" On se retrouve avec un grand nombre de petites localités sans économie, remplies de personnes âgées et de travailleurs formés dans les industries soviétique s incapables de suivre le rythme actuel"
Au lendemain de la chute du mur, nombre d’observateurs occidentaux étaient convaincus que le passage des pays d’ex-URSS à une économie de marché allait résoudre les graves problèmes urbanistiques auxquels ils étaient confrontés : campagnes en difficulté, pauvreté endémique dans les grandes villes, et désertion des villes secondaires bâties autour d’une industrie moribonde. Vingt ans plus tard, les Nations unies sonnent le réveil.
La transition monumentale d’une économie centralisée à une économie de marché a certes produit des effets remarquables, mais l’empressement avec lequel les réformes ont été implémentées, le court-termisme politique et la corruption, entre autres, ont compromis la vision à long terme qui aurait permis à nos voisins d’échapper aux aléas du capitalisme.
Migration interne
"Les pays d’ex-URSS sont passés d’un extrême à l’autre un peu vite", commente Joseph Maseland venu présenter le rapport 2013 des Nations unies sur l’état des villes européennes en transition. "L’urgence de la réforme et le capitalisme lui-même ont produit des effets indésirables : les conditions de vie se sont améliorées, mais les campagnes n’ont pas suivi les grandes villes confrontées à une migration interne de plus en plus importante avec un effet direct sur le coût de la vie et le prix des logements." Faute d’opportunités, les jeunes ont massivement quitté les villages, d’autres sont partis pour l’étranger avant de revenir à domicile, encouragés par la crise de la zone euro des dernières années, sans pour autant regagner leur province d’origine.
"On se retrouve donc avec un grand nombre de petites localités sans économie, remplies de personnes âgées et de travailleurs formés dans les industries soviétique s incapables de suivre le rythme actuel", poursuit Joseph Maseland. "Aussi bénéfique soit-elle, la transition a apporté beaucoup de souffrance. Certains ont su s’adapter au capitalisme, d’autres, parmi ceux qui n’ont jamais eu à se battre par le passé pour se faire une place dans la société, n’y sont pas parvenus." Beaucoup d’entre eux sont également devenus propriétaires lors de la privatisation qui a suivi la fin du système soviétique. Mais ici aussi, "la transition s’est faite de manière trop radicale".
Certains propriétaires n’ont jamais eu les moyens d’entretenir des logements dont le prix n’a cessé d’augmenter et se retrouvent désormais proches de l’expulsion. D’autres vivent dans les blocs d’appartements conçus pendant la période socialiste où le manque d’entretien des lieux communs donnerait à ces immeubles vieillissants des airs de "bidonvilles verticaux".
L’apport de l’Union
Les 23 Etats analysés dans le rapport n’ont évidemment pas le même degré de développement. La Croatie n’a pas grand-chose à voir avec l’Azerbaïdjan, lui-même fort différent de l’Ukraine ou de la Lettonie. Le programme des Nations unies pour l’habitat a donc distingué quatre catégories : le sud (Roumanie, Bulgarie, pays des Balkans), le Caucase du sud (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan), l’Est (Moldavie, Ukraine, Biélorussie), et l’ouest qui regroupe les huit entités venues rejoindre l’Union européenne en 2004 avec Chypre et Malte (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Slovénie). Ces derniers ont "largement bénéficié du support politique et économique de l’UE", conclut le rapport.
"Ce sont les grands gagnants de la transition. Ils ont pu attirer les investissements étrangers alléchés par une main-d’œuvre bien formée, abordable, et une adaptation rapide aux marchés." Ici aussi, pourtant, les campagnes souffrent d’un certain retard et d’une politique européenne jugée lacunaire. "La clé de la croissance repose sur une décentralisation politique et économique", poursuit Joseph Maseland. "Ce qui ne sera envisageable que si les Etats mettent préalablement en place une décentralisation fiscale qui donne aux différents niveaux de pouvoir une plus grande autonomie financière. Ce n’est pas le cas pour l’instant et le manque d’infrastructures vient encore renforcer cet isolement."
La démocratie et le marché libre n’ont pas réglé les problèmes urbanistiques des anciens régimes soviétiques. Le contraire aurait été étonnant, la plupart des pays occidentaux ont rencontré des problèmes similaires par le passé et peu de sociétés capitalistes peuvent aujourd’hui économiser une réflexion sur le vieillissement de la population ou l’urbanisation croissante. "Les pays d’ex-URSS expérimentent la même chose que ce qui s’est produit aux Etats-Unis et en Europe de l’Ouest par le passé", conclut Joseph Maseland.
"Ils commettent exactement les mêmes erreurs, même s’il faut y ajouter des spécificités propres à leur situation." Etait-ce inévitable ? "Peut-être, on ne peut pas exclure que ces effets indésirables fassent partie de l’évolution de toute société, ou en tout cas de toute société capitaliste, et on peut désormais se demander jusqu’où l’économie de marché doit-elle déterminer le développement de nos villes et avec quelles conséquences."
Dauchot Valentin
Libre.be
Au lendemain de la chute du mur, nombre d’observateurs occidentaux étaient convaincus que le passage des pays d’ex-URSS à une économie de marché allait résoudre les graves problèmes urbanistiques auxquels ils étaient confrontés : campagnes en difficulté, pauvreté endémique dans les grandes villes, et désertion des villes secondaires bâties autour d’une industrie moribonde. Vingt ans plus tard, les Nations unies sonnent le réveil.
La transition monumentale d’une économie centralisée à une économie de marché a certes produit des effets remarquables, mais l’empressement avec lequel les réformes ont été implémentées, le court-termisme politique et la corruption, entre autres, ont compromis la vision à long terme qui aurait permis à nos voisins d’échapper aux aléas du capitalisme.
Migration interne
"Les pays d’ex-URSS sont passés d’un extrême à l’autre un peu vite", commente Joseph Maseland venu présenter le rapport 2013 des Nations unies sur l’état des villes européennes en transition. "L’urgence de la réforme et le capitalisme lui-même ont produit des effets indésirables : les conditions de vie se sont améliorées, mais les campagnes n’ont pas suivi les grandes villes confrontées à une migration interne de plus en plus importante avec un effet direct sur le coût de la vie et le prix des logements." Faute d’opportunités, les jeunes ont massivement quitté les villages, d’autres sont partis pour l’étranger avant de revenir à domicile, encouragés par la crise de la zone euro des dernières années, sans pour autant regagner leur province d’origine.
"On se retrouve donc avec un grand nombre de petites localités sans économie, remplies de personnes âgées et de travailleurs formés dans les industries soviétique s incapables de suivre le rythme actuel", poursuit Joseph Maseland. "Aussi bénéfique soit-elle, la transition a apporté beaucoup de souffrance. Certains ont su s’adapter au capitalisme, d’autres, parmi ceux qui n’ont jamais eu à se battre par le passé pour se faire une place dans la société, n’y sont pas parvenus." Beaucoup d’entre eux sont également devenus propriétaires lors de la privatisation qui a suivi la fin du système soviétique. Mais ici aussi, "la transition s’est faite de manière trop radicale".
Certains propriétaires n’ont jamais eu les moyens d’entretenir des logements dont le prix n’a cessé d’augmenter et se retrouvent désormais proches de l’expulsion. D’autres vivent dans les blocs d’appartements conçus pendant la période socialiste où le manque d’entretien des lieux communs donnerait à ces immeubles vieillissants des airs de "bidonvilles verticaux".
L’apport de l’Union
Les 23 Etats analysés dans le rapport n’ont évidemment pas le même degré de développement. La Croatie n’a pas grand-chose à voir avec l’Azerbaïdjan, lui-même fort différent de l’Ukraine ou de la Lettonie. Le programme des Nations unies pour l’habitat a donc distingué quatre catégories : le sud (Roumanie, Bulgarie, pays des Balkans), le Caucase du sud (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan), l’Est (Moldavie, Ukraine, Biélorussie), et l’ouest qui regroupe les huit entités venues rejoindre l’Union européenne en 2004 avec Chypre et Malte (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Slovénie). Ces derniers ont "largement bénéficié du support politique et économique de l’UE", conclut le rapport.
"Ce sont les grands gagnants de la transition. Ils ont pu attirer les investissements étrangers alléchés par une main-d’œuvre bien formée, abordable, et une adaptation rapide aux marchés." Ici aussi, pourtant, les campagnes souffrent d’un certain retard et d’une politique européenne jugée lacunaire. "La clé de la croissance repose sur une décentralisation politique et économique", poursuit Joseph Maseland. "Ce qui ne sera envisageable que si les Etats mettent préalablement en place une décentralisation fiscale qui donne aux différents niveaux de pouvoir une plus grande autonomie financière. Ce n’est pas le cas pour l’instant et le manque d’infrastructures vient encore renforcer cet isolement."
La démocratie et le marché libre n’ont pas réglé les problèmes urbanistiques des anciens régimes soviétiques. Le contraire aurait été étonnant, la plupart des pays occidentaux ont rencontré des problèmes similaires par le passé et peu de sociétés capitalistes peuvent aujourd’hui économiser une réflexion sur le vieillissement de la population ou l’urbanisation croissante. "Les pays d’ex-URSS expérimentent la même chose que ce qui s’est produit aux Etats-Unis et en Europe de l’Ouest par le passé", conclut Joseph Maseland.
"Ils commettent exactement les mêmes erreurs, même s’il faut y ajouter des spécificités propres à leur situation." Etait-ce inévitable ? "Peut-être, on ne peut pas exclure que ces effets indésirables fassent partie de l’évolution de toute société, ou en tout cas de toute société capitaliste, et on peut désormais se demander jusqu’où l’économie de marché doit-elle déterminer le développement de nos villes et avec quelles conséquences."
Dauchot Valentin
Libre.be
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