Le poète syrien Nizar Kabbani : Avec le terrorisme !
NIZAR KABBANI : JE SUIS AVEC LE TERRORISME !
نزار قباني
أنا مع الإرهاب
De terrorisme on nous accuse…
Si nous osons prendre défense
De la rose et de la femme
Et de l'azur et du poème
Si nous osons prendre défense
D'une patrie sans eau sans air
D'une patrie qui a perdu
Sa tente et sa chamelle
Et même son café noir !
De terrorisme on nous accuse…
Si nous osons prendre défense
De la chevelure
De la reine de Saba
Des lèvres de Maysoun
[Des noms de nos plus belles filles] Hind et Daâd, Loubna et Rabab,
Du khol qui de leurs cils
En pluie retombe
Comme les versets révélés.
Certes vous ne trouverez pas
En ma possession
De poésie secrète
Ni de parler énigmatique
Ou des ouvrages clandestins [de derrière les portes]
Et par devers moi je ne garde
Aucun poème traversant
La rue, caché derrière son voile.
De terrorisme on nous accuse…
Quand nous décrivons les ruines
D'une patrie
Décomposée et dénudée
Et dont les restes en lambeaux
Sont dispersés aux quatre vents
D'une patrie
Cherchant son adresse
Et d’une Nation [Umma] sans nom
D'une patrie ne conservant
De ses antiques épopées
Que les élégies d’el Khansa
D'une patrie
Où il ne demeure à l’horizon
ni de liberté rouge, ni bleue ni jaune
D'une patrie qui nous défend
d'acheter quelque journal
ou d'écouter les informations
D'une patrie où les oiseaux
Sont censurés dans leurs chansons,
D'une patrie où, terrifiés par la terreur,
Les écrivains sont accoutumés
D'écrire la page du néant…
D'une patrie
Qui ressemblerait dans sa forme
A la poésie dans notre pays
Sorte de langage égaré, improvisé
Importé
Ajami [Non-Arabe] dans sa face et sa langue
Sans début…
Et sans fin
Sans aucun lien avec les gens
Sans aucun lien avec la terre
Ni avec leurs problèmes
Dans lesquels ils se débattent vainement
D'une patrie allant
Vers la paix négociée
Sans aucune dignité…
Et pieds nus !
D'une patrie
Où les hommes pris de panique
Ont pissé dans leurs culottes…
Et où ne restent que les femmes !
Le sel amer est dans nos yeux
Et sur nos lèvres,
Il est dans nos propres propos.
Notre âme a-t-elle été touchée
De stérilité héritée
Léguée par la tribu Kahtane ?
Dans notre nation,
Il n'y a plus de Mu'awiya
Plus de Abu Sufiane
Plus personne pour crier "Non" !
A la face de ceux qui ont abandonné
A autrui notre foyer
Et notre huile et notre pain
Transformant notre histoire
Si heureuse en capharnaüm.
Il ne reste dans nos vies plus rien de notre poésie
Qui n'ait sur le lit du tyran
Perdu sa virginité !
Du mépris nous avons pris
Le pli de l'habitude.
Que reste-t-il donc de l'homme
Lorsqu'il s'habitue à la disgrâce ?
Je recherche dans les livres d'Histoire
Usaman Ibn Munkid,
Okba Ibn Nafi'.
Je recherche Omar,
Je recherche Hamza,
Et Khalid chevauchant
Vers la Grande Syrie,
Je recherche al Mu'tacim
Sauvant les femmes
De la barbarie des envahisseurs
Et des furies des flammes.
Je recherche les hommes des derniers temps
Et ne vois dans la nuit
Que des chats apeurés
Effrayés par eux-mêmes
Du pouvoir des souris.
Avons-nous été atteints
De cécité nationale ?
Ou nous plaignons-nous d’être aveugles face aux couleurs ?
De terrorisme on nous accuse…
Quand nous refusons notre mort
Sous les bulldozers d'Israël
Qui ratissent notre terre
Qui ratissent notre Histoire
Qui ratissent notre Évangile
Qui ratissent notre Coran
Et le sol de nos prophètes.
Si c'est là notre crime
Quoi de plus beau que le terrorisme…
De terrorisme on nous accuse
Si nous refusons que les Juifs
Que les Mongols et les Barbares
Nous effacent de leur main.
Oui, nous lançons des pierres
Sur la maison de verre
Du Conseil de Sécurité
Soumis à l'empereur suprême.
De terrorisme on nous accuse…
Lorsque nous refusons
De négocier avec les loups
Et de tendre nos deux bras
A la prostitution.
L'Amérique
Ennemie de la culture humaine
Elle-même sans culture,
Ennemie de l'urbaine civilisation
Dont elle-même est dépourvue
L'Amérique
Bâtisse géante
Mais sans murs.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous refusons un siècle
Où l’Amérique hautaine
S'est érigée en riche puissance
En traducteur assermenté
De la langue des Hébreux.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous lançons une rose
Vers Jérusalem
Vers El Khalil
Vers Ghaza
Vers an-Nasirah [Nazareth]
Si nous portons le pain et l’eau
A Troie l’assiégée.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous élevons nos voix contre les arabophobes de nos leaders.
Tous ceux qui changent leurs montures :
Des unionistes aux courtiers.
Si nous commettions le crime odieux de culture
Si nous nous rebellions contre les ordres du grand Calife
Et contre le trône du Califat
Si nous lisions des écrits de jurisprudence et de politique
Si nous invoquions notre Dieu le Très-Haut
Ou que nous récitions la Sourate El-Fath (le Chapitre de la Conquête)
Ou que nous écoutions le sermon du Vendredi
Alors nous étions établis dans le terrorisme.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous combattions pour la terre
Et la dignité du sol
Si nous nous rebellions contre le viol du peuple
Et notre viol
Si nous défendions les derniers palmiers dans notre désert
Les dernières étoiles dans notre ciel
La dernière syllabe de nos noms
Le dernier lait dans le sein de nos mères
Ce fut notre péché
Que le terrorisme est beau !
Je suis avec le terrorisme
S‘il peut me sauver
des immigrants de Russie
De Roumanie, de Hongrie et de Pologne.
Ils s’installèrent en Palestine
Sur nos épaules
Pour voler les minarets d’El Qods
Et la porte de la Mosquée d’El Aqsa
Pour voler les arabesques
Et les dômes.
Je suis avec le terrorisme
S’il libère le Messie,
Et la Vierge Marie
Et la Ville Sacrée [Jérusalem]
Des ambassadeurs de la mort et de la désolation.
Jadis
La rue nationaliste était fervente
Comme un cheval fougueux
Et les places des rivières débordantes de vigueur
Mais après Oslo…
Nous n’avions plus de dents en bouche
Sommes-nous maintenant devenus un peuple aveugle et réduit au mutisme ?
De terrorisme on nous accuse…
Si nous défendions avec force
Notre héritage poétique
Notre mur national
Notre rose civilisation
La culture des flûtes dans nos montagnes
Des miroirs reflétant des yeux noirs.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous défendions ce que nous écrivions
L’azur de notre mer
Et l’arôme d’encre
Si nous défendions la liberté d’écriture
Et la sacralité des livres.
Je suis avec le terrorisme
S’il peut libérer le peuple
De la tyrannie et des tyrans.
S’il peut sauver l’homme contre la cruauté de l’homme
Afin que le citron, l’olivier et l’oiseau reviennent au Sud du Liban…
Et le sourire au Golan…
Je suis avec le terrorisme
S’il peut me sauver
Du César des Juifs
Et du César de Rome !
Je suis avec le terrorisme
Tant que l’ordre de ce monde nouveau
Est partagé
Entre l’Amérique et Israël
À parts égales !
Je suis avec le terrorisme
Avec toute ma poésie
Avec tous mes mots
Et toutes mes dents
Tant que ce monde nouveau
Est dans les mains d’un boucher !
Je suis avec le terrorisme
Tant que ce monde nouveau
Nous qualifiera de groupe de mouches !
Je suis avec le terrorisme
Tant que le Sénat d’Amérique
Possède dans sa main les comptes
Et que c’est lui qui décrète les récompenses et les sanctions !
Je suis avec le terrorisme
Tant que l’ordre de ce monde nouveau
Détestera au plus profond de lui l’odeur des Arabes !
Je suis avec le terrorisme
Tant que l’ordre de ce monde nouveau
Veut massacrer des enfants
Et les jeter aux chiens !
Et pour tout cela…
Je lève ma voix très haut :
Je suis avec le terrorisme !
Je suis avec le terrorisme !
Je suis avec le terrorisme !
Nizar Qabbani
Londres, 15 Avril 1997
NIZAR KABBANI : JE SUIS AVEC LE TERRORISME !
نزار قباني
أنا مع الإرهاب
De terrorisme on nous accuse…
Si nous osons prendre défense
De la rose et de la femme
Et de l'azur et du poème
Si nous osons prendre défense
D'une patrie sans eau sans air
D'une patrie qui a perdu
Sa tente et sa chamelle
Et même son café noir !
De terrorisme on nous accuse…
Si nous osons prendre défense
De la chevelure
De la reine de Saba
Des lèvres de Maysoun
[Des noms de nos plus belles filles] Hind et Daâd, Loubna et Rabab,
Du khol qui de leurs cils
En pluie retombe
Comme les versets révélés.
Certes vous ne trouverez pas
En ma possession
De poésie secrète
Ni de parler énigmatique
Ou des ouvrages clandestins [de derrière les portes]
Et par devers moi je ne garde
Aucun poème traversant
La rue, caché derrière son voile.
De terrorisme on nous accuse…
Quand nous décrivons les ruines
D'une patrie
Décomposée et dénudée
Et dont les restes en lambeaux
Sont dispersés aux quatre vents
D'une patrie
Cherchant son adresse
Et d’une Nation [Umma] sans nom
D'une patrie ne conservant
De ses antiques épopées
Que les élégies d’el Khansa
D'une patrie
Où il ne demeure à l’horizon
ni de liberté rouge, ni bleue ni jaune
D'une patrie qui nous défend
d'acheter quelque journal
ou d'écouter les informations
D'une patrie où les oiseaux
Sont censurés dans leurs chansons,
D'une patrie où, terrifiés par la terreur,
Les écrivains sont accoutumés
D'écrire la page du néant…
D'une patrie
Qui ressemblerait dans sa forme
A la poésie dans notre pays
Sorte de langage égaré, improvisé
Importé
Ajami [Non-Arabe] dans sa face et sa langue
Sans début…
Et sans fin
Sans aucun lien avec les gens
Sans aucun lien avec la terre
Ni avec leurs problèmes
Dans lesquels ils se débattent vainement
D'une patrie allant
Vers la paix négociée
Sans aucune dignité…
Et pieds nus !
D'une patrie
Où les hommes pris de panique
Ont pissé dans leurs culottes…
Et où ne restent que les femmes !
Le sel amer est dans nos yeux
Et sur nos lèvres,
Il est dans nos propres propos.
Notre âme a-t-elle été touchée
De stérilité héritée
Léguée par la tribu Kahtane ?
Dans notre nation,
Il n'y a plus de Mu'awiya
Plus de Abu Sufiane
Plus personne pour crier "Non" !
A la face de ceux qui ont abandonné
A autrui notre foyer
Et notre huile et notre pain
Transformant notre histoire
Si heureuse en capharnaüm.
Il ne reste dans nos vies plus rien de notre poésie
Qui n'ait sur le lit du tyran
Perdu sa virginité !
Du mépris nous avons pris
Le pli de l'habitude.
Que reste-t-il donc de l'homme
Lorsqu'il s'habitue à la disgrâce ?
Je recherche dans les livres d'Histoire
Usaman Ibn Munkid,
Okba Ibn Nafi'.
Je recherche Omar,
Je recherche Hamza,
Et Khalid chevauchant
Vers la Grande Syrie,
Je recherche al Mu'tacim
Sauvant les femmes
De la barbarie des envahisseurs
Et des furies des flammes.
Je recherche les hommes des derniers temps
Et ne vois dans la nuit
Que des chats apeurés
Effrayés par eux-mêmes
Du pouvoir des souris.
Avons-nous été atteints
De cécité nationale ?
Ou nous plaignons-nous d’être aveugles face aux couleurs ?
De terrorisme on nous accuse…
Quand nous refusons notre mort
Sous les bulldozers d'Israël
Qui ratissent notre terre
Qui ratissent notre Histoire
Qui ratissent notre Évangile
Qui ratissent notre Coran
Et le sol de nos prophètes.
Si c'est là notre crime
Quoi de plus beau que le terrorisme…
De terrorisme on nous accuse
Si nous refusons que les Juifs
Que les Mongols et les Barbares
Nous effacent de leur main.
Oui, nous lançons des pierres
Sur la maison de verre
Du Conseil de Sécurité
Soumis à l'empereur suprême.
De terrorisme on nous accuse…
Lorsque nous refusons
De négocier avec les loups
Et de tendre nos deux bras
A la prostitution.
L'Amérique
Ennemie de la culture humaine
Elle-même sans culture,
Ennemie de l'urbaine civilisation
Dont elle-même est dépourvue
L'Amérique
Bâtisse géante
Mais sans murs.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous refusons un siècle
Où l’Amérique hautaine
S'est érigée en riche puissance
En traducteur assermenté
De la langue des Hébreux.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous lançons une rose
Vers Jérusalem
Vers El Khalil
Vers Ghaza
Vers an-Nasirah [Nazareth]
Si nous portons le pain et l’eau
A Troie l’assiégée.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous élevons nos voix contre les arabophobes de nos leaders.
Tous ceux qui changent leurs montures :
Des unionistes aux courtiers.
Si nous commettions le crime odieux de culture
Si nous nous rebellions contre les ordres du grand Calife
Et contre le trône du Califat
Si nous lisions des écrits de jurisprudence et de politique
Si nous invoquions notre Dieu le Très-Haut
Ou que nous récitions la Sourate El-Fath (le Chapitre de la Conquête)
Ou que nous écoutions le sermon du Vendredi
Alors nous étions établis dans le terrorisme.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous combattions pour la terre
Et la dignité du sol
Si nous nous rebellions contre le viol du peuple
Et notre viol
Si nous défendions les derniers palmiers dans notre désert
Les dernières étoiles dans notre ciel
La dernière syllabe de nos noms
Le dernier lait dans le sein de nos mères
Ce fut notre péché
Que le terrorisme est beau !
Je suis avec le terrorisme
S‘il peut me sauver
des immigrants de Russie
De Roumanie, de Hongrie et de Pologne.
Ils s’installèrent en Palestine
Sur nos épaules
Pour voler les minarets d’El Qods
Et la porte de la Mosquée d’El Aqsa
Pour voler les arabesques
Et les dômes.
Je suis avec le terrorisme
S’il libère le Messie,
Et la Vierge Marie
Et la Ville Sacrée [Jérusalem]
Des ambassadeurs de la mort et de la désolation.
Jadis
La rue nationaliste était fervente
Comme un cheval fougueux
Et les places des rivières débordantes de vigueur
Mais après Oslo…
Nous n’avions plus de dents en bouche
Sommes-nous maintenant devenus un peuple aveugle et réduit au mutisme ?
De terrorisme on nous accuse…
Si nous défendions avec force
Notre héritage poétique
Notre mur national
Notre rose civilisation
La culture des flûtes dans nos montagnes
Des miroirs reflétant des yeux noirs.
De terrorisme on nous accuse…
Si nous défendions ce que nous écrivions
L’azur de notre mer
Et l’arôme d’encre
Si nous défendions la liberté d’écriture
Et la sacralité des livres.
Je suis avec le terrorisme
S’il peut libérer le peuple
De la tyrannie et des tyrans.
S’il peut sauver l’homme contre la cruauté de l’homme
Afin que le citron, l’olivier et l’oiseau reviennent au Sud du Liban…
Et le sourire au Golan…
Je suis avec le terrorisme
S’il peut me sauver
Du César des Juifs
Et du César de Rome !
Je suis avec le terrorisme
Tant que l’ordre de ce monde nouveau
Est partagé
Entre l’Amérique et Israël
À parts égales !
Je suis avec le terrorisme
Avec toute ma poésie
Avec tous mes mots
Et toutes mes dents
Tant que ce monde nouveau
Est dans les mains d’un boucher !
Je suis avec le terrorisme
Tant que ce monde nouveau
Nous qualifiera de groupe de mouches !
Je suis avec le terrorisme
Tant que le Sénat d’Amérique
Possède dans sa main les comptes
Et que c’est lui qui décrète les récompenses et les sanctions !
Je suis avec le terrorisme
Tant que l’ordre de ce monde nouveau
Détestera au plus profond de lui l’odeur des Arabes !
Je suis avec le terrorisme
Tant que l’ordre de ce monde nouveau
Veut massacrer des enfants
Et les jeter aux chiens !
Et pour tout cela…
Je lève ma voix très haut :
Je suis avec le terrorisme !
Je suis avec le terrorisme !
Je suis avec le terrorisme !
Nizar Qabbani
Londres, 15 Avril 1997
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