Les Tatars de Crimée, entre bravades et inquiétude

Autour du tombeau de Rechat Ametov, jeune Tatar enlevé le 3 mars et dont le corps a été retrouvé lundi recouvert de traces attestant d’une mort violente, la communauté tatare s’inquiète du sort que lui réservent les nouvelles autorités prorusses de Crimée.
Pendant que la population prorusse de Crimée fête le retour imminent de la république autonome ukrainienne dans le giron de Moscou, la minorité tatare, qui régnait autrefois en maître dans la presqu'île, ne voit que des raisons de s'inquiéter pour son propre avenir.
La communauté musulmane de la péninsule, environ 12 % de ses habitants, a un passé commun douloureux avec les Russes, bâti sur des blessures mal cicatrisées d'esclavagisme des uns et de pogroms des autres, jusqu'au traumatisme de la déportation collective en Asie centrale ordonnée par Joseph Staline en 1944. Trente ans après avoir gagné le droit de revenir sur leur terre natale, peu avant l'effondrement de l'Union soviétique, les Tatars ont replongé dans l'inconnu avec la victoire du « oui » au référendum de dimanche qu'ils ont boycotté, convaincus que leur voix ne compterait pas.
« Pourquoi je ne veux pas d'un rattachement à la Russie? » demande Moustafa Asaba, un des dirigeants des Tatars de Crimée. « Parce que le gouvernement russe est imprévisible, parce qu'il est dirigé par un dictateur », répond-il en accusant Vladimir Poutine d'avoir planifié de longue date l'annexion de la presqu'île. Moustafa Asaba, coiffé de la traditionnelle toque en laine noire des Tatars, dit craindre que des « agitateurs russes » ne se livrent à des « provocations » pour permettre aux autorités russes de justifier l'étouffement de l'identité de sa communauté en la privant de sa langue, sa culture et sa religion. « Nous avons toujours bénéficié de la liberté d'expression (en Ukraine) », assure-t-il. « S'ils (les Russes) nous oppriment, nous résisterons. Il y aura des procès et des emprisonnements. Cela n'apportera rien de bon », dit-il.
Soif de vengeance ?
Pour Moustafa Asaba, 58 ans, la répression russe n'est pas un concept abstrait : il est né en Ouzbékistan, où sa famille avait été déportée en 1944, comme l'ensemble des Tatars de Crimée. Nombre d'entre eux n'avaient pas survécu au voyage dans des wagons à bestiaux, à la famine, aux maladies et au climat des steppes d'Asie centrale. Dans un coin de sa tête, le chef communautaire garde un espoir que le processus de rattachement à la Russie n'ira pas à son terme, malgré la détermination affichée par Moscou. Mais si c'est le cas, dit-il, les Tatars ne partiront pas. « Je pense que 95 % des Tatars resteront, quelles que soient les conditions, parce que c'est notre terre. Nous n'en avons pas d'autre. »
Derrière les bravades, les Tatars ne cachent pas leur inquiétude. Ils craignent que, comme en 1944, les Russes de Crimée ne les dépossèdent de leurs maisons et de leurs magasins, sur lesquels ils n'ont souvent aucun droit de propriété en bonne et due forme.
« De nombreuses maisons ne sont pas enregistrées et les réglementations russes en la matière sont très, très strictes », souligne Niyara, qui gère une épicerie dans une rue poussiéreuse et pleine de nids-de-poule de Belogorsk. La commerçante, qui ne souhaite pas préciser son nom, a noté que le déploiement de soldats russes et de miliciens prorusses ces dernières semaines dans les rues des villes de la péninsule a coïncidé avec une augmentation des menaces verbales et physiques contre les membres de la minorité musulmane.
Comme les Tatars, les nationalistes russes ont de la mémoire et nourrissent des projets de vengeance contre une communauté qui, lorsqu'elle régna sur la Crimée du XVe au XVIIIe siècle, était réputée pour asservir les Slaves chrétiens afin de les vendre comme esclaves à l'Empire ottoman.
Des craintes d'expropriation qui pourraient se confirmer, le nouveau pouvoir prorusse en Crimée envisageant de reprendre une partie des terres occupées « illégalement » par les Tatars pour « des projets sociaux », a annoncé hier le vice-Premier ministre de la région Roustam Temirgaliev.
Le Maïdan de Moscou
Refat Tchoubarov, un autre dirigeant tatar, a déclaré lundi à la presse que des dizaines de membres de sa communauté avaient « disparu » la semaine dernière et que leur sort était inconnu. D'autres disparitions de ce genre ont été signalées au cours du mois écoulé en Crimée, visant des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes et des partisans du mouvement de protestation Maïdan qui a renversé le président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Le corps d'un Tatar qui avait été enlevé le 3 mars a été retrouvé lundi, a déclaré M. Tchoubarov. Les funérailles de Rechat Ametov, dont le corps porte selon lui des traces de mort violente, ont eu lieu hier.
Les autorités prorusses qui ont pris le pouvoir en Crimée après la chute de Viktor Ianoukovitch ont promis aux Tatars une représentation dans le gouvernement régional, la reconnaissance de leurs droits fonciers et une aide financière. Mais ces promesses ont été accueillies avec suspicion par les chefs de la communauté, qui songent désormais à revendiquer leur propre autonomie. « (Sergueï) Aksionov n'est pas fiable, c'est un séparatiste », dit Lenoura Asanova, une habitante tatare de Belogorsk, à propos du Premier ministre criméen, dont le parti favorable au rattachement à la Russie n'avait recueilli que 4 % des voix lors des dernières élections législatives. « C'est la Russie qui tire les ficelles », ajoute-t-elle.
Pour Moustafa Asaba, l'inflexibilité de Vladimir Poutine sur le dossier ukrainien s'explique par sa crainte de subir le même sort que son homologue à Kiev. « Dans cinq ans, il y aura un "Maïdan" à Moscou, dit-il. C'est ce qui lui fait peur. Il y a un an, personne n'aurait pensé qu'il était possible de renverser Viktor Ianoukovitch. Personne. »
OLJ/Reuters
19/03/2014
Danses des Tatars de Crimée à un Festival en Roumanie 2009 :
et autres Danses des Tatars de Crimée :

Autour du tombeau de Rechat Ametov, jeune Tatar enlevé le 3 mars et dont le corps a été retrouvé lundi recouvert de traces attestant d’une mort violente, la communauté tatare s’inquiète du sort que lui réservent les nouvelles autorités prorusses de Crimée.
Pendant que la population prorusse de Crimée fête le retour imminent de la république autonome ukrainienne dans le giron de Moscou, la minorité tatare, qui régnait autrefois en maître dans la presqu'île, ne voit que des raisons de s'inquiéter pour son propre avenir.
La communauté musulmane de la péninsule, environ 12 % de ses habitants, a un passé commun douloureux avec les Russes, bâti sur des blessures mal cicatrisées d'esclavagisme des uns et de pogroms des autres, jusqu'au traumatisme de la déportation collective en Asie centrale ordonnée par Joseph Staline en 1944. Trente ans après avoir gagné le droit de revenir sur leur terre natale, peu avant l'effondrement de l'Union soviétique, les Tatars ont replongé dans l'inconnu avec la victoire du « oui » au référendum de dimanche qu'ils ont boycotté, convaincus que leur voix ne compterait pas.
« Pourquoi je ne veux pas d'un rattachement à la Russie? » demande Moustafa Asaba, un des dirigeants des Tatars de Crimée. « Parce que le gouvernement russe est imprévisible, parce qu'il est dirigé par un dictateur », répond-il en accusant Vladimir Poutine d'avoir planifié de longue date l'annexion de la presqu'île. Moustafa Asaba, coiffé de la traditionnelle toque en laine noire des Tatars, dit craindre que des « agitateurs russes » ne se livrent à des « provocations » pour permettre aux autorités russes de justifier l'étouffement de l'identité de sa communauté en la privant de sa langue, sa culture et sa religion. « Nous avons toujours bénéficié de la liberté d'expression (en Ukraine) », assure-t-il. « S'ils (les Russes) nous oppriment, nous résisterons. Il y aura des procès et des emprisonnements. Cela n'apportera rien de bon », dit-il.
Soif de vengeance ?
Pour Moustafa Asaba, 58 ans, la répression russe n'est pas un concept abstrait : il est né en Ouzbékistan, où sa famille avait été déportée en 1944, comme l'ensemble des Tatars de Crimée. Nombre d'entre eux n'avaient pas survécu au voyage dans des wagons à bestiaux, à la famine, aux maladies et au climat des steppes d'Asie centrale. Dans un coin de sa tête, le chef communautaire garde un espoir que le processus de rattachement à la Russie n'ira pas à son terme, malgré la détermination affichée par Moscou. Mais si c'est le cas, dit-il, les Tatars ne partiront pas. « Je pense que 95 % des Tatars resteront, quelles que soient les conditions, parce que c'est notre terre. Nous n'en avons pas d'autre. »
Derrière les bravades, les Tatars ne cachent pas leur inquiétude. Ils craignent que, comme en 1944, les Russes de Crimée ne les dépossèdent de leurs maisons et de leurs magasins, sur lesquels ils n'ont souvent aucun droit de propriété en bonne et due forme.
« De nombreuses maisons ne sont pas enregistrées et les réglementations russes en la matière sont très, très strictes », souligne Niyara, qui gère une épicerie dans une rue poussiéreuse et pleine de nids-de-poule de Belogorsk. La commerçante, qui ne souhaite pas préciser son nom, a noté que le déploiement de soldats russes et de miliciens prorusses ces dernières semaines dans les rues des villes de la péninsule a coïncidé avec une augmentation des menaces verbales et physiques contre les membres de la minorité musulmane.
Comme les Tatars, les nationalistes russes ont de la mémoire et nourrissent des projets de vengeance contre une communauté qui, lorsqu'elle régna sur la Crimée du XVe au XVIIIe siècle, était réputée pour asservir les Slaves chrétiens afin de les vendre comme esclaves à l'Empire ottoman.
Des craintes d'expropriation qui pourraient se confirmer, le nouveau pouvoir prorusse en Crimée envisageant de reprendre une partie des terres occupées « illégalement » par les Tatars pour « des projets sociaux », a annoncé hier le vice-Premier ministre de la région Roustam Temirgaliev.
Le Maïdan de Moscou
Refat Tchoubarov, un autre dirigeant tatar, a déclaré lundi à la presse que des dizaines de membres de sa communauté avaient « disparu » la semaine dernière et que leur sort était inconnu. D'autres disparitions de ce genre ont été signalées au cours du mois écoulé en Crimée, visant des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes et des partisans du mouvement de protestation Maïdan qui a renversé le président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Le corps d'un Tatar qui avait été enlevé le 3 mars a été retrouvé lundi, a déclaré M. Tchoubarov. Les funérailles de Rechat Ametov, dont le corps porte selon lui des traces de mort violente, ont eu lieu hier.
Les autorités prorusses qui ont pris le pouvoir en Crimée après la chute de Viktor Ianoukovitch ont promis aux Tatars une représentation dans le gouvernement régional, la reconnaissance de leurs droits fonciers et une aide financière. Mais ces promesses ont été accueillies avec suspicion par les chefs de la communauté, qui songent désormais à revendiquer leur propre autonomie. « (Sergueï) Aksionov n'est pas fiable, c'est un séparatiste », dit Lenoura Asanova, une habitante tatare de Belogorsk, à propos du Premier ministre criméen, dont le parti favorable au rattachement à la Russie n'avait recueilli que 4 % des voix lors des dernières élections législatives. « C'est la Russie qui tire les ficelles », ajoute-t-elle.
Pour Moustafa Asaba, l'inflexibilité de Vladimir Poutine sur le dossier ukrainien s'explique par sa crainte de subir le même sort que son homologue à Kiev. « Dans cinq ans, il y aura un "Maïdan" à Moscou, dit-il. C'est ce qui lui fait peur. Il y a un an, personne n'aurait pensé qu'il était possible de renverser Viktor Ianoukovitch. Personne. »
OLJ/Reuters
19/03/2014
Danses des Tatars de Crimée à un Festival en Roumanie 2009 :
et autres Danses des Tatars de Crimée :
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