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Les terroristes ne sont pas des victimes

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  • Les terroristes ne sont pas des victimes

    Une opinion de Beatriz Becerra, députée européenne (ALDE) espagnole et vice-présidente de la sous-commission "Droits de l'homme" du Parlement européen.


    Nous qui travaillons contre la radicalisation, nous devons grandement prendre garde de ne pas victimiser le terroriste. Il ne s’agit pas de moraliser, mais de prévenir.


    Cela fait longtemps que je consacre une partie importante de mon action en tant que députée au Parlement européen à la prévention, à la détection et à la neutralisation des processus de radicalisation. Je m’intéresse en particulier au rôle que les familles peuvent jouer pour identifier et prévenir la transformation d’un de leurs membres en terroriste. En me penchant de plus près sur ce sujet, j’ai découvert que les femmes (notamment les mères, mais également les sœurs et les compagnes) peuvent être des acteurs clés dans cette lutte précoce contre le djihadiste. Compte tenu de cet intérêt, je me suis attelée à promouvoir la création du premier réseau de femmes contre la radicalisation et l’extrémisme baptisé Aware (acronyme anglais), qui a bénéficié de la participation et de l’intérêt d’institutions et de dirigeants du secteur de la communication et des mondes politique et académique. Par ailleurs, je m’efforce de veiller à ce que l’Union européenne se dote de programmes et d’outils contre la radicalisation inspirés des meilleurs exemples locaux, dont certains sont mis en œuvre en Espagne.

    Les processus sont mal compris

    Les récents attentats de Barcelone et de Cambrils ont à nouveau suscité un intérêt dans les processus de radicalisation. L’enquête sur la participation de l’imam de Ripoll est toujours en cours, mais celui-ci est soupçonné d’avoir été l’agent de radicalisation indispensable pour créer la cellule terroriste qui a tué quinze personnes.

    Il me semble tout à fait pertinent de s’interroger sur les processus de radicalisation. Mais je crains que ces processus ne soient pas compris correctement, comme le montrent clairement certaines approches. La conclusion que certains semblent tirer des processus de radicalisation est que les terroristes sont finalement, d’une certaine manière, des victimes. "Ils sont la preuve de notre échec", disent-ils, sans préciser à qui cet échec est imputable. Certains accusent la société, d’autres l’Etat et d’autres encore le capitalisme. Ce point de vue me paraît inacceptable, car les djihadistes morts finissent alors par être les premières victimes, voire les plus grandes victimes par rapport aux personnes décédées dans les attentats qui ont juste eu le malheur de passer par là.

    Un titre dans la presse affirmait que l’imam de Ripoll avait radicalisé les membres du groupe terroriste. Cette formulation donne à penser que la volonté des jeunes n’y était pour rien et qu’ils ont simplement été hypnotisés ou enlevés par le recruteur. Peut-être que ce n’est qu’une question de temps pour découvrir qui a radicalisé l’imam et qui a radicalisé celui qui l’a radicalisé. Dans cette perspective, la responsabilité est diluée dans le temps jusqu’à ce que nous la perdions de vue. Le rejet naturel de l’absence de cause nous amène à combler le vide par ce qui nous plaît le moins.

    Il n’y a rien de plus frustrant que de chercher les raisons qui poussent un être humain à agir comme il agit. Dans quelle mesure ses décisions sont-elles libres ou dépendent-elles de son origine sociale ou familiale ? Quel rôle jouent les circonstances particulières ?

    La majorité ne devient pas terroriste

    Logiquement, les médias s’intéressent actuellement aux terroristes de Barcelone et de Cambrils, à ceux qui sont passés à l’acte. En revanche, on ne sait rien de ceux qui ne sont pas passés à l’acte. Ou allons-nous supposer que l’imam radicalisateur était infaillible ? Cela est peu probable. Il est certain que d’autres jeunes d’origines sociales similaires à celles des terroristes ont fréquenté cet imam, sans pour autant tomber sous son emprise. Ne perdons pas de vue que, même dans les quartiers où le terreau de radicalisation est le plus fertile d’Europe, ceux qui ne deviennent pas des terroristes représentent une immense majorité.

    La prévention de la radicalisation ne doit pas être un raccourci moral ni une excuse pour l’équidistance. Il s’agit, selon moi, d’un des piliers de la lutte contre le terrorisme. Les experts du monde entier cherchent à comprendre comment certaines personnes décident un jour de devenir des terroristes. On connaît déjà de nombreux schémas sociaux, familiaux et psychologiques, non seulement de nouveaux adeptes potentiels, mais aussi de recruteurs et d’agents de radicalisation.

    Néanmoins, le fait de comprendre ne revient pas à rejeter la responsabilité. Nous qui travaillons contre la radicalisation, nous devons grandement prendre garde de ne pas victimiser le terroriste. Il ne s’agit pas de moraliser, mais de prévenir. C’est une mission qui est menée dans un contexte social difficile et qui vise à construire des réseaux communautaires, mais c’est avant tout une mission de sécurité, comme le sont également les activités en matière de renseignement, de police, d’armée et même de politique étrangère. L’objectif est de préserver la sécurité de l’ensemble des citoyens.

    Est-il possible d’éradiquer le mal ?

    La situation est paradoxale : lorsque le renseignement travaille efficacement, la réussite se mesure (jusqu’à un certain point) au nombre de personnes arrêtées. Lorsque la prévention fonctionne, il n’y a pas d’arrestations ni d’attentats déjoués. Par conséquent, certaines personnes pensent qu’il est possible d’éradiquer le mal de la société : s’il y a des attentats, c’est que nous ne luttons pas suffisamment contre leurs causes sociales. Je crains qu’il en aille autrement. Nous pouvons neutraliser le mal, le limiter et, dans le meilleur des cas, le réduire. Prenons l’exemple de l’ETA. Il est difficile d’affirmer que le mal a été éradiqué au Pays basque lorsque l’on voit certains comportements faisant l’apologie du terrorisme. En revanche, nous pouvons affirmer que les Basques non nationalistes sont aujourd’hui davantage en sécurité.

    Techniquement, le terrorisme djihadiste moderne est plus complexe, car il est moins centralisé d’un point de vue géographique et hiérarchique. Néanmoins, de nombreuses mesures peuvent être prises. En Espagne, nous avons la chance de disposer du laboratoire d’idées Real Instituto Elcano. Si vous lisez ses travaux, vous constaterez qu’ils suivent toujours une démarche irréprochable, outre les connaissances approfondies dont ils témoignent. Ces travaux sont réalisés de manière professionnelle et cherchent à éviter les jugements moraux. Ils veillent à assurer notre sécurité, comme le font tant les policiers que les militaires.

    Je peux comprendre que la perspective technique nous échappe lorsque nous ressentons la douleur et la peur qui surgissent naturellement après un attentat. Je ne veux pas dire que nous devons faire taire nos émotions. Je voudrais que nous les canalisions correctement, en réservant la compassion aux victimes et le mépris aux assassins.

    → La version originale de ce texte a été publiée dans "El Confidencial".

    → Le titre est de la rédaction. Titre original: "Radicalisation et responsabilité".

    libre be
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