Richard Labévière Devenez fan
Journaliste et écrivain français
Publication: 12/01/2016 14h51
Le 7 février 1995, la parution du livre - L'Arabie Séoudite - La dictature protégée -, aux éditions Albin Michel, ne retint l'attention que de quelques spécialistes. Son auteur diplomate de métier - signant du pseudonyme Jean-Michel Foulquier -, y décrivait par le menu les exécutions au sabre, les sévices de la police religieuse wahhabite et toutes les violations structurelles des droits humains en vigueur dans ce qui, en réalité est moins un pays qu'une propriété familiale privée... Il nous disait aussi que, conformément à l'esprit et la lettre du Pacte du Quincy1, accordant aux Etats-Unis le monopole de l'exploitation des réserves d'hydrocarbures les plus importantes du monde, la famille Saoud bénéficie de la protection totale des administrations américaines successives. Comme le disait Roosevelt du dictateur nicaraguayen Somoza, les Saoud sont bien des fils de ****, mais ce sont nos fils de ****...
De fait, les réalités morbides de cette monarchie ubuesque sont parfaitement connues depuis belle lurette, déroulant quotidiennement sous nos yeux son cortège d'abominations, au vu et su de tous, comme la lettre volée d'Edgar Allan Poe. Mais... motus et bouche cousue ! Jusqu'à très récemment, il était proprement inconcevable de lire dans la presse occidentale quoique ce soit de critique à l'encontre de cette "dictature protégée". Alors, pourquoi les plumes, les langues et les oreilles se délient-elle seulement aujourd'hui ?
NOUVELLE DONNE GEOPOLITIQUE
On peut d'abord avancer trois causes géopolitiques "larges" : un redéploiement et une délocalisation des intérêts américains ; le retour de l'Iran dans le concert des nations ; une résurgence de l'ancestrale confrontation des mondes sunnite/chi'ite. Viennent ensuite une série de considérations plus "micros" : la faillite des révoltes arabes; la surenchère entre Al-Qaïda et l'organisation "Etat islamique" ; l'extension territoriale du terrorisme islamiste ; enfin, une guerre de succession récurrente au sein même de la monarchie saoudienne.
D'une manière générique et hormis le livre pionnier de Jean-Michel Foulquier, quelques candides dont Alain Chouet2, Xavier Raufer3, Pierre Conesa4 et votre serviteur5, répètent depuis plus d'une vingtaine d'années que l'Arabie saoudite constitue l'épicentre de l'Islam radical, de son financement et de son extension. Depuis toutes ces années, les mêmes étaient remisés au rayon, soit des doux rêveurs, soit des dangereux subversifs ou encore plus clairement accusés d'être des amis des dictateurs officiels, les nationalistes arabes s'entend !
Plus sérieusement: les éditorialistes parisiens comme nos gouvernants auraient ils oublié l'une des annonces les plus importantes faites par le président Barack Obama au début de son second mandat?
En substance, ce dernier expliquait que, pour les trente à quarante ans à venir, les intérêts stratégiques américains fondamentaux se situaient dans l'Asie-Pacifique et en Asie centrale.
Par conséquent, les Proche et Moyen-Orient perdaient leur centralité, jusqu'ici incontestée dans l'agenda des priorités du Département d'Etat et des grandes sociétés américaines. Cette annonce officialisait ainsi l'obsession "eurasienne" martelée depuis des décennies par l'ancien conseiller à la sécurité du président Carter et inspirateur inoxydable des administrations démocrates - Zbigniew Brzezinski -, notamment dans son livre programme Le Grand échiquier - L'Amérique et le reste du monde6.
Dans cette perspective, il devenait impératif pour Washington de normaliser ses relations avec l'un des pays clef de cette Route de la soie vitale allant de Venise à Vladivostok, à savoir la Perse éternelle...
Ce fut la signature de l'accord sur le nucléaire iranien. Rarement dans les annales de la diplomatie, une négociation aura été aussi longue et compliquée. Au terme de plusieurs prolongations et d'une ultime journée de tractations fiévreuses, l'Iran et les pays du "P 5+1" (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) sont finalement parvenus à un compromis sur le nucléaire iranien, aux premières heures de la journée du mardi 14 juillet à Vienne.
L'arrangement fait près d'une centaine de pages, composé d'un texte principal et de cinq annexes. Lourd de conséquences majeures, immédiates et à plus long terme, cet événement historique déclencha l'ire de l'Arabie saoudite, des autres monarchies du Golfe et de plusieurs pays sunnites, sans compter Israël...
LE GRAND RETOUR DE L'IRAN
Ce retour de l'Iran dans la communauté internationale entraîne plusieurs conséquences lourdes, notamment sur le plan pétrolier. Jusqu'aux sanctions internationales, l'Iran était le second plus grand exportateur des pays de l'Organisation des pays exportateurs. Selon les estimations les plus sérieuses, les revenus pétroliers de l'Iran ont augmenté d'un tiers sur l'exercice 2012 pour atteindre 100 milliards de dollars, malgré les sanctions américaines.
La même année, les autorités iraniennes estimaient que les revenus annuels générés par cette industrie pourraient atteindre 250 milliards de dollars en 2016. Aujourd'hui, l'Iran prévoit d'investir un total de 500 milliards de dollars dans le secteur pétrolier avant 2025.
Avec la levée des sanctions, la reprise annoncée des investissements étrangers pourrait se concrétiser durant ce premier semestre. "On devrait enregistrer un dégel progressif des avoirs financiers iraniens à l'étranger à partir du début 2016", explique Michel Makinsky, chercheur associé l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), "mais sur les 100 à 150 milliards de dollars que les Américains prétendaient bloqués, pas plus de 30 milliards ne semblent être, pour l'instant, mobilisables".
Face à ce marché de 80 millions d'habitants, les entreprises occidentales ont déjà repris le chemin de Téhéran depuis plusieurs mois dans un contexte politique très marqué par le président Hassan Rohani qui souhaite faire de l'Iran un "pays émergent prenant toute sa part dans l'économie mondiale et mondialisée".
Sur le plan financier, les autorités cherchent à restructurer le système bancaire autour de la Banque centrale et une relance des relations avec le Fonds monétaire international.
"Des politiques prudentes ont permis de retrouver une croissance positive l'an dernier et de réduire l'inflation à 15%.." expliquent les experts du Fonds, "les autorités ont également stabilisé le marché des changes et avancé sur la réforme des subventions. Mais l'économie reste confrontée à des défis structurels. La forte baisse des prix mondiaux du pétrole a refroidi l'activité. Les entreprises pâtissent aussi d'une demande atone, le système bancaire étant confronté à des actifs improductifs élevés et des arriérés accumulés par le secteur public. Le chômage reste élevé, environ 10,5 %", d'après la Banque mondiale.
Le gouvernement iranien ambitionne d'atteindre un taux de croissance de 8 % par an, le FMI misant sur 4 à 5 % en 2017. Dans ce contexte, Téhéran souhaite lancer de grands chantiers d'infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires. Les projets sont prêts mais les banques attendent l'effectivité de la levée des sanctions. Une mission européenne (France, Grande Bretagne, Allemagne) s'est récemment rendue à Washington pour obtenir des précisions auprès de l'administration financière américaine.
Mais dans l'ambiance de la primaire de leurs prochaines élections présidentielles, les Etats-Unis tentent toujours de freiner l'investissement étranger, cherchant à dissuader les sociétés européennes de revenir en Iran. Quoiqu'il en soit et quel que soit le prochain président des Etats-Unis, le retour du pétrole iranien sur le marché mondial et la reprise des investissements étrangers s'annoncent d'ores et déjà comme un mouvement irréversible.
Dans tous les cas de figure, ces prévisions placent l'Iran en situation de s'imposer comme la véritable puissance régionale face à ses deux principaux concurrents de proximité que sont la Turquie et Israël. Cette reconfiguration régionale et internationale ne manque pas de raviver Une guerre de cinq mille ans, pour reprendre les mots du grand journaliste Paul Balta7.
Journaliste et écrivain français
Publication: 12/01/2016 14h51
Le 7 février 1995, la parution du livre - L'Arabie Séoudite - La dictature protégée -, aux éditions Albin Michel, ne retint l'attention que de quelques spécialistes. Son auteur diplomate de métier - signant du pseudonyme Jean-Michel Foulquier -, y décrivait par le menu les exécutions au sabre, les sévices de la police religieuse wahhabite et toutes les violations structurelles des droits humains en vigueur dans ce qui, en réalité est moins un pays qu'une propriété familiale privée... Il nous disait aussi que, conformément à l'esprit et la lettre du Pacte du Quincy1, accordant aux Etats-Unis le monopole de l'exploitation des réserves d'hydrocarbures les plus importantes du monde, la famille Saoud bénéficie de la protection totale des administrations américaines successives. Comme le disait Roosevelt du dictateur nicaraguayen Somoza, les Saoud sont bien des fils de ****, mais ce sont nos fils de ****...
De fait, les réalités morbides de cette monarchie ubuesque sont parfaitement connues depuis belle lurette, déroulant quotidiennement sous nos yeux son cortège d'abominations, au vu et su de tous, comme la lettre volée d'Edgar Allan Poe. Mais... motus et bouche cousue ! Jusqu'à très récemment, il était proprement inconcevable de lire dans la presse occidentale quoique ce soit de critique à l'encontre de cette "dictature protégée". Alors, pourquoi les plumes, les langues et les oreilles se délient-elle seulement aujourd'hui ?
NOUVELLE DONNE GEOPOLITIQUE
On peut d'abord avancer trois causes géopolitiques "larges" : un redéploiement et une délocalisation des intérêts américains ; le retour de l'Iran dans le concert des nations ; une résurgence de l'ancestrale confrontation des mondes sunnite/chi'ite. Viennent ensuite une série de considérations plus "micros" : la faillite des révoltes arabes; la surenchère entre Al-Qaïda et l'organisation "Etat islamique" ; l'extension territoriale du terrorisme islamiste ; enfin, une guerre de succession récurrente au sein même de la monarchie saoudienne.
D'une manière générique et hormis le livre pionnier de Jean-Michel Foulquier, quelques candides dont Alain Chouet2, Xavier Raufer3, Pierre Conesa4 et votre serviteur5, répètent depuis plus d'une vingtaine d'années que l'Arabie saoudite constitue l'épicentre de l'Islam radical, de son financement et de son extension. Depuis toutes ces années, les mêmes étaient remisés au rayon, soit des doux rêveurs, soit des dangereux subversifs ou encore plus clairement accusés d'être des amis des dictateurs officiels, les nationalistes arabes s'entend !
Plus sérieusement: les éditorialistes parisiens comme nos gouvernants auraient ils oublié l'une des annonces les plus importantes faites par le président Barack Obama au début de son second mandat?
En substance, ce dernier expliquait que, pour les trente à quarante ans à venir, les intérêts stratégiques américains fondamentaux se situaient dans l'Asie-Pacifique et en Asie centrale.
Par conséquent, les Proche et Moyen-Orient perdaient leur centralité, jusqu'ici incontestée dans l'agenda des priorités du Département d'Etat et des grandes sociétés américaines. Cette annonce officialisait ainsi l'obsession "eurasienne" martelée depuis des décennies par l'ancien conseiller à la sécurité du président Carter et inspirateur inoxydable des administrations démocrates - Zbigniew Brzezinski -, notamment dans son livre programme Le Grand échiquier - L'Amérique et le reste du monde6.
Dans cette perspective, il devenait impératif pour Washington de normaliser ses relations avec l'un des pays clef de cette Route de la soie vitale allant de Venise à Vladivostok, à savoir la Perse éternelle...
Ce fut la signature de l'accord sur le nucléaire iranien. Rarement dans les annales de la diplomatie, une négociation aura été aussi longue et compliquée. Au terme de plusieurs prolongations et d'une ultime journée de tractations fiévreuses, l'Iran et les pays du "P 5+1" (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) sont finalement parvenus à un compromis sur le nucléaire iranien, aux premières heures de la journée du mardi 14 juillet à Vienne.
L'arrangement fait près d'une centaine de pages, composé d'un texte principal et de cinq annexes. Lourd de conséquences majeures, immédiates et à plus long terme, cet événement historique déclencha l'ire de l'Arabie saoudite, des autres monarchies du Golfe et de plusieurs pays sunnites, sans compter Israël...
LE GRAND RETOUR DE L'IRAN
Ce retour de l'Iran dans la communauté internationale entraîne plusieurs conséquences lourdes, notamment sur le plan pétrolier. Jusqu'aux sanctions internationales, l'Iran était le second plus grand exportateur des pays de l'Organisation des pays exportateurs. Selon les estimations les plus sérieuses, les revenus pétroliers de l'Iran ont augmenté d'un tiers sur l'exercice 2012 pour atteindre 100 milliards de dollars, malgré les sanctions américaines.
La même année, les autorités iraniennes estimaient que les revenus annuels générés par cette industrie pourraient atteindre 250 milliards de dollars en 2016. Aujourd'hui, l'Iran prévoit d'investir un total de 500 milliards de dollars dans le secteur pétrolier avant 2025.
Avec la levée des sanctions, la reprise annoncée des investissements étrangers pourrait se concrétiser durant ce premier semestre. "On devrait enregistrer un dégel progressif des avoirs financiers iraniens à l'étranger à partir du début 2016", explique Michel Makinsky, chercheur associé l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), "mais sur les 100 à 150 milliards de dollars que les Américains prétendaient bloqués, pas plus de 30 milliards ne semblent être, pour l'instant, mobilisables".
Face à ce marché de 80 millions d'habitants, les entreprises occidentales ont déjà repris le chemin de Téhéran depuis plusieurs mois dans un contexte politique très marqué par le président Hassan Rohani qui souhaite faire de l'Iran un "pays émergent prenant toute sa part dans l'économie mondiale et mondialisée".
Sur le plan financier, les autorités cherchent à restructurer le système bancaire autour de la Banque centrale et une relance des relations avec le Fonds monétaire international.
"Des politiques prudentes ont permis de retrouver une croissance positive l'an dernier et de réduire l'inflation à 15%.." expliquent les experts du Fonds, "les autorités ont également stabilisé le marché des changes et avancé sur la réforme des subventions. Mais l'économie reste confrontée à des défis structurels. La forte baisse des prix mondiaux du pétrole a refroidi l'activité. Les entreprises pâtissent aussi d'une demande atone, le système bancaire étant confronté à des actifs improductifs élevés et des arriérés accumulés par le secteur public. Le chômage reste élevé, environ 10,5 %", d'après la Banque mondiale.
Le gouvernement iranien ambitionne d'atteindre un taux de croissance de 8 % par an, le FMI misant sur 4 à 5 % en 2017. Dans ce contexte, Téhéran souhaite lancer de grands chantiers d'infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires. Les projets sont prêts mais les banques attendent l'effectivité de la levée des sanctions. Une mission européenne (France, Grande Bretagne, Allemagne) s'est récemment rendue à Washington pour obtenir des précisions auprès de l'administration financière américaine.
Mais dans l'ambiance de la primaire de leurs prochaines élections présidentielles, les Etats-Unis tentent toujours de freiner l'investissement étranger, cherchant à dissuader les sociétés européennes de revenir en Iran. Quoiqu'il en soit et quel que soit le prochain président des Etats-Unis, le retour du pétrole iranien sur le marché mondial et la reprise des investissements étrangers s'annoncent d'ores et déjà comme un mouvement irréversible.
Dans tous les cas de figure, ces prévisions placent l'Iran en situation de s'imposer comme la véritable puissance régionale face à ses deux principaux concurrents de proximité que sont la Turquie et Israël. Cette reconfiguration régionale et internationale ne manque pas de raviver Une guerre de cinq mille ans, pour reprendre les mots du grand journaliste Paul Balta7.
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