Liban
Hani Fahs : Il semble que la mémoire impérialiste iranienne se soit réveillée
Dans une interview à « L’Orient-Le-Jour » jamais publiée
Par Michel HAJJI GEORGIOU | OLJ
17/11/2014

Le Sayyid Hani Fahs disparu le 18 Septembre 2014
C'était en décembre 2012. Hani Fahs était radieux. Il dégageait une force tranquille impressionnante. Dans un pays de plus en plus abandonné aux démons de la peur et de l'identitarisme, il refusait d'abdiquer, c'est-à-dire de suspendre ses facultés intellectuelles, de cesser de réfléchir rationnellement, de sombrer dans l'émotionnel et de désespérer.
Dans un entretien à bâtons rompus avec L'Orient-Le Jour – jamais publié jusqu'à présent, parce qu'il devait se poursuivre sur plusieurs étapes, ce que la maladie avait par la suite empêché – portant sur les crispations communautaires et la situation de crise à l'échelle nationale à l'ombre des profondes mutations induites par les révolutions arabes, le dignitaire religieux chiite Hani Fahs avait, comme d'habitude, défendu la voie de la modération, de la paix et du vivre-ensemble.
Se livrant à une critique des expériences communautaires du pouvoir au Liban depuis 1943, notamment l'accaparement par les chrétiens, puis par les sunnites du pouvoir, Fahs avait estimé que l'idée de l'État était quand même, malgré toutes les atteintes, restée fondamentale. Évoquant ensuite l'expérience de l'imam Moussa Sadr, l'uléma avait estimé que ce dernier était dépositaire d'« un projet de modifier la situation des chiites de manière pacifique », mais qu'il avait été « pris au dépourvu par la guerre ». « Il été jusqu'au-boutiste contre l'État, mais il s'est retrouvé convaincu de la nécessité de l'État, surtout pour les chiites », avait-il ajouté, au sujet de Moussa Sadr.
« Notre problème aujourd'hui, c'est que tout le monde peut profiter ou souffrir de l'absence ou l'affaiblissement de l'État. Les chiites, eux, ne peuvent que souffrir de l'absence de l'État. L'État qui parraine est, en effet, la garantie absolue pour les chiites et les druzes, pas dans le sens où ce sont des minorités, mais dans le sens du pluralisme, où chaque composante nationale a des conditions qui diffèrent de l'autre », estimait-il.
Une modération interdite
Pour Hani Fahs, « l'importance de Moussa Sadr, avec d'autres, tels que Hassan Khaled, Mohammad Abou Chacra, le patriarche Khoreiche, Saëb Salam, Raymond Eddé, Rachid Karamé, Kamal Joumblatt, c'est qu'ils ont compris que cette guerre n'engendrerait rien, mais, au contraire, qu'elle ne ferait que détruire. Aussi ont-ils commencé à œuvrer pour faire en sorte que la guerre ne perdure pas. Moussa Sadr s'est rattaché au slogan de l'État, de l'armée, des institutions. C'est pour cela qu'il a été enlevé. C'est aussi pour cela que Kamal Joumblatt a été tué, ainsi que, plus tard, Hassan Khaled. D'autre part, Khoreiche et Abou Chacra ont été affaiblis, Eddé exilé à Paris où il est mort, Saëb Salam vidé de sa substance à Genève, et Rachid Karamé assassiné sitôt après avoir trouvé une solution à la crise avec Camille Chamoun ».
En d'autres termes, soulignait-il, « la modération est interdite, parce qu'elle constitue l'assise de l'État, sa fondation naturelle. Après la disparition de Moussa Sadr, il n'y a plus eu de mouvement des déshérités, mais le mouvement Amal. Les armes ont commencé à affluer et le mouvement s'est renforcé ».
L'impérialisme iranien
Ce retour à l'avortement de l'expérience sadriste de la modération ouvre la voie, chez Hani Fahs, à une critique posée, mais franche, du Hezbollah et de « l'impérialisme iranien ».
« De 1992 à 1998, les sunnites ont dominé le pays. Durant cette période, le corps de l'État a plus ou moins continué à fonctionner. À leur arrivée au pouvoir, les chiites ont donné l'impression, en deux ans, qu'ils étaient comme porteurs d'un projet antiétatique, qu'ils étaient devenus accoutumés à la contestation et au refus, justifiant ainsi une accusation portée à tort contre le chiisme d'être habité de négativisme. Or ce n'est pas le propre du chiisme que d'être réduit à la seule contestation. Le refus et la contestation ne sont pas toujours justes. Le fiqh et les imams chiites ont toujours donné la priorité à l'État, même lorsqu'ils considéraient que ce dernier était injuste. Dans cette perspective, l'État était une valeur supérieure à la justice, parce que son iniquité reste en définitive moins grave que son absence », expliquait-il.
« L'Iran travaille plutôt comme l'impérialisme, comme s'il fallait manufacturer un produit adapté au client russe, une autre au client chinois, un troisième aux Américains. Ainsi, à Téhéran, la logique de l'État existe. Mais l'exportation ne répond pas aux mêmes critères », estimait Hani Fahs.
« Il semble que la mémoire impérialiste iranienne se soit réveillée. Durant des siècles, les Iraniens ont gouverné les deux tiers de l'Asie. De plus, il y a cette idée que ce sont les Turcs, considérés par eux comme une race inférieure, qui leur ont arraché cette suprématie. Dans cette logique, les Iraniens ont été en Palestine, là où les Arabes et le monde musulman avaient fait si peu. Ils ont été chez le Hamas et Abou Nidal, pour se revêtir du prestige palestinien, et brandir l'étendard qui devrait être, en principe, celui des Arabes et des sunnites. Face à la majorité sunnite et arabe, donc face à la logique du nombre, les Iraniens ont décidé d'opposer une logique de la force, de la puissance – mais pas dans le sens du renforcement de leurs partenaires. Cela n'existe pas dans leur logique. Il ne faut pas croire qu'il y a des élections réelles au sein du Conseil de la Choura du Hezbollah. Je connais bien l'Iran, j'y ai vécu », notait-il.
« Téhéran est partout »
Et de poursuivre : « Téhéran a donc initié un processus pour satelliser les autres, par la religion, l'argent, etc. usant de tous les moyens nécessaires, le positif comme le négatif, d'une manière organisée et civilisée, contrairement aux Arabes, qui dépensaient leurs fonds de manière sibylline et désorganisée. L'Iran se retrouve donc partout. La voilà actuellement au Yémen. Elle ne lâchera jamais l'Égypte ni la Tunisie. Elle songe désormais même à un rôle en Libye. Elle joue avec Bahrein et la révolution bahreinie, qui n'est pas une priorité pour elle, mais un moyen de marchander avec le régime – et je sais ce que je dis, puisque je suis un spécialiste de cette question. Elle est bien implantée au Liban. Elle n'est pas sortie de Palestine. Elle ne lâche pas non plus la Jordanie et l'Arabie saoudite. Téhéran est en train de capitaliser sur sa force face au nombre. »
Hani Fahs tirait de ce panorama la conclusion suivante : « L'élément de crise, au plan chiite, c'est que notre musculature s'est trop développée, aussi bien en raison de la résistance que des hormones iraniennes, ainsi qu'en raison de l'absence totale de tout projet arabe. Malheureusement, l'esprit chiite n'a pas accompagné cette évolution au niveau de la puissance. En dépit de leur force, du pouvoir en Irak, de la résistance au Liban, les chiites continuent de se comporter comme s'ils étaient une minorité. » Il était clair, pour lui, cependant, qu'une jeunesse réformatrice en Iran était en train de voir le jour et qu'elle ne voulait plus entendre parler de wilayet el-faqih ou de projet unioniste ou impérialiste, mais qu'elle souhaitait avidement la mise en place à Téhéran d'un « libéralisme national ».
La chute du système patriarcal
Le tour d'horizon sociologique de la situation de chaque communauté s'était ensuite poursuivi. Hani Fahs dénonçait avec vigueur la proposition de loi dite « orthodoxe », une « manière pour les chrétiens de se saborder eux-mêmes ». « Cette loi ne méritait pas son nom d'ailleurs, dans la mesure où une communauté qui est la plus proche de la laïcité ne mérite pas d'en assumer la responsabilité. Cette loi n'a rien à voir avec l'esprit byzantin, elle est plus proche de la logique russe orthodoxe, dans une perspective soviétique. Il s'agissait d'une tentative de mobiliser une somme numérique contre la majorité », disait-il. Il refusait également de céder à la logique de la peur, appelant la composante chrétienne du pays à ne pas céder à la panique induite par les développements régionaux, notamment la montée de l'islamisme. « Ces craintes sont légitimes, mais elles sont aussi amplifiées, et elles ne sont certainement pas dues au printemps arabe », soulignait-il.
Aux yeux de Hani Fahs, la crise la plus grave était cependant celle que traversait actuellement la communauté sunnite. « Une majorité a besoin d'un esprit à la mesure de son rôle, puisque ses responsabilités sont plus grandes. Quand une majorité commence à réfléchir en termes de quotas, elle devient un agrégat de minorités en lutte les unes contre les autres. Cet éclatement sunnite fait peur », estimait-il.
Mais il refusait catégoriquement de céder au pessimisme concernant l'aboutissement démocratique inéluctable du printemps arabe. « Toutes les crises, tous les phénomènes dont nous sommes témoins constituent l'amorce d'un processus qui met fin à 150 ans d'oppression des peuples. L'islamisme n'a pas de projet alternatif. Il n'a que des slogans et une haine du projet de l'autre. Il n'y a plus de système patriarcal qui tienne chez toutes les communautés de la région », affirmait-il, avec beaucoup de clairvoyance.
Avant d'exprimer, dans une sorte de testament politique, un ultime souhait qu'il ne verra pas se réaliser : « J'espère pouvoir voir de mon vivant le totalitarisme arabe et islamique disparaître, à l'instar, avant lui, du totalitarisme communiste et nationaliste. »
Le temps assassin a refusé à Hani Fahs sa dernière volonté. Les peuples arabo-islamiques, eux, sauront-ils un jour s'y montrer fidèles ?
Hani Fahs : Il semble que la mémoire impérialiste iranienne se soit réveillée
Dans une interview à « L’Orient-Le-Jour » jamais publiée
Par Michel HAJJI GEORGIOU | OLJ
17/11/2014

Le Sayyid Hani Fahs disparu le 18 Septembre 2014
C'était en décembre 2012. Hani Fahs était radieux. Il dégageait une force tranquille impressionnante. Dans un pays de plus en plus abandonné aux démons de la peur et de l'identitarisme, il refusait d'abdiquer, c'est-à-dire de suspendre ses facultés intellectuelles, de cesser de réfléchir rationnellement, de sombrer dans l'émotionnel et de désespérer.
Dans un entretien à bâtons rompus avec L'Orient-Le Jour – jamais publié jusqu'à présent, parce qu'il devait se poursuivre sur plusieurs étapes, ce que la maladie avait par la suite empêché – portant sur les crispations communautaires et la situation de crise à l'échelle nationale à l'ombre des profondes mutations induites par les révolutions arabes, le dignitaire religieux chiite Hani Fahs avait, comme d'habitude, défendu la voie de la modération, de la paix et du vivre-ensemble.
Se livrant à une critique des expériences communautaires du pouvoir au Liban depuis 1943, notamment l'accaparement par les chrétiens, puis par les sunnites du pouvoir, Fahs avait estimé que l'idée de l'État était quand même, malgré toutes les atteintes, restée fondamentale. Évoquant ensuite l'expérience de l'imam Moussa Sadr, l'uléma avait estimé que ce dernier était dépositaire d'« un projet de modifier la situation des chiites de manière pacifique », mais qu'il avait été « pris au dépourvu par la guerre ». « Il été jusqu'au-boutiste contre l'État, mais il s'est retrouvé convaincu de la nécessité de l'État, surtout pour les chiites », avait-il ajouté, au sujet de Moussa Sadr.
« Notre problème aujourd'hui, c'est que tout le monde peut profiter ou souffrir de l'absence ou l'affaiblissement de l'État. Les chiites, eux, ne peuvent que souffrir de l'absence de l'État. L'État qui parraine est, en effet, la garantie absolue pour les chiites et les druzes, pas dans le sens où ce sont des minorités, mais dans le sens du pluralisme, où chaque composante nationale a des conditions qui diffèrent de l'autre », estimait-il.
Une modération interdite
Pour Hani Fahs, « l'importance de Moussa Sadr, avec d'autres, tels que Hassan Khaled, Mohammad Abou Chacra, le patriarche Khoreiche, Saëb Salam, Raymond Eddé, Rachid Karamé, Kamal Joumblatt, c'est qu'ils ont compris que cette guerre n'engendrerait rien, mais, au contraire, qu'elle ne ferait que détruire. Aussi ont-ils commencé à œuvrer pour faire en sorte que la guerre ne perdure pas. Moussa Sadr s'est rattaché au slogan de l'État, de l'armée, des institutions. C'est pour cela qu'il a été enlevé. C'est aussi pour cela que Kamal Joumblatt a été tué, ainsi que, plus tard, Hassan Khaled. D'autre part, Khoreiche et Abou Chacra ont été affaiblis, Eddé exilé à Paris où il est mort, Saëb Salam vidé de sa substance à Genève, et Rachid Karamé assassiné sitôt après avoir trouvé une solution à la crise avec Camille Chamoun ».
En d'autres termes, soulignait-il, « la modération est interdite, parce qu'elle constitue l'assise de l'État, sa fondation naturelle. Après la disparition de Moussa Sadr, il n'y a plus eu de mouvement des déshérités, mais le mouvement Amal. Les armes ont commencé à affluer et le mouvement s'est renforcé ».
L'impérialisme iranien
Ce retour à l'avortement de l'expérience sadriste de la modération ouvre la voie, chez Hani Fahs, à une critique posée, mais franche, du Hezbollah et de « l'impérialisme iranien ».
« De 1992 à 1998, les sunnites ont dominé le pays. Durant cette période, le corps de l'État a plus ou moins continué à fonctionner. À leur arrivée au pouvoir, les chiites ont donné l'impression, en deux ans, qu'ils étaient comme porteurs d'un projet antiétatique, qu'ils étaient devenus accoutumés à la contestation et au refus, justifiant ainsi une accusation portée à tort contre le chiisme d'être habité de négativisme. Or ce n'est pas le propre du chiisme que d'être réduit à la seule contestation. Le refus et la contestation ne sont pas toujours justes. Le fiqh et les imams chiites ont toujours donné la priorité à l'État, même lorsqu'ils considéraient que ce dernier était injuste. Dans cette perspective, l'État était une valeur supérieure à la justice, parce que son iniquité reste en définitive moins grave que son absence », expliquait-il.
« L'Iran travaille plutôt comme l'impérialisme, comme s'il fallait manufacturer un produit adapté au client russe, une autre au client chinois, un troisième aux Américains. Ainsi, à Téhéran, la logique de l'État existe. Mais l'exportation ne répond pas aux mêmes critères », estimait Hani Fahs.
« Il semble que la mémoire impérialiste iranienne se soit réveillée. Durant des siècles, les Iraniens ont gouverné les deux tiers de l'Asie. De plus, il y a cette idée que ce sont les Turcs, considérés par eux comme une race inférieure, qui leur ont arraché cette suprématie. Dans cette logique, les Iraniens ont été en Palestine, là où les Arabes et le monde musulman avaient fait si peu. Ils ont été chez le Hamas et Abou Nidal, pour se revêtir du prestige palestinien, et brandir l'étendard qui devrait être, en principe, celui des Arabes et des sunnites. Face à la majorité sunnite et arabe, donc face à la logique du nombre, les Iraniens ont décidé d'opposer une logique de la force, de la puissance – mais pas dans le sens du renforcement de leurs partenaires. Cela n'existe pas dans leur logique. Il ne faut pas croire qu'il y a des élections réelles au sein du Conseil de la Choura du Hezbollah. Je connais bien l'Iran, j'y ai vécu », notait-il.
« Téhéran est partout »
Et de poursuivre : « Téhéran a donc initié un processus pour satelliser les autres, par la religion, l'argent, etc. usant de tous les moyens nécessaires, le positif comme le négatif, d'une manière organisée et civilisée, contrairement aux Arabes, qui dépensaient leurs fonds de manière sibylline et désorganisée. L'Iran se retrouve donc partout. La voilà actuellement au Yémen. Elle ne lâchera jamais l'Égypte ni la Tunisie. Elle songe désormais même à un rôle en Libye. Elle joue avec Bahrein et la révolution bahreinie, qui n'est pas une priorité pour elle, mais un moyen de marchander avec le régime – et je sais ce que je dis, puisque je suis un spécialiste de cette question. Elle est bien implantée au Liban. Elle n'est pas sortie de Palestine. Elle ne lâche pas non plus la Jordanie et l'Arabie saoudite. Téhéran est en train de capitaliser sur sa force face au nombre. »
Hani Fahs tirait de ce panorama la conclusion suivante : « L'élément de crise, au plan chiite, c'est que notre musculature s'est trop développée, aussi bien en raison de la résistance que des hormones iraniennes, ainsi qu'en raison de l'absence totale de tout projet arabe. Malheureusement, l'esprit chiite n'a pas accompagné cette évolution au niveau de la puissance. En dépit de leur force, du pouvoir en Irak, de la résistance au Liban, les chiites continuent de se comporter comme s'ils étaient une minorité. » Il était clair, pour lui, cependant, qu'une jeunesse réformatrice en Iran était en train de voir le jour et qu'elle ne voulait plus entendre parler de wilayet el-faqih ou de projet unioniste ou impérialiste, mais qu'elle souhaitait avidement la mise en place à Téhéran d'un « libéralisme national ».
La chute du système patriarcal
Le tour d'horizon sociologique de la situation de chaque communauté s'était ensuite poursuivi. Hani Fahs dénonçait avec vigueur la proposition de loi dite « orthodoxe », une « manière pour les chrétiens de se saborder eux-mêmes ». « Cette loi ne méritait pas son nom d'ailleurs, dans la mesure où une communauté qui est la plus proche de la laïcité ne mérite pas d'en assumer la responsabilité. Cette loi n'a rien à voir avec l'esprit byzantin, elle est plus proche de la logique russe orthodoxe, dans une perspective soviétique. Il s'agissait d'une tentative de mobiliser une somme numérique contre la majorité », disait-il. Il refusait également de céder à la logique de la peur, appelant la composante chrétienne du pays à ne pas céder à la panique induite par les développements régionaux, notamment la montée de l'islamisme. « Ces craintes sont légitimes, mais elles sont aussi amplifiées, et elles ne sont certainement pas dues au printemps arabe », soulignait-il.
Aux yeux de Hani Fahs, la crise la plus grave était cependant celle que traversait actuellement la communauté sunnite. « Une majorité a besoin d'un esprit à la mesure de son rôle, puisque ses responsabilités sont plus grandes. Quand une majorité commence à réfléchir en termes de quotas, elle devient un agrégat de minorités en lutte les unes contre les autres. Cet éclatement sunnite fait peur », estimait-il.
Mais il refusait catégoriquement de céder au pessimisme concernant l'aboutissement démocratique inéluctable du printemps arabe. « Toutes les crises, tous les phénomènes dont nous sommes témoins constituent l'amorce d'un processus qui met fin à 150 ans d'oppression des peuples. L'islamisme n'a pas de projet alternatif. Il n'a que des slogans et une haine du projet de l'autre. Il n'y a plus de système patriarcal qui tienne chez toutes les communautés de la région », affirmait-il, avec beaucoup de clairvoyance.
Avant d'exprimer, dans une sorte de testament politique, un ultime souhait qu'il ne verra pas se réaliser : « J'espère pouvoir voir de mon vivant le totalitarisme arabe et islamique disparaître, à l'instar, avant lui, du totalitarisme communiste et nationaliste. »
Le temps assassin a refusé à Hani Fahs sa dernière volonté. Les peuples arabo-islamiques, eux, sauront-ils un jour s'y montrer fidèles ?