Depuis la première guerre du Golfe (1990-1991), les pays arabes du Proche-Orient et du Maghreb ont connu une succession de bouleversements qui, partout ailleurs, auraient déstabilisé bien des pouvoirs. Pourtant, la plupart ont réussi à maintenir des structures archaïques que ni la seconde guerre mondiale ni la décolonisation n’avaient fait disparaître. Une opposition efficace peine à émerger alors que les dirigeants tentent de se refaire une virginité aux yeux du monde.
Rappelons-nous le déluge de rhétorique optimiste déclenché par la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, et par la première guerre du Golfe (janvier- mars 1991) : Saddam Hussein avait été expulsé du Koweït et un nouvel ordre mondial devenait désormais possible. Les règles du droit international et les résolutions des Nations unies seraient dorénavant appliquées partout − y compris en Palestine. Une vague de démocratisation et des droits humains deviendraient les mêmes sur l’ensemble du globe, et les régimes autoritaires seraient fortement incités (mais non contraints) à se démocratiser.
Sur le plan économique, les « ajustements structurels » (y compris les privatisations et la réduction des subventions étatiques), les accords de libre-échange, l’appel aux investissements et les incitations à entreprendre allaient enfin faire émerger de nouvelles classes moyennes. Ces acteurs sociaux et économiques, en symbiose avec d’autres forces nationales et internationales, propulseraient la région sur la voie du dynamisme économique et de la démocratisation. (…)
Vingt ans plus tard, le bilan de ces espérances dans les différents domaines (politique, économique, idéologique et relations internationales) est affligeant. Sur le plan politique, trois types de régime se partagent la région : les régimes « fermés » (Libye, Syrie, etc.), où il n’y a même pas l’apparence du pluralisme ; les régimes « hybrides » (Algérie, Egypte, Jordanie, Maroc, Soudan, Yémen), où l’autoritarisme coexiste avec des formes de pluralisme ; enfin les régimes « ouverts », dont le seul cas, pour l’instant, est celui de la Mauritanie, qui a connu une véritable alternance.
Couches moyennes sous contrôle Sur le plan économique, si les politiques néolibérales ont stimulé la croissance, elles n’ont pas transformé ces pays en éléments dynamiques de l’économie mondiale, et n’ont certainement soulagé ni la misère ni les injustices sociales. Les pays pétroliers, bien entendu, croulent sous les devises mais ce n’est que grâce à l’envol du prix de l’« or noir », et cela ne reflète aucune innovation structurelle. Grâce à des instruments comme les fonds souverains, certains d’entre eux sont en mesure de « faire jouer leurs muscles financiers » en acquérant des morceaux de grands pays industriels en crise, diversifiant ainsi leurs sources de revenu. Mais ce n’est là qu’une conséquence des carences du Nord et nullement le signe d’une transformation réussie des structures économiques. Quand aux autres grands pays arabes, ils continuent d’être confrontés au grave problème des populations massives des jeunes dans la misère. (…)
Les nouvelles couches moyennes, elles, restent dépendantes du flot des revenus du pétrole et plus généralement des relations sociales clientélistes, qui n’ont pas été brisées. Monarchique ou républicain l’Etat autoritaire perdure, faisant preuve d’une grande faculté d’adaptation. Les hommes d’affaires doivent à l’Etat leurs réseaux d’influence et leurs contrats ; les entrepreneurs plus modestes − et jusqu’aux marchands ambulants − doivent continuer de se soumettre aux directives ministérielles, aux règlements tatillons et à la règle des pots-de-vin. Même les professions libérales et intellectuelles demeurent tributaires des institutions étatiques et paient au prix fort toute transgression des limites prescrites.
Assurément, l’étiquette « couches moyennes » est élastique et recouvre un large éventail de groupes sociaux, des hommes d’affaires aux enseignants, des infirmières aux commerçants, des artistes aux fonctionnaires. Les uns sont issus de familles de vieilles souches solidement implantées localement ou nationalement ; d’autres sont les premiers de leur famille à s’élever au-dessus du niveau de subsistance et à sortir de l’illettrisme ; parmi ceux-ci, bon nombre retomberont dans la misère à la première crise. Des hauts gradés militaires appartiennent désormais à la nouvelle bourgeoisie, détenteurs qu’ils sont d’importants avoirs dans l’économie nationale. Avec les hauts fonctionnaires et bureaucrates qui ont accumulé des richesses grâce à leur poste, ils constituent un secteur des « couches moyennes » hostiles à tout changement. (…)
En même temps, ces différentes « couches moyennes » ne constituent qu’une partie infinitésimale de la population de pays où l’immense majorité vit proche du seuil de subsistance et où l’instruction publique existe à peine.
Sur le plan idéologique, tous ces groupes s’accordent pour exiger la « démocratie » mais ils se divisent d’une manière très spécifique à leur région sur telle ou telle question importante. Depuis le début des années 1990, les formes prises par la libéralisation économique et politique n’ont pas permis de faire avancer les idées progressistes et laïques parmi les couches moyennes et populaires. L’islamisme, sous ses différentes formes, est arrivé à apparaître comme le meilleur porte-parole des mécontentements et des exigences de changement, même parmi des groupes traditionnellement de gauche et laïques, comme les étudiants.
Si les voix laïques et islamistes font partie d’un même grand chœur exigeant la démocratisation, les uns chantes la mélodie d’un ordre social fondé sur le droit et sur les principes politiques modernes universellement admis, les autres psalmodient les principes d’un ordre politique fondé sur un ensemble de préceptes coraniques. Les uns cherchent à établir la souveraineté de la volonté populaire délimitée par le droit ; les autres à établir la souveraineté absolue d’un système de croyance. (…)
Rappelons-nous le déluge de rhétorique optimiste déclenché par la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, et par la première guerre du Golfe (janvier- mars 1991) : Saddam Hussein avait été expulsé du Koweït et un nouvel ordre mondial devenait désormais possible. Les règles du droit international et les résolutions des Nations unies seraient dorénavant appliquées partout − y compris en Palestine. Une vague de démocratisation et des droits humains deviendraient les mêmes sur l’ensemble du globe, et les régimes autoritaires seraient fortement incités (mais non contraints) à se démocratiser.
Sur le plan économique, les « ajustements structurels » (y compris les privatisations et la réduction des subventions étatiques), les accords de libre-échange, l’appel aux investissements et les incitations à entreprendre allaient enfin faire émerger de nouvelles classes moyennes. Ces acteurs sociaux et économiques, en symbiose avec d’autres forces nationales et internationales, propulseraient la région sur la voie du dynamisme économique et de la démocratisation. (…)
Vingt ans plus tard, le bilan de ces espérances dans les différents domaines (politique, économique, idéologique et relations internationales) est affligeant. Sur le plan politique, trois types de régime se partagent la région : les régimes « fermés » (Libye, Syrie, etc.), où il n’y a même pas l’apparence du pluralisme ; les régimes « hybrides » (Algérie, Egypte, Jordanie, Maroc, Soudan, Yémen), où l’autoritarisme coexiste avec des formes de pluralisme ; enfin les régimes « ouverts », dont le seul cas, pour l’instant, est celui de la Mauritanie, qui a connu une véritable alternance.
Couches moyennes sous contrôle Sur le plan économique, si les politiques néolibérales ont stimulé la croissance, elles n’ont pas transformé ces pays en éléments dynamiques de l’économie mondiale, et n’ont certainement soulagé ni la misère ni les injustices sociales. Les pays pétroliers, bien entendu, croulent sous les devises mais ce n’est que grâce à l’envol du prix de l’« or noir », et cela ne reflète aucune innovation structurelle. Grâce à des instruments comme les fonds souverains, certains d’entre eux sont en mesure de « faire jouer leurs muscles financiers » en acquérant des morceaux de grands pays industriels en crise, diversifiant ainsi leurs sources de revenu. Mais ce n’est là qu’une conséquence des carences du Nord et nullement le signe d’une transformation réussie des structures économiques. Quand aux autres grands pays arabes, ils continuent d’être confrontés au grave problème des populations massives des jeunes dans la misère. (…)
Les nouvelles couches moyennes, elles, restent dépendantes du flot des revenus du pétrole et plus généralement des relations sociales clientélistes, qui n’ont pas été brisées. Monarchique ou républicain l’Etat autoritaire perdure, faisant preuve d’une grande faculté d’adaptation. Les hommes d’affaires doivent à l’Etat leurs réseaux d’influence et leurs contrats ; les entrepreneurs plus modestes − et jusqu’aux marchands ambulants − doivent continuer de se soumettre aux directives ministérielles, aux règlements tatillons et à la règle des pots-de-vin. Même les professions libérales et intellectuelles demeurent tributaires des institutions étatiques et paient au prix fort toute transgression des limites prescrites.
Assurément, l’étiquette « couches moyennes » est élastique et recouvre un large éventail de groupes sociaux, des hommes d’affaires aux enseignants, des infirmières aux commerçants, des artistes aux fonctionnaires. Les uns sont issus de familles de vieilles souches solidement implantées localement ou nationalement ; d’autres sont les premiers de leur famille à s’élever au-dessus du niveau de subsistance et à sortir de l’illettrisme ; parmi ceux-ci, bon nombre retomberont dans la misère à la première crise. Des hauts gradés militaires appartiennent désormais à la nouvelle bourgeoisie, détenteurs qu’ils sont d’importants avoirs dans l’économie nationale. Avec les hauts fonctionnaires et bureaucrates qui ont accumulé des richesses grâce à leur poste, ils constituent un secteur des « couches moyennes » hostiles à tout changement. (…)
En même temps, ces différentes « couches moyennes » ne constituent qu’une partie infinitésimale de la population de pays où l’immense majorité vit proche du seuil de subsistance et où l’instruction publique existe à peine.
Sur le plan idéologique, tous ces groupes s’accordent pour exiger la « démocratie » mais ils se divisent d’une manière très spécifique à leur région sur telle ou telle question importante. Depuis le début des années 1990, les formes prises par la libéralisation économique et politique n’ont pas permis de faire avancer les idées progressistes et laïques parmi les couches moyennes et populaires. L’islamisme, sous ses différentes formes, est arrivé à apparaître comme le meilleur porte-parole des mécontentements et des exigences de changement, même parmi des groupes traditionnellement de gauche et laïques, comme les étudiants.
Si les voix laïques et islamistes font partie d’un même grand chœur exigeant la démocratisation, les uns chantes la mélodie d’un ordre social fondé sur le droit et sur les principes politiques modernes universellement admis, les autres psalmodient les principes d’un ordre politique fondé sur un ensemble de préceptes coraniques. Les uns cherchent à établir la souveraineté de la volonté populaire délimitée par le droit ; les autres à établir la souveraineté absolue d’un système de croyance. (…)
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