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15 mars 2021
Après quelques suggestions de retrait, il s’avère que les troupes françaises au Sahel ne sont pas près d’en partir. C’est ce qu’a déclaré le président Emmanuel Macron à Paris le 16 février, avant même son sommet virtuel avec les anciens « partenaires » coloniaux de la France – le Burkina Faso, le Niger, le Mali, la Mauritanie et le Tchad – qui composent la Force conjointe du G5 Sahel.
Par Danny Sjursen
– Les troupes tchadiennes n’ont remporté aucune victoire réelle à l’étranger. Déby considère la sous-traitance de ses soldats comme une garantie (pour le maintien de son régime du moins).
Formée en 2014, elle est décrite dans le langage bureaucratique de Paris comme « un cadre de coopération intergouvernemental, afin de proposer une réponse régionale aux différents défis. »
En réalité, le G5 n’est guère plus qu’un groupe de forces par procuration problématiques aux ordres des généraux français, qui dirigent l’opération Barkhane depuis sept ans, et des proconsuls américains de l’AFRICOM qui soutiennent la guerre perpétuelle de Paris au Sahel.
Mercenaires en uniforme
Le sommet du G5 Sahel de cette année était basé – comme le quartier général de l’opération Barkhane – dans la capitale tchadienne N’Djamena, bien qu’en raison du Covid-19, les participants européens et américains s’y soient joints virtuellement.
La France a lancé son aventure militaire actuelle au Mali – initialement connue sous le nom d’opération Serval – en 2013, avant de l’étendre à toute la région sous l’égide de Barkhane. Ironiquement, alors que la mission française n’a cessé de s’étendre, et récemment, de rater ses objectifs, chaque indicateur de l’insécurité au Sahel a augmenté avec elle. Cela inclut des décès de civils (2 000 en 2019-20), des déplacements internes de populations (bien plus d’un million), de la pauvreté (30 millions de personnes en demande d’aide alimentaire) et des pertes de la coalition (29 soldats maliens, onusiens et français tués depuis le Nouvel An).
Malgré tout, lorsqu’il s’agit d’insister sur une mauvaise stratégie malgré les échecs, la France a pris ses leçons auprès des champions (les Américains). Ainsi, Macron a exclu toute réduction immédiate des troupes – malgré la montée du sentiment anti-guerre dans son pays et du sentiment anti-français dans la région – et a même obtenu l’engagement du Tchad de déployer 1 200 soldats supplémentaires, pour compléter les 5 100 soldats français de l’opération Barkhane. Voilà qui mérite d’être suivi de près. Le renfort tchadien représente un échange de « bons » procédés infâme, par lequel Paris caresse le dos du dictateur du moment de N’Djamena en échange de l’envoi sur le terrain de mercenaires au service de la France.
A bien y réfléchir, Paris fournit aussi souvent les armes, de sorte que les troupes tchadiennes sont en fait des mercenaires et de la chair à canon pour le combat néocolonial de la France. Par exemple, trois semaines seulement avant le sommet, l’ambassade de France a organisé une cérémonie pour célébrer la remise de neuf véhicules blindés ERC-90 aux mercenaires tchadiens en uniforme – alors que les civils du pays meurent de faim. On peut se demander combien de sacs de céréales, de moustiquaires et de vaccins ces neuf ERC-90, même s’ils ne sont pas de la première jeunesse, auraient pu acheter ? Peu importe, puisque l’ambassade a affirmé que ces véhicules « rustiques, efficaces et fiables » (…) « répondront parfaitement aux besoins opérationnels de l’armée tchadienne dans ses contributions à la lutte contre le terrorisme ». Dommage que les enfants tchadiens ne puissent pas les manger.
Hommes de main désaxés en location
Qu’en est-il de ces hommes de main ? En d’autres termes, qu’est-ce que les soldats de fortune de N’Djamena – payés 58 dollars par mois pour leur travail – apportent de concret à la déstabilisante mission franco-américaine de « stabilisation » du Sahel ? Au-delà d’attirer les balles, disons moins de zéro ! Même selon une évaluation plutôt généreuse de l’International Crisis Group, « l’armée tchadienne joue un rôle central dans les opérations internationales de lutte contre le terrorisme au Sahel, mais elle est une source d’instabilité potentielle chez elle. »
Cela ne veut pas dire que les soldats de l’actuel homme fort du Tchad, Idriss Déby, ne sont pas occupés. Il les a envoyés soutenir le combat de la France dans le centre et le nord du Mali (1 406 d’entre eux, en fait, en mars 2017), et avant, dans la mission de combat de cinq pays contre Boko Haram dans la région du lac Tchad au début de 2015 (fournissant environ un tiers des effectifs de la Force opérationnelle interarmées multinationale – qui est également basée dans la capitale tchadienne N’Djamena), ainsi que dans la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (MINUSCA) – une autre désastreuse ancienne zone coloniale française.
Que les « guerriers du désert » tchadiens apportent réellement une valeur ajoutée à ces aventures est une toute autre question. En avril 2014, les forces tchadiennes ont dû se retirer de la mission de l’ONU en République centrafricaine après avoir été accusées d’avoir tué 30 civils désarmés et d’avoir offert un soutien financier et militaire aux rebelles de la Seleka. Au Mali, il y a eu de nombreuses allégations de viols et de violences sexuelles perpétrés par les soldats tchadiens.
Néanmoins, même si les troupes tchadiennes maltraitent les civils, menacent la démocratie naissante au Tchad et n’ont remporté aucune victoire réelle à l’étranger, Déby considère la sous-traitance de ses soldats comme une garantie (pour le maintien de son régime du moins). Après avoir façonné l’image du Tchad en tant qu’allié indispensable dans la lutte contre le terrorisme, il a « joué la carte de la diplomatie militaire » pour consolider les partenariats de sécurité franco-américains – et par là même, son propre pouvoir politique.
La politologue Marielle Debos a même trouvé un bon slogan pour la méthode mercenaire de Déby – et en a fait le titre de son livre de 2016 – « La vie au rythme des armes à feu au Tchad » (« Living by the Gun in Chad »).
En 2017, elle expliquait que le statut autoproclamé du Tchad en tant que nouvelle puissance militaire régionale « conduit la France et les États-Unis à fermer les yeux sur des fraudes électorales et des violations des droits de l’homme. » Déby a même gagné un poids diplomatique décisif – comme on l’a vu avec la sélection, en janvier 2017, de son ancien ministre des Affaires étrangères Moussa Faki Mahamat à la tête de la Commission de l’Union africaine.
15 mars 2021
Après quelques suggestions de retrait, il s’avère que les troupes françaises au Sahel ne sont pas près d’en partir. C’est ce qu’a déclaré le président Emmanuel Macron à Paris le 16 février, avant même son sommet virtuel avec les anciens « partenaires » coloniaux de la France – le Burkina Faso, le Niger, le Mali, la Mauritanie et le Tchad – qui composent la Force conjointe du G5 Sahel.
Par Danny Sjursen

– Les troupes tchadiennes n’ont remporté aucune victoire réelle à l’étranger. Déby considère la sous-traitance de ses soldats comme une garantie (pour le maintien de son régime du moins).
Formée en 2014, elle est décrite dans le langage bureaucratique de Paris comme « un cadre de coopération intergouvernemental, afin de proposer une réponse régionale aux différents défis. »
En réalité, le G5 n’est guère plus qu’un groupe de forces par procuration problématiques aux ordres des généraux français, qui dirigent l’opération Barkhane depuis sept ans, et des proconsuls américains de l’AFRICOM qui soutiennent la guerre perpétuelle de Paris au Sahel.
Mercenaires en uniforme
Le sommet du G5 Sahel de cette année était basé – comme le quartier général de l’opération Barkhane – dans la capitale tchadienne N’Djamena, bien qu’en raison du Covid-19, les participants européens et américains s’y soient joints virtuellement.
La France a lancé son aventure militaire actuelle au Mali – initialement connue sous le nom d’opération Serval – en 2013, avant de l’étendre à toute la région sous l’égide de Barkhane. Ironiquement, alors que la mission française n’a cessé de s’étendre, et récemment, de rater ses objectifs, chaque indicateur de l’insécurité au Sahel a augmenté avec elle. Cela inclut des décès de civils (2 000 en 2019-20), des déplacements internes de populations (bien plus d’un million), de la pauvreté (30 millions de personnes en demande d’aide alimentaire) et des pertes de la coalition (29 soldats maliens, onusiens et français tués depuis le Nouvel An).
Malgré tout, lorsqu’il s’agit d’insister sur une mauvaise stratégie malgré les échecs, la France a pris ses leçons auprès des champions (les Américains). Ainsi, Macron a exclu toute réduction immédiate des troupes – malgré la montée du sentiment anti-guerre dans son pays et du sentiment anti-français dans la région – et a même obtenu l’engagement du Tchad de déployer 1 200 soldats supplémentaires, pour compléter les 5 100 soldats français de l’opération Barkhane. Voilà qui mérite d’être suivi de près. Le renfort tchadien représente un échange de « bons » procédés infâme, par lequel Paris caresse le dos du dictateur du moment de N’Djamena en échange de l’envoi sur le terrain de mercenaires au service de la France.
A bien y réfléchir, Paris fournit aussi souvent les armes, de sorte que les troupes tchadiennes sont en fait des mercenaires et de la chair à canon pour le combat néocolonial de la France. Par exemple, trois semaines seulement avant le sommet, l’ambassade de France a organisé une cérémonie pour célébrer la remise de neuf véhicules blindés ERC-90 aux mercenaires tchadiens en uniforme – alors que les civils du pays meurent de faim. On peut se demander combien de sacs de céréales, de moustiquaires et de vaccins ces neuf ERC-90, même s’ils ne sont pas de la première jeunesse, auraient pu acheter ? Peu importe, puisque l’ambassade a affirmé que ces véhicules « rustiques, efficaces et fiables » (…) « répondront parfaitement aux besoins opérationnels de l’armée tchadienne dans ses contributions à la lutte contre le terrorisme ». Dommage que les enfants tchadiens ne puissent pas les manger.
Hommes de main désaxés en location
Qu’en est-il de ces hommes de main ? En d’autres termes, qu’est-ce que les soldats de fortune de N’Djamena – payés 58 dollars par mois pour leur travail – apportent de concret à la déstabilisante mission franco-américaine de « stabilisation » du Sahel ? Au-delà d’attirer les balles, disons moins de zéro ! Même selon une évaluation plutôt généreuse de l’International Crisis Group, « l’armée tchadienne joue un rôle central dans les opérations internationales de lutte contre le terrorisme au Sahel, mais elle est une source d’instabilité potentielle chez elle. »
Cela ne veut pas dire que les soldats de l’actuel homme fort du Tchad, Idriss Déby, ne sont pas occupés. Il les a envoyés soutenir le combat de la France dans le centre et le nord du Mali (1 406 d’entre eux, en fait, en mars 2017), et avant, dans la mission de combat de cinq pays contre Boko Haram dans la région du lac Tchad au début de 2015 (fournissant environ un tiers des effectifs de la Force opérationnelle interarmées multinationale – qui est également basée dans la capitale tchadienne N’Djamena), ainsi que dans la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (MINUSCA) – une autre désastreuse ancienne zone coloniale française.
Que les « guerriers du désert » tchadiens apportent réellement une valeur ajoutée à ces aventures est une toute autre question. En avril 2014, les forces tchadiennes ont dû se retirer de la mission de l’ONU en République centrafricaine après avoir été accusées d’avoir tué 30 civils désarmés et d’avoir offert un soutien financier et militaire aux rebelles de la Seleka. Au Mali, il y a eu de nombreuses allégations de viols et de violences sexuelles perpétrés par les soldats tchadiens.
Néanmoins, même si les troupes tchadiennes maltraitent les civils, menacent la démocratie naissante au Tchad et n’ont remporté aucune victoire réelle à l’étranger, Déby considère la sous-traitance de ses soldats comme une garantie (pour le maintien de son régime du moins). Après avoir façonné l’image du Tchad en tant qu’allié indispensable dans la lutte contre le terrorisme, il a « joué la carte de la diplomatie militaire » pour consolider les partenariats de sécurité franco-américains – et par là même, son propre pouvoir politique.
La politologue Marielle Debos a même trouvé un bon slogan pour la méthode mercenaire de Déby – et en a fait le titre de son livre de 2016 – « La vie au rythme des armes à feu au Tchad » (« Living by the Gun in Chad »).
En 2017, elle expliquait que le statut autoproclamé du Tchad en tant que nouvelle puissance militaire régionale « conduit la France et les États-Unis à fermer les yeux sur des fraudes électorales et des violations des droits de l’homme. » Déby a même gagné un poids diplomatique décisif – comme on l’a vu avec la sélection, en janvier 2017, de son ancien ministre des Affaires étrangères Moussa Faki Mahamat à la tête de la Commission de l’Union africaine.
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