Leader d'un parti téléguidé par Madrid avant 1975, Khelli Henna devient vite l'homme de Hassan II au Sahara. Après une traversée du désert, il joue à l'opposant avant d'être nommé à la tête du CORCAS par Mohammed VI.
Devant les caméras, Khelli Henna Ould Errachid aime faire son show. Il invite sur TVM son cousin Mohamed Abdelaziz (tous deux sont issus de la tribu des Thallat) à “venir diriger le Sahara autonome”. Il qualifie à chaque fois sur Laâyoune TV ses propres visites officielles (à Las Palmas, Madrid, Bruxelles …) d'événements “historiques”. Et il obtient
d'Al Jazeera de venir l'enregistrer en solo à Rabat. Sur place, les journalistes de la chaîne qatarie ont vu combien le président du CORCAS (Conseil royal chargé des affaires sahariennes) aimait le faste. Pour accueillir un trio de professionnels, le “raïs” (c'est ainsi que l'appellent ironiquement les Sahraouis) a loué ni plus ni moins que les services d'un traiteur. “C'est pour la bonne cause”, commente l'un de ses proches collaborateurs. “Il cherche plutôt à maquiller une coquille vide et à redorer son blason”, estime un membre (déjà) déçu du CORCAS. Un proche de Khelli Henna estime que c'est un démagogue-né qui fait l'affaire du pouvoir. “Le Maroc ne cherche pas à créer un laboratoire d'idées pour l'autonomie mais à provoquer l'Algérie et le Polisario. Et Khelli Henna est la personne idoine pour remplir cette fonction”. Son parcours à rebondissements l'y aurait-il prédestiné ?
Chef d'un parti néocolonial défait
Lorsqu'en 1974, le chef du gouvernement franquiste, Arias Navarro, décide de contrecarrer le Polisario au Sahara occidental, il se tourne vers un jeune ingénieur, Khelli Henna. Né 25 ans plus tôt aux environs de Guelmim, ce jeune ingénieur de l'entreprise métallurgique Santa Ana à Madrid, marié à une Sévillane de bonne famille, a le profil recherché : “Jeune, beau, galant comme un latin, ambitieux, de caractère agréable et à l'intelligence prouvée”, ainsi le décrit Navarro. Chargé, donc, de créer le Parti de l'union nationale sahraouie (PUNS), Khelli Henna a un mentor aux services de renseignements espagnols , le colonel Rodriguez De Viguri qui l'aide à s'installer à Laâyoune, dans l'industrie minière. Pour les besoins du parti, il lui promet, selon les archives espagnoles, “huit millions de pesetas (480 000 DH) pour l'achat de bureaux et de voitures et pour (son) salaire”. Opportuniste, le jeune ingénieur aux ambitions politiques affichées, ne crache pas dans la soupe. Son code devient alors “le sous-marin jaune”, parce qu'il avait l'art de disparaître dans les sables dorés du Sahara.
L'une des premières missions dont il doit s'acquitter est la rencontre avec le leader du Polisario, Mustapha El Ouali Essayed, pour “infiltrer son mouvement et faire cesser ses attaques armées contre l'occupant”, lit-on dans un document secret du parti néocolonial. Aventurier, effronté et suffisamment beau parleur, il a déjà confiance en sa capacité à persuader son adversaire de renoncer à ses pires desseins. Arrivé à Nouakchott, Khelli Henna attend dans un hôtel, huit jours durant, un signe d'El Ouali. Quand ce dernier daigne, enfin, le recevoir, il refuse de parlementer avec lui et le qualifie, en présence d'autres dirigeants du Polisario, de “traître à la solde de Madrid”. Qu'à cela ne tienne, le jeune homme est si ambitieux qu'il n'a pas peur du ridicule. A son retour, il confie à son commanditaire espagnol, que c'est le PUNS qui a le soutien de la majorité des Sahraouis, parce qu'El Ouali est perçu comme un traître au service du Maroc (les temps ont vraiment changé, depuis). Pour Khelli Henna, à l'époque, “il n'y a au Sahara ni parti marocain ni personne qui veuille du Maroc”. Telle fut, en tout cas, sa riposte à De Viguri qui veut créer de toutes pièces en mars 1975 un deuxième parti, pro-marocain, arguant que le PUNS “commence à avoir la réputation d'un parti hitlérien, fasciste”. Khelli Henna tient bon mais pas pour longtemps. “Lorsqu'une mission onusienne s'est rendue au Sahara, les Espagnols avaient beau confier aux populations des slogans pro-PUNS, la plupart scandaient leur attachement au Polisario”, rapporte Larbi Messari, alors reporter à Al Alam. Face à ce déni public, Khelli Henna, au flair politique remarquable, disparaît dans la nature. Les renseignements espagnols le repèrent finalement dans un hôtel parisien, d'où il est entré en contact avec le Palais royal.
L'arrogance d'un rallié first class
Avant d'être reçu le 19 mai 1975 au Palais de Fès par feu le roi Hassan II, Khelli Henna a été adoubé à Paris par l'homme fort du régime de l'époque, Ahmed Dlimi. En échange, confie un de ses collaborateurs, “Hassan II lui ouvre un compte en Suisse qui lui rapporte annuellement depuis 4 millions de DH d'intérêts”. Dans la ferveur de la Marche verte, Khatri Joumani, à l'aura immense au Sahara, lui fait de l'ombre. Dlimi a beau intercéder auprès du roi pour donner à son protégé (Khelli Henna en l'occurrence) un statut particulier au Sahara, rien à faire. “Je ne veux pas d'un vice-roi des Indes au Sahara”, rétorque le monarque, qui craint les ambitieux.
Elu parlementaire, puis nommé secrétaire d'Etat chargé des affaires sahariennes en 1977, il ne tarde pas à montrer ses griffes au sein du parti préfabriqué, le Rassemblement national des indépendants (RNI). “Il était le seul à pouvoir dire en face à Ahmed Osman qu'il était un incapable et qu'il ferait mieux de céder sa place”, raconte l'un des fondateurs du parti. Franc-parler ? Insolence ? Les avis divergent. Mais un incident survenu au bureau du président de la Chambre des représentants à l'époque, Dey Ould sidi Baba, révèle son arrogance au grand jour. “Vous n'êtes qu'un Mauritanien et n'avez à ce titre aucun droit de parler du Sahara”, lui lance Khelli Henna avant de l'attaquer physiquement, raconte un élu, témoin de l'altercation. Colérique, par sa propension à stigmatiser les autres, il donne de lui l'image d'un autocrate, prêt à en découdre. D'ailleurs, il joue, dès 1983, un rôle-clé (sous l'impulsion de Dlimi) dans la scission du RNI, créant du coup le Parti national démocrate (PND) dit des “aroubia”.
Devenu ministre à part entière dès 1984 et de façon concomitante président du Conseil municipal de Laâyoune (il y siègera 19 ans), cet homme virulent monte en puissance. Au Sahara, il acquiert vite l'image de “l'homme de Driss Basri”. Ce dernier, pour l'appâter, fait voter un décret faisant de lui l'ordonnateur principal des dépenses de développement des provinces du Sud. En a-t-il profité ? Rien ne le prouve concrètement. Un connaisseur du dossier du Sahara prétend même que son département n'avait qu'une fonction “protocolaire” mais au Parlement, sa “gestion biaisée” a souvent été critiquée par l'opposition.
En 1989, alors qu'une motion de censure est à l'ordre du jour, il laisse fuser sa colère (à nouveau). “Qu'est-ce que l'USFP ? Une bande d'anti-royalistes. L'égalitarisme de l'Istiqlal ? De la démagogie”. Moment de vérité ? Episode de provocation ? Face à cette diatribe, les élus istiqlaliens s'apprêtent à le mettre dos au mur, lui demandant, selon la tradition du parti : “D'où te vient cette fortune ? (Min ayna laka hada)”. Finalement, raconte un élu bien informé, “il a fallu que le roi Hassan II, suivant les débats sur son poste, les appelle et leur demande de pardonner à son protégé sahraoui ses écarts de langage, pour qu'ils se rétractent”. Entre-temps, Khelli Henna a eu droit à cette attaque frontale de la part du socialiste Abdelouahed Radi : “Ce n'est pas un fils de Franco qui viendra nous apprendre le nationalisme”. En 1991, le ministère encombrant des Affaires sahariennes est enterré. Lui, n'a plus de portefeuille. Pire, en 1993, sous un gouverneur sans merci, Salah Zemrag, il n'est pas réélu aux législatives. Fin de cycle.
Devant les caméras, Khelli Henna Ould Errachid aime faire son show. Il invite sur TVM son cousin Mohamed Abdelaziz (tous deux sont issus de la tribu des Thallat) à “venir diriger le Sahara autonome”. Il qualifie à chaque fois sur Laâyoune TV ses propres visites officielles (à Las Palmas, Madrid, Bruxelles …) d'événements “historiques”. Et il obtient
d'Al Jazeera de venir l'enregistrer en solo à Rabat. Sur place, les journalistes de la chaîne qatarie ont vu combien le président du CORCAS (Conseil royal chargé des affaires sahariennes) aimait le faste. Pour accueillir un trio de professionnels, le “raïs” (c'est ainsi que l'appellent ironiquement les Sahraouis) a loué ni plus ni moins que les services d'un traiteur. “C'est pour la bonne cause”, commente l'un de ses proches collaborateurs. “Il cherche plutôt à maquiller une coquille vide et à redorer son blason”, estime un membre (déjà) déçu du CORCAS. Un proche de Khelli Henna estime que c'est un démagogue-né qui fait l'affaire du pouvoir. “Le Maroc ne cherche pas à créer un laboratoire d'idées pour l'autonomie mais à provoquer l'Algérie et le Polisario. Et Khelli Henna est la personne idoine pour remplir cette fonction”. Son parcours à rebondissements l'y aurait-il prédestiné ?
Chef d'un parti néocolonial défait
Lorsqu'en 1974, le chef du gouvernement franquiste, Arias Navarro, décide de contrecarrer le Polisario au Sahara occidental, il se tourne vers un jeune ingénieur, Khelli Henna. Né 25 ans plus tôt aux environs de Guelmim, ce jeune ingénieur de l'entreprise métallurgique Santa Ana à Madrid, marié à une Sévillane de bonne famille, a le profil recherché : “Jeune, beau, galant comme un latin, ambitieux, de caractère agréable et à l'intelligence prouvée”, ainsi le décrit Navarro. Chargé, donc, de créer le Parti de l'union nationale sahraouie (PUNS), Khelli Henna a un mentor aux services de renseignements espagnols , le colonel Rodriguez De Viguri qui l'aide à s'installer à Laâyoune, dans l'industrie minière. Pour les besoins du parti, il lui promet, selon les archives espagnoles, “huit millions de pesetas (480 000 DH) pour l'achat de bureaux et de voitures et pour (son) salaire”. Opportuniste, le jeune ingénieur aux ambitions politiques affichées, ne crache pas dans la soupe. Son code devient alors “le sous-marin jaune”, parce qu'il avait l'art de disparaître dans les sables dorés du Sahara.
L'une des premières missions dont il doit s'acquitter est la rencontre avec le leader du Polisario, Mustapha El Ouali Essayed, pour “infiltrer son mouvement et faire cesser ses attaques armées contre l'occupant”, lit-on dans un document secret du parti néocolonial. Aventurier, effronté et suffisamment beau parleur, il a déjà confiance en sa capacité à persuader son adversaire de renoncer à ses pires desseins. Arrivé à Nouakchott, Khelli Henna attend dans un hôtel, huit jours durant, un signe d'El Ouali. Quand ce dernier daigne, enfin, le recevoir, il refuse de parlementer avec lui et le qualifie, en présence d'autres dirigeants du Polisario, de “traître à la solde de Madrid”. Qu'à cela ne tienne, le jeune homme est si ambitieux qu'il n'a pas peur du ridicule. A son retour, il confie à son commanditaire espagnol, que c'est le PUNS qui a le soutien de la majorité des Sahraouis, parce qu'El Ouali est perçu comme un traître au service du Maroc (les temps ont vraiment changé, depuis). Pour Khelli Henna, à l'époque, “il n'y a au Sahara ni parti marocain ni personne qui veuille du Maroc”. Telle fut, en tout cas, sa riposte à De Viguri qui veut créer de toutes pièces en mars 1975 un deuxième parti, pro-marocain, arguant que le PUNS “commence à avoir la réputation d'un parti hitlérien, fasciste”. Khelli Henna tient bon mais pas pour longtemps. “Lorsqu'une mission onusienne s'est rendue au Sahara, les Espagnols avaient beau confier aux populations des slogans pro-PUNS, la plupart scandaient leur attachement au Polisario”, rapporte Larbi Messari, alors reporter à Al Alam. Face à ce déni public, Khelli Henna, au flair politique remarquable, disparaît dans la nature. Les renseignements espagnols le repèrent finalement dans un hôtel parisien, d'où il est entré en contact avec le Palais royal.
L'arrogance d'un rallié first class
Avant d'être reçu le 19 mai 1975 au Palais de Fès par feu le roi Hassan II, Khelli Henna a été adoubé à Paris par l'homme fort du régime de l'époque, Ahmed Dlimi. En échange, confie un de ses collaborateurs, “Hassan II lui ouvre un compte en Suisse qui lui rapporte annuellement depuis 4 millions de DH d'intérêts”. Dans la ferveur de la Marche verte, Khatri Joumani, à l'aura immense au Sahara, lui fait de l'ombre. Dlimi a beau intercéder auprès du roi pour donner à son protégé (Khelli Henna en l'occurrence) un statut particulier au Sahara, rien à faire. “Je ne veux pas d'un vice-roi des Indes au Sahara”, rétorque le monarque, qui craint les ambitieux.
Elu parlementaire, puis nommé secrétaire d'Etat chargé des affaires sahariennes en 1977, il ne tarde pas à montrer ses griffes au sein du parti préfabriqué, le Rassemblement national des indépendants (RNI). “Il était le seul à pouvoir dire en face à Ahmed Osman qu'il était un incapable et qu'il ferait mieux de céder sa place”, raconte l'un des fondateurs du parti. Franc-parler ? Insolence ? Les avis divergent. Mais un incident survenu au bureau du président de la Chambre des représentants à l'époque, Dey Ould sidi Baba, révèle son arrogance au grand jour. “Vous n'êtes qu'un Mauritanien et n'avez à ce titre aucun droit de parler du Sahara”, lui lance Khelli Henna avant de l'attaquer physiquement, raconte un élu, témoin de l'altercation. Colérique, par sa propension à stigmatiser les autres, il donne de lui l'image d'un autocrate, prêt à en découdre. D'ailleurs, il joue, dès 1983, un rôle-clé (sous l'impulsion de Dlimi) dans la scission du RNI, créant du coup le Parti national démocrate (PND) dit des “aroubia”.
Devenu ministre à part entière dès 1984 et de façon concomitante président du Conseil municipal de Laâyoune (il y siègera 19 ans), cet homme virulent monte en puissance. Au Sahara, il acquiert vite l'image de “l'homme de Driss Basri”. Ce dernier, pour l'appâter, fait voter un décret faisant de lui l'ordonnateur principal des dépenses de développement des provinces du Sud. En a-t-il profité ? Rien ne le prouve concrètement. Un connaisseur du dossier du Sahara prétend même que son département n'avait qu'une fonction “protocolaire” mais au Parlement, sa “gestion biaisée” a souvent été critiquée par l'opposition.
En 1989, alors qu'une motion de censure est à l'ordre du jour, il laisse fuser sa colère (à nouveau). “Qu'est-ce que l'USFP ? Une bande d'anti-royalistes. L'égalitarisme de l'Istiqlal ? De la démagogie”. Moment de vérité ? Episode de provocation ? Face à cette diatribe, les élus istiqlaliens s'apprêtent à le mettre dos au mur, lui demandant, selon la tradition du parti : “D'où te vient cette fortune ? (Min ayna laka hada)”. Finalement, raconte un élu bien informé, “il a fallu que le roi Hassan II, suivant les débats sur son poste, les appelle et leur demande de pardonner à son protégé sahraoui ses écarts de langage, pour qu'ils se rétractent”. Entre-temps, Khelli Henna a eu droit à cette attaque frontale de la part du socialiste Abdelouahed Radi : “Ce n'est pas un fils de Franco qui viendra nous apprendre le nationalisme”. En 1991, le ministère encombrant des Affaires sahariennes est enterré. Lui, n'a plus de portefeuille. Pire, en 1993, sous un gouverneur sans merci, Salah Zemrag, il n'est pas réélu aux législatives. Fin de cycle.
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