TelQuel a accompagné des Casques bleus de la Minurso de leur QG à Laâyoune jusqu’aux portes du fameux mur de défense, en passant par le camp onusien de Smara. Récit.
Aéroport de Laâyoune. Après trois heures d’attente, caprices de la météo oblige, l’avion militaire de la Minurso (Mission des Nations Unies pour le référendum au Sahara Occidental) à destination de Tindouf finit par décoller. Frappé du sigle de l’ONU, le vieil Antonov de fabrication ukrainienne n’inspire pas confiance. “Chaque fois qu’on monte là-dedans, on a l’impression de voler dans une machine à laver, lance,
avec un sourire forcé, l’un des passagers. Mais bon, il n’y a pas de quoi s’inquiéter”. Rassurant ! À bord du vieux coucou, piloté par un équipage également ukrainien (comme la jeune hôtesse de l’air, qui ne laisse visiblement personne indifférent), une vingtaine de passagers, attendus de l’autre côté de la frontière : une équipe médicale malaisienne, des militaires africains et des techniciens arabes. L’avion embarque également des vivres, des médicaments, du courrier et autres produits d’entretien. “Nos avions décollent presque tous les jours de Laâyoune pour ravitailler le bureau de liaison de Tindouf et nos différents Team Sites”, explique un responsable de la mission onusienne. Par le terme “Team Site” (littéralement “site d’équipe”), ce dernier désigne les huit casernes militaires que compte la Minurso dans la zone “contestée”.
Les gardiens de la paix
Trente minutes de vol et deux cent trente kilomètres de désert plus tard, la douce voix de l’hôtesse nous somme de “redresser nos sièges, d’attacher nos ceintures…”. Evidemment, il n’est pas question de fouler le sol de Tindouf. “Il y a trop de sensibilités dans cette affaire pour qu’on vous permette de vous y rendre”, nous explique fermement Julian Harston, chef de la Minurso et représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental. Nous sommes toujours en territoire marocain, plus précisément à Smara, dernière “ville” avant le fameux mur de sable, dont elle est distante d’une soixantaine de kilomètres.
Sur le tarmac de ce minuscule aéroport où sont stationnés quelques Mirage et Puma de l’armée marocaine, le major Chen nous accueille. Ce chinois de 32 ans, commandant du Team Site de Smara, fait partie des 230 militaires onusiens détachés dans la région. Originaire d’une trentaine de pays, ils font partie de l’élite de leurs armées respectives. Mieux encore, ces officiers auraient été triés sur le volet : “Il ne suffit pas d’être volontaire, confirme ce jeune capitaine français, lauréat de la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr. Il faut également avoir un excellent dossier, réussir un concours, suivre un stage…”. Mais pourquoi donc batailler pour participer à cette mission de maintien de la paix, dans une région du globe parfaitement étrangère ? “C’est selon, répond le capitaine. Certains sont là pour l’aventure humaine, d’autres s’engagent pour défendre des valeurs qui leur sont chères ou tout simplement pour voir du pays. Mais de toute manière, une expérience dans une mission de ce genre peut donner un coup de pouce à une carrière”. Le militaire français oublie de mentionner le facteur pécuniaire, qui est également à considérer. Non seulement ces militaires continuent de percevoir les soldes payées par leurs armées, mais ils ont aussi droit, nous explique-t-on, à “une prime de l’ONU, qui est loin d’être négligeable”. Certains, pour arrondir leurs fins de mois, vont jusqu’à s’improviser “guerrabas”, revendant leur ration d’alcool et de cigarettes fournies par le QG et importées spécialement de l’étranger.
Il est midi tapante, lorsque nous arrivons à la garnison onusienne de Smara. Non loin de l’aéroport, cette caserne, la plus importante de toutes, est une véritable forteresse. “Suite à l’attentat terroriste qui a frappé en 2003 le siège de l’ONU à Bagdad, nos mesures de sécurité ont été revues à la hausse”, précise le major Chen. À l’intérieur, l’ambiance est bien plus décontractée. Point de salut militaire entre la vingtaine d’occupants du lieu, qui ressemble davantage à un camping haut de gamme qu’à un camp militaire. Terrain de volley et de basketball, salle de musculation, connexion Internet, barbecue, chambre individuelle… un tel équipement n’a rien d’exceptionnel : les Casques bleus affectés au QG de Laayoune n’ont rien à leur envier. Ces derniers sont confortablement installés dans les meilleurs hôtels de la ville, nourris et blanchis “aux frais (cette fois-ci) du contribuable marocain”, assure un responsable de la Minurso. Tout est donc mis en place pour rendre leur séjour marocain des plus agréables. “Et lorsqu’il nous faut couper avec l’ambiance locale et prendre du bon temps, explique ce capitaine, on s’offre une petite escapade de week-end à Las Palmas. ça coûte trois fois rien”.
L’œil de l’ONU
Après un court briefing, durant lequel on nous signifie l’interdiction de prendre des photos (“Pour des raisons stratégico-militaires”), nous sommes invités à suivre nos hôtes sur le terrain. Comme tous les autres Team Sites, celui de Smara organise régulièrement des patrouilles terrestres et aériennes, pour s’assurer que le cessez-le-feu instauré en 1991 est bien respecté, autant par le Maroc que par le Front Polisario. “Nous sommes un peu l’œil de la communauté internationale dans cette région”, lance fièrement ce commandant russe. Une fois la ville traversée, le véhicule tout terrain s’engage dans le désert à travers un semblant de piste accidentée, qu’il est préférable de ne pas quitter. “On pourrait tomber sur une mine ou un obus qui n’ont pas explosé”, justifie le copilote, un capitaine djiboutien, également sorti de Saint-Cyr. À sa gauche, le chauffeur se montre très délicat avec l’accélérateur, veillant à ne jamais dépasser les soixante kilomètres par heure. “Toutes les voitures de l’ONU sont équipées d’un équipement télémétrique, qui alerte automatiquement le QG au cas où l’on dépasserait la limitation de vitesse”, explique le copilote.
À mesure que l’on avale les kilomètres, le site devient de plus en plus difficile d’accès. Au détour d’un virage, nous nous retrouvons nez à nez avec d’anciennes positions défensives des FAR, notamment le tout premier mur construit par l’armée marocaine pour contrer les attaques du Front Polisario. Puis apparaît, quelques kilomètres plus loin, un bataillon marocain stationné dans un village au milieu de nulle part. “Lors d’une patrouille habituelle, nous sommes amenés à aller à la rencontre des unités marocaines pour constater que le statu quo est bel bien respecté”, explique le major Chen, ajoutant que “lorsqu’il y a quelque chose d’anormal, comme un mouvement de troupes ou la construction de nouveaux bâtiments militaires, nous rédigeons alors un rapport”.
Et il faut croire que les stylos de la mission onusienne ne chôment pas. Le dernier rapport du secrétaire général de l’ONU signale que “la Minurso a enregistré, entre le 1er avril et le 30 septembre 2007, 11 violations de la part des forces marocaines et 12 du Front Polisario”. Des chiffres qui seraient sans doute plus élevés si les militaires coopéraient pleinement avec le personnel onusien. Toujours d’après ce rapport, “les deux parties ont imposé, dés le début de la mission, des restrictions aux mouvements des observateurs, consistant essentiellement à leur refuser l’accès à leurs places fortes et unités pour vérifier les effectifs et les systèmes d’armes et s’assurer du respect du statu quo”.
Soudain, le mur !
Notre véhicule ne s’arrête donc pas devant cette position de l’armée marocaine, se contentant de la contourner. “Il est hors de question de prendre des photos des installations militaires marocaines”, nous lance nerveusement un de nos guides du jour. Direction : une des portes du mur de défense marocain, la ceinture de sécurité longue de 2000 kilomètres, érigée par le Maroc durant les années 80 avec l’appui, dit-on, d’experts américains et israéliens, pour bloquer les attaques du Polisario. En moins d’une demi-heure, nous arrivons enfin à destination.
Nous voici donc face au fameux mur de défense. Un amas de sable, d’une hauteur de deux mètres, pas plus. La porte ? Une simple barrière, gardée par deux sentinelles marocaines. Arrachés à leur sieste, ils émergent à peine de leur abri pour nous lancer un salut de la main et marmonner un message sur leur radio.
De près, donc, le mur ne semble rien avoir d’extraordinaire. C’est du moins l’impression que l’on peut avoir, à cet emplacement précis, soixante kilomètres “derrière” Smara. La “porte” est en fait une ouverture, un passage creusé dans le sable. “Ne vous fiez pas aux apparences, des radars de détection sont installés tout le long du mur. Les mouvements de part et d’autre sont signalés dans un rayon qui peut aller jusqu’à 60 km”, lâche notre source. Difficile de glaner d’autres précisions, tant les “secrets” de l’endroit semblent jalousement gardés. Mais on apprend que le mur, via ses portes, ne sert pas seulement de lieu de passage pour les militaires marocains. “L’une des portes sert pour le transit de certaines formes de contrebande (pièces détachées automobile, médicaments, cigarettes…)”, nous révèle discrètement une source sur place. Le parcours du Dakar se fraie également un passage via l’une des ouvertures du mur.
Aéroport de Laâyoune. Après trois heures d’attente, caprices de la météo oblige, l’avion militaire de la Minurso (Mission des Nations Unies pour le référendum au Sahara Occidental) à destination de Tindouf finit par décoller. Frappé du sigle de l’ONU, le vieil Antonov de fabrication ukrainienne n’inspire pas confiance. “Chaque fois qu’on monte là-dedans, on a l’impression de voler dans une machine à laver, lance,
avec un sourire forcé, l’un des passagers. Mais bon, il n’y a pas de quoi s’inquiéter”. Rassurant ! À bord du vieux coucou, piloté par un équipage également ukrainien (comme la jeune hôtesse de l’air, qui ne laisse visiblement personne indifférent), une vingtaine de passagers, attendus de l’autre côté de la frontière : une équipe médicale malaisienne, des militaires africains et des techniciens arabes. L’avion embarque également des vivres, des médicaments, du courrier et autres produits d’entretien. “Nos avions décollent presque tous les jours de Laâyoune pour ravitailler le bureau de liaison de Tindouf et nos différents Team Sites”, explique un responsable de la mission onusienne. Par le terme “Team Site” (littéralement “site d’équipe”), ce dernier désigne les huit casernes militaires que compte la Minurso dans la zone “contestée”.
Les gardiens de la paix
Trente minutes de vol et deux cent trente kilomètres de désert plus tard, la douce voix de l’hôtesse nous somme de “redresser nos sièges, d’attacher nos ceintures…”. Evidemment, il n’est pas question de fouler le sol de Tindouf. “Il y a trop de sensibilités dans cette affaire pour qu’on vous permette de vous y rendre”, nous explique fermement Julian Harston, chef de la Minurso et représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental. Nous sommes toujours en territoire marocain, plus précisément à Smara, dernière “ville” avant le fameux mur de sable, dont elle est distante d’une soixantaine de kilomètres.
Sur le tarmac de ce minuscule aéroport où sont stationnés quelques Mirage et Puma de l’armée marocaine, le major Chen nous accueille. Ce chinois de 32 ans, commandant du Team Site de Smara, fait partie des 230 militaires onusiens détachés dans la région. Originaire d’une trentaine de pays, ils font partie de l’élite de leurs armées respectives. Mieux encore, ces officiers auraient été triés sur le volet : “Il ne suffit pas d’être volontaire, confirme ce jeune capitaine français, lauréat de la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr. Il faut également avoir un excellent dossier, réussir un concours, suivre un stage…”. Mais pourquoi donc batailler pour participer à cette mission de maintien de la paix, dans une région du globe parfaitement étrangère ? “C’est selon, répond le capitaine. Certains sont là pour l’aventure humaine, d’autres s’engagent pour défendre des valeurs qui leur sont chères ou tout simplement pour voir du pays. Mais de toute manière, une expérience dans une mission de ce genre peut donner un coup de pouce à une carrière”. Le militaire français oublie de mentionner le facteur pécuniaire, qui est également à considérer. Non seulement ces militaires continuent de percevoir les soldes payées par leurs armées, mais ils ont aussi droit, nous explique-t-on, à “une prime de l’ONU, qui est loin d’être négligeable”. Certains, pour arrondir leurs fins de mois, vont jusqu’à s’improviser “guerrabas”, revendant leur ration d’alcool et de cigarettes fournies par le QG et importées spécialement de l’étranger.
Il est midi tapante, lorsque nous arrivons à la garnison onusienne de Smara. Non loin de l’aéroport, cette caserne, la plus importante de toutes, est une véritable forteresse. “Suite à l’attentat terroriste qui a frappé en 2003 le siège de l’ONU à Bagdad, nos mesures de sécurité ont été revues à la hausse”, précise le major Chen. À l’intérieur, l’ambiance est bien plus décontractée. Point de salut militaire entre la vingtaine d’occupants du lieu, qui ressemble davantage à un camping haut de gamme qu’à un camp militaire. Terrain de volley et de basketball, salle de musculation, connexion Internet, barbecue, chambre individuelle… un tel équipement n’a rien d’exceptionnel : les Casques bleus affectés au QG de Laayoune n’ont rien à leur envier. Ces derniers sont confortablement installés dans les meilleurs hôtels de la ville, nourris et blanchis “aux frais (cette fois-ci) du contribuable marocain”, assure un responsable de la Minurso. Tout est donc mis en place pour rendre leur séjour marocain des plus agréables. “Et lorsqu’il nous faut couper avec l’ambiance locale et prendre du bon temps, explique ce capitaine, on s’offre une petite escapade de week-end à Las Palmas. ça coûte trois fois rien”.
L’œil de l’ONU
Après un court briefing, durant lequel on nous signifie l’interdiction de prendre des photos (“Pour des raisons stratégico-militaires”), nous sommes invités à suivre nos hôtes sur le terrain. Comme tous les autres Team Sites, celui de Smara organise régulièrement des patrouilles terrestres et aériennes, pour s’assurer que le cessez-le-feu instauré en 1991 est bien respecté, autant par le Maroc que par le Front Polisario. “Nous sommes un peu l’œil de la communauté internationale dans cette région”, lance fièrement ce commandant russe. Une fois la ville traversée, le véhicule tout terrain s’engage dans le désert à travers un semblant de piste accidentée, qu’il est préférable de ne pas quitter. “On pourrait tomber sur une mine ou un obus qui n’ont pas explosé”, justifie le copilote, un capitaine djiboutien, également sorti de Saint-Cyr. À sa gauche, le chauffeur se montre très délicat avec l’accélérateur, veillant à ne jamais dépasser les soixante kilomètres par heure. “Toutes les voitures de l’ONU sont équipées d’un équipement télémétrique, qui alerte automatiquement le QG au cas où l’on dépasserait la limitation de vitesse”, explique le copilote.
À mesure que l’on avale les kilomètres, le site devient de plus en plus difficile d’accès. Au détour d’un virage, nous nous retrouvons nez à nez avec d’anciennes positions défensives des FAR, notamment le tout premier mur construit par l’armée marocaine pour contrer les attaques du Front Polisario. Puis apparaît, quelques kilomètres plus loin, un bataillon marocain stationné dans un village au milieu de nulle part. “Lors d’une patrouille habituelle, nous sommes amenés à aller à la rencontre des unités marocaines pour constater que le statu quo est bel bien respecté”, explique le major Chen, ajoutant que “lorsqu’il y a quelque chose d’anormal, comme un mouvement de troupes ou la construction de nouveaux bâtiments militaires, nous rédigeons alors un rapport”.
Et il faut croire que les stylos de la mission onusienne ne chôment pas. Le dernier rapport du secrétaire général de l’ONU signale que “la Minurso a enregistré, entre le 1er avril et le 30 septembre 2007, 11 violations de la part des forces marocaines et 12 du Front Polisario”. Des chiffres qui seraient sans doute plus élevés si les militaires coopéraient pleinement avec le personnel onusien. Toujours d’après ce rapport, “les deux parties ont imposé, dés le début de la mission, des restrictions aux mouvements des observateurs, consistant essentiellement à leur refuser l’accès à leurs places fortes et unités pour vérifier les effectifs et les systèmes d’armes et s’assurer du respect du statu quo”.
Soudain, le mur !
Notre véhicule ne s’arrête donc pas devant cette position de l’armée marocaine, se contentant de la contourner. “Il est hors de question de prendre des photos des installations militaires marocaines”, nous lance nerveusement un de nos guides du jour. Direction : une des portes du mur de défense marocain, la ceinture de sécurité longue de 2000 kilomètres, érigée par le Maroc durant les années 80 avec l’appui, dit-on, d’experts américains et israéliens, pour bloquer les attaques du Polisario. En moins d’une demi-heure, nous arrivons enfin à destination.
Nous voici donc face au fameux mur de défense. Un amas de sable, d’une hauteur de deux mètres, pas plus. La porte ? Une simple barrière, gardée par deux sentinelles marocaines. Arrachés à leur sieste, ils émergent à peine de leur abri pour nous lancer un salut de la main et marmonner un message sur leur radio.
De près, donc, le mur ne semble rien avoir d’extraordinaire. C’est du moins l’impression que l’on peut avoir, à cet emplacement précis, soixante kilomètres “derrière” Smara. La “porte” est en fait une ouverture, un passage creusé dans le sable. “Ne vous fiez pas aux apparences, des radars de détection sont installés tout le long du mur. Les mouvements de part et d’autre sont signalés dans un rayon qui peut aller jusqu’à 60 km”, lâche notre source. Difficile de glaner d’autres précisions, tant les “secrets” de l’endroit semblent jalousement gardés. Mais on apprend que le mur, via ses portes, ne sert pas seulement de lieu de passage pour les militaires marocains. “L’une des portes sert pour le transit de certaines formes de contrebande (pièces détachées automobile, médicaments, cigarettes…)”, nous révèle discrètement une source sur place. Le parcours du Dakar se fraie également un passage via l’une des ouvertures du mur.
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