Vue de loin, c'était une visite paisible et chaleureuse. Vue de près, elle était truffée de pièges et de messages codés. Coulisses, décryptages et indiscrétions
Le tout-Alger y croyait dur comme fer, quelques journaux l'avaient même écrit : Mohammed VI allait venir en bateau. En 1991, son père l'avait fait. Répondant à une invitation de Chadli Bendjedid, le défunt monarque avait fait aménager le ferry "le Marrakech", et y avait logé durant tout son séjour. Manière de dire aux Algériens : "je viens chez vous, mais je dors chez moi".
Du Hassan II craché. 14 ans plus tard, son fils, répondant à l'invitation de Abdelaziz Bouteflika (pour assister au 17ème sommet de la Ligue arabe, organisé à Alger du 22 au 23 mars)… est venu en avion, comme tout le monde. Malgré cela, il s'est trouvé nombre d'Algériens pour soutenir, contre toute évidence… que le bateau allait suivre, pour que le roi puisse y dormir !
En cette terre d'égalitarisme socialiste, le faste monarchique des Marocains nourrit les fantasmes – et les conversations. "Avion peut-être, mais Boeing 747 quand même, commentait-on dans les cafés de la capitale. "Les autres chefs d'état arabes sont venus dans des avions 'normaux', pas dans de gros porteurs. Et aucun n'a amené avec lui une cour de 400 personnes !". Ou encore : "Il paraît que le roi a amené avec lui un bataillon d'esclaves noirs", "un avion-cargo l'a suivi pour transporter ses meubles, parce qu'il ne supporte pas de dormir dans un lit préparé par d'autres", etc. Hormis l'effectif de la délégation royale (le chiffre est vrai), tout le reste relevait, évidemment, de l'imagination (relevée d'un petit zeste de perfidie) des Algérois. Mais on n'aurait su dire, à les écouter, s'ils raillaient le roi du Maroc ou s'ils étaient impressionnés par lui.
L'ombre du Sahara
Ça, c'était pour les ragots populaires. Politiquement et diplomatiquement, la visite de Mohammed VI à Alger – la première du genre depuis son intronisation – était tout sauf une partie de rigolade. Il s'agissait de matérialiser ce "dégel" qui fait couler tellement d'encre depuis des mois – et à propos duquel le scepticisme était quasi-général. Principale pomme de discorde, évidemment : le Sahara. "Marocain" pour nous, "Occidental" pour eux, il était – et reste encore – le sujet de crispation bilatérale par excellence. Pour Rabat, Alger est avant tout le tuteur, le financier, et l'hôte des "mercenaires" du Polisario. Pour Alger, Rabat reste une "puissance occupante" qui cherche à dévier l'attention internationale en impliquant l'Algérie dans le dossier, alors qu'il relève de la commission de décolonisation de l'ONU, et de nulle autre instance. Un membre important de la délégation marocaine a joliment résumé la situation : "Quand on en parle, ça les agace. Et quand ils n’en parlent pas, ça nous agace". Du coup, la formule retenue pour que cette visite royale puisse avoir lieu a été la suivante : "évitons d'en parler pour l'instant, pour mieux y revenir plus tard. Tâchons de rétablir le dialogue d'abord, et quand un minimum de confiance sera revenu, alors il sera temps d'avancer". Tout cela a-t-il été clairement dit par des "éclaireurs" marocains et algériens, en préparation de la visite royale ? Tout le laisse croire. Mais les diplomates interrogés à ce propos changent immédiatement de conversation, voire changent ostensiblement de sujet. Même le ministre des Affaires étrangères Mohamed Benaïssa, pourtant un maître de la langue de bois, a obstinément refusé, durant tout le sommet arabe, de faire la moindre déclaration sur "le bilatéral". C'est dire si l'équilibre était précaire…
5 ans de coulisses
Il aura fallu 5 ans d'efforts diplomatiques, de multiples avancées et autant de reculs, pour en arriver là. La brouille maroco-algérienne est certes historique, mais elle atteint un point culminant en 1995 quand Driss Basri, alors tout-puissant ministre de l'Intérieur, accuse l'Algérie ouvertement – et sans preuves réelles – d'être derrière l'attentat de l'hôtel Atlas Asni, à Marrakech, perpétré par un groupe d'islamistes français dont une partie étaient d'origine algérienne. Du coup, le Maroc impose le visa et bouscule sérieusement tous les Algériens (touristes compris) se trouvant au Maroc à ce moment-là. L'Algérie réplique immédiatement en instaurant la réciprocité en matière de visa, puis en fermant la frontière terrestre entre les deux pays (elle l'est encore aujourd'hui). Pendant plus de 4 ans, les diplomates marocains et algériens ne s'adressent plus la parole. à la mort de Hassan II, Abdelaziz Bouteflika, fraîchement élu président, fait le premier pas, en se déplaçant à Rabat pour assister aux funérailles. Mohammed VI répond en citant l'Algérie et son président avec chaleur dès son premier discours du trône… et puis plus rien, pendant plus de neuf mois, si ce n'est une sombre affaire de terroristes qui auraient lancé une attaque contre l'Algérie à partir d'une base arrière marocaine (sur le terrain, il n'y a pas de frontière physique, juste une ligne théorique facile à traverser et trop longue pour être surveillée). La tension remonte. En avril 2000, les deux chefs d'état se croisent au Caire, à l'occasion d'un sommet Europe-Afrique. Ils se parlent, et semblent désireux que leurs diplomaties reprennent langue. Mais dépêché à Alger, le ministre de l'Intérieur marocain d'alors, Ahmed Midaoui, perd son calme pendant une conférence de presse, quand un journaliste lui demande des preuves de l'implication de l'Algérie dans les attentats de Marrakech de 1995. Le froid s'installe à nouveau, jusqu'à l'assemblée générale de l'ONU en 2003. à New York, Bouteflika discute à nouveau avec Mohammed VI. Il en sort une "commission mixte" chargée d'examiner les questions de l'immigration clandestine et de la sécurité aux frontières. Pendant les mois qui suivent, des ministres des deux pays s'échangent des visites, et les déclarations de bonne volonté alternent avec les petites phrases assassines. Alors que par consensus tacite, le sujet du Polisario était évité jusque-là, il revient sur le tapis d'une manière plutôt biscornue : en tant que "problème de sécurité à la frontière" ! "Après tout, avancent nos officiels, il n'y a pas que dans le sens Maroc-Algérie que des hommes armés traversent la frontière, et si on parle du nord, il n'y a pas de raison de ne pas parler du sud !" à nouveau, les piques alternent avec les déclarations apaisantes. Cahin-caha, la commission mixte continue de se réunir – uniquement pour maintenir le contact, et même si elle n'avance pas vraiment. Le climat est plutôt favorable quand en juillet 2004, Mohammed VI décide d'annuler le visa d'entrée au Maroc pour les Algériens. La mesure les prend de court, mais leur première réaction est positive. Le ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Belkhadem déclare qu'il s'agit là d'un geste amical, rappelle que le président Bouteflika avait transmis ses vœux au roi à l'occasion de la fête du trône, quelques jours auparavant… Mais très vite, la méfiance reprend le dessus. En décidant de lever le visa sans le consulter, le roi n'essaierait-il pas de "piéger" Bouteflika ? Une partie de la presse algérienne le pense et le Palais Al-Mouradia (siège de la présidence) ne tarde guère à proclamer sèchement son "refus de l'unilatéralité". à notre tour d'être "piégés", puisque les Algériens n'instaurent pas la réciprocité, comme les Marocains s'y attendaient. Bouteflika se fend même d'une lettre au secrétaire général de l'ONU où, pour la première fois s'agissant du dossier du Sahara, il utilise le terme "colonisation". Du coup, c'est le Palais royal qui se sent trahi… Mais ne revient pas sur sa décision pour autant. Le sommet arabe d'Alger pointe, et les deux parties y voient une occasion en or pour tenter le coup d'une visite officielle de Mohammed VI. Pendant près de six mois, les "dialoguistes" des deux camps luttent pied à pied contre les "sceptiques". Oui, le roi du Maroc peut venir à Alger, même si des prisonniers marocains sont toujours détenus sur le sol algérien, à Tindouf. Oui, le roi du Maroc peut venir à Alger, même si les frontières sont toujours fermées. Oui, le roi du Maroc peut même aller jusqu'à éviter le sujet du Sahara pendant sa visite. Pourvu qu'un climat de confiance s'installe. Il sera bien temps de parler du Sahara après cela…[/SIZE][/FONT]
=== MODERATION ===
Lisez la FAQ pour apprendre à rédiger correctement les titres et les messages de vos sujets de discussions, SVP : http://www.algerie-dz.com/forums/faq...edaction_topic
Le tout-Alger y croyait dur comme fer, quelques journaux l'avaient même écrit : Mohammed VI allait venir en bateau. En 1991, son père l'avait fait. Répondant à une invitation de Chadli Bendjedid, le défunt monarque avait fait aménager le ferry "le Marrakech", et y avait logé durant tout son séjour. Manière de dire aux Algériens : "je viens chez vous, mais je dors chez moi".

En cette terre d'égalitarisme socialiste, le faste monarchique des Marocains nourrit les fantasmes – et les conversations. "Avion peut-être, mais Boeing 747 quand même, commentait-on dans les cafés de la capitale. "Les autres chefs d'état arabes sont venus dans des avions 'normaux', pas dans de gros porteurs. Et aucun n'a amené avec lui une cour de 400 personnes !". Ou encore : "Il paraît que le roi a amené avec lui un bataillon d'esclaves noirs", "un avion-cargo l'a suivi pour transporter ses meubles, parce qu'il ne supporte pas de dormir dans un lit préparé par d'autres", etc. Hormis l'effectif de la délégation royale (le chiffre est vrai), tout le reste relevait, évidemment, de l'imagination (relevée d'un petit zeste de perfidie) des Algérois. Mais on n'aurait su dire, à les écouter, s'ils raillaient le roi du Maroc ou s'ils étaient impressionnés par lui.
L'ombre du Sahara
Ça, c'était pour les ragots populaires. Politiquement et diplomatiquement, la visite de Mohammed VI à Alger – la première du genre depuis son intronisation – était tout sauf une partie de rigolade. Il s'agissait de matérialiser ce "dégel" qui fait couler tellement d'encre depuis des mois – et à propos duquel le scepticisme était quasi-général. Principale pomme de discorde, évidemment : le Sahara. "Marocain" pour nous, "Occidental" pour eux, il était – et reste encore – le sujet de crispation bilatérale par excellence. Pour Rabat, Alger est avant tout le tuteur, le financier, et l'hôte des "mercenaires" du Polisario. Pour Alger, Rabat reste une "puissance occupante" qui cherche à dévier l'attention internationale en impliquant l'Algérie dans le dossier, alors qu'il relève de la commission de décolonisation de l'ONU, et de nulle autre instance. Un membre important de la délégation marocaine a joliment résumé la situation : "Quand on en parle, ça les agace. Et quand ils n’en parlent pas, ça nous agace". Du coup, la formule retenue pour que cette visite royale puisse avoir lieu a été la suivante : "évitons d'en parler pour l'instant, pour mieux y revenir plus tard. Tâchons de rétablir le dialogue d'abord, et quand un minimum de confiance sera revenu, alors il sera temps d'avancer". Tout cela a-t-il été clairement dit par des "éclaireurs" marocains et algériens, en préparation de la visite royale ? Tout le laisse croire. Mais les diplomates interrogés à ce propos changent immédiatement de conversation, voire changent ostensiblement de sujet. Même le ministre des Affaires étrangères Mohamed Benaïssa, pourtant un maître de la langue de bois, a obstinément refusé, durant tout le sommet arabe, de faire la moindre déclaration sur "le bilatéral". C'est dire si l'équilibre était précaire…
5 ans de coulisses
Il aura fallu 5 ans d'efforts diplomatiques, de multiples avancées et autant de reculs, pour en arriver là. La brouille maroco-algérienne est certes historique, mais elle atteint un point culminant en 1995 quand Driss Basri, alors tout-puissant ministre de l'Intérieur, accuse l'Algérie ouvertement – et sans preuves réelles – d'être derrière l'attentat de l'hôtel Atlas Asni, à Marrakech, perpétré par un groupe d'islamistes français dont une partie étaient d'origine algérienne. Du coup, le Maroc impose le visa et bouscule sérieusement tous les Algériens (touristes compris) se trouvant au Maroc à ce moment-là. L'Algérie réplique immédiatement en instaurant la réciprocité en matière de visa, puis en fermant la frontière terrestre entre les deux pays (elle l'est encore aujourd'hui). Pendant plus de 4 ans, les diplomates marocains et algériens ne s'adressent plus la parole. à la mort de Hassan II, Abdelaziz Bouteflika, fraîchement élu président, fait le premier pas, en se déplaçant à Rabat pour assister aux funérailles. Mohammed VI répond en citant l'Algérie et son président avec chaleur dès son premier discours du trône… et puis plus rien, pendant plus de neuf mois, si ce n'est une sombre affaire de terroristes qui auraient lancé une attaque contre l'Algérie à partir d'une base arrière marocaine (sur le terrain, il n'y a pas de frontière physique, juste une ligne théorique facile à traverser et trop longue pour être surveillée). La tension remonte. En avril 2000, les deux chefs d'état se croisent au Caire, à l'occasion d'un sommet Europe-Afrique. Ils se parlent, et semblent désireux que leurs diplomaties reprennent langue. Mais dépêché à Alger, le ministre de l'Intérieur marocain d'alors, Ahmed Midaoui, perd son calme pendant une conférence de presse, quand un journaliste lui demande des preuves de l'implication de l'Algérie dans les attentats de Marrakech de 1995. Le froid s'installe à nouveau, jusqu'à l'assemblée générale de l'ONU en 2003. à New York, Bouteflika discute à nouveau avec Mohammed VI. Il en sort une "commission mixte" chargée d'examiner les questions de l'immigration clandestine et de la sécurité aux frontières. Pendant les mois qui suivent, des ministres des deux pays s'échangent des visites, et les déclarations de bonne volonté alternent avec les petites phrases assassines. Alors que par consensus tacite, le sujet du Polisario était évité jusque-là, il revient sur le tapis d'une manière plutôt biscornue : en tant que "problème de sécurité à la frontière" ! "Après tout, avancent nos officiels, il n'y a pas que dans le sens Maroc-Algérie que des hommes armés traversent la frontière, et si on parle du nord, il n'y a pas de raison de ne pas parler du sud !" à nouveau, les piques alternent avec les déclarations apaisantes. Cahin-caha, la commission mixte continue de se réunir – uniquement pour maintenir le contact, et même si elle n'avance pas vraiment. Le climat est plutôt favorable quand en juillet 2004, Mohammed VI décide d'annuler le visa d'entrée au Maroc pour les Algériens. La mesure les prend de court, mais leur première réaction est positive. Le ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Belkhadem déclare qu'il s'agit là d'un geste amical, rappelle que le président Bouteflika avait transmis ses vœux au roi à l'occasion de la fête du trône, quelques jours auparavant… Mais très vite, la méfiance reprend le dessus. En décidant de lever le visa sans le consulter, le roi n'essaierait-il pas de "piéger" Bouteflika ? Une partie de la presse algérienne le pense et le Palais Al-Mouradia (siège de la présidence) ne tarde guère à proclamer sèchement son "refus de l'unilatéralité". à notre tour d'être "piégés", puisque les Algériens n'instaurent pas la réciprocité, comme les Marocains s'y attendaient. Bouteflika se fend même d'une lettre au secrétaire général de l'ONU où, pour la première fois s'agissant du dossier du Sahara, il utilise le terme "colonisation". Du coup, c'est le Palais royal qui se sent trahi… Mais ne revient pas sur sa décision pour autant. Le sommet arabe d'Alger pointe, et les deux parties y voient une occasion en or pour tenter le coup d'une visite officielle de Mohammed VI. Pendant près de six mois, les "dialoguistes" des deux camps luttent pied à pied contre les "sceptiques". Oui, le roi du Maroc peut venir à Alger, même si des prisonniers marocains sont toujours détenus sur le sol algérien, à Tindouf. Oui, le roi du Maroc peut venir à Alger, même si les frontières sont toujours fermées. Oui, le roi du Maroc peut même aller jusqu'à éviter le sujet du Sahara pendant sa visite. Pourvu qu'un climat de confiance s'installe. Il sera bien temps de parler du Sahara après cela…[/SIZE][/FONT]
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