Source: MiddleEastEyes :
Par Tiphaine Ruppert-Abbadi Maroc
Par Tiphaine Ruppert-Abbadi Maroc

Ils ont suivi, voire coordonné, les marches et sit-in qui, le 20 février 2011, faisaient entrer le royaume dans la cohorte des Printemps arabes. Une décennie plus tard, ils témoignent de ce qu’a représenté, pour eux et la société marocaine, l’élan du M20F
« J’ai un vécu très intime avec le Mouvement du 20 février [M20F] », se souvient Khadija Ryadi. « Mon fils était parmi les organisateurs de la première marche. J’ai entendu les peurs, assisté aux préparatifs. C’est un moment inoubliable de notre histoire personnelle et de celle du pays », confie-t-elle à Middle East Eye.
Cette mobilisation populaire, la militante chevronnée, récompensée en 2013 par le Prix des droits de l’homme des Nations unies, en parle d’autant mieux que, lorsque l’élan « exceptionnel » des Printemps arabes, venu de Tunisie et d’Égypte, se met à souffler sur le Maroc, elle préside l’Association marocaine des droits humains (AMDH).
Exaltée par les renversements de Zine el-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak, la jeunesse marocaine s’anime en ligne. Des groupes Facebook, tels « Les jeunes discutent avec le roi », deviennent rapidement des espaces de débat où s’élaborent les prémices du mouvement.
« Ils étaient vraiment très jeunes, la vingtaine maximum. On les a laissés s’organiser pour ne pas ‘’voler’’ leur initiative et leur indépendance, [puis] un noyau dur s’est créé à Rabat », relate à MEE Ibtissame Betty Lachgar, mobilisée de la première heure et cofondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), qui œuvre en faveur du féminisme, de l’universalisme et de la laïcité.
« Ce que ces jeunes demandaient, le droit au travail pour tous, la libération des prisonniers d’opinion, l’égalité entre hommes et femmes, etc., c’était notre engagement depuis toujours. Donc nous avons nous-mêmes appelé à descendre dans la rue le 20 février », poursuit Khadija Ryadi.
« Au sein de l’AMDH, les jeunes étaient déjà structurés. Ils ont apporté une aide logistique à ceux du M20F », explique-t-elle. La première conférence de presse du collectif, le 17 février, se déroule d’ailleurs dans les locaux de l’ONG, dans la capitale administrative Rabat.
De son côté, l’organisation islamiste Al Adl Wal Ihssane voit dans cet appel l’occasion de concrétiser une partie de ses revendications historiques : « L’unification des forces vives pour lutter contre l’absolutisme et la corruption », précise à MEE Bouchta Mossaif, membre du bureau exécutif de l’association, dont la section jeunesse rejoint « dès le premier jour » le mouvement.
Lui-même intégrera le comité de suivi du Conseil national d’appui au M20F. « La révolution en Tunisie nous a donné beaucoup d’espoir, on s’est dit : pourquoi pas nous ? Le jour J, on a senti l’attente du peuple », poursuit-il.
Ibtissame Betty Lachga abonde en ce sens : « En tant que militante, c’était très enthousiasmant. Tu te dis qu’enfin les mentalités vont changer et, peut-être, en parallèle, la loi aussi. »
Le web, nouveau champ d’action
En marge de l’effervescence militante, la blogosphère marocaine connaît elle aussi une petite révolution. Fin 2010, une poignée de blogueurs, pionniers du genre, les yeux rivés sur le « pays du jasmin », décident de s’unir pour fonder un véritable média en ligne.
« Nous avons vu le rôle joué par le site Nawaat [en Tunisie], notamment pour changer le récit sur de fausses informations [à propos du mouvement de contestation dans le pays] », relate à MEE Elmahdi El Mhamdi, l’un des instigateurs.
Mamfakinch (« on ne cède pas ») voit le jour le 17 février 2011. « L’acte fondateur a été de rectifier la fausse nouvelle diffusée par l’Agence marocaine de presse [MAP] concernant l’annulation de la première marche », explique-t-il.
« L’une de nos raisons d’être était de relayer le message de ces jeunes, dont certains nous étaient familiers, parce qu’ils ne disposaient d’aucun outil pour se défendre. Cet article, l’un des premiers publiés, a généré plusieurs centaines de milliers de visites. »
Le 20 février 2011, quelque 37 000 marcheurs, selon les chiffres communiqués par la presse à l’époque, battent le pavé à travers le pays. Ils scandent « dignité, liberté et justice », leur envie de changement et, pour certains, de mettre fin à la domination et aux pratiques népotiques du Makhzen (pouvoir central).
La création de la plateforme répond aussi au besoin de pallier l’absence de couverture de certaines actualités par les médias traditionnels.
« Le Maroc n’a pas connu la censure à la tunisienne avec des sites web bloqués, etc. On ne voyait pas de page avec ‘’Erreur 404’’ s’afficher, c’était plus subtil, c’était plutôt un ‘’404 publicitaire’’ [des pressions financières imposées aux rédactions] », ironise le jeune homme.
Mamfakinch se fixe aussi comme principe « de ne pas s’aligner sur la rhétorique militante habituelle. Nous voulions sortir du cercle des convaincus », sans pour autant nier sa ligne éditoriale favorable aux droits de l’homme et sa sympathie pour le M20F.
« Nous sommes nés du besoin créé par ces contestations », souligne le cofondateur du site.
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