Décidément, rien ni personne ne paraissent vouloir arrêter notre inexorable descente aux enfers. La nouvelle que l’on redoutait est tombée, comme un couperet.
L’Agence de notation Moodys ne pouvait faire mieux que de nous infliger sa nouvelle sentence. De B2, position peu enviable, à B3 assorti – comble de l’humiliation – de perspective négative. Pas besoin d’être grand clerc pour décrypter le message : il faut nous préparer au pire. Le spectre de la fatidique note souveraine C pointe à l’horizon. La frontière qui nous sépare du défaut de paiement est si mince, qu’on y est presque.
À la vitesse actuelle d’affaissement économique et financier, on fera même l’économie de l’avant-dernière étape, celle d’un pays à très haut risque, hyper spéculatif, pour subir aussitôt les affres de la banqueroute et de la vindicte des marchés financiers. Il est déjà minuit moins quart et on file à vive allure vers une faillite totale à la fois financière, politique et morale. Qui l’aurait imaginé dix ans plus tôt, quand le pays paradait aux confins du A, auréolé de son titre d’investment grade !
Il n’y a pas lieu d’épiloguer sur les raisons, maintes fois évoquées, d’une telle débâcle. Elles sont inscrites dans nos statistiques de production et de commerce extérieur. Et de manière générale, dans la dégradation accentuée de l’ensemble de nos agrégats macroéconomiques.
En 2020, le PIB, qui évolue très peu quand il n’est pas à l’arrêt, a chuté de 8,8%, sans réelle perspective de reprise en 2021. Le taux de chômage a dépassé la barre des 18%. Et menace de grimper encore. L’endettement est désormais hors de contrôle, avec pour seule borne, la sanction des marchés et des bailleurs de fonds institutionnels.
« Il est déjà minuit moins quart et on file à vive allure vers une faillite totale à la fois financière, politique et morale »
La guerre des Chefs au sommet de l’État a fini par fracturer le pays. Les dirigeants politiques sont en passe de perdre le peu de crédit dont ils disposaient à vouloir s’entredéchirer. Sans se soucier outre mesure des préoccupations, des appréhensions et des craintes des individus et des entreprises, victimes de la crise sanitaire dont on ne voit pas l’issue. Rien, dans ce qu’on nous annonce entre deux passes d’armes, n’apporte le moindre signe d’espoir.
La croissance est hypothétique et peu probable. Ses principaux moteurs vont se fracasser contre le mur de l’immobilisme. Sans compter qu’ils sont privés de carburant, de liquidité, de moyens et de mécanismes de relance. Et pour cause ! Le budget de l’État et sa loi de finances ne sont qu’une vue erronée de l’esprit. On y voit un étalage de dépenses ostentatoires d’un État qui n’a plus les moyens de son train de vie. Entre dépenses et ressources, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Le budget 2021 relève plus du jeu de hasard que d’une vision crédible de la réalité politique, économique, sociale et financière. Un budget qui ne soit pas dès le départ en équilibre, c’est une prouesse peu commune, encore une, de ces exceptions tunisiennes. On est même passé maître dans l’art de spéculer sur des situations et sur de nouveaux emprunts pour le moins incertains. La dette, par tous les moyens et à n’importe quel prix, est devenue la seule variable d’ajustement.
On laisse filer les dépenses improductives et on court jusqu’à n’en plus pouvoir derrière la dette, dont on sait qu’elle n’est plus, depuis fort longtemps, soutenable. Il nous faut, chaque année, monter de plusieurs crans dans l’échelle des emprunts et des coûts pour rembourser le service de la dette, en croissance rapide, qui grève plus du 1/5 du budget, soit près de deux fois les dépenses d’équipements.
Tous les gouvernements, celui de Hichem Mechichi sans doute plus que les autres – situation financière oblige – se sont laissés prendre au jeu dangereux de la dette, aux seules fins de financer les dépenses courantes jusqu’à en mourir de plaisir. Sans se soucier que la dette d’aujourd’hui, c’est l’impôt de demain.
Situation d’autant plus paradoxale, que l’envolée de la dette s’accompagne d’une décrue de la pression fiscale. L’impôt sur les sociétés passe de 25% à 15%, ce qui n’est pas peu. Sauf qu’il faut être d’une déconcertante naïveté pour croire que la baisse des taux va se traduire à court et moyen terme par une hausse des totaux, c’est-à-dire des recettes fiscales. C’est loin d’être acquis, au regard de la nature de notre ADN fiscal.
« Tous les gouvernements, celui de Hichem Mechichi sans doute plus que les autres – situation financière oblige – se sont laissés prendre au jeu dangereux de la dette… »
On peine à imaginer situation aussi ubuesque. Le gouvernement a placé très haut la barre des dépenses, beaucoup plus haut qu’il ne peut mobiliser de ressources, via la fiscalité ou l’emprunt. Il continue, malgré tout, à tirer des traites sur l’avenir, sans provisions prévisibles. Il y en a pour tous les contestataires, les frondeurs, les dissidents, fut-ce au mépris de la loi, dès lors qu’ils sortent leurs griffes, défient l’autorité de l’État, prennent en otage les citoyens contribuables, les institutions républicaines, les fonctions régaliennes, sèment le trouble et condamnent à l’arrêt entreprises et activité nationale.
Le gouvernement n’a pas su, pu ou voulu résister à cette déferlante de revendications. Il a préféré la reddition à l’affrontement. Il n’est pas sûr qu’il ait fait le bon choix, à l’heure du décompte final. Céder sur les salaires sous la menace de véritables oligarchies de la fonction publique, ouvrir les vannes à de nouveaux recrutements qui seront de trop dans la fonction et les entreprises publiques en mal de gouvernance, alors qu’il doit impérativement dégraisser le mammouth, est la pire des solutions.
D’autant qu’il n’est pas au bout de ses peines, ne serait-ce qu’à cause de la montée du cours du pétrole dont les implications financières réduisent l’espace budgétaire, et ses marges de manœuvre.
Le navire Tunisie est à la dérive et prend eau de toutes parts, en raison de ses multiples avaries. Le pays s’enfonce dans les affres de la récession. Et ce ne sont pas les vociférations et le spectacle affligeant des parlementaires, l’instabilité sociale, le désordre sociétal et le vide politique provoqué par une cohabitation des plus conflictuelles au sommet de l’État qui vont restaurer la confiance, apaiser le pays et remettre le pendule à l’heure des nécessaires réformes structurelles.
Ce ne sont pas non plus et surtout la réticence, la démission et la fuite des investisseurs, qui vont rallumer tous les moteurs de la croissance. Il faut, à l’évidence, une toute autre gouvernance politique, fondée sur une vision, un plan d’action clair et précis, une volonté, une détermination, et du courage politique à toute épreuve pour remettre les Tunisiens désenchantés au travail et retrouver grâce aux yeux des investisseurs. C’est sans doute ce qu’a voulu nous signifier Moody’s, avant que le pays déjà exsangue ne soit mis aux enchères.
l'économiste maghrébin
L’Agence de notation Moodys ne pouvait faire mieux que de nous infliger sa nouvelle sentence. De B2, position peu enviable, à B3 assorti – comble de l’humiliation – de perspective négative. Pas besoin d’être grand clerc pour décrypter le message : il faut nous préparer au pire. Le spectre de la fatidique note souveraine C pointe à l’horizon. La frontière qui nous sépare du défaut de paiement est si mince, qu’on y est presque.
À la vitesse actuelle d’affaissement économique et financier, on fera même l’économie de l’avant-dernière étape, celle d’un pays à très haut risque, hyper spéculatif, pour subir aussitôt les affres de la banqueroute et de la vindicte des marchés financiers. Il est déjà minuit moins quart et on file à vive allure vers une faillite totale à la fois financière, politique et morale. Qui l’aurait imaginé dix ans plus tôt, quand le pays paradait aux confins du A, auréolé de son titre d’investment grade !
Il n’y a pas lieu d’épiloguer sur les raisons, maintes fois évoquées, d’une telle débâcle. Elles sont inscrites dans nos statistiques de production et de commerce extérieur. Et de manière générale, dans la dégradation accentuée de l’ensemble de nos agrégats macroéconomiques.
En 2020, le PIB, qui évolue très peu quand il n’est pas à l’arrêt, a chuté de 8,8%, sans réelle perspective de reprise en 2021. Le taux de chômage a dépassé la barre des 18%. Et menace de grimper encore. L’endettement est désormais hors de contrôle, avec pour seule borne, la sanction des marchés et des bailleurs de fonds institutionnels.
« Il est déjà minuit moins quart et on file à vive allure vers une faillite totale à la fois financière, politique et morale »
La guerre des Chefs au sommet de l’État a fini par fracturer le pays. Les dirigeants politiques sont en passe de perdre le peu de crédit dont ils disposaient à vouloir s’entredéchirer. Sans se soucier outre mesure des préoccupations, des appréhensions et des craintes des individus et des entreprises, victimes de la crise sanitaire dont on ne voit pas l’issue. Rien, dans ce qu’on nous annonce entre deux passes d’armes, n’apporte le moindre signe d’espoir.
La croissance est hypothétique et peu probable. Ses principaux moteurs vont se fracasser contre le mur de l’immobilisme. Sans compter qu’ils sont privés de carburant, de liquidité, de moyens et de mécanismes de relance. Et pour cause ! Le budget de l’État et sa loi de finances ne sont qu’une vue erronée de l’esprit. On y voit un étalage de dépenses ostentatoires d’un État qui n’a plus les moyens de son train de vie. Entre dépenses et ressources, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Le budget 2021 relève plus du jeu de hasard que d’une vision crédible de la réalité politique, économique, sociale et financière. Un budget qui ne soit pas dès le départ en équilibre, c’est une prouesse peu commune, encore une, de ces exceptions tunisiennes. On est même passé maître dans l’art de spéculer sur des situations et sur de nouveaux emprunts pour le moins incertains. La dette, par tous les moyens et à n’importe quel prix, est devenue la seule variable d’ajustement.
« La croissance est hypothétique et peu probable. Ses principaux moteurs vont se fracasser contre le mur de l’immobilisme »
On laisse filer les dépenses improductives et on court jusqu’à n’en plus pouvoir derrière la dette, dont on sait qu’elle n’est plus, depuis fort longtemps, soutenable. Il nous faut, chaque année, monter de plusieurs crans dans l’échelle des emprunts et des coûts pour rembourser le service de la dette, en croissance rapide, qui grève plus du 1/5 du budget, soit près de deux fois les dépenses d’équipements.
Tous les gouvernements, celui de Hichem Mechichi sans doute plus que les autres – situation financière oblige – se sont laissés prendre au jeu dangereux de la dette, aux seules fins de financer les dépenses courantes jusqu’à en mourir de plaisir. Sans se soucier que la dette d’aujourd’hui, c’est l’impôt de demain.
Situation d’autant plus paradoxale, que l’envolée de la dette s’accompagne d’une décrue de la pression fiscale. L’impôt sur les sociétés passe de 25% à 15%, ce qui n’est pas peu. Sauf qu’il faut être d’une déconcertante naïveté pour croire que la baisse des taux va se traduire à court et moyen terme par une hausse des totaux, c’est-à-dire des recettes fiscales. C’est loin d’être acquis, au regard de la nature de notre ADN fiscal.
« Tous les gouvernements, celui de Hichem Mechichi sans doute plus que les autres – situation financière oblige – se sont laissés prendre au jeu dangereux de la dette… »
On peine à imaginer situation aussi ubuesque. Le gouvernement a placé très haut la barre des dépenses, beaucoup plus haut qu’il ne peut mobiliser de ressources, via la fiscalité ou l’emprunt. Il continue, malgré tout, à tirer des traites sur l’avenir, sans provisions prévisibles. Il y en a pour tous les contestataires, les frondeurs, les dissidents, fut-ce au mépris de la loi, dès lors qu’ils sortent leurs griffes, défient l’autorité de l’État, prennent en otage les citoyens contribuables, les institutions républicaines, les fonctions régaliennes, sèment le trouble et condamnent à l’arrêt entreprises et activité nationale.
Le gouvernement n’a pas su, pu ou voulu résister à cette déferlante de revendications. Il a préféré la reddition à l’affrontement. Il n’est pas sûr qu’il ait fait le bon choix, à l’heure du décompte final. Céder sur les salaires sous la menace de véritables oligarchies de la fonction publique, ouvrir les vannes à de nouveaux recrutements qui seront de trop dans la fonction et les entreprises publiques en mal de gouvernance, alors qu’il doit impérativement dégraisser le mammouth, est la pire des solutions.
D’autant qu’il n’est pas au bout de ses peines, ne serait-ce qu’à cause de la montée du cours du pétrole dont les implications financières réduisent l’espace budgétaire, et ses marges de manœuvre.
« Le gouvernement n’a pas su, pu ou voulu résister à cette déferlante de revendications. Il a préféré la reddition à l’affrontement »
Le navire Tunisie est à la dérive et prend eau de toutes parts, en raison de ses multiples avaries. Le pays s’enfonce dans les affres de la récession. Et ce ne sont pas les vociférations et le spectacle affligeant des parlementaires, l’instabilité sociale, le désordre sociétal et le vide politique provoqué par une cohabitation des plus conflictuelles au sommet de l’État qui vont restaurer la confiance, apaiser le pays et remettre le pendule à l’heure des nécessaires réformes structurelles.
Ce ne sont pas non plus et surtout la réticence, la démission et la fuite des investisseurs, qui vont rallumer tous les moteurs de la croissance. Il faut, à l’évidence, une toute autre gouvernance politique, fondée sur une vision, un plan d’action clair et précis, une volonté, une détermination, et du courage politique à toute épreuve pour remettre les Tunisiens désenchantés au travail et retrouver grâce aux yeux des investisseurs. C’est sans doute ce qu’a voulu nous signifier Moody’s, avant que le pays déjà exsangue ne soit mis aux enchères.
l'économiste maghrébin
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