En réalité, le discours du roi du 10 Octobre reconnait à demi-mot le déficit de vision stratégique diplomatique au Maroc et l'absence de la diplomatie préventive. En effet, les millions de dollars dépensés par le Palais et ses organes, sans aucun contrôle parlementaire, pour s'attirer la sympathie de certains lobbies aux USA et ailleurs, n'ont pas été très rentables. La « taginisation » ( De TAJINE )et la « mamounisation » ( De Al Mamounia ) de la diplomatie ont permis, à titre d'exemple, de gaspiller 30 millions de dollars pour financer un complexe touristique dans une île des caraïbes (Dominique) en espérant acheter la voix de son gouvernement aux Nations Unies.
De même, le fait de décorer l'un des plus grands sionistes du monde, Malcolm Honlein en espérant que l'AIPAC, le plus grand lobby pro israélien, fasse pression sur le Congrès et l'Exécutif américains en faveur du Maroc, ne semble pas mettre à l'abri l'affaire du Sahara des turbulences qu'elle traverse et n'efface pas les dégâts causés à l'image du Maroc par la violence policière quotidienne au nord comme au sud du pays. Cette image a été encore plus ternie par le scandale de la malheureuse grâce royale accordée au pédophile espagnol Daniel Galvan puis par l'emprisonnement injuste pendant 39 jours d'un journaliste talentueux, Ali Anouzla, directeur de publication de la version arabe du site Lakome, en vue de le punir d'avoir souvent brisé les lignes rouges. Ces faits successifs révèlent au grand jour les dysfonctionnements d'une gouvernance basée sur la docilité, la corruption, l'incompétence et l'absence de contre-pouvoir.
Il est évident que le souvenir de la tentative de Washington, en avril 2013, de faire voter par le conseil de sécurité de l'ONU une résolution élargissant le mandat de la MINURSO au contrôle du respect des droits d'homme, a laissé des cicatrices profondes sur la diplomatie marocaine. Si la résolution a été retirée in extremis, rien ne garantit qu'en avril 2014 une résolution similaire (ou une autre mauvaise surprise), ne viendra pas gâcher la fête.
Le récent rapport du US Army War College montre que la demande US d'étendre ce mandat n'était pas un coup de tête contre le Maroc mais une décision stratégique pour la région (page 74). Le rapport parle clairement d'« authoritarian regimein Rabat » (page 68) et explique les succès du Polisario par trois facteurs : le soutien de l'Algérie, la faiblesse de la Mauritanie et les erreurs du Maroc. Il signale aussi que le scepticisme des Sahraouis à propos des intentions de Rabat est bien fondé, et que ce n'est qu'à travers de vraies réformes, l'autonomie et une réduction significative de clientélisme et de la corruption que le gouvernement marocain a une chance de gagner une certaine crédibilité parmi les Sahraouis (Sahrawi skepticism about Rabat's intentions is well grounded; only through genuine reforms, autonomy, and a significant reduction in clientelism and corruption does the Moroccan government stand a chance of gaining some credibility among the Sahrawis.)
Les brutalités légendaires des forces de sécurité Marocaines, qui ne rendent compte qu'aux hommes du Palais, sont toujours prêtes à agir comme le footballeur qui marque contre son propre camp.
En plus de l'attitude peu amicale des USA, que la diplomatie marocaine continue de qualifier d'allié stratégique du Maroc, les derniers développements de l'affaire sur le plan mondial ont de quoi inquiéter Rabat, puisque les pressions se font de plus en plus fortes pour trouver une issue à ce conflit qui a trop duré.
Si le Maroc s'accroche à une seule solution, à savoir le plan d'autonomie, le rapport Tannock voté le 22 octobre par le parlement européen cite, dans son paragraphe 99, le mot anglais self-determination (auto-détermination) à trois reprises. A ce propos, il n'est pas inutile de rappeler que la MINURSO veut dire Mission des Nations Unies pour le Référendum au Sahara Occidental. Signalons au passage, à propos de ce rapport, que la propagande officielle marocaine s'en est "félicité", tout en omettant de relever que, selon le texte, le Parlement européen « se dit gravement préoccupé par le récent rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture », « condamne les violations des droits de l'homme dont sont victimes les femmes sahraouies qui se manifestent notamment par du harcèlement et des violences sexuelles », « déplore vivement que, le 6 mars 2013, le Maroc ait expulsé une délégation de quatre députés au Parlement européen » et « soutient la création d'une mission MINURSO-CICR (Comité International de la Croix Rouge) officielle dans la zone de Fadret Leguiaa afin de procéder à l'exhumation et à la restitution des dépouilles aux familles, à la suite de la découverte de fosses communes par l'équipe d'investigation de l'Université du Pays basque. »
Les puissances mondiales pourraient pousser vers une formule de confédération ou de fédération, sans toutefois écarter l'indépendance pure et simple, même si elles sont convaincues qu'un petit Etat Sahraoui est peu viable et serait une source d'instabilité. Quoique, le Soudan a bien perdu son sud, l'Espagne pourrait être amputée de la Catalogne, la Belgique est menacée d'être coupée en deux et le Maroc lui-même considérait la Mauritanie comme territoire marocain et n'a reconnu son indépendance qu'en 1969.
Mais tant que les autorités Marocaines continuent de violer les droits de l'homme au Sahara, comme partout au Maroc d'ailleurs, lesquelles violations n'ont pas cessé depuis l'épisode d'avril 2013, la crédibilité de la proposition marocaine s'amenuise. En effet, autonomie ne rime pas avec absence de vraie démocratie et avec autoritarisme, qui demeure au cœur de la nature intrinsèque du régime marocain.
En mai dernier, l'académicien espagnol Bernabé López García avait publié une analyse pertinente sur l'échec du Maroc au Sahara, qui n'a pas pris une seule ride. Il met en lumière la politique de répression, les incohérences stratégiques de Rabat et surtout son « incapacité au cours des six années écoulées à faire évoluer vers une solution le problème du Sahara, alors qu'il constitue la plus grande hypothèque de la monarchie et sa maladie chronique. » Il conclut que « loin de constituer le point final des négociations, ce plan (d'autonomie) peine maintenant à en constituer le point de départ, si tant est qu'il puisse y arriver. » En d'autres mots, le Maroc a une cause juste mais de mauvais avocats.
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