Il a été tour à tour et tout à la fois héros révolutionnaire, président aux tendances dictatoriales, pourfendeur infatigable des États-Unis, orateur à la verve inépuisable et tant d’autres choses : le décès de Fidel Castro, tard vendredi soir à Cuba, marque la disparition d’un véritable géant de la politique du 20e siècle.
« Le commandant en chef de la révolution cubaine est décédé à 22H29 ce soir » à La Havane, a annoncé son frère Raul Castro, qui lui avait succédé comme président en 2006. Fidel Castro était âgé de 90 ans. Sa dépouille sera incinérée samedi, a-t-on aussi annoncé.
Omniprésent dans la vie politique de l’île jusqu’à son retrait définitif en 2008, l’ancien rebelle barbu demeurait un monstre sacré à Cuba. On le savait malade depuis plusieurs années, sans détails précis sur son état de santé. Ses apparitions étaient de plus en plus rares ; ses paroles, comptées.
Sur le plan politique, sa mort ne devrait pas déstabiliser l’île qu’il a dirigée pendant près d’un demi-siècle : la passation des pouvoirs était achevée depuis longtemps. Mais, encore à ce jour, Fidel demeurait le visage de la nation cubaine, l’incarnation de la révolution — une présence tangible sur l’île.
Signe de son exceptionnelle longévité (facilitée par l’absence d’élections libres), le parcours politique du caudillo-combattant au célèbre costume vert et au béret ou à la casquette s’est confondu avec ceux de dix présidents américains. De Eisenhower à Bush fils, il les aura tous vilipendés lors de discours-fleuves qui étaient la marque de commerce de cet orateur hors pair, acteur doté d’un charisme et d’une force de persuasion réservés aux plus grands leaders.
Biographie
Castro serait né le 13 août 1926 dans l’Oriente cubain — la date est sujette à discussion, comme bien des éléments biographiques de la jeunesse du futur président. Son père était un riche propriétaire terrien dont la fortune a permis au jeune homme de fréquenter les meilleures écoles du pays (chez les Jésuites notamment), et plus tard de s’inscrire à la Faculté de droit de l’Université de La Havane.
C’est là qu’il tâte pour la première fois de la politique. Leader naturel doté d’une intelligence vive (le biographe Tad Szulc parle de « connaissances ahurissantes » et d’une « érudition colossale ») et de grandes capacités athlétiques, Fidel Castro n’a qu’un seul objectif en tête à partir de 1947: la révolution et l’action politique.
Il participa cette même année à une expédition avortée en République dominicaine pour renverser le dictateur Trujillo. Ce sont les prémices d’une longue carrière. Avocat, Castro se consacre à la défense des déshérités malmenés par le gouvernement brutal de l’époque.
Âgé de 25 ans, il est déjà une personnalité au pays. Son charisme charme, et tout le monde le donne gagnant aux élections de 1952, où il désire se faire élire comme député. Mais il n’aura jamais la chance de goûter à la démocratie : un coup d’État de l’ancien président Fulgencio Batista annule ces élections et inaugure une dictature très dure. Elle sera le ferment de la future révolution.
Aux armes, etc.
Choqué, et profondément ambitieux, Fidel Castro organise la réplique à la dictature. Le 26 juillet 1953, il attaque avec une poignée d’hommes une caserne (Moncada) à Santiago. Mais les révolutionnaires ont des croûtes à manger. L’échec de l’attaque est total, les compagnons de Fidel Castro étant pratiquement tous massacrés lors de l’opération. Lui-même échappe de peu à la mort — comme il le fera des dizaines de fois par la suite —, avant d’être récupéré par les troupes de Batista.
Condamné à 15 ans de prison, Castro livre lors de son procès un plaidoyer qui fera date dans l’histoire cubaine. Théâtral, il termine par un vibrant « l’histoire m’acquittera ! ». Castro situe dès lors son combat comme étant celui d’une bataille pour le peuple et la liberté de Cuba.
Amnistié en 1955, le jeune homme reprend immédiatement la lutte, mais en exil au Mexique (où il fait la connaissance d’Ernesto Che Guevara). La révolution prend forme, les troupes s’entraînent, un plan est ébauché. Situation qui paraît aujourd’hui cocasse, Castro s’était rendu à ce moment aux États-Unis pour récolter des fonds auprès des exilés cubains…
La suite est connue : en décembre 1956, 82 hommes membres du Mouvement du 26 juillet grimpent à bord d’un bateau bancal (le Granma) pour filer vers Cuba. Le débarquement aura toutes les allures d’un naufrage, pour reprendre l’observation de Che Guevara, et les débuts ne sont guère glorieux. L’armée révolutionnaire perd 80 % de ses effectifs en une semaine. Malgré tout, la révolution se met en marche. S’ensuivent deux longues années de lutte diffuse menée à partir de la montagne cubaine (la Sierra Maestra).
Guérillero
Guerrier au plus profond de lui, Fidel Castro disait que ses « plus belles années » ont été ces 25 mois de guérilla dans la Sierra, où il a forgé son personnage de chef militaire rempli d’idéaux. Les conditions de vie sont atroces, les troupes souffrent la faim et les blessures. Mais les Cubains — surtout les paysans — dépités de la dictature de Batista s’unissent peu à peu derrière les barbudos. L’opposition grandit, les troupes se remplument. Coincé, Batista fuit le pays le 1er janvier 1959.
C’est le début de l’ère Castro à Cuba, pour le meilleur ou pour le pire.
Auteur d’une biographie-référence sur Castro (30 ans de pouvoir absolu, Payot, Paris, 1987), l’ancien journaliste du New York Times Tad Szulc écrit que pour « comprendre la personnalité de Castro, il est essentiel de se rappeler son passé de guérillero. […] Il a été à la rude école de l’insurrection et de la guérilla. Dans ses états de siège, il a acquis une mentalité d’assiégé désormais partagée par l’ensemble de la population. Castro a également appris que, pour survivre, il lui faut être d’une intransigeance absolue et sans faille. » C’est ce qu’il fera.
Cuba Castro
Mais huit jours après le départ de Batista, Cuba est en fête. Au terme d’un long pèlerinage dans le pays, Fidel Castro est accueilli en héros à La Havane, cigare au bec sous les vivas de la foule. Batista parti, le pays tourne la page sur une période sombre de son histoire. Et l’homme qui mène le changement fascine littéralement les foules.
Au départ, le régime Castro ne s’affiche pas ouvertement communiste. Le flou demeure à savoir à quel moment exactement Castro s’est converti à l’idéologie, mais la dégradation rapide des relations entre La Havane et Washington a certes contribué à accélérer la socialisation de l’île.
Le régime Castro frappe rapidement pour atteindre le grand objectif révolutionnaire de vaincre le sous-développement de Cuba (qui signifie pour Castro l’analphabétisme, la maladie, la pénurie économique, la dépendance à l’égard de l’Occident). Des réformes majeures (santé, éducation, agraire) sont lancées et bousculent l’ordre établi. Plusieurs entreprises sont nationalisées — principalement américaines. Et Washington est en colère.
À partir de 1961 (et jusqu’au réchauffement récent sous Barack Obama), tous les liens diplomatiques sont rompus entre les deux pays. Quatre mois plus tard, les Américains tentent l’invasion de la baie des Cochons pour renverser Castro, mais l’opération tourne au fiasco et durcit la doctrine des révolutionnaires. À la fin de l’année, Cuba est officiellement une « république socialiste ». Le cauchemar de Washington se confirme : en pleine guerre froide, les Soviétiques ont maintenant une tête de pont aux portes de l’Amérique.
La tension monte jusqu’en octobre 1962, alors que survient le célèbre épisode de la crise des missiles soviétiques et que le monde frôle la guerre nucléaire. Impétueux et inexpérimenté, Fidel Castro sera écarté de la décision ultime prise par Nikita Khrouchtchev, qui règle le dossier pacifiquement avec John F. Kennedy. Castro en voudra longtemps à Moscou pour cet affront.
Économie chancelante
Mais aussi orgueilleux soit-il, Castro ne peut se passer de l’URSS. Son aide économique est trop importante dans le contexte où Washington impose un sévère embargo qui sape l’économie cubaine. Ainsi, pendant les 30 premières années du régime Castro, les relations avec Moscou franchiront certes une foule de petites crises — Castro critiquait les « dérives » idéologiques du communisme soviétique —, mais elles demeureront toujours étroites et permettront à Fidel Castro de continuer sa révolution et de maintenir en vie son économie (Moscou achetait notamment des tonnes de sucre à un prix plus élevé que le marché).
L’économie sera d’ailleurs un sérieux talon d’Achille pour la révolution castriste. Impatient, Fidel Castro a souvent changé l’orientation de la planification à court terme de cette économie, au risque de causer la faillite de l’île. La fixation de Castro pour atteindre (en vain) une production record de 10 millions de tonnes de sucre en 1970 laisse par exemple l’économie cubaine complètement désorganisée et déséquilibrée.
Crise
La chute du mur de Berlin et du bloc communiste au tournant des années 1990 provoquera ensuite une crise économique sans précédent à Cuba. Elle obligera Castro à faire des concessions majeures en permettant notamment le travail autonome et l’enrichissement personnel. Le tourisme devient alors le principal moteur de l’économie.
C’est ainsi que Cuba a survécu à la fin du communisme — mais à un prix économique élevé, révolution rimant avec privation pour une majorité de Cubains. Côté positif, les indicateurs de développement humain restent à Cuba meilleurs que dans la plupart des pays en voie de développement, et l’espérance de vie est de près de 10 ans supérieure à celle du reste de la région.
Il y a 30 ans, Tad Szulc observait déjà que « la révolution a valu à Cuba d’extraordinaires progrès en matière de justice sociale et d’égalité. Cependant, à force de vouloir imposer précipitamment ses vues les plus originales, Castro n’a pas pris le temps de satisfaire aux impératifs quotidiens de la population ».
Le monde et la répression
Tout au long de ses presque 50 ans à la tête de Cuba, Fidel Castro s’est appliqué à internationaliser les idéaux de sa révolution, une justice sociale par le socialisme et la résistance à tout impérialisme. L’homme parlait d’une nécessaire « solidarité internationaliste avec le tiers-monde ».
Dans les années 1960, et surtout à partir de 1975 (en Angola), ce sont les soldats cubains qui ont mené l’action. Aujourd’hui, médecins et professeurs — représentant les deux grandes réussites de la révolution — ont pris le relais et contribuent à diffuser dans ce tiers-monde une image de Cuba bien différente que celle qu’a l’Occident.
Ainsi, au Venezuela de l’ère Chavez et dans la Bolivie d’Evo Morales, notamment, Fidel Castro était un héros. Pas un dictateur. Courageux dénonciateur de l’impérialisme, éternel critique de la société de consommation et défenseur du Sud contre le Nord.
Ailleurs, évidemment, la perception est tout autre. Pour une large part de la population occidentale, Fidel Castro était avant tout un dirigeant répressif, qui a fait table rase de toute opposition dans son pays pour mieux ériger un régime totalitaire communiste qui est devenu graduellement anachronique.
Il y a du vrai dans les deux perceptions. Tad Szulc dit que Castro était « tout à la fois : l’idole d’une humanité indigente, et le dictateur communiste tyrannique ». Un homme de paradoxe et de contradiction.
Tous reconnaissent à Castro un instinct politique rare. Il avait un charisme fou, racontent ceux qui ont croisé sa route. Boulimique de lecture, possédant une mémoire phénoménale, il pouvait disserter des heures durant sur à peu près n’importe quel sujet. Son énergie était aussi sans limites jusqu’à sa maladie. Bourreau de travail, il passait parfois des jours sans dormir, raconte la légende.
Dérives
Mais Castro avait aussi des défauts tenaces, dont celui de ne pas supporter l’opposition. Combien d’organismes humanitaires, d’anciens révolutionnaires, de ressortissants exilés ont dénoncé les violations aux droits de la personne commises par le régime, les vagues de répression, les procès arbitraires, la dérive autoritaire opérée par un Fidel Castro violent et manipulateur ?
« Le commandant en chef de la révolution cubaine est décédé à 22H29 ce soir » à La Havane, a annoncé son frère Raul Castro, qui lui avait succédé comme président en 2006. Fidel Castro était âgé de 90 ans. Sa dépouille sera incinérée samedi, a-t-on aussi annoncé.
Omniprésent dans la vie politique de l’île jusqu’à son retrait définitif en 2008, l’ancien rebelle barbu demeurait un monstre sacré à Cuba. On le savait malade depuis plusieurs années, sans détails précis sur son état de santé. Ses apparitions étaient de plus en plus rares ; ses paroles, comptées.
Sur le plan politique, sa mort ne devrait pas déstabiliser l’île qu’il a dirigée pendant près d’un demi-siècle : la passation des pouvoirs était achevée depuis longtemps. Mais, encore à ce jour, Fidel demeurait le visage de la nation cubaine, l’incarnation de la révolution — une présence tangible sur l’île.
Signe de son exceptionnelle longévité (facilitée par l’absence d’élections libres), le parcours politique du caudillo-combattant au célèbre costume vert et au béret ou à la casquette s’est confondu avec ceux de dix présidents américains. De Eisenhower à Bush fils, il les aura tous vilipendés lors de discours-fleuves qui étaient la marque de commerce de cet orateur hors pair, acteur doté d’un charisme et d’une force de persuasion réservés aux plus grands leaders.
Biographie
Castro serait né le 13 août 1926 dans l’Oriente cubain — la date est sujette à discussion, comme bien des éléments biographiques de la jeunesse du futur président. Son père était un riche propriétaire terrien dont la fortune a permis au jeune homme de fréquenter les meilleures écoles du pays (chez les Jésuites notamment), et plus tard de s’inscrire à la Faculté de droit de l’Université de La Havane.
C’est là qu’il tâte pour la première fois de la politique. Leader naturel doté d’une intelligence vive (le biographe Tad Szulc parle de « connaissances ahurissantes » et d’une « érudition colossale ») et de grandes capacités athlétiques, Fidel Castro n’a qu’un seul objectif en tête à partir de 1947: la révolution et l’action politique.
Il participa cette même année à une expédition avortée en République dominicaine pour renverser le dictateur Trujillo. Ce sont les prémices d’une longue carrière. Avocat, Castro se consacre à la défense des déshérités malmenés par le gouvernement brutal de l’époque.
Âgé de 25 ans, il est déjà une personnalité au pays. Son charisme charme, et tout le monde le donne gagnant aux élections de 1952, où il désire se faire élire comme député. Mais il n’aura jamais la chance de goûter à la démocratie : un coup d’État de l’ancien président Fulgencio Batista annule ces élections et inaugure une dictature très dure. Elle sera le ferment de la future révolution.
Aux armes, etc.
Choqué, et profondément ambitieux, Fidel Castro organise la réplique à la dictature. Le 26 juillet 1953, il attaque avec une poignée d’hommes une caserne (Moncada) à Santiago. Mais les révolutionnaires ont des croûtes à manger. L’échec de l’attaque est total, les compagnons de Fidel Castro étant pratiquement tous massacrés lors de l’opération. Lui-même échappe de peu à la mort — comme il le fera des dizaines de fois par la suite —, avant d’être récupéré par les troupes de Batista.
Condamné à 15 ans de prison, Castro livre lors de son procès un plaidoyer qui fera date dans l’histoire cubaine. Théâtral, il termine par un vibrant « l’histoire m’acquittera ! ». Castro situe dès lors son combat comme étant celui d’une bataille pour le peuple et la liberté de Cuba.
Amnistié en 1955, le jeune homme reprend immédiatement la lutte, mais en exil au Mexique (où il fait la connaissance d’Ernesto Che Guevara). La révolution prend forme, les troupes s’entraînent, un plan est ébauché. Situation qui paraît aujourd’hui cocasse, Castro s’était rendu à ce moment aux États-Unis pour récolter des fonds auprès des exilés cubains…
La suite est connue : en décembre 1956, 82 hommes membres du Mouvement du 26 juillet grimpent à bord d’un bateau bancal (le Granma) pour filer vers Cuba. Le débarquement aura toutes les allures d’un naufrage, pour reprendre l’observation de Che Guevara, et les débuts ne sont guère glorieux. L’armée révolutionnaire perd 80 % de ses effectifs en une semaine. Malgré tout, la révolution se met en marche. S’ensuivent deux longues années de lutte diffuse menée à partir de la montagne cubaine (la Sierra Maestra).
Guérillero
Guerrier au plus profond de lui, Fidel Castro disait que ses « plus belles années » ont été ces 25 mois de guérilla dans la Sierra, où il a forgé son personnage de chef militaire rempli d’idéaux. Les conditions de vie sont atroces, les troupes souffrent la faim et les blessures. Mais les Cubains — surtout les paysans — dépités de la dictature de Batista s’unissent peu à peu derrière les barbudos. L’opposition grandit, les troupes se remplument. Coincé, Batista fuit le pays le 1er janvier 1959.
C’est le début de l’ère Castro à Cuba, pour le meilleur ou pour le pire.
Auteur d’une biographie-référence sur Castro (30 ans de pouvoir absolu, Payot, Paris, 1987), l’ancien journaliste du New York Times Tad Szulc écrit que pour « comprendre la personnalité de Castro, il est essentiel de se rappeler son passé de guérillero. […] Il a été à la rude école de l’insurrection et de la guérilla. Dans ses états de siège, il a acquis une mentalité d’assiégé désormais partagée par l’ensemble de la population. Castro a également appris que, pour survivre, il lui faut être d’une intransigeance absolue et sans faille. » C’est ce qu’il fera.
Cuba Castro
Mais huit jours après le départ de Batista, Cuba est en fête. Au terme d’un long pèlerinage dans le pays, Fidel Castro est accueilli en héros à La Havane, cigare au bec sous les vivas de la foule. Batista parti, le pays tourne la page sur une période sombre de son histoire. Et l’homme qui mène le changement fascine littéralement les foules.
Au départ, le régime Castro ne s’affiche pas ouvertement communiste. Le flou demeure à savoir à quel moment exactement Castro s’est converti à l’idéologie, mais la dégradation rapide des relations entre La Havane et Washington a certes contribué à accélérer la socialisation de l’île.
Le régime Castro frappe rapidement pour atteindre le grand objectif révolutionnaire de vaincre le sous-développement de Cuba (qui signifie pour Castro l’analphabétisme, la maladie, la pénurie économique, la dépendance à l’égard de l’Occident). Des réformes majeures (santé, éducation, agraire) sont lancées et bousculent l’ordre établi. Plusieurs entreprises sont nationalisées — principalement américaines. Et Washington est en colère.
À partir de 1961 (et jusqu’au réchauffement récent sous Barack Obama), tous les liens diplomatiques sont rompus entre les deux pays. Quatre mois plus tard, les Américains tentent l’invasion de la baie des Cochons pour renverser Castro, mais l’opération tourne au fiasco et durcit la doctrine des révolutionnaires. À la fin de l’année, Cuba est officiellement une « république socialiste ». Le cauchemar de Washington se confirme : en pleine guerre froide, les Soviétiques ont maintenant une tête de pont aux portes de l’Amérique.
La tension monte jusqu’en octobre 1962, alors que survient le célèbre épisode de la crise des missiles soviétiques et que le monde frôle la guerre nucléaire. Impétueux et inexpérimenté, Fidel Castro sera écarté de la décision ultime prise par Nikita Khrouchtchev, qui règle le dossier pacifiquement avec John F. Kennedy. Castro en voudra longtemps à Moscou pour cet affront.
Économie chancelante
Mais aussi orgueilleux soit-il, Castro ne peut se passer de l’URSS. Son aide économique est trop importante dans le contexte où Washington impose un sévère embargo qui sape l’économie cubaine. Ainsi, pendant les 30 premières années du régime Castro, les relations avec Moscou franchiront certes une foule de petites crises — Castro critiquait les « dérives » idéologiques du communisme soviétique —, mais elles demeureront toujours étroites et permettront à Fidel Castro de continuer sa révolution et de maintenir en vie son économie (Moscou achetait notamment des tonnes de sucre à un prix plus élevé que le marché).
L’économie sera d’ailleurs un sérieux talon d’Achille pour la révolution castriste. Impatient, Fidel Castro a souvent changé l’orientation de la planification à court terme de cette économie, au risque de causer la faillite de l’île. La fixation de Castro pour atteindre (en vain) une production record de 10 millions de tonnes de sucre en 1970 laisse par exemple l’économie cubaine complètement désorganisée et déséquilibrée.
Crise
La chute du mur de Berlin et du bloc communiste au tournant des années 1990 provoquera ensuite une crise économique sans précédent à Cuba. Elle obligera Castro à faire des concessions majeures en permettant notamment le travail autonome et l’enrichissement personnel. Le tourisme devient alors le principal moteur de l’économie.
C’est ainsi que Cuba a survécu à la fin du communisme — mais à un prix économique élevé, révolution rimant avec privation pour une majorité de Cubains. Côté positif, les indicateurs de développement humain restent à Cuba meilleurs que dans la plupart des pays en voie de développement, et l’espérance de vie est de près de 10 ans supérieure à celle du reste de la région.
Il y a 30 ans, Tad Szulc observait déjà que « la révolution a valu à Cuba d’extraordinaires progrès en matière de justice sociale et d’égalité. Cependant, à force de vouloir imposer précipitamment ses vues les plus originales, Castro n’a pas pris le temps de satisfaire aux impératifs quotidiens de la population ».
Le monde et la répression
Tout au long de ses presque 50 ans à la tête de Cuba, Fidel Castro s’est appliqué à internationaliser les idéaux de sa révolution, une justice sociale par le socialisme et la résistance à tout impérialisme. L’homme parlait d’une nécessaire « solidarité internationaliste avec le tiers-monde ».
Dans les années 1960, et surtout à partir de 1975 (en Angola), ce sont les soldats cubains qui ont mené l’action. Aujourd’hui, médecins et professeurs — représentant les deux grandes réussites de la révolution — ont pris le relais et contribuent à diffuser dans ce tiers-monde une image de Cuba bien différente que celle qu’a l’Occident.
Ainsi, au Venezuela de l’ère Chavez et dans la Bolivie d’Evo Morales, notamment, Fidel Castro était un héros. Pas un dictateur. Courageux dénonciateur de l’impérialisme, éternel critique de la société de consommation et défenseur du Sud contre le Nord.
Ailleurs, évidemment, la perception est tout autre. Pour une large part de la population occidentale, Fidel Castro était avant tout un dirigeant répressif, qui a fait table rase de toute opposition dans son pays pour mieux ériger un régime totalitaire communiste qui est devenu graduellement anachronique.
Il y a du vrai dans les deux perceptions. Tad Szulc dit que Castro était « tout à la fois : l’idole d’une humanité indigente, et le dictateur communiste tyrannique ». Un homme de paradoxe et de contradiction.
Tous reconnaissent à Castro un instinct politique rare. Il avait un charisme fou, racontent ceux qui ont croisé sa route. Boulimique de lecture, possédant une mémoire phénoménale, il pouvait disserter des heures durant sur à peu près n’importe quel sujet. Son énergie était aussi sans limites jusqu’à sa maladie. Bourreau de travail, il passait parfois des jours sans dormir, raconte la légende.
Dérives
Mais Castro avait aussi des défauts tenaces, dont celui de ne pas supporter l’opposition. Combien d’organismes humanitaires, d’anciens révolutionnaires, de ressortissants exilés ont dénoncé les violations aux droits de la personne commises par le régime, les vagues de répression, les procès arbitraires, la dérive autoritaire opérée par un Fidel Castro violent et manipulateur ?
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