Par Min Aung Khaing — 12 octobre 2017
Témoignage de Rica, une femme hindoue kidnappée: l’Armée Rohingya pour le Salut de l’Arakan (ARSA) a tué mon mari
Par Min Aung Khaing
Publié le 12 octobre 2017 par The Irrawaddy
Le 25 août dernier, l’Armée Rohingya pour le Salut de l’Arakan (ARSA) a lancé des attaques coordonnées contre 30 postes de police dans les cantons de Buthidaung, Maungdaw et Rathedaung situés dans l’État Rakhine.
Le 24 septembre, le gouvernement du Myanmar a publié une déclaration comme quoi l’ARSA a enlevé environ 100 hommes et femmes de plusieurs villages hindous du district de Kha Mauk Seik le 25 août et a tué la majorité des personnes kidnappées.
Les 24 et le 25 septembre, les forces de sécurité ont déterré les corps de 45 hindous tués, dont six enfants, près du village Ye Baw Kya situé au nord du canton de Maungdaw.
Huit femmes hindoues, âgées de 15 à 25 ans, et huit enfants, qui ont déclaré avoir été enlevés par l’ARSA, sont arrivés au Myanmar le 3 octobre et ont témoignés sur le massacre. Selon leurs témoignages, environ 500 villageois musulmans de Khamaungseik, dirigés par le dirigeant Rohingya, Norignak et un autre homme qu’ils ont décrit comme un « chef terroriste étranger en tenue noire », ont massacré 45 villageois de Ye Baw Kya le 25 août.
Rica, âgée de 25 ans, l’une des huit femmes hindoues dont le mari a été tué par l’ARSA a raconté le massacre à The Irrawaddy et aussi comment elles ont été enlevées et comment elles se sont échappées.
The Irrawaddy: Ma Rica, comment va votre santé et comment ça va chez vous?
Rica: Je vais bien. Tout va bien maintenant. Nous demeurons actuellement au camp militaire [à Buthidaung]. Nous ne savons pas combien de temps nous devrons rester ici. Nous sommes huit femmes et huit enfants.
The Irrawaddy: Quand êtes-vous arrivé au Myanmar?
Rica: Nous sommes arrivés le 3 octobre. Nous sommes venus du Bangladesh. Nous avons dû rester un mois et cinq jours au Bangladesh, au camp de réfugiés de Kutupalong. Les Bengalis ont essayé de nous trouver pour nous tuer.
The Irrawaddy: Comment avez-vous été enlevé par des terroristes?
Rica: Ils sont venus dans notre village [Ye Baw Kya] vers 8 heures du matin le 25 août. Ils ont confisqué tous nos téléphones portables et ont encerclé le village. Ils nous ont attaché et ont bandé les yeux des hommes. Ils ont battu les hommes et ont demandé combien d’or et d’argent nous avions. Je leur ai donné tous mes biens. Après, ils ont emmené tous les villageois au village de Baw Tala. Ensuite, ils ont séparé les hommes et les femmes. Je faisais partie d’un groupe de huit femmes conduites dans un endroit séparé. Ils ont d’abord égorgé les hommes et ont poignardé les femmes et les enfants. Après cela, ils ont dit à notre groupe de huit que si nous nous convertissions à l’islam, nous ne serions pas tués. Ils ont dit que le Dieu auquel nous croyions n’était rien et que leur islam était puissant. Alors nous avons prétendu nous convertir à l’islam à la condition qu’ils ne nous tuent pas. Donc, ils ne nous ont pas tués.
The Irrawaddy: Que s’est-il passé ensuite?
Rica: Nous avons passé une nuit dans le village de Baw Tala ce jour-là. On nous a forcé à manger du bœuf (les hindous ne mangent pas de bœuf, les bovidés étant sacré chez eux) et à nous habiller comme des femmes musulmanes. Nous n’avons pas mangé, mais les enfants ont mangé un peu.
The Irrawaddy: Avez-vous demandé aux terroristes de ne pas tuer vos maris?
Rica: Nous l’avons fait. Nous les avons suppliées à genoux. Nous leur avions donné tout notre or et ils nous avaient promis de ne pas tuer nos maris en échange. Mais, après avoir pris mon or, ils ont quand même égorgé mon mari. Je leur ai dit que je leur avais donné beaucoup d’or et les ai supplié de ne pas le tuer. Alors qu’ils allaient tuer mes enfants, j’ai dit que je ne ferais pas ce qu’ils veulent s’ils tuaient mes enfants. J’ai dit que je ne voulais pas survivre s’ils tuaient mes enfants. [Donc, ils ne l’ont pas fait.] Nous avions un magasin d’or. Les bengalis ont pris mes 30 ticals (mesure birmane) d’or et plus de quatre millions de kyats (monnaie birmane, quatre millions de kyats correspondent environ à 2500 euros).
The Irrawaddy Comment vous ont-ils emmenés au Bangladesh?
Rica: Ils nous ont conduits à pied au-delà des montagnes à l’ouest du village de Khamaungseik. Nous avons dû dormir deux nuits dans les montagnes. Nous n’avions rien à manger et c’était absolument terrible. Nous sommes arrivés au Bangladesh le 28 août.
The Irrawaddy: Qui étaient les gens qui ont attaqué votre village?
Rica: Il y avait des villageois de Khamaungseik ainsi que des terroristes. J’ai reconnu près de dix villageois de Khamaungseik. Leur chef est Norulauk. Alors que nous étions détenus au village de Baw Ta La, cinq personnes nous ont gardés. D’autres sont partis, affirmant qu’ils allaient attaquer les gouvernementaux. Les cinq hommes qui nous surveillaient nous ont déclaré que cette région [l’Etat Rakhine] n’était pas un Etat hindou et pas non plus un Etat du Myanmar. Ils ont dit qu’ils transformeraient la zone, de la ville frontière de Maungdaw à Sittwe, en Etat Rohingya. Ces cinq Bengalis nous ont amenés au Bangladesh. Les autres sont restés au Myanmar pour attaquer les gouvernementaux. Maintenant, ils sont revenus et se trouvent au Bangladesh. Je les ai vus portants les vêtements qu’ils avaient volés à nos frères et nos maris.
The Irrawaddy: Qui est venu et vous a ramené du Bangladesh?
Rica: Le 28 août, nous sommes arrivés au Bangladesh au camp de Kutupalong. Ensuite, ils ont amené des Mawlawis et nous ont initiés à la foi islamique. On nous a demandé de répéter des paroles musulmanes et de crier « Allah ». On nous a également obligés à manger du bœuf et à porter des burqas. Ensuite, un garçon musulman se serait vanté devant un barbier hindou du marché de Kutupalong que huit femmes hindoues du Myanmar avaient été islamisées. Des hindous du Bengladesh sont venus et nous ont sauvés vers 8 heures dans la soirée.
The Irrawaddy: Comment le garçon musulman a-t-il appris votre existence?
Rica: Dès notre arrivée au Bangladesh, on nous a installé dans une maison et donné à manger. Ensuite, ils nous ont interviewés et filmés. Ils nous ont obligés à dire dans l’interview que les Hindous avaient été tués par des Arakanais. Ils nous ont également forcés à dire que nos maris, nos parents et nos proches, ainsi que des musulmans, avaient été tués par le gouvernement et ont menacé de nous tuer si nous ne le faisions pas.
The Irrawaddy: Alors, comment vous-êtes vous échappé?
Rica: Nous avons contacté U Ni Mal [le leader de la communauté hindoue]. Nous sommes sortis du camp de Kutupalong. Nous sommes partis pour Taung Pyo Letwe dans la voiture d’un hindou. Il a fallu environ une heure et demie. Sur le chemin, nous avons été inspectés par les gardes-frontières du Bangladesh. Le conducteur a dit que nous allions au Festival Deepavali [un festival religieux hindou]. Lorsque nous sommes sortis de la voiture, nous avons vu des responsables gouvernementaux qui nous attendaient à Taung Pyo Letwe.
The Irrawaddy, le 6 octobre 2017
Le magazine The Irrawaddy a été fondé en 1993 par des journalistes birmans exilés en Thaïlande. Parmi eux, beaucoup ont été témoins ou ont participé aux soulèvements pro-démocratie historiques de 1988. The Irrawaddy a été la première publication non affiliée aux mouvements dissidents birmans. Ses articles critiques l’ont fait interdire au Myanmar.
Toute personne surprise avec un exemplaire risquait l’arrestation et la prison. En 2000, le site The Irrawaddy a été lancé, et aussitôt bloqué au Myanmar, et ce pendant onze ans. Quand les restrictions sur les médias ont été assouplies en 2011, The Irrawaddy a enfin pu être lu depuis le pays sur Internet. La version papier a commencé à être légalement distribuée dans tout le pays en 2013. Depuis sa création, The Irrawaddy s’efforce de donner aux lecteurs des informations différentes. Il a une ligne éditoriale pro-démocratie, qui considère qu’une presse libre est essentielle pour une démocratie.
Traduction: Gazette du citoyen
arret sur info
Témoignage de Rica, une femme hindoue kidnappée: l’Armée Rohingya pour le Salut de l’Arakan (ARSA) a tué mon mari
Par Min Aung Khaing
Publié le 12 octobre 2017 par The Irrawaddy
Le 25 août dernier, l’Armée Rohingya pour le Salut de l’Arakan (ARSA) a lancé des attaques coordonnées contre 30 postes de police dans les cantons de Buthidaung, Maungdaw et Rathedaung situés dans l’État Rakhine.
Le 24 septembre, le gouvernement du Myanmar a publié une déclaration comme quoi l’ARSA a enlevé environ 100 hommes et femmes de plusieurs villages hindous du district de Kha Mauk Seik le 25 août et a tué la majorité des personnes kidnappées.
Les 24 et le 25 septembre, les forces de sécurité ont déterré les corps de 45 hindous tués, dont six enfants, près du village Ye Baw Kya situé au nord du canton de Maungdaw.
Huit femmes hindoues, âgées de 15 à 25 ans, et huit enfants, qui ont déclaré avoir été enlevés par l’ARSA, sont arrivés au Myanmar le 3 octobre et ont témoignés sur le massacre. Selon leurs témoignages, environ 500 villageois musulmans de Khamaungseik, dirigés par le dirigeant Rohingya, Norignak et un autre homme qu’ils ont décrit comme un « chef terroriste étranger en tenue noire », ont massacré 45 villageois de Ye Baw Kya le 25 août.
Rica, âgée de 25 ans, l’une des huit femmes hindoues dont le mari a été tué par l’ARSA a raconté le massacre à The Irrawaddy et aussi comment elles ont été enlevées et comment elles se sont échappées.
The Irrawaddy: Ma Rica, comment va votre santé et comment ça va chez vous?
Rica: Je vais bien. Tout va bien maintenant. Nous demeurons actuellement au camp militaire [à Buthidaung]. Nous ne savons pas combien de temps nous devrons rester ici. Nous sommes huit femmes et huit enfants.
The Irrawaddy: Quand êtes-vous arrivé au Myanmar?
Rica: Nous sommes arrivés le 3 octobre. Nous sommes venus du Bangladesh. Nous avons dû rester un mois et cinq jours au Bangladesh, au camp de réfugiés de Kutupalong. Les Bengalis ont essayé de nous trouver pour nous tuer.
The Irrawaddy: Comment avez-vous été enlevé par des terroristes?
Rica: Ils sont venus dans notre village [Ye Baw Kya] vers 8 heures du matin le 25 août. Ils ont confisqué tous nos téléphones portables et ont encerclé le village. Ils nous ont attaché et ont bandé les yeux des hommes. Ils ont battu les hommes et ont demandé combien d’or et d’argent nous avions. Je leur ai donné tous mes biens. Après, ils ont emmené tous les villageois au village de Baw Tala. Ensuite, ils ont séparé les hommes et les femmes. Je faisais partie d’un groupe de huit femmes conduites dans un endroit séparé. Ils ont d’abord égorgé les hommes et ont poignardé les femmes et les enfants. Après cela, ils ont dit à notre groupe de huit que si nous nous convertissions à l’islam, nous ne serions pas tués. Ils ont dit que le Dieu auquel nous croyions n’était rien et que leur islam était puissant. Alors nous avons prétendu nous convertir à l’islam à la condition qu’ils ne nous tuent pas. Donc, ils ne nous ont pas tués.
The Irrawaddy: Que s’est-il passé ensuite?
Rica: Nous avons passé une nuit dans le village de Baw Tala ce jour-là. On nous a forcé à manger du bœuf (les hindous ne mangent pas de bœuf, les bovidés étant sacré chez eux) et à nous habiller comme des femmes musulmanes. Nous n’avons pas mangé, mais les enfants ont mangé un peu.
The Irrawaddy: Avez-vous demandé aux terroristes de ne pas tuer vos maris?
Rica: Nous l’avons fait. Nous les avons suppliées à genoux. Nous leur avions donné tout notre or et ils nous avaient promis de ne pas tuer nos maris en échange. Mais, après avoir pris mon or, ils ont quand même égorgé mon mari. Je leur ai dit que je leur avais donné beaucoup d’or et les ai supplié de ne pas le tuer. Alors qu’ils allaient tuer mes enfants, j’ai dit que je ne ferais pas ce qu’ils veulent s’ils tuaient mes enfants. J’ai dit que je ne voulais pas survivre s’ils tuaient mes enfants. [Donc, ils ne l’ont pas fait.] Nous avions un magasin d’or. Les bengalis ont pris mes 30 ticals (mesure birmane) d’or et plus de quatre millions de kyats (monnaie birmane, quatre millions de kyats correspondent environ à 2500 euros).
The Irrawaddy Comment vous ont-ils emmenés au Bangladesh?
Rica: Ils nous ont conduits à pied au-delà des montagnes à l’ouest du village de Khamaungseik. Nous avons dû dormir deux nuits dans les montagnes. Nous n’avions rien à manger et c’était absolument terrible. Nous sommes arrivés au Bangladesh le 28 août.
The Irrawaddy: Qui étaient les gens qui ont attaqué votre village?
Rica: Il y avait des villageois de Khamaungseik ainsi que des terroristes. J’ai reconnu près de dix villageois de Khamaungseik. Leur chef est Norulauk. Alors que nous étions détenus au village de Baw Ta La, cinq personnes nous ont gardés. D’autres sont partis, affirmant qu’ils allaient attaquer les gouvernementaux. Les cinq hommes qui nous surveillaient nous ont déclaré que cette région [l’Etat Rakhine] n’était pas un Etat hindou et pas non plus un Etat du Myanmar. Ils ont dit qu’ils transformeraient la zone, de la ville frontière de Maungdaw à Sittwe, en Etat Rohingya. Ces cinq Bengalis nous ont amenés au Bangladesh. Les autres sont restés au Myanmar pour attaquer les gouvernementaux. Maintenant, ils sont revenus et se trouvent au Bangladesh. Je les ai vus portants les vêtements qu’ils avaient volés à nos frères et nos maris.
The Irrawaddy: Qui est venu et vous a ramené du Bangladesh?
Rica: Le 28 août, nous sommes arrivés au Bangladesh au camp de Kutupalong. Ensuite, ils ont amené des Mawlawis et nous ont initiés à la foi islamique. On nous a demandé de répéter des paroles musulmanes et de crier « Allah ». On nous a également obligés à manger du bœuf et à porter des burqas. Ensuite, un garçon musulman se serait vanté devant un barbier hindou du marché de Kutupalong que huit femmes hindoues du Myanmar avaient été islamisées. Des hindous du Bengladesh sont venus et nous ont sauvés vers 8 heures dans la soirée.
The Irrawaddy: Comment le garçon musulman a-t-il appris votre existence?
Rica: Dès notre arrivée au Bangladesh, on nous a installé dans une maison et donné à manger. Ensuite, ils nous ont interviewés et filmés. Ils nous ont obligés à dire dans l’interview que les Hindous avaient été tués par des Arakanais. Ils nous ont également forcés à dire que nos maris, nos parents et nos proches, ainsi que des musulmans, avaient été tués par le gouvernement et ont menacé de nous tuer si nous ne le faisions pas.
The Irrawaddy: Alors, comment vous-êtes vous échappé?
Rica: Nous avons contacté U Ni Mal [le leader de la communauté hindoue]. Nous sommes sortis du camp de Kutupalong. Nous sommes partis pour Taung Pyo Letwe dans la voiture d’un hindou. Il a fallu environ une heure et demie. Sur le chemin, nous avons été inspectés par les gardes-frontières du Bangladesh. Le conducteur a dit que nous allions au Festival Deepavali [un festival religieux hindou]. Lorsque nous sommes sortis de la voiture, nous avons vu des responsables gouvernementaux qui nous attendaient à Taung Pyo Letwe.
The Irrawaddy, le 6 octobre 2017
Le magazine The Irrawaddy a été fondé en 1993 par des journalistes birmans exilés en Thaïlande. Parmi eux, beaucoup ont été témoins ou ont participé aux soulèvements pro-démocratie historiques de 1988. The Irrawaddy a été la première publication non affiliée aux mouvements dissidents birmans. Ses articles critiques l’ont fait interdire au Myanmar.
Toute personne surprise avec un exemplaire risquait l’arrestation et la prison. En 2000, le site The Irrawaddy a été lancé, et aussitôt bloqué au Myanmar, et ce pendant onze ans. Quand les restrictions sur les médias ont été assouplies en 2011, The Irrawaddy a enfin pu être lu depuis le pays sur Internet. La version papier a commencé à être légalement distribuée dans tout le pays en 2013. Depuis sa création, The Irrawaddy s’efforce de donner aux lecteurs des informations différentes. Il a une ligne éditoriale pro-démocratie, qui considère qu’une presse libre est essentielle pour une démocratie.
Traduction: Gazette du citoyen
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