Richard Labévière. Spécialiste des réseaux djihadistes :
«Des réseaux dormants qui se réveillent et se vengent»
Spécialiste des réseaux djihadistes et de leur financement, Richard Labévière, rédacteur en chef du magazine en ligne Proche&Moyen-Orient.ch, explique que les attentats de Bruxelles sont une réponse des réseaux dormants salafo-djihadistes implantés en Belgique, à l’arrestation de Salah Abdeslam et de ses complices.
Dans cet entretien, il apporte un éclairage édifiant sur ces réseaux, leur financement, la réaction des services de sécurité à leur égard, tout en exprimant sa crainte «de voir les pays européens tomber dans le piège tendu par les porteurs de l’idéologie de la terreur, celui de susciter la peur, sinon la haine de l’autre».
Quelle lecture faites-vous des attentats en Belgique ?
C’est clairement la réponse du berger à la bergère. Les réseaux salafo-djihadistes dormants — qui sont implantés en Belgique depuis vingt ans — se sont réveillés, car ils ne pouvaient pas ne pas réagir à l’arrestation de Salah Abdeslam et de ses complices.
Ces réseaux criminels sont constitués de petits délinquants et trafiquants qui ont des réflexes de «bandes» : ils se vengent ! Contrairement à ce qui a été répété par une majorité de médias, à savoir que Salah Abdeslam était parfaitement inconnu des fichiers judiciaires et de la documentation des services spéciaux belges et français, ce jeune homme avait déjà fait l’objet de huit condamnations pour vols et autres escroqueries, dont l’une est passablement révélatrice. Engagé comme ambulancier par la commune de Molenbeeck, Abdeslam ne trouvera rien de mieux à faire que de détrousser l’un des cadavres qu’il venait de charger dans son ambulance… Edifiant ! Les services savaient également qu’il fréquentait régulièrement certaines des dix-huit mosquées salafistes de Molenbeeck, toutes – peu ou prou – financées par l’Arabie Saoudite.
On a un vrai problème avec la communauté musulmane de Belgique et notamment avec la diaspora marocaine… Quoi qu’il en soit la question se pose de manière récurrente : pourquoi, compte tenu de ses nombreuses condamnations, Salah Abdeslam était-il encore en liberté ? Il y a un mois exactement, les policiers belges l’avaient repéré et s’apprêtaient à l’arrêter. Ils ont dû attendre quatre heures pour que le procureur – en pause-déjeuner – donne son feu vert à une telle intervention, le temps pour la famille de simuler un déménagement et de l’exfiltrer en le dissimulant dans une armoire au nez et à la barbe des policiers furieux !
C’est quand même curieux de constater qu’après avoir «neutralisé» le cerveau des opérations de Paris, les terroristes passent à des attaques sur le sol belge. Est-ce vraiment le cerveau qui a été pris ou s’agit-il de quelqu’un qui a protégé le vrai commanditaire ?
Non, Salah Abdeslam n’est vraiment pas un cerveau, mais certainement le «logisticien» des attentats à Paris en novembre 2015, parce qu’il est un peu plus malin et entreprenant que ses complices. A ce stade de l’enquête, on ne décèle pas de «cerveau» ou de «donneur d’ordres» central, encore moins de commanditaires syriens ou irakiens.
Evidemment, ces petits délinquants, des laissés-pour-compte d’une prospérité occidentale — elle-même en crise —, sont des admirateurs de Daech, mais l’Etat islamique (EI) n’a pas besoin de donner des ordres précis parce que ce terrorisme européen marche tout seul, comme un procès sans sujet…
Dans les années 1970, l’ultra-gauche européenne (Brigades rouges, Baader-Meïnhof ou Action Directe) n’avait pas besoin de recevoir des ordres de l’URSS pour s’en prendre aux symboles du capitalisme ! Ces attentats pointent davantage des dysfonctionnements des sociétés européennes elles-mêmes, des dysfonctionnements que les pouvoirs publics ont été incapables d’analyser correctement et encore plus incapables d’apporter les réponses adéquates.
Peut-on parler de défaillance des services de renseignement aussi bien belges que français ?
Non, clairement non ! Les services belges ont peu de moyens, mais sont très bons quand on les laisse travailler. Depuis plus de vingt ans, les bourgmestres et le Parquet fédéral belge ont opté pour une politique de l’autruche et du déni du réel. Lorsque la DGSE, les services extérieurs français, interpellaient les autorités belges, le Premier ministre Charles Michel s’offusquait en affirmant que tout allait bien en Belgique et qu’il n’y avait rien à voir...
Quant aux Services français, on peut aussi gloser à l’infini sur une fusion inachevée entre la DST et les renseignements généraux, mais là-aussi les insuffisances sont à rechercher du côté du pouvoir exécutif et de la classe politique. En effet, faut-il encore confier à ces services des missions précises et leur donner les moyens de les accomplir. Les Services français demandent depuis plus de vingt ans une «loi-cadre» afin d’encadrer leurs missions et leurs personnels.
Cette loi ambitieuse n’a jamais vu le jour, laissant place à des replâtrages très insuffisants, inspirés par une rhétorique de guerre extérieure, alors que les problèmes les plus importants sont domestiques, chez nous, sous notre nez ! Les politiques refilent toujours la patate chaude aux Services — qui ne peuvent pas répondre publiquement, ce qui est bien normal —, mais les vraies responsabilités, sinon les manquements relèvent bien du pouvoir politique.
«Des réseaux dormants qui se réveillent et se vengent»
Spécialiste des réseaux djihadistes et de leur financement, Richard Labévière, rédacteur en chef du magazine en ligne Proche&Moyen-Orient.ch, explique que les attentats de Bruxelles sont une réponse des réseaux dormants salafo-djihadistes implantés en Belgique, à l’arrestation de Salah Abdeslam et de ses complices.
Dans cet entretien, il apporte un éclairage édifiant sur ces réseaux, leur financement, la réaction des services de sécurité à leur égard, tout en exprimant sa crainte «de voir les pays européens tomber dans le piège tendu par les porteurs de l’idéologie de la terreur, celui de susciter la peur, sinon la haine de l’autre».
Quelle lecture faites-vous des attentats en Belgique ?
C’est clairement la réponse du berger à la bergère. Les réseaux salafo-djihadistes dormants — qui sont implantés en Belgique depuis vingt ans — se sont réveillés, car ils ne pouvaient pas ne pas réagir à l’arrestation de Salah Abdeslam et de ses complices.
Ces réseaux criminels sont constitués de petits délinquants et trafiquants qui ont des réflexes de «bandes» : ils se vengent ! Contrairement à ce qui a été répété par une majorité de médias, à savoir que Salah Abdeslam était parfaitement inconnu des fichiers judiciaires et de la documentation des services spéciaux belges et français, ce jeune homme avait déjà fait l’objet de huit condamnations pour vols et autres escroqueries, dont l’une est passablement révélatrice. Engagé comme ambulancier par la commune de Molenbeeck, Abdeslam ne trouvera rien de mieux à faire que de détrousser l’un des cadavres qu’il venait de charger dans son ambulance… Edifiant ! Les services savaient également qu’il fréquentait régulièrement certaines des dix-huit mosquées salafistes de Molenbeeck, toutes – peu ou prou – financées par l’Arabie Saoudite.
On a un vrai problème avec la communauté musulmane de Belgique et notamment avec la diaspora marocaine… Quoi qu’il en soit la question se pose de manière récurrente : pourquoi, compte tenu de ses nombreuses condamnations, Salah Abdeslam était-il encore en liberté ? Il y a un mois exactement, les policiers belges l’avaient repéré et s’apprêtaient à l’arrêter. Ils ont dû attendre quatre heures pour que le procureur – en pause-déjeuner – donne son feu vert à une telle intervention, le temps pour la famille de simuler un déménagement et de l’exfiltrer en le dissimulant dans une armoire au nez et à la barbe des policiers furieux !
C’est quand même curieux de constater qu’après avoir «neutralisé» le cerveau des opérations de Paris, les terroristes passent à des attaques sur le sol belge. Est-ce vraiment le cerveau qui a été pris ou s’agit-il de quelqu’un qui a protégé le vrai commanditaire ?
Non, Salah Abdeslam n’est vraiment pas un cerveau, mais certainement le «logisticien» des attentats à Paris en novembre 2015, parce qu’il est un peu plus malin et entreprenant que ses complices. A ce stade de l’enquête, on ne décèle pas de «cerveau» ou de «donneur d’ordres» central, encore moins de commanditaires syriens ou irakiens.
Evidemment, ces petits délinquants, des laissés-pour-compte d’une prospérité occidentale — elle-même en crise —, sont des admirateurs de Daech, mais l’Etat islamique (EI) n’a pas besoin de donner des ordres précis parce que ce terrorisme européen marche tout seul, comme un procès sans sujet…
Dans les années 1970, l’ultra-gauche européenne (Brigades rouges, Baader-Meïnhof ou Action Directe) n’avait pas besoin de recevoir des ordres de l’URSS pour s’en prendre aux symboles du capitalisme ! Ces attentats pointent davantage des dysfonctionnements des sociétés européennes elles-mêmes, des dysfonctionnements que les pouvoirs publics ont été incapables d’analyser correctement et encore plus incapables d’apporter les réponses adéquates.
Peut-on parler de défaillance des services de renseignement aussi bien belges que français ?
Non, clairement non ! Les services belges ont peu de moyens, mais sont très bons quand on les laisse travailler. Depuis plus de vingt ans, les bourgmestres et le Parquet fédéral belge ont opté pour une politique de l’autruche et du déni du réel. Lorsque la DGSE, les services extérieurs français, interpellaient les autorités belges, le Premier ministre Charles Michel s’offusquait en affirmant que tout allait bien en Belgique et qu’il n’y avait rien à voir...
Quant aux Services français, on peut aussi gloser à l’infini sur une fusion inachevée entre la DST et les renseignements généraux, mais là-aussi les insuffisances sont à rechercher du côté du pouvoir exécutif et de la classe politique. En effet, faut-il encore confier à ces services des missions précises et leur donner les moyens de les accomplir. Les Services français demandent depuis plus de vingt ans une «loi-cadre» afin d’encadrer leurs missions et leurs personnels.
Cette loi ambitieuse n’a jamais vu le jour, laissant place à des replâtrages très insuffisants, inspirés par une rhétorique de guerre extérieure, alors que les problèmes les plus importants sont domestiques, chez nous, sous notre nez ! Les politiques refilent toujours la patate chaude aux Services — qui ne peuvent pas répondre publiquement, ce qui est bien normal —, mais les vraies responsabilités, sinon les manquements relèvent bien du pouvoir politique.
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