Les prix des matières premières explosent, voici pourquoi
Pétrole, gaz, produits agricoles, métaux, minerais… Toutes les matières premières essentielles à la vie et à l’économie ont vu leurs cours monter de manière vertigineuse ces derniers mois, atteignant des niveaux records. Comment s’explique cette tendance ? S’agit-il juste d’un effet de rattrapage ou d’une tendance qui risque de durer dans le temps ? Avis d’experts.
Mehdi Michbal
Le 11 juillet 2021 à 17h36
Modifié 11 juillet 2021 à 17h36
Le monde a connu trois « super cycles » dans les prix des matières premières. Le premier au début du 20e siècle, le second après la fin de la deuxième guerre mondiale, et le dernier au début des années 2000 avec l’émergence des BRICs et la montée en puissance de la Chine. Un super cycle dans le monde des « commodities » est une augmentation des prix des matières premières sur une longue durée, entre 10 à 20 ans. Et ces trois super cycles historiques qu’a connus le monde ont été tous tirés par des éléments fondamentaux, comme la forte hausse de la demande.
Oubliée du lexique des économistes, cette notion est revenue aujourd’hui au goût du jour, avec la flambée surprise et extraordinaire de l’ensemble des matières premières sur ces derniers mois. Ce que l’on perçoit fin 2020 comme un effet de rattrapage des effets de la crise, avec la remontée des prix du pétrole, du gaz et de certains minerais, ressemble de plus en plus aujourd’hui à une tendance de fond qui risque de durer sur le temps. Et plusieurs économistes n’excluent pas l’hypothèse du début d’un quatrième supercycle mondial sur l’ensemble des matières premières.
Une nouvelle pas très réjouissante pour un pays comme le Maroc, importateur net d’énergie (pétrole, gaz, charbon, hydrocarbures…), de matières premières agricoles (céréales, colza, huile de palme, maïs…) ou encore de métaux (fer, acier, cuivre…) pour ses industries.
Les tendances sur les derniers mois donnent en effet le tournis. Du 30 avril 2020 au 30 avril 2021, le prix du bois a explosé de 300%, le pétrole de 222% dépassant actuellement la barre des 75 dollars, l’acier est monté de 210%, le fer de 130%, le cuivre de plus de 100%, le charbon thermal qu’on utilise dans nos centrales électriques a connu une hausse de 80%, quand le prix du gaz naturel a triplé…
Comment expliquer cette flambée exponentielle et ininterrompue des prix des matières premières dans le monde ? Et est-ce que cette tendance est passagère ou risque-t-elle de durer dans le temps ?
Deux questions qui constituent aujourd’hui un véritable casse-tête pour les décideurs publics, les opérateurs privés et dont les effets se ressentiront également sur le pouvoir d’achat des citoyens. Qui dit hausse des matières premières, dit hausse des prix des produits finaux, dans tous les secteurs, y compris dans les produits alimentaires ou d’équipement.
Pour répondre à ces deux questions d’actualité, le Policy Center for the New South a réuni le 7 juillet un panel d’experts mondiaux, chacun dans un domaine précis, pour connaître les tenants et aboutissants de ce qui se passe dans les marchés des commodities.
Un retour massif de la demande mondiale
Economiste à la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, Marie-Louise Djigbenou-Kre constate également cette remontée spectaculaire des cours des matières premières depuis début 2021. Aussi bien dans les produits agricoles, miniers énergétiques, qui ont non seulement retrouvé leurs prix d’avant Covid mais les ont dépassés de très loin.
Cette remontée, l’économiste l’explique par le contexte économique actuel. Depuis début 2021, on assiste à une levée de plusieurs mesures de confinement, avec le lancement de politiques budgétaires et monétaires expansives au niveau de plusieurs États. Tous les gouvernements ont mis la main à la poche pour soutenir l’économie dans la même veine que les banques centrales. L’économie mondiale est sous perfusion. Ce qui conduit à une reprise économique aussi bien en Chine, qu’en Europe qu’aux USA et même en Afrique où les prévisions de croissance pour 2021 sont passés de 3 à 3,4% actuellement. Et qui dit croissance mondiale, dit augmentation de la demande sur les matières premières qui sont essentielles pour faire redémarrer la machine économique », explique-t-elle.
L’économiste de la BCEAO ne veut pas toutefois s’aventurer sur la tendance future. La question pour elle étant prématurée.
« S’il y avait un malade hospitalisé sous perfusion, et qui affiche bonne mine, vous n’allez pas lui proposer directement de faire du 100 mètres. Lorsqu’on regarde l’économie actuelle, on voit qu’on a eu suffisamment de liquidité et la consommation reprend progressivement de sorte à pouvoir impulser une certaine demande au niveau des marchés des matières premières et pousser les prix à la hausse. C’est une mécanique classique de reprise économique ou de rattrapage. Les prix repartent à la hausse, mais pour avoir un cycle durable, il faut que ce mécanisme soit auto-entretenu sans l’apport des politiques budgétaires ou des banques centrales. Il faudrait pour cela que la hausse des cours engendre une hausse des exportations, une hausse des revenus, favorise la consommation, l’investissement… Que la demande devienne autonome, ce qui permettrait d’avoir un cycle durable. Il est encore prématuré d’anticiper cela et pour pouvoir garantir un tel cycle », précise-t-elle.
La transition écologique, moteur de la flambée des prix
Helyette Geman, professeur à John Hopkins et directrice du Community finance center développe une autre analyse, expliquant cette flambée des matières premières et l’hypothèse de sa durabilité dans le temps la transition énergétique. Une tendance qui ne concerne pas toutes les matières premières.
« Quand j’ouvre mes journaux favoris, le Financial Times ou le Wall Street Journal, il y a des mots qui reviennent souvent : les batteries, le solaire, l’éolien, les véhicules électriques… Tout cela demande une consommation des minerais de fer, d’acier, de cuivre, dont la demande et les prix vont augmenter sensiblement. Le cuivre conduit l’électricité. Les réseaux d’électricité dans tous les pays ont besoin d’être consolidés pour pouvoir absorber des sources d’énergies intermittentes, comme le solaire et le vent. Je ne vois pas une réduction dans la consommation sur ces matières dans le long terme », souligne-t-elle.
En plus de cette donnée fondamentale, Helyette Geman évoque également d’autres facteurs qui peuvent pousser encore plus les prix à la hausse. Comme le risque géopolitique par exemple, ces matières premières étant produites dans un petit nombre de pays.
Elle donne en cela l’exemple du Platine, du Cobalt du Lithium qui sont utilisés dans les batteries électriques. « Les chiffres ne vont pas diminuer en termes de consommation. Et on a peu de producteurs dans le monde. Ce risque de déséquilibre entre l’offre et la demande risque de poser un gros problème et alimenter la hausse des cours sur le moyen et long termes », ajoute-t-elle.
Une tendance qui ne concerne pas toutefois le pétrole et les énergies fossiles qui connaîtront le sort inverse. « Même avec cette remontée du prix du pétrole en 2021, après une année 2020 d’effondrement, je vois qu’une société comme Next Era qui fait dans les énergies renouvelables a dépassé en capitalisation le géant pétrolier Exxon. C’est une première dans le monde qui montre que l’avenir est dans le renouvelable et que le pétrole sera de moins en moins consommé », souligne-t-elle.
Autre exemple qu’elle cite pour illustrer son analyse : la comparaison entre les prix de l’or et le palladium. « L’or a totalement stagné sur 2020. On est même à 1.800 dollars l’once, contre 1.840 début 2020. Le palladium utilisé dans les véhicules hybrides a connu par contre une hausse extraordinaire avant même le lancement des programmes de relance des gouvernements ».
En clair, si la transition énergétique va pousser plusieurs métaux à la hausse, le pétrole ne pourra pas continuer dans cette tendance haussière au vu des chamboulement que connaîtra le monde, avec la décarbonation de l’industrie et la volonté de produire et de consommer propre. Idem pour l’or, qui selon elle, n’est plus considéré comme la valeur refuge d’antan. Preuve, dit-elle, par l’explosion du prix du Bitcoins pendant la crise, qu’elle explique par une migration de l’or vers ces nouveaux instruments monétaires.
Une forte demande, mais une production concentrée chez peu de pays
Secrétaire général de l’ONHYM, Abdellah Mouttaki abonde dans le même sens en mettant les choses dans un contexte géopolitique assez serré.
Croyant en une continuité, au moins sur 2021, de cette tendance haussière sur les prix des matières premières, M. Mouttaki commence d’abord par rappeler qu’on parle de matières produites par peu de pays, avec une grande concentration sur la Chine, l’Australie et quelques pays d’Amérique du Sud, comme le Brésil, le Pérou, le Mexique, le Chili…
Mais la Chine reste selon lui le maître du jeu sur ce marché mondial.
.../...
Pétrole, gaz, produits agricoles, métaux, minerais… Toutes les matières premières essentielles à la vie et à l’économie ont vu leurs cours monter de manière vertigineuse ces derniers mois, atteignant des niveaux records. Comment s’explique cette tendance ? S’agit-il juste d’un effet de rattrapage ou d’une tendance qui risque de durer dans le temps ? Avis d’experts.
Mehdi Michbal
Le 11 juillet 2021 à 17h36
Modifié 11 juillet 2021 à 17h36
Le monde a connu trois « super cycles » dans les prix des matières premières. Le premier au début du 20e siècle, le second après la fin de la deuxième guerre mondiale, et le dernier au début des années 2000 avec l’émergence des BRICs et la montée en puissance de la Chine. Un super cycle dans le monde des « commodities » est une augmentation des prix des matières premières sur une longue durée, entre 10 à 20 ans. Et ces trois super cycles historiques qu’a connus le monde ont été tous tirés par des éléments fondamentaux, comme la forte hausse de la demande.
Oubliée du lexique des économistes, cette notion est revenue aujourd’hui au goût du jour, avec la flambée surprise et extraordinaire de l’ensemble des matières premières sur ces derniers mois. Ce que l’on perçoit fin 2020 comme un effet de rattrapage des effets de la crise, avec la remontée des prix du pétrole, du gaz et de certains minerais, ressemble de plus en plus aujourd’hui à une tendance de fond qui risque de durer sur le temps. Et plusieurs économistes n’excluent pas l’hypothèse du début d’un quatrième supercycle mondial sur l’ensemble des matières premières.
Une nouvelle pas très réjouissante pour un pays comme le Maroc, importateur net d’énergie (pétrole, gaz, charbon, hydrocarbures…), de matières premières agricoles (céréales, colza, huile de palme, maïs…) ou encore de métaux (fer, acier, cuivre…) pour ses industries.
Les tendances sur les derniers mois donnent en effet le tournis. Du 30 avril 2020 au 30 avril 2021, le prix du bois a explosé de 300%, le pétrole de 222% dépassant actuellement la barre des 75 dollars, l’acier est monté de 210%, le fer de 130%, le cuivre de plus de 100%, le charbon thermal qu’on utilise dans nos centrales électriques a connu une hausse de 80%, quand le prix du gaz naturel a triplé…
Comment expliquer cette flambée exponentielle et ininterrompue des prix des matières premières dans le monde ? Et est-ce que cette tendance est passagère ou risque-t-elle de durer dans le temps ?
Deux questions qui constituent aujourd’hui un véritable casse-tête pour les décideurs publics, les opérateurs privés et dont les effets se ressentiront également sur le pouvoir d’achat des citoyens. Qui dit hausse des matières premières, dit hausse des prix des produits finaux, dans tous les secteurs, y compris dans les produits alimentaires ou d’équipement.
Pour répondre à ces deux questions d’actualité, le Policy Center for the New South a réuni le 7 juillet un panel d’experts mondiaux, chacun dans un domaine précis, pour connaître les tenants et aboutissants de ce qui se passe dans les marchés des commodities.
Un retour massif de la demande mondiale
Economiste à la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, Marie-Louise Djigbenou-Kre constate également cette remontée spectaculaire des cours des matières premières depuis début 2021. Aussi bien dans les produits agricoles, miniers énergétiques, qui ont non seulement retrouvé leurs prix d’avant Covid mais les ont dépassés de très loin.
Cette remontée, l’économiste l’explique par le contexte économique actuel. Depuis début 2021, on assiste à une levée de plusieurs mesures de confinement, avec le lancement de politiques budgétaires et monétaires expansives au niveau de plusieurs États. Tous les gouvernements ont mis la main à la poche pour soutenir l’économie dans la même veine que les banques centrales. L’économie mondiale est sous perfusion. Ce qui conduit à une reprise économique aussi bien en Chine, qu’en Europe qu’aux USA et même en Afrique où les prévisions de croissance pour 2021 sont passés de 3 à 3,4% actuellement. Et qui dit croissance mondiale, dit augmentation de la demande sur les matières premières qui sont essentielles pour faire redémarrer la machine économique », explique-t-elle.
L’économiste de la BCEAO ne veut pas toutefois s’aventurer sur la tendance future. La question pour elle étant prématurée.
« S’il y avait un malade hospitalisé sous perfusion, et qui affiche bonne mine, vous n’allez pas lui proposer directement de faire du 100 mètres. Lorsqu’on regarde l’économie actuelle, on voit qu’on a eu suffisamment de liquidité et la consommation reprend progressivement de sorte à pouvoir impulser une certaine demande au niveau des marchés des matières premières et pousser les prix à la hausse. C’est une mécanique classique de reprise économique ou de rattrapage. Les prix repartent à la hausse, mais pour avoir un cycle durable, il faut que ce mécanisme soit auto-entretenu sans l’apport des politiques budgétaires ou des banques centrales. Il faudrait pour cela que la hausse des cours engendre une hausse des exportations, une hausse des revenus, favorise la consommation, l’investissement… Que la demande devienne autonome, ce qui permettrait d’avoir un cycle durable. Il est encore prématuré d’anticiper cela et pour pouvoir garantir un tel cycle », précise-t-elle.
La transition écologique, moteur de la flambée des prix
Helyette Geman, professeur à John Hopkins et directrice du Community finance center développe une autre analyse, expliquant cette flambée des matières premières et l’hypothèse de sa durabilité dans le temps la transition énergétique. Une tendance qui ne concerne pas toutes les matières premières.
« Quand j’ouvre mes journaux favoris, le Financial Times ou le Wall Street Journal, il y a des mots qui reviennent souvent : les batteries, le solaire, l’éolien, les véhicules électriques… Tout cela demande une consommation des minerais de fer, d’acier, de cuivre, dont la demande et les prix vont augmenter sensiblement. Le cuivre conduit l’électricité. Les réseaux d’électricité dans tous les pays ont besoin d’être consolidés pour pouvoir absorber des sources d’énergies intermittentes, comme le solaire et le vent. Je ne vois pas une réduction dans la consommation sur ces matières dans le long terme », souligne-t-elle.
En plus de cette donnée fondamentale, Helyette Geman évoque également d’autres facteurs qui peuvent pousser encore plus les prix à la hausse. Comme le risque géopolitique par exemple, ces matières premières étant produites dans un petit nombre de pays.
Elle donne en cela l’exemple du Platine, du Cobalt du Lithium qui sont utilisés dans les batteries électriques. « Les chiffres ne vont pas diminuer en termes de consommation. Et on a peu de producteurs dans le monde. Ce risque de déséquilibre entre l’offre et la demande risque de poser un gros problème et alimenter la hausse des cours sur le moyen et long termes », ajoute-t-elle.
Une tendance qui ne concerne pas toutefois le pétrole et les énergies fossiles qui connaîtront le sort inverse. « Même avec cette remontée du prix du pétrole en 2021, après une année 2020 d’effondrement, je vois qu’une société comme Next Era qui fait dans les énergies renouvelables a dépassé en capitalisation le géant pétrolier Exxon. C’est une première dans le monde qui montre que l’avenir est dans le renouvelable et que le pétrole sera de moins en moins consommé », souligne-t-elle.
Autre exemple qu’elle cite pour illustrer son analyse : la comparaison entre les prix de l’or et le palladium. « L’or a totalement stagné sur 2020. On est même à 1.800 dollars l’once, contre 1.840 début 2020. Le palladium utilisé dans les véhicules hybrides a connu par contre une hausse extraordinaire avant même le lancement des programmes de relance des gouvernements ».
En clair, si la transition énergétique va pousser plusieurs métaux à la hausse, le pétrole ne pourra pas continuer dans cette tendance haussière au vu des chamboulement que connaîtra le monde, avec la décarbonation de l’industrie et la volonté de produire et de consommer propre. Idem pour l’or, qui selon elle, n’est plus considéré comme la valeur refuge d’antan. Preuve, dit-elle, par l’explosion du prix du Bitcoins pendant la crise, qu’elle explique par une migration de l’or vers ces nouveaux instruments monétaires.
Une forte demande, mais une production concentrée chez peu de pays
Secrétaire général de l’ONHYM, Abdellah Mouttaki abonde dans le même sens en mettant les choses dans un contexte géopolitique assez serré.
Croyant en une continuité, au moins sur 2021, de cette tendance haussière sur les prix des matières premières, M. Mouttaki commence d’abord par rappeler qu’on parle de matières produites par peu de pays, avec une grande concentration sur la Chine, l’Australie et quelques pays d’Amérique du Sud, comme le Brésil, le Pérou, le Mexique, le Chili…
Mais la Chine reste selon lui le maître du jeu sur ce marché mondial.
.../...
Commentaire