Que s’est-il réellement passé dans l’affaire Talsint ? A-t-on réellement touché une nappe de pétrole que l’on ne peut exploiter pour des raisons aussi obscures qu’improbables ? Etait-ce tout simplement un coup de bluff de quelques aventuriers texans qui ont berné une poignée d’apprentis businessmen qui gravitent autour du Pouvoir ?
Presque sept années se sont écoulées depuis que Mohammed VI a annoncé dans un discours radiotélévisé mémorable que le sous-sol de Talsint recelait du pétrole «en quantité abondante». Le rêve de Talsint s’est depuis longtemps évaporé des consciences et la bourgade qui était devenu synonyme d’Eldorado prometteur pour beaucoup de Marocains a vite, très vite, replongé dans l’anonymat et la misère de cette lointaine province de l’Oriental que les gouvernants de Rabat, depuis Lyautey, ont toujours appelé le «Maroc inutile». Du lieu de forage, là où ont roulé les rutilantes limousines gouvernementales sous le soleil de plomb de ce 23 août 2000, jour de l’inauguration en grande pompe du premier derrick du puits Sidi Belkacem-1, il ne subsiste qu’un amas difforme de ferraille rongé par la rouille, dernier vestige du plus grand mirage qu’a connu le Maroc depuis son indépendance.
De la rocaille jaillit le rêve
Le rêve de voir le Maroc se transformer en monarchie pétrolière n’était plus d’actualité jusqu’à ce que " Assahifa " en fasse sa manchette la semaine dernière avec les conséquences que l’on sait, ravivant ainsi des questions lancinantes enfouies à la hâte sous les décombres de cette affaire. Que s’est-il réellement passé ? A-t-on réellement touché une nappe de pétrole que l’on ne peut exploiter pour des raisons aussi obscures qu’improbables ? Etait-ce tout simplement un coup de bluff de quelques aventuriers texans qui ont berné une poignée d’apprentis businessmen qui gravitent autour du Pouvoir ? L’histoire pathétique du pétrole de Talsint ressemble en réalité davantage à un mauvais polar politico-financier aux acteurs interlopes, une histoire qui a pu se tramer dans le contexte particulier de l’accession sur le trône alaouite d’un jeune monarque porteur de tous les espoirs d’un peuple après près de quarante ans de règne absolu de Hassan II.
Eté 1999, alors que le Maroc est sous le choc de la disparition de Hassan II, le gouvernement d’alternance mené par le socialiste Youssoufi peaufine un nouveau code des hydrocarbures. Le texte de loi est révolutionnaire puisque censé, grâce à des abattements fiscaux et des mesures incitatives alléchantes, attirer les grands majors du pétrole qui, jusque-là, ont boudé le royaume chérifien, toute prospection y étant découragée par des royalties élevées à verser à l’Etat et des impôts stratosphériques à débourser sur chaque baril extrait de son sous-sol. Les détails de la loi, qui n’est pourtant pas encore passée par les fourches caudines du Parlement, sont jalousement gardés au secret dans les crédences du ministère de l’Energie. Mais sous les lambris du Pouvoir, quelques initiés, qui ont flairé le jackpot, se chuchotent déjà le contenu et décident de prendre les devants. Ces affairistes, habitués des arcanes du Palais iront à la pêche d’un JR en Amérique pour se lancer les premiers dans ce nouveau business prometteur. De l’autre côté de l’Atlantique, les aventuriers de la prospection pétrolière pullulent. Ils savent peu ou prou que le Maroc, oublié des radars depuis la fin du Protectorat français pourrait, compte tenu de sa géologie, regorger de pétrole à condition de piocher là ou il faut et dans la mesure du possible à moindre coût. Depuis la fin des années quatre-vingt, l’un d’eux, Michael H.Gustin, la cinquantaine entamée, qui a grandi au milieu des pompes à bascule du Texas un peu comme le James Dean de «Géant», lorgne sur le Maroc. Il dirige une petite firme du nom de Skidmore Energy qui joue à la roulette en sondant les profondeurs du Golfe du Mexique avec un succès mitigé. Il est approché par Abdou Saoud, consul honoraire du Maroc en Californie et tête de pont des affairistes arabes à Los Angeles. Saoud lui fait miroiter les beaux atours du nouveau code des hydrocarbures et le met en contact avec Othman Skiredj, fils du général de l’armée de l’air marocaine et ancien aide de camp de Hassan II. Le jeune Skiredj, un des rares Marocains à avoir étudié au prestigieux Massachussets Institute of Technology de Boston (MIT) est actionnaire de Medi Holding, un petit véhicule d’investissement touche à tout, de la bourse à la téléphonie mobile. Son atout, en plus d’être aguerri à l’environnement anglo-saxon est d’être associé à deux trentenaires bien nés : Mohamed Benslimane, l’époux de la sœur du prince Moulay Hicham et surtout Moulay Abdallah Alaoui, géologue de formation et cousin germain de Mohammed VI. Les entrées dans les méandres de l’Administration marocaine des promoteurs de Medi Holding et leur proximité avec celui qui prendra bientôt les rennes du royaume n’échapperont pas au cow-boy Gustin…
Des Marocains aux petits soins…
Le sudiste Gustin n’a pas été choisi au hasard par le missi dominici Abdou Saoud. S’il connaît en effet toutes les ficelles du métier, étant lui-même issu d’une famille de pétroliers, ce baroudeur n’est pas le seul partenaire convoité par les Marocains. Sa société, il la doit à John Paul DeJoria, un habile homme d’affaires qui figure régulièrement en bonne place dans les classements des toutes premières fortunes des Etats-Unis. La soixantaine athlétique, le «shampooineur de Beverly Hills», comme le décrivent les gazettes people de Californie, est un richissime self-made man, patron de John Paul Mitchell Systems, une multinationale de produits de soins capillaires au chiffre d’affaires qui frise le milliard de dollars et aussi célèbre outre Atlantique que L’Oréal. DeJoria possède un florilège d’entreprises dont Skidmore Energy, fondée avec Gustin en 1995. Skidmore est ce que l’on appelle dans le jargon des pétroliers, une société de «wild catting», une sorte de «découvreur de gisements» à revendre aux majors comme Shell, Chevron ou Total, seules capables d’investir sur le long terme. Le business est risqué, les fonds étant souvent investis en pure perte. Gustin, qui peine à faire fortune convainc DeJoria que le Maroc est la dernière frontière, à explorer, ses arguments semblent solides : le sous-sol du pays n’a pas été suffisamment sondé, il a trouvé des partenaires diligents et bien introduits et qui, fait unique, proposent même d’avantager l’entreprise en la faisant bénéficier des avantages du code des hydrocarbures avant même sa promulgation officielle !
Le 9 mars 2000, fort de ses entrées dans les méandres de la bureaucratie marocaine, Medi Holding paraphe avec les Américains de Skidmore un «mémorandum» qui définit la liste des avantages que les «lobbyistes» Marocains se déclarent capables d’obtenir en un temps record. Les promoteurs de la société Lone Star Energy ,qui n’existe que depuis à peine huit mois de s’assurer des exonérations fiscales et un régime des changes taillé sur mesure à faire pâlir les plus grandes multinationales installées au Maroc depuis des lustres. En contrepartie, le prince Moulay Abdallah Alaoui requiert à John Paul DeJoria et Michael H.Gustin 12% du capital de Lone Star dans des termes inimaginables pour le commun des investisseurs (voir lettre pXX). Le code des hydrocarbures, pourtant encore en gestation leur est en grande partie appliqué bien avant que les élus de la nation n’aient pris la peine de l’étudier. Il ne sera d’ailleurs adopté par le Parlement qu’en février 2000. Entre temps, les portes des ministères sont grandes ouvertes pour Lone Star, dont les réalisations sont pourtant encore méconnues. Mohammed Benslimane obtient rendez-vous sur rendez-vous à la Direction des investissements extérieurs, à l’Office des Changes et au ministère de l’Economie et des Finances. Toutes ses promesses faites à ses associés américains sont tenues. L’effort de conviction y est, l’argumentaire se tient, mais la facilité est pour le moins que l’on puisse dire inouie. Quelques jours avant la promulgation du code des hydrocarbures, Medi Holding ficèle avec l’Etat marocain une convention d’investissement. Sa trame est classique, mais elle justifie à Medi Holding son strapontin dans le tour de table de Lone Star Energy.
Presque sept années se sont écoulées depuis que Mohammed VI a annoncé dans un discours radiotélévisé mémorable que le sous-sol de Talsint recelait du pétrole «en quantité abondante». Le rêve de Talsint s’est depuis longtemps évaporé des consciences et la bourgade qui était devenu synonyme d’Eldorado prometteur pour beaucoup de Marocains a vite, très vite, replongé dans l’anonymat et la misère de cette lointaine province de l’Oriental que les gouvernants de Rabat, depuis Lyautey, ont toujours appelé le «Maroc inutile». Du lieu de forage, là où ont roulé les rutilantes limousines gouvernementales sous le soleil de plomb de ce 23 août 2000, jour de l’inauguration en grande pompe du premier derrick du puits Sidi Belkacem-1, il ne subsiste qu’un amas difforme de ferraille rongé par la rouille, dernier vestige du plus grand mirage qu’a connu le Maroc depuis son indépendance.
De la rocaille jaillit le rêve
Le rêve de voir le Maroc se transformer en monarchie pétrolière n’était plus d’actualité jusqu’à ce que " Assahifa " en fasse sa manchette la semaine dernière avec les conséquences que l’on sait, ravivant ainsi des questions lancinantes enfouies à la hâte sous les décombres de cette affaire. Que s’est-il réellement passé ? A-t-on réellement touché une nappe de pétrole que l’on ne peut exploiter pour des raisons aussi obscures qu’improbables ? Etait-ce tout simplement un coup de bluff de quelques aventuriers texans qui ont berné une poignée d’apprentis businessmen qui gravitent autour du Pouvoir ? L’histoire pathétique du pétrole de Talsint ressemble en réalité davantage à un mauvais polar politico-financier aux acteurs interlopes, une histoire qui a pu se tramer dans le contexte particulier de l’accession sur le trône alaouite d’un jeune monarque porteur de tous les espoirs d’un peuple après près de quarante ans de règne absolu de Hassan II.
Eté 1999, alors que le Maroc est sous le choc de la disparition de Hassan II, le gouvernement d’alternance mené par le socialiste Youssoufi peaufine un nouveau code des hydrocarbures. Le texte de loi est révolutionnaire puisque censé, grâce à des abattements fiscaux et des mesures incitatives alléchantes, attirer les grands majors du pétrole qui, jusque-là, ont boudé le royaume chérifien, toute prospection y étant découragée par des royalties élevées à verser à l’Etat et des impôts stratosphériques à débourser sur chaque baril extrait de son sous-sol. Les détails de la loi, qui n’est pourtant pas encore passée par les fourches caudines du Parlement, sont jalousement gardés au secret dans les crédences du ministère de l’Energie. Mais sous les lambris du Pouvoir, quelques initiés, qui ont flairé le jackpot, se chuchotent déjà le contenu et décident de prendre les devants. Ces affairistes, habitués des arcanes du Palais iront à la pêche d’un JR en Amérique pour se lancer les premiers dans ce nouveau business prometteur. De l’autre côté de l’Atlantique, les aventuriers de la prospection pétrolière pullulent. Ils savent peu ou prou que le Maroc, oublié des radars depuis la fin du Protectorat français pourrait, compte tenu de sa géologie, regorger de pétrole à condition de piocher là ou il faut et dans la mesure du possible à moindre coût. Depuis la fin des années quatre-vingt, l’un d’eux, Michael H.Gustin, la cinquantaine entamée, qui a grandi au milieu des pompes à bascule du Texas un peu comme le James Dean de «Géant», lorgne sur le Maroc. Il dirige une petite firme du nom de Skidmore Energy qui joue à la roulette en sondant les profondeurs du Golfe du Mexique avec un succès mitigé. Il est approché par Abdou Saoud, consul honoraire du Maroc en Californie et tête de pont des affairistes arabes à Los Angeles. Saoud lui fait miroiter les beaux atours du nouveau code des hydrocarbures et le met en contact avec Othman Skiredj, fils du général de l’armée de l’air marocaine et ancien aide de camp de Hassan II. Le jeune Skiredj, un des rares Marocains à avoir étudié au prestigieux Massachussets Institute of Technology de Boston (MIT) est actionnaire de Medi Holding, un petit véhicule d’investissement touche à tout, de la bourse à la téléphonie mobile. Son atout, en plus d’être aguerri à l’environnement anglo-saxon est d’être associé à deux trentenaires bien nés : Mohamed Benslimane, l’époux de la sœur du prince Moulay Hicham et surtout Moulay Abdallah Alaoui, géologue de formation et cousin germain de Mohammed VI. Les entrées dans les méandres de l’Administration marocaine des promoteurs de Medi Holding et leur proximité avec celui qui prendra bientôt les rennes du royaume n’échapperont pas au cow-boy Gustin…
Des Marocains aux petits soins…
Le sudiste Gustin n’a pas été choisi au hasard par le missi dominici Abdou Saoud. S’il connaît en effet toutes les ficelles du métier, étant lui-même issu d’une famille de pétroliers, ce baroudeur n’est pas le seul partenaire convoité par les Marocains. Sa société, il la doit à John Paul DeJoria, un habile homme d’affaires qui figure régulièrement en bonne place dans les classements des toutes premières fortunes des Etats-Unis. La soixantaine athlétique, le «shampooineur de Beverly Hills», comme le décrivent les gazettes people de Californie, est un richissime self-made man, patron de John Paul Mitchell Systems, une multinationale de produits de soins capillaires au chiffre d’affaires qui frise le milliard de dollars et aussi célèbre outre Atlantique que L’Oréal. DeJoria possède un florilège d’entreprises dont Skidmore Energy, fondée avec Gustin en 1995. Skidmore est ce que l’on appelle dans le jargon des pétroliers, une société de «wild catting», une sorte de «découvreur de gisements» à revendre aux majors comme Shell, Chevron ou Total, seules capables d’investir sur le long terme. Le business est risqué, les fonds étant souvent investis en pure perte. Gustin, qui peine à faire fortune convainc DeJoria que le Maroc est la dernière frontière, à explorer, ses arguments semblent solides : le sous-sol du pays n’a pas été suffisamment sondé, il a trouvé des partenaires diligents et bien introduits et qui, fait unique, proposent même d’avantager l’entreprise en la faisant bénéficier des avantages du code des hydrocarbures avant même sa promulgation officielle !
Le 9 mars 2000, fort de ses entrées dans les méandres de la bureaucratie marocaine, Medi Holding paraphe avec les Américains de Skidmore un «mémorandum» qui définit la liste des avantages que les «lobbyistes» Marocains se déclarent capables d’obtenir en un temps record. Les promoteurs de la société Lone Star Energy ,qui n’existe que depuis à peine huit mois de s’assurer des exonérations fiscales et un régime des changes taillé sur mesure à faire pâlir les plus grandes multinationales installées au Maroc depuis des lustres. En contrepartie, le prince Moulay Abdallah Alaoui requiert à John Paul DeJoria et Michael H.Gustin 12% du capital de Lone Star dans des termes inimaginables pour le commun des investisseurs (voir lettre pXX). Le code des hydrocarbures, pourtant encore en gestation leur est en grande partie appliqué bien avant que les élus de la nation n’aient pris la peine de l’étudier. Il ne sera d’ailleurs adopté par le Parlement qu’en février 2000. Entre temps, les portes des ministères sont grandes ouvertes pour Lone Star, dont les réalisations sont pourtant encore méconnues. Mohammed Benslimane obtient rendez-vous sur rendez-vous à la Direction des investissements extérieurs, à l’Office des Changes et au ministère de l’Economie et des Finances. Toutes ses promesses faites à ses associés américains sont tenues. L’effort de conviction y est, l’argumentaire se tient, mais la facilité est pour le moins que l’on puisse dire inouie. Quelques jours avant la promulgation du code des hydrocarbures, Medi Holding ficèle avec l’Etat marocain une convention d’investissement. Sa trame est classique, mais elle justifie à Medi Holding son strapontin dans le tour de table de Lone Star Energy.
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