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En attendant un Emile Zola arabe !, par Ali Anouzla

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  • En attendant un Emile Zola arabe !, par Ali Anouzla

    C’est un peu comme si le monde avait besoin d’un fait en apparence anodin et à ses débuts insignifiant, avant de basculer en affaire, laquelle s’est par la suite transformée en événement qui a marqué l’Histoire. Nous sommes à la fin du 19ème siècle, en France.

    Quand le capitaine de l’armée française Albert Dreyfus avait été convaincu de haute trahison et jugé en conséquence lors d’un procès resté fameux et passé à la postérité, tout portait à croire que la culpabilité de Dreyfus était solidement établie… mais survient lors un écrivain du nom d’Emile Zola qui a réussi à inverser le cours des choses avec un article, depuis inscrit dans les annales de la littérature française, « J’accuse », paru en Une du journal l’Aurore le 13 janvier 1998. Cet article a conduit par la suite à la révision du procès du capitaine déchu et envoyé au bagne, puis à sa réhabilitation.

    Le « pouvoir intellectuel » est né !

    Dans notre monde arabe aujourd’hui, nous avons besoin de tels intellectuels, des gens de la trempe de Zola, des penseurs qui défendent le système de valeurs et le renforcent dans nos sociétés. Oui, nous avons cruellement besoin d’un « Emile Zola arabe » qui briserait ce silence assourdissant et infamant des intellectuels de nos pays, qui dénoncerait les retournements et les reniements des profiteurs et autres panégyristes… tout en montrant du doigt les défaillances de notre système de valeurs sociales. Un intellectuel qui crierait à la face des peuples et les placerait face à leur masochisme et à leur soumission aux despotes, ces peuples qui adulent leurs dirigeants et adorent leurs tourmenteurs. Un intellectuel qui décrirait en termes justes, rudes, durs et précis l’injustice des gouvernants, le sadisme des bourreaux et le surréalisme de la justice des ordres et des instructions. Un intellectuel qui prônerait le droit et qui se tiendrait aux côtés de la victime aux moments durs, aux instants de faiblesse. Un intellectuel capable de brandir les principes et de définir les valeurs, qui agiterait les idées et ne s’attaquerait pas aux personnes, qui ne se rengorgera pas des slogans creux… après que les régimes autocratiques eurent réussi à diviser leurs sociétés « en partisans de la stabilité et en chantres du chaos », alors qu’il était requis, lors des révolutions arabes, de discerner les défenseurs de l’autocratie et les soutiens des changements.

    A cette époque-là, décisive et cruciale, l’intellectuel engagé était absent, et le propos ici ne porte pas sur cet intellectuel dans sa dimension idéologique qui défend aveuglément son appartenance de principe, mais bien sur les penseurs qui portent haut les grandes réformes et les grandes idées, comme la liberté, l’équité et la dignité. Comme dit le poète de l’ère antéislamique, « c’est lors des nuits noires que l’on ressent le plus le besoin du clair de lune » !

    Quand l’heure sonnera de recenser les « pertes des révolutions » dans les pays arabes, l’historien aura un serrement de cœur en découvrant combien l’intellectuel aura perdu de son éclat à ces moments charnières. Entre le penseur couard, le silence complice, l’apologie immature, le reniement patent et l’alignement confinant à la flagornerie, les postures des intellectuels auront été dévoilées sur toute la longueur de la carte des terres arabes, de l’Atlantique eu Golfe.

    Ces attitudes changeantes des intellectuels arabes – à quelques exceptions près – les placeront en dehors de la marche de l’Histoire. En effet, dans toutes les révolutions qu’a connues l’humanité, de 1789 en France à 1917 en Russie, l’intellectuel a tenu un rôle aussi crucial que primordial, entretenant la flamme des espoirs des peuples pour des avenirs meilleurs. On peut même dire que de ces révolutions est né « le pouvoir de l’intellectuel », contrairement aux pays arabes, où on pourrait affirmer que les révolutions ont mis en évidence les « intellectuels du pouvoir » prêts à dégainer leurs pensées convenues, leurs idées entretenues pour toujours justifier et toujours expliquer les actions de leurs commanditaires… Des intellectuels qui agissent comme les tournesols, s’orientant en permanence vers le « soleil » et suivant sa trajectoire, le soleil étant ici le gouvernant.

    Revenons au « J’accuse » de Zola, cette épitre adressée au président français de l’époque, Félix Faure. Cette lettre montre que l’intellectuel, en plus de sa pensée a besoin d’autre chose, le courage, le cran et l’audace. Méditons sur ces qualités d’Emile Zola alors qu’il apostrophait son président : « Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil que vous m’avez fait un jour, d’avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu’ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches, (…)quelle tache de boue sur votre nom — j’allais dire sur votre règne — que cette abominable affaire Dreyfus ! ». L’auteur de l’Assommoir poursuit son attaque avec une témérité inconnue en ces temps-là en France : « Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis. Et c’est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d’honnête homme. Pour votre honneur, je suis convaincu que vous l’ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je la tourbe malfaisante des vrais coupables, si ce n’est à vous, le premier magistrat du pays ? ».

    Ces propos conduiront leur auteur au tribunal, lui vaudront une condamnation à un an de prison, un exil de 11 mois, mais le feront passer à la postérité de la gloire en qualité de premier intellectuel qui accepte de descendre de sa tour d’ivoire pour défendre les affaires publiques et dénoncer les injustices.

    Le « J’accuse » nous enseigne que l’engagement dans son sens culturel ne peut être que par l’action militante et l’esprit de sacrifice permanents pour faire triompher les grandes valeurs humanistes, pour se ranger du côté du droit qui transcende les appartenances politiques et les postures idéologiques. En dehors de cela, toute autre attitude ne serait que mercenariat au nom de la culture, que mépris pour la pensée de la part de ceux qui ne sont pas maîtres de leurs destins et qui en conséquence ne peuvent aucunement prétendre à influer sur ceux des autres

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