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Le modèle turc, réalité ou feuilleton?

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  • Le modèle turc, réalité ou feuilleton?

    Pour expliquer que la démocratie n’est pas une fin en soi, l’actuel Premier ministre turc Tayyip Erdogan, alors en campagne, avait déclaré, en 1992, que « la démocratie est comme un tramway, il va jusqu’où vous voulez aller, et là vous descendez ». Autrement dit la démocratie n’était, à ses yeux, qu’un moyen et l’élection l’instrument commode permettant à la cause des islamistes de triompher. Cela fait dix ans que le tramway est en gare et n’est plus jamais reparti. A croire que la volonté et la souveraineté du peuple ne servent qu’une seule fois, le temps du trajet qui permet aux islamistes de parvenir au pouvoir et de s’assurer l’éternité.
    Depuis cinq jours, un mouvement de protestation contre le gouvernement agite l’ensemble de la Turquie. Parti de la place Taksim d’Istanbul, le rassemblement visant à empêcher le projet de construction d’un centre commercial et d’une mosquée voulu par le gouvernement autour du parc Gezi, s’est transformé en démonstration de défi au pouvoir. Des milliers de manifestants, représentant un large éventail des sensibilités de la société turque, scandent des slogans hostiles au Premier ministre. Bilan : des blessés, des voitures et des bus incendiés, des pavés arrachés, du gaz lacrymogène, des canons à eau, des balles en caoutchouc, des arrestations par centaines, des morts et la confédération des syndicats qui appelle à une grève de deux jours. Sommes-nous vraiment en Turquie, dans ce pays qui passe pour être un modèle de démocratie stable et d’économie prospère et qui n’a cessé de servir d’alibi aux islamistes pour mieux cacher leur jeu ?
    Nonobstant ses taux de croissance, sa diplomatie active et la popularité du Premier ministre turc auprès de la « rue arabe », plusieurs affaires alimentent aujourd’hui la dynamique protestataire, confirment la dérive autoritaire du régime d’Ankara et devraient atténuer l’enthousiasme des adulateurs du miracle turc : empiètement sur les libertés civiles, promulgation de lois limitant la vente et la consommation d’alcool, avertissements des autorités concernant d’impudiques démonstrations d’affection en public, interdiction faite aux hôtesses deTurkish Airlines de se mettre du rouge à lèvre. Enfin, l’incarcération de 72 professionnels des médias qui fait de la Turquie la plus grande prison du monde pour les journalistes. Des signes qui ne trompent pas sur une reprise en main autoritaire et personnalisée qui, tôt ou tard, remontent à la surface de tous les régimes islamistes modérés.
    Depuis le soulèvement de janvier et l’émergence de l’hypothèse islamiste, l’intérêt qu’inspirait l’expérience turque comme modèle parfaitement transposable a crû démesurément au point de devenir, pour certains, une perspective d’avenir en l’absence d’une opposition laïque unie et crédible. A l’époque, craignant un raz-de-marée islamiste, certains en étaient venus à envisager l’option turque comme l’incarnation d’un Islam compatible avec la liberté et la démocratie. Les Tunisiennes surtout, car fortement attachées à leur liberté, y voyaient une alternative d’autant plus tolérable qu’elle fut maintes fois corroborée par les déclarations apaisantes des dirigeants islamistes quant à leur attachement à la démocratie, au maintien du code du statut personnel et à la liberté. Mais, c’est surtout grâce à ses feuilletons fleuves que la Turquie faisait rêver, éclipsant la réalité politique pour devenir le faire-valoir de l’Islam dit modéré. Les plus frileux, ceux qui criaient au loup à l’idée de vivre sous un régime religieux, avaient fini par entrevoir l’avenir avec plus de sérénité. Conçues selon un plan stratégique savamment élaboré, les intrigues amoureuses des personnages de feuilletons furent ainsi à la fois un puissant promoteur du régime turc et le grand allié des islamistes du Printemps arabe partis à la conquête du pouvoir. Après tout, diront certains, l’Islam turc n’est pas si mal que ça ! Sauf que nous ne sommes pas dans la configuration des séries télévisées turques et leur immense pouvoir de suggestion, où les personnages sont tous beaux, riches, jeunes et minces, où des femmes modernes et autonomes réussissent leur vie professionnelle et où le bien-être, la liberté et l’ouverture démocratique semblent parfaitement compatibles avec les valeurs islamistes traditionnelles. Cet engouement pour le modèle turc fut ainsi à l’origine de graves malentendus consécutifs à une profonde méconnaissance de la réalité turque, autant que celle des islamistes tunisiens qui sont loin d’être les répliques du Stambouliote fortuné, Mohannad, dont furent tant éprises les téléspectatrices arabes.
    L’interminable feuilleton politique auquel nous assistons depuis deux ans est bien moins passionnant que la série télévisée « Nour ». Cette fois, c’est le pays tout entier qui s’offre aux regards des téléspectateurs à travers sa propre intrigue : une comédie-dramatique qui ne boucle pas, où le dénouement est systématiquement suspendu, toujours différé, allant de rebondissement en rebondissement, impliquant les récepteurs résignés que nous sommes dans un régime de temporalité élastique. On ne sait plus parfois à quel moment du déroulement global de l’histoire on se trouve, sur quel nœud va se clore l’épisode et comment les choses vont finir. Saturés et écœurés par le jeu lassant de ces personnages secondaires qui étirent paresseusement l’intrigue, repoussent les échéances, retiennent le temps et font durer le présent qu’ils surchargent des significations du passé, nous avons cessé de nous impliquer dans les figures et la dramatisation du feuilleton, découragés par le sentiment de l’enjeu relatif et de la portée réduite des choix, le sentiment de n’être plus en train de vivre et d’évoluer, ni d’agir, occupés à regarder médusés sans pouvoir prévoir quand les circonstances mettront un terme à cette étape de notre existence.
    Celui qui est déjà venu nous montrer en septembre 2011 la seule voie à suivre, est retourné cette fois-ci constater la réalité du naufrage du pouvoir des islamistes dont on ne cesse de payer l’incapacité à gouverner, toujours hésitants à saisir à bras-le-corps les problèmes fondamentaux, à prendre les décisions et à trancher. Pour Erdogan, celui-là même qui s’adresse aujourd’hui aux protestataires de Taksim par le « eux » et « nous », menaçant de mobiliser un million là où ses adversaires politiques mobiliseront 100.000, l’échec de l’expérience tunisienne pose toute la question de la capacité de l’islamisme en général à sortir enfin de l’idéologique, du dogmatique et à se définir positivement contre d’autres, à envisager des constructions sociopolitiques plus larges que la seule observance des règles de la Chariâa
    l'économiste maghrébin

  • #2
    l’échec de l’expérience tunisienne pose toute la question de la capacité de l’islamisme en général à sortir enfin de l’idéologique, du dogmatique et à se définir positivement contre d’autres, à envisager des constructions sociopolitiques plus larges que la seule observance des règles de la Chariâa
    C'est la bonne question à se poser.

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