vider le caractère terroriste de l’affaire Ali Boujouham ? La question mérite d’être posée tant le sentiment anti-occidental s’est manifestement propagé auprès des classes populaires déclassées par la crise, mais aussi alimenté par un rejet de la nouvelle alliance diplomatique scellée avec l’État d’Israël dans le cadre des Accords d’Abraham.
Interrogé le 19 janvier sur l’éventualité d’une ouverture des frontières lors d’un grand oral à la télévision marquant les 100 jours de sa prise de fonction à la tête du gouvernement, Aziz Akhannouch, richissime homme d’affaires et tombeur des islamistes aux législatives de septembre 2021, a voulu rassurer sur une décision dans ce sens « dans les semaines à venir ». Un message qui ne peut souffrir d’une menace terroriste interne alors que le Maroc se veut une destination touristique qui joue justement sur son image de pays ouvert et tolérant.
Marianne
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