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L’Arabie Saoudite en lutte pour le leadership sunnite

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  • L’Arabie Saoudite en lutte pour le leadership sunnite

    L’Arabie Saoudite a récemment modifié ses institutions religieuses. Ces changements ne sont cependant pas le signe d’une réforme d’envergure. Les autorités du royaume ont récemment décidé de limiter l'autorité du Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice (CPVPV) [dont relève la police religieuse qui patrouille dans les rues du royaume]. Désormais, les membres du Comité ne sont plus autorisés à poursuivre, arrêter ou interroger des suspects.

    Cette décision a été positivement accueillie par les commentateurs qui y ont vu une tentative « pour répondre à des demandes (du public) » en réaction à des exactions flagrantes commises par des membres de CPVPV. A plusieurs reprises déjà, des citoyens saoudiens ont demandé que l'institution soit réformée, suggérant par exemple qu’un protocole décrive les infractions publiques spécifiques considérées comme relevant réellement des vices.

    Des badges pour la police religieuse
    Bien que ces dernières années, des changements relativement modestes aient déjà eu lieu, en requérant des membres de CPVPV qu’ils portent des badges et qu’ils renoncent à la violence verbale ou physique, peu de réformes sérieuses ont été adoptées en réalité. Et si les décisions récentes limitent les activités les plus visibles du Comité, elles maintiennent sa fonction de surveillance de l’opinion, y compris en ligne. Les appels à la réforme du CPVPV sont entravés par la nécessité pour le régime que cette vaste et omniprésente institution demeure bien fonctionnelle.

    Le calendrier de la récente réforme a été synchronisé avec la publication du Plan National de Transformation 2020 (NTP), qui lui-même promeut la Vision 2030 pour l’Arabie Saoudite. Ce grand plan, publié en avril dernier, vise à accroître les recettes non pétrolières du pays, à favoriser la croissance du secteur privé, à promouvoir le tourisme et les investissements étrangers. La réforme annoncée du CPVPV vise en partie à répondre aux inquiétudes d’entreprises étrangères qui décideraient d’être basées en Arabie Saoudite, face à de possibles arrestations par le Comité de membres de leurs équipes.

    Mais il met en exergue un problème plus vaste : les tentatives du royaume de repenser et de réformer son identité islamique pour lui donner un contenu plus modéré et tolérant. Une telle évolution peut être en partie justifiée par la nécessité de favoriser un environnement plus sûr et accueillant pour les investisseurs étrangers, mais surtout de dissocier la version saoudienne de l’islam de celle des mouvements islamistes armés qui sont en lutte permanente avec le royaume, arguant qu’ils défendent la conception la plus « authentique » de ce que doit être un régime islamique.

    Le but et la portée des réformes religieuses successives en Arabie Saoudite ont souvent été énigmatiques. Pour rassurer ses alliés occidentaux après le 11 septembre, le royaume a lancé une série de réformes entre 2003 et 2006. Elles comprenaient l’élaboration d'un programme de lutte contre le terrorisme dans le pays afin de cibler les extrémistes religieux ; la création d'un centre international de dialogue entre les religions, d’un centre de dialogue national, et d’un autre consacré à l'anti-terrorisme ; l’intégration, enfin, de savants religieux des trois autres écoles sunnites au sein du Conseil des Oulémas qui est dominé par l’école hanbalite.

    Un accord informel entre des hauts responsables américains et saoudiens pour réformer les manuels de formation religieuse en 2005 a aussi prévu que seul le roi a le pouvoir de déclarer le djihad, sur la base de son rôle de gardien des Lieux Saints de l’islam (La Mecque et Médine). Le roi y est qualifié de dirigeant légitime de l'État, et ceux qui défient ses ordres, en protestant ou en exprimant publiquement leur désaccord, sont considérés comme pécheurs. Bien que les changements dans les manuels incluent aussi quelques références à l'islam comme religion de paix pour tous les hommes, des éléments d'intolérance historique envers les juifs et les chrétiens, ainsi qu’à l’égard de certaines groupes ou écoles de pensée islamiques, s’y trouvent encore, selon un rapport du Département d'État des États-Unis en 2013.

    L'athéisme, un acte de terreur
    De fait, les réformes n’ont pas suffi à garantir une liberté, même relative, de croyance et de pratique religieuse. Un ensemble de lois et de décrets ont été promulgués en 2014 pour protéger les prérogatives du roi et des dignitaires religieux suprêmes dans le domaine de la foi. Ainsi, par exemple, la loi anti-terroriste du 31 janvier, 2014 considère l'athéisme comme un acte de terreur. Quant au décret royal 44, publié le 3 février 2014, il criminalise l’affiliation religieuse à certains groupes tels que les Houthis [groupe chiite implanté au nord du Yémen] et les Frères musulmans, tout comme à al-Qaïda et à d'autres insurrections armées islamistes. Il fait de même pour la promotion d’« idéologies athées » et la diffusion de « doutes sur les principes fondamentaux de l'Islam » (dont la définition, naturellement, relève des autorités saoudiennes).

    Le système juridique fondé sur la religion a commencé à utiliser ces nouvelles lois pour condamner les individus qui affichent en ligne des points de vue critiques ou sujets à controverse sur l'Islam. Par exemple, la déclaration qu’un tribunal a rendue contre le journaliste Alaa Brinji, cite des tweets dans lesquels il soutient la campagne en faveur du droit des femmes à conduire une voiture ou encore la libération des prisonniers politiques. Le tribunal y voit la preuve qu'il s’est éloigné de la conception de la foi défendue par l'État et qu’il a tourné en dérision ses savants religieux.

    Ces lois servent au pouvoir à appliquer sa définition de la foi et à assurer sa domination. Des groupes politiques ou des individus considérés comme indésirables sont ainsi poursuivis comme déviants ou extrémistes religieux, l'État disposant de la seule autorité sur la religion.

    Les tentatives de l'Arabie Saoudite pour contrer l'influence de l’Iran dans la région ont également intensifié la concurrence pour la domination religieuse. En août, une association de plus de cent savants religieux sunnites du Yémen s’est réunie à Riyad, sous le patronage du ministère saoudien des Affaires islamiques, et a rédigé un accord sur l'éthique islamique. Accord qui vise empêcher la pénétration de l’influence de l’Iran au Yémen, à travers de ses écoles de pensée religieuses et idéologiques.

    Sheikh Abulhassan Mustafa al-Sulayman, chef du comité de rédaction du texte, a déclaré que le contenu de l'accord étant inspirés par le Coran et la Sunna (Tradition du Prophète), les savants islamiques yéménites devaient impérativement le signer. Il a ajouté que même si l’accord visait à être inclusif, son objectif n’était en aucun cas de rétablir des ponts avec la Rafida, un terme péjoratif souvent utilisé par les salafistes (fondamentalistes) sunnites pour dénoncer les chiites, car ces derniers sont « des sanguinaires, des sectaires, des ennemis de la sécurité et de la stabilité qui corrompent tout pays, sans compter leur déviance vis-à-vis de la doctrine sunnite et de leur sombre relation historique avec les sunnites, les pays musulmans, et les musulmans dans leur ensemble »…

    Il a cependant déclaré que tous les musulmans, y compris les soufis [courant mystique auquel les salafistes s’opposent] et les Zaydites (courant religieux chiite auquel appartiennent les Houthis), étaient invités à signe l’accord, ouvrant ainsi la voie à des Houthis qui voudraient s’y associer, mais seulement comme subordonnés repentants sous l’autorité sunnite.

    Influence russe
    Alors que l'Arabie saoudite tente de remodeler son discours salafiste en fonction de ses besoins politiques, d'autres pays, las de l'influence croissante de ce courant fondamentaliste, semblent vouloir contrer ses efforts. Une conférence s’est ainsi tenue à Grozny en Tchétchénie (Fédération de Russie) les 25 et 26 août dernier pour redéfinir « Qui sont les Ahl al-Sunnah wal-Jama'a? » (c’est -à-dire les sunnites). La fondation Tabah, basée aux Émirats arabes unis, qui organisait la conférence, l’a décrite comme un effort nécessaire à un moment où se produisent des tentatives de détournement de ce courant majoritaire de l’islam par des Kharijites [nom d’une mouvance qualifiée d’hérétique par les salafistes], des renégats et des ennemis de la charia qui utilisent leurs pratiques coupables pour ternir l'image de l'Islam ».

    Plus de deux cents savants religieux de diverses écoles de pensée sunnite ont participé à la conférence, parmi lesquels Ali Gomaa, l'ancien grand Mufti d'al-Azhar, l’université islamique du Caire. Leurs conclusions incluaient tous les groupes s’identifiant comme sunnites, à l’exception des salafistes et, par extension, des wahhabites, le groupe religieux dominant de l'Arabie Saoudite qui relève de ce courant. La déclaration finale critiquait indirectement l'Arabie salafisme pour sa violence sectaire et son intolérance religieuse puisqu’elle exclut les groupes sunnites qui ne sont pas en conformité avec le salafisme d’Etat qu’elle promeut.

    Torrent de condamnations

    Comme on pouvait s’y attendre, un torrent de condamnations s’en est suivi, venu de dignitaires religieux saoudiens, mais aussi de divers salafistes, du mouvement des Frères musulmans, ainsi que de l’université Al-Azhar-face de ce qu'ils considèrent comme une ingérence russe dans la politique régionale par le biais religieux , comme une trahison de certains savants religieux égyptiens à l’égard de leurs bailleurs de fonds saoudiens, et comme une condamnation implicite des salafistes assimilés à des déviants et à des hérétiques.

    L'Arabie Saoudite a fondé sa vision 2030 sur sa position historique en tant que lieu de naissance de l'islam, et partant comme chef de file du monde islamique sunnite. Des décennies d'investissement dans des institutions et des groupes religieux, au plan local et international, ont fortement ancré cette identité.

    Il est peu probable qu'une réforme religieuse profonde sera mise en œuvre dans le royaume si elle va à l’encontre de ce rôle de leader du monde sunnite que l'Arabie Saoudite entend jouer, surtout à un moment où la division entre sunnites et chiites dans la région continue d'alimenter les ambitions politiques du royaume. Il est plus vraisemblable que le régime mette en œuvre des réformes religieuses partielles afin de neutraliser les menaces politiques les plus immédiates, de promouvoir un climat favorable aux affaires, et de relooker l’identité religieuse de l’Etat.

    Hala Al-Dosari est une analyste saoudienne et chercheuse invitée à l’Arab Gulf Institute de Washington

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