Qui a tracé les frontières en Afrique?
Vous avez dû certainement remarquer ces lignes droites sur la carte de l’Afrique… Et vous vous êtes peut-être déjà demandé : comment se fait-il que des frontières géographiques puissent être aussi droites ? Eh bien, la réponse est toute simple : On a pris une règle, on a pris un crayon et on a tiré des traits.
“On”, ce sont des pays européens, l’Empire ottoman, des Américains [en tant qu’observateurs] et même des Russes, qui n’avaient jamais mis les pieds en Afrique et qui traçaient tranquillement des lignes à des milliers de kilomètres de là et en l’absence des Africains. Si on ne leur a pas demandé leur avis pour les conquérir, ça on le sait, on ne leur a pas non plus, ou rarement, demandé leur avis pour tracer les limites. – En gros, des peuples, pour servir leurs propres intérêts, ont décidé de l’avenir d’autres peuples, de leurs frontières et de leur regroupement, sans tenir compte de leurs réalités.
Résultat des courses : des familles divisées, des conflits géopolitiques permanents, un système commercial chamboulé et par-dessus tout : une carte qui n’a pas été pensée pour leur développement. Pour mieux comprendre, il faut revenir 134 ans en arrière. Afin d’éviter tout conflit, les grandes puissances coloniales se réunissent à Berlin de novembre 1884 à février 1885. Elles se partagent l’Afrique en fixant certaines règles. Et parmi ces règles, une toute simple : Toute puissance dite “civilisée”, disposant d’un point d’appui sur la côte africaine, avait le droit de pénétrer à l’intérieur du continent jusqu’à ce qu’elle rencontre une autre puissance dite “civilisée”. Et lorsque dans leur conquête, les puissances signataires se rencontraient, eh bien, elles se mettaient d’accord sur les limites de leurs territoires.
On prenait un point géodésique ici, un autre là et on tirait un trait tout droit entre les deux. Et tant pis si la ligne passe au-dessus de votre champ ou de votre propriété. Elle devenait la propriété de la puissance “civilisatrice”. D’ailleurs, ces propos de Lord Salisbury, Premier ministre de Grande-Bretagne à l’époque, se passent de tout commentaire : Et voilà comment on s’est retrouvé avec des territoires africains délimités en Europe à partir de cartes imprécises et parfois fausses. L’historien et cartographe français Bernard Lugan les appelle des “découpages à la hache”. Par exemple : une Gambie anglaise taillée dans les peuples wolof et mandingue accordés à la France. Ou encore les Evhé coupés en deux tronçons, entre le Ghana anglais et le Togo allemand. Si les territoires ont été découpés ainsi sans tenir compte des peuples qui y habitaient, c’est simplement parce que les frontières n’ont pas été tracées pour ces peuples-là mais plutôt en fonction des intérêts géostratégiques et économiques des colonisateurs.
Prenons le cas du Sahel-Sahara. Il y a eu avant les indépendances, la fameuse Organisation commune des régions sahariennes [OCRS]. C’est-à-dire que la France a imaginé inclure à l’intérieur d’une entité géographique bien précise les Berbères naturellement au Nord mais les Touaregs, les Toubous et les Maures au Sud. Ce qui aurait été plus logique… Sauf qu’il y avait un petit problème. Lorsqu’on superposait cette carte avec celle des richesses naturelles, et notamment du pétrole, là, on n’est plus en 1880, on est en 1950… On s’apercevait qu’à l’intérieur de cette jolie frontière, il y avait pratiquement toutes les ressources en pétrole et en gaz naturel. Pour couper court, l’OCRS ne fera pas long feu.
Elle va disparaître le 10 juin 1960 au moment de l’indépendance des États riverains du Sahara. La vague des indépendances va également emporter l’AOF, Afrique occidentale française et l’AEF, Afrique équatoriale française. Les grands ensembles disparaissent donc, mais pas leur système mis en place pour gérer et exploiter les colonies. C’est-à-dire que ces découpages coloniaux ont bouleversé l’économie des empires sahélo-sahariens. Les échanges commerciaux transsahariens qui se faisaient entre Africains ont été tournés vers les littoraux et donc vers l’extérieur. Et au moment des indépendances dans les années 60, les Français par exemple, ont simplement découpé en plusieurs morceaux leurs grands territoires [OCRS, AOF, AEF].
Mais les nouveaux États indépendants issus de cette balkanisation ont gardé le même système tourné vers l’exportation de leurs matières premières. C’est ce que l’historien Nicolas Bancel appelle : On a enclavé des pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Tchad, pour ne citer qu’eux, et la Centrafrique… – D’après le diplomate et géographe français Michel Foucher, 87% de la longueur des frontières politiques de l’Afrique, soit 70 000 km sur un total d’environ 80 000 km, ont été directement hérités des partages coloniaux. Et qui dit État souverain dit frontières, tarifs douaniers, nouveaux traités commerciaux et donc… plus de barrières. Je crois que si on avait fait reposer le découpage colonial sur une volonté de développement économique, on aurait veillé pendant la colonisation à ce qu’il n’y ait pas ces barrières qui empêchent un développement économique harmonieux.
En 1964, l’OUA, qui deviendra plus tard l’Union africaine, ne veut surtout pas ouvrir une boîte de Pandore en redessinant les cartes. Elle opte donc pour l’intangibilité des frontières. Traduction : les frontières sont mauvaises, mais on les garde comme elles sont. Au début, les nouveaux États africains semblent s’accorder sur le principe. Certains s’approprient même les frontières coloniales et s’identifient davantage comme Nigérians, Ghanéens ou Ivoiriens plutôt qu’Akans, un peuple qu’on retrouve pourtant dans ces trois pays. On aurait pu par exemple décider de tracer un pays qui s’appellerait l’Akanite ou… peu importe, je ne sais pas, à l’intérieur duquel les gens parleraient la même langue. Un peu comme on l’a fait en Inde… – Mais on ne l’a pas fait. Les frontières ainsi tracées ont divisé des groupes consanguins, les éloignant de leurs territoires de rituels, de culture, de chasse et de pêche. Plus de 177 peuples ou groupes ethniques se sont trouvés éparpillés à travers plusieurs États.
S’ensuivent des conflits de contestations de frontières aux aspirations indépendantistes. L’auteur Robert Waters en dénombre une trentaine. Prenons par exemple les Touaregs dans le Sahel. Il aurait été tout à fait loisible aux autorités de l’époque, notamment lorsqu’ils ont fait la première grande République du Mali, de tracer pour les Touaregs, par exemple, pour eux, ce qu’ils revendiquaient : la fameuse [République d’] Azawad. L’Azawad qu’ils revendiquent encore jusqu’à aujourd’hui. Mais cela aurait-il empêché pour autant les conflits actuels et les divers mouvements armés ? Pas si sûr. Car plusieurs autres facteurs complexes entrent en jeu. Christian Bouquet cite notamment les politiques des présidents qui se sont succédés, l’échec de la transition démographique, le réchauffement de la planète ou encore les ajustements structurels.
Même l’ONU constate un échec de développement généralisé des pays africains. Dans chaque cas, il s’agit d’exclusion, il s’agit de causes profondes où il y a des jeunes qui n’ont aucun espoir, où les structures gouvernementales ne fonctionnent pas. Plus de 50 ans après la décolonisation politique, l’heure est peut-être venue de décoloniser aussi les frontières. Deux… Trois… Félicitations messieurs ! – Le 7 juillet 2019, les pays membres de l’Union africaine ont lancé à Niamey la ZLEC, la Zone de libre-échange continentale africaine. Ce qui fera de l’Afrique le plus grand espace commercial au monde, selon le président nigérien. Un marché de 1,2 milliard de consommateurs actuellement et ça sera 1,7 milliard de consommateurs en 2030, ça sera 2,5 milliards de consommateurs en 2050.
À défaut de redessiner les frontières politiques, l’UA veut ainsi faire, d’ici 2063, ce qu’aurait peut-être dû faire son ancêtre l’OUA en 1964. C’est-à-dire : Une année à peine, le nombre de signatures est passé à 52 et avec la signature du Bénin et du Nigeria, nous sommes à 54 sur 55, donc la presque totalité des membres de notre union. Mais signer des accords, c’est une chose. Les ratifier en est une autre. Et surtout, les appliquer sur le terrain… Voilà le plus grand challenge. Ce serait un autre débat, la ZLEC, mais là, si vous me permettez, on n’est pas sorti de l’auberge. Mais c’est un pas tout de même et certains chefs d’État, comme le président rwandais Paul Kagame, y croient plus que jamais. Nous allons nous occuper efficacement de ces problèmes jusqu’à ce que nous travaillions ensemble. Parce que certains problèmes dépassent les frontières. Nous encourageons et souscrivons à l’intégration régionale et à l’intégration continentale.
Vous avez dû certainement remarquer ces lignes droites sur la carte de l’Afrique… Et vous vous êtes peut-être déjà demandé : comment se fait-il que des frontières géographiques puissent être aussi droites ? Eh bien, la réponse est toute simple : On a pris une règle, on a pris un crayon et on a tiré des traits.
“On”, ce sont des pays européens, l’Empire ottoman, des Américains [en tant qu’observateurs] et même des Russes, qui n’avaient jamais mis les pieds en Afrique et qui traçaient tranquillement des lignes à des milliers de kilomètres de là et en l’absence des Africains. Si on ne leur a pas demandé leur avis pour les conquérir, ça on le sait, on ne leur a pas non plus, ou rarement, demandé leur avis pour tracer les limites. – En gros, des peuples, pour servir leurs propres intérêts, ont décidé de l’avenir d’autres peuples, de leurs frontières et de leur regroupement, sans tenir compte de leurs réalités.
Résultat des courses : des familles divisées, des conflits géopolitiques permanents, un système commercial chamboulé et par-dessus tout : une carte qui n’a pas été pensée pour leur développement. Pour mieux comprendre, il faut revenir 134 ans en arrière. Afin d’éviter tout conflit, les grandes puissances coloniales se réunissent à Berlin de novembre 1884 à février 1885. Elles se partagent l’Afrique en fixant certaines règles. Et parmi ces règles, une toute simple : Toute puissance dite “civilisée”, disposant d’un point d’appui sur la côte africaine, avait le droit de pénétrer à l’intérieur du continent jusqu’à ce qu’elle rencontre une autre puissance dite “civilisée”. Et lorsque dans leur conquête, les puissances signataires se rencontraient, eh bien, elles se mettaient d’accord sur les limites de leurs territoires.
On prenait un point géodésique ici, un autre là et on tirait un trait tout droit entre les deux. Et tant pis si la ligne passe au-dessus de votre champ ou de votre propriété. Elle devenait la propriété de la puissance “civilisatrice”. D’ailleurs, ces propos de Lord Salisbury, Premier ministre de Grande-Bretagne à l’époque, se passent de tout commentaire : Et voilà comment on s’est retrouvé avec des territoires africains délimités en Europe à partir de cartes imprécises et parfois fausses. L’historien et cartographe français Bernard Lugan les appelle des “découpages à la hache”. Par exemple : une Gambie anglaise taillée dans les peuples wolof et mandingue accordés à la France. Ou encore les Evhé coupés en deux tronçons, entre le Ghana anglais et le Togo allemand. Si les territoires ont été découpés ainsi sans tenir compte des peuples qui y habitaient, c’est simplement parce que les frontières n’ont pas été tracées pour ces peuples-là mais plutôt en fonction des intérêts géostratégiques et économiques des colonisateurs.
Prenons le cas du Sahel-Sahara. Il y a eu avant les indépendances, la fameuse Organisation commune des régions sahariennes [OCRS]. C’est-à-dire que la France a imaginé inclure à l’intérieur d’une entité géographique bien précise les Berbères naturellement au Nord mais les Touaregs, les Toubous et les Maures au Sud. Ce qui aurait été plus logique… Sauf qu’il y avait un petit problème. Lorsqu’on superposait cette carte avec celle des richesses naturelles, et notamment du pétrole, là, on n’est plus en 1880, on est en 1950… On s’apercevait qu’à l’intérieur de cette jolie frontière, il y avait pratiquement toutes les ressources en pétrole et en gaz naturel. Pour couper court, l’OCRS ne fera pas long feu.
Elle va disparaître le 10 juin 1960 au moment de l’indépendance des États riverains du Sahara. La vague des indépendances va également emporter l’AOF, Afrique occidentale française et l’AEF, Afrique équatoriale française. Les grands ensembles disparaissent donc, mais pas leur système mis en place pour gérer et exploiter les colonies. C’est-à-dire que ces découpages coloniaux ont bouleversé l’économie des empires sahélo-sahariens. Les échanges commerciaux transsahariens qui se faisaient entre Africains ont été tournés vers les littoraux et donc vers l’extérieur. Et au moment des indépendances dans les années 60, les Français par exemple, ont simplement découpé en plusieurs morceaux leurs grands territoires [OCRS, AOF, AEF].
Mais les nouveaux États indépendants issus de cette balkanisation ont gardé le même système tourné vers l’exportation de leurs matières premières. C’est ce que l’historien Nicolas Bancel appelle : On a enclavé des pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Tchad, pour ne citer qu’eux, et la Centrafrique… – D’après le diplomate et géographe français Michel Foucher, 87% de la longueur des frontières politiques de l’Afrique, soit 70 000 km sur un total d’environ 80 000 km, ont été directement hérités des partages coloniaux. Et qui dit État souverain dit frontières, tarifs douaniers, nouveaux traités commerciaux et donc… plus de barrières. Je crois que si on avait fait reposer le découpage colonial sur une volonté de développement économique, on aurait veillé pendant la colonisation à ce qu’il n’y ait pas ces barrières qui empêchent un développement économique harmonieux.
En 1964, l’OUA, qui deviendra plus tard l’Union africaine, ne veut surtout pas ouvrir une boîte de Pandore en redessinant les cartes. Elle opte donc pour l’intangibilité des frontières. Traduction : les frontières sont mauvaises, mais on les garde comme elles sont. Au début, les nouveaux États africains semblent s’accorder sur le principe. Certains s’approprient même les frontières coloniales et s’identifient davantage comme Nigérians, Ghanéens ou Ivoiriens plutôt qu’Akans, un peuple qu’on retrouve pourtant dans ces trois pays. On aurait pu par exemple décider de tracer un pays qui s’appellerait l’Akanite ou… peu importe, je ne sais pas, à l’intérieur duquel les gens parleraient la même langue. Un peu comme on l’a fait en Inde… – Mais on ne l’a pas fait. Les frontières ainsi tracées ont divisé des groupes consanguins, les éloignant de leurs territoires de rituels, de culture, de chasse et de pêche. Plus de 177 peuples ou groupes ethniques se sont trouvés éparpillés à travers plusieurs États.
S’ensuivent des conflits de contestations de frontières aux aspirations indépendantistes. L’auteur Robert Waters en dénombre une trentaine. Prenons par exemple les Touaregs dans le Sahel. Il aurait été tout à fait loisible aux autorités de l’époque, notamment lorsqu’ils ont fait la première grande République du Mali, de tracer pour les Touaregs, par exemple, pour eux, ce qu’ils revendiquaient : la fameuse [République d’] Azawad. L’Azawad qu’ils revendiquent encore jusqu’à aujourd’hui. Mais cela aurait-il empêché pour autant les conflits actuels et les divers mouvements armés ? Pas si sûr. Car plusieurs autres facteurs complexes entrent en jeu. Christian Bouquet cite notamment les politiques des présidents qui se sont succédés, l’échec de la transition démographique, le réchauffement de la planète ou encore les ajustements structurels.
Même l’ONU constate un échec de développement généralisé des pays africains. Dans chaque cas, il s’agit d’exclusion, il s’agit de causes profondes où il y a des jeunes qui n’ont aucun espoir, où les structures gouvernementales ne fonctionnent pas. Plus de 50 ans après la décolonisation politique, l’heure est peut-être venue de décoloniser aussi les frontières. Deux… Trois… Félicitations messieurs ! – Le 7 juillet 2019, les pays membres de l’Union africaine ont lancé à Niamey la ZLEC, la Zone de libre-échange continentale africaine. Ce qui fera de l’Afrique le plus grand espace commercial au monde, selon le président nigérien. Un marché de 1,2 milliard de consommateurs actuellement et ça sera 1,7 milliard de consommateurs en 2030, ça sera 2,5 milliards de consommateurs en 2050.
À défaut de redessiner les frontières politiques, l’UA veut ainsi faire, d’ici 2063, ce qu’aurait peut-être dû faire son ancêtre l’OUA en 1964. C’est-à-dire : Une année à peine, le nombre de signatures est passé à 52 et avec la signature du Bénin et du Nigeria, nous sommes à 54 sur 55, donc la presque totalité des membres de notre union. Mais signer des accords, c’est une chose. Les ratifier en est une autre. Et surtout, les appliquer sur le terrain… Voilà le plus grand challenge. Ce serait un autre débat, la ZLEC, mais là, si vous me permettez, on n’est pas sorti de l’auberge. Mais c’est un pas tout de même et certains chefs d’État, comme le président rwandais Paul Kagame, y croient plus que jamais. Nous allons nous occuper efficacement de ces problèmes jusqu’à ce que nous travaillions ensemble. Parce que certains problèmes dépassent les frontières. Nous encourageons et souscrivons à l’intégration régionale et à l’intégration continentale.
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