Mohamed a deux baccalauréats, mais ne trouve que des petits boulots minables au Québec parce qu'il a le tort de s'appeler Mohamed, croit-il. Lassé de cette situation, il a demandé à l'état civil de changer son nom à consonance arabe pour un autre plus occidental.
«Mon nom doit me servir et non pas me stopper à cause des préjugés, explique-t-il en entrevue au Journal. Je ne suis pas responsable des attentats de septembre 2001 mais seulement de moi-même et de mes réalisations.»
Mohamed B., 40 ans, n'a pas attendu la publication du sondage du Journal de Montréal pour découvrir que le racisme, en particulier dans le monde du travail, sévissait au Québec, quoi que certains en pensent, comme partout dans le monde.
Ce Tunisien d'origine est arrivé au Québec en 2002, avec un baccalauréat en mathématiques en poche et treize ans d'expérience, entre autre dans le domaine des assurances. À ce diplôme, il a ajouté un baccalauréat en actuariat obtenu à l'UQAM en 2005. Deux formations «qui fonctionnent bien ensemble», fait remarquer Mohamed. Malgré cela, chaque offre d'emploi à laquelle il a répondu, chaque CV qu'il a envoyé a frappé inexorablement un mur, affirme-t-il. Lorsqu'un stage se présentait, ses collègues étudiants moins bien notés que lui étaient contactés, pas lui.
Pour en avoir le coeur net, il a même échangé son CV avec celui d'un autre étudiant. Aucune réponse, même pas une entrevue.
«C'est pourtant la personne qui doit compter et son expérience et non pas son nom», croit-il avec raison. Les seuls emplois qu'on a accepté de lui confier se trouvaient dans des stations-services ou un entrepôt de briques.
Il y a quelques semaines, Mohamed a déposé une demande de changement de nom auprès du Directeur de l'état civil. Il a choisi un prénom le plus passe-partout possible, à consonance aussi bien anglophone que francophone, et un nom proche de celui de sa compagne québécoise. Une de ses connaissances, un Marocain titulaire d'un MBA, aurait fait de même il y a dix ans et ne le regrette pas, semble-t-il.
Si sa demande aboutit, c'est sans regret que Mohamed va se couper de ses racines, de sa culture:
«Je n'ai aucun contact avec la communauté. Je veux me débarrasser de toute étiquette reliée à la tradition, la race, la religion. Je n'appartiens à personne. La vie ne s'arrête pas à ça. Le plus important est ce que je veux réaliser dans ma vie.»
«Des exemples de ce genre, nous en avons tous les jours, explique Marie-Hélène Paradis, attaché de presse de la ministre de l'Immigration Lise Thériault. C'est pour cela que nous sommes en train d'élaborer une politique de lutte contre le racisme et la discrimination qui sera dévoilée au printemps prochain.»
«Changer son identité lui donne une chance de plus que son CV soit lu, mais il ne pourra jamais changer la couleur de sa peau, sa façon de parler lors de l'entretien. Il risque alors d'être doublement déçu s'il n'est pas choisi», estime Kamal el Batal.
En 2003, M. El Batal, agronome diplômé au Québec, avait lui aussi changé de nom. Mais de façon temporaire en envoyant deux demandes d'emploi identiques à un employeur potentiel sous deux identités différentes: Kamal el Batal et Marc Tremblay.
Marc Tremblay a été convoqué à l'entrevue tandis que Kamal El Batal se faisait dire que ses qualifications ne correspondaient pas au profil recherché.
Pour Kamal el Batal, Mohamed fait fausse route en voulant changer de nom:
«Ce n'est pas ce qu'il faut faire. Nous, les immigrants, devrions plutôt nous mobiliser, retrousser nos manches, nous organiser comme l'ont fait les Italiens par exemple, pour changer les mentalités. Mohamed devrait se dire: Ce n'est pas moi qui suis le problème, c'est l'autre qui ne m'accepte pas qui doit évoluer.»
Trois ans plus tard, Kamal el Batal travaille comme consultant en développement rural. Il suit aussi un doctorat en administration des affaires en espérant décrocher ensuite un emploi d'enseignant.
Après sa mésaventure, Monsieur El Batal a immédiatement porté plainte à la Commission des droits de la personne. Son dossier est toujours à l'étude auprès de cet organisme.
Un geste lourd de conséquences
«Changer son nom de famille ou son prénom est un geste lourd de conséquences», prévient le Directeur de l'état civil du Québec sur son site Internet.
Pour en arriver à cette extrémité, il faut donc invoquer des motifs sérieux tel que prévu à l'article 58 du Code civil, explique Linda Marcoux, porte-parole de l'organisme gouvernemental.
Un nom trop difficile à prononcer ou à écrire, ridicule, «frappé d'infamie» figure parmi les exemples.
Madame Marcoux refuse de dire si le cas de Mohamed est une première, ou si les archives de l'état civil recensent des précédents du même type. «Nous traitons 1200 dossiers en moyenne annuellement, mais nous ne tenons pas de statistiques sur les motifs retenus.»
«Le dossier de ce monsieur va être étudié dans son ensemble. Je ne peux pas vous dire si son motif est valable. C'est du cas par cas.»
Cette procédure a un coût. Il faut débourser 125 $ en frais administratifs, 96 $ de parutions d'avis dans la gazette officielle, auxquels il faut ajouter deux parutions dans un journal au choix.
Le délai moyen de traitement d'un dossier de changement de nom est d'environ six mois.
Le Journal de Montréal
26/01/2007 05h44
«Mon nom doit me servir et non pas me stopper à cause des préjugés, explique-t-il en entrevue au Journal. Je ne suis pas responsable des attentats de septembre 2001 mais seulement de moi-même et de mes réalisations.»
Mohamed B., 40 ans, n'a pas attendu la publication du sondage du Journal de Montréal pour découvrir que le racisme, en particulier dans le monde du travail, sévissait au Québec, quoi que certains en pensent, comme partout dans le monde.
Ce Tunisien d'origine est arrivé au Québec en 2002, avec un baccalauréat en mathématiques en poche et treize ans d'expérience, entre autre dans le domaine des assurances. À ce diplôme, il a ajouté un baccalauréat en actuariat obtenu à l'UQAM en 2005. Deux formations «qui fonctionnent bien ensemble», fait remarquer Mohamed. Malgré cela, chaque offre d'emploi à laquelle il a répondu, chaque CV qu'il a envoyé a frappé inexorablement un mur, affirme-t-il. Lorsqu'un stage se présentait, ses collègues étudiants moins bien notés que lui étaient contactés, pas lui.
Pour en avoir le coeur net, il a même échangé son CV avec celui d'un autre étudiant. Aucune réponse, même pas une entrevue.
«C'est pourtant la personne qui doit compter et son expérience et non pas son nom», croit-il avec raison. Les seuls emplois qu'on a accepté de lui confier se trouvaient dans des stations-services ou un entrepôt de briques.
Il y a quelques semaines, Mohamed a déposé une demande de changement de nom auprès du Directeur de l'état civil. Il a choisi un prénom le plus passe-partout possible, à consonance aussi bien anglophone que francophone, et un nom proche de celui de sa compagne québécoise. Une de ses connaissances, un Marocain titulaire d'un MBA, aurait fait de même il y a dix ans et ne le regrette pas, semble-t-il.
Si sa demande aboutit, c'est sans regret que Mohamed va se couper de ses racines, de sa culture:
«Je n'ai aucun contact avec la communauté. Je veux me débarrasser de toute étiquette reliée à la tradition, la race, la religion. Je n'appartiens à personne. La vie ne s'arrête pas à ça. Le plus important est ce que je veux réaliser dans ma vie.»
«Des exemples de ce genre, nous en avons tous les jours, explique Marie-Hélène Paradis, attaché de presse de la ministre de l'Immigration Lise Thériault. C'est pour cela que nous sommes en train d'élaborer une politique de lutte contre le racisme et la discrimination qui sera dévoilée au printemps prochain.»
«Changer son identité lui donne une chance de plus que son CV soit lu, mais il ne pourra jamais changer la couleur de sa peau, sa façon de parler lors de l'entretien. Il risque alors d'être doublement déçu s'il n'est pas choisi», estime Kamal el Batal.
En 2003, M. El Batal, agronome diplômé au Québec, avait lui aussi changé de nom. Mais de façon temporaire en envoyant deux demandes d'emploi identiques à un employeur potentiel sous deux identités différentes: Kamal el Batal et Marc Tremblay.
Marc Tremblay a été convoqué à l'entrevue tandis que Kamal El Batal se faisait dire que ses qualifications ne correspondaient pas au profil recherché.
Pour Kamal el Batal, Mohamed fait fausse route en voulant changer de nom:
«Ce n'est pas ce qu'il faut faire. Nous, les immigrants, devrions plutôt nous mobiliser, retrousser nos manches, nous organiser comme l'ont fait les Italiens par exemple, pour changer les mentalités. Mohamed devrait se dire: Ce n'est pas moi qui suis le problème, c'est l'autre qui ne m'accepte pas qui doit évoluer.»
Trois ans plus tard, Kamal el Batal travaille comme consultant en développement rural. Il suit aussi un doctorat en administration des affaires en espérant décrocher ensuite un emploi d'enseignant.
Après sa mésaventure, Monsieur El Batal a immédiatement porté plainte à la Commission des droits de la personne. Son dossier est toujours à l'étude auprès de cet organisme.
Un geste lourd de conséquences
«Changer son nom de famille ou son prénom est un geste lourd de conséquences», prévient le Directeur de l'état civil du Québec sur son site Internet.
Pour en arriver à cette extrémité, il faut donc invoquer des motifs sérieux tel que prévu à l'article 58 du Code civil, explique Linda Marcoux, porte-parole de l'organisme gouvernemental.
Un nom trop difficile à prononcer ou à écrire, ridicule, «frappé d'infamie» figure parmi les exemples.
Madame Marcoux refuse de dire si le cas de Mohamed est une première, ou si les archives de l'état civil recensent des précédents du même type. «Nous traitons 1200 dossiers en moyenne annuellement, mais nous ne tenons pas de statistiques sur les motifs retenus.»
«Le dossier de ce monsieur va être étudié dans son ensemble. Je ne peux pas vous dire si son motif est valable. C'est du cas par cas.»
Cette procédure a un coût. Il faut débourser 125 $ en frais administratifs, 96 $ de parutions d'avis dans la gazette officielle, auxquels il faut ajouter deux parutions dans un journal au choix.
Le délai moyen de traitement d'un dossier de changement de nom est d'environ six mois.
Le Journal de Montréal
26/01/2007 05h44
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