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Libye : Crise politique sans précédent et fuites occidentales

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  • Libye : Crise politique sans précédent et fuites occidentales

    Une sévère crise politique déstabilise encore une fois le pays. Certes, ce n’est pas la première crise et ce ne sera sans doute pas la dernière. Mais tout porte à croire que la crise actuelle atteint un paroxysme que la Libye n’avait pas encore connu. Retour sur un mois de mai explosif.

    Une politique esclave des armes
    Fin avril et début mai, des milices armées ont assiégé les ministères des Affaires étrangères, de la Justice et des Finances. En cause : les tergiversations autour de l’adoption d’une loi dite d’isolement politique, qui stipulerait de fait l’application d’un « ostracisme légalisé» à l’encontre des hommes politiques ayant travaillé pour le régime Kadhafi. En ligne de mire : le Premier ministre lui-même, Ali Zeidan, mais aussi le président, Mohamed Al Megaryef, ancien diplomate dans les années 1980.
    Déstabilisé par la situation, le Premier ministre promet, dans un premier temps, un remaniement gouvernemental dans de courts délais. Finalement, sous la pression des armes, la loi d’isolement politique est adoptée le
    5 mai par le Conseil général national (CGN), à une écrasante majorité. Elle doit encore être ratifiée par la commission juridique du Conseil. Cette adoption met en exergue deux problématiques. Premièrement, elle soulève une interrogation de taille : cette nouvelle législation, qui doit avant tout s’appliquer aux fonctionnaires ou civils ayant exercé des postes à responsabilité à l’époque du Colonel, peut-elle se transformer en véritable « chasse aux sorcières » ? En effet, il semble que quiconque aura de près ou de loin collaboré avec l’ancien régime, qu’il ait commis ou non des exactions, qu’il ait été un petit technocrate ou un « criminel » du régime, est susceptible d’être éjectable/éjecté. Sans distinction. D’un autre côté, selon la loi 38, les révolutionnaires bénéficient d’une totale impunité, peu importe les crimes qu’ils aient commis lors du Printemps libyen. Sarah Leah Whitson, directrice du service Afrique du Nord/Moyen-Orient au sein de l’ONG Human Rights Watch, rappelle que beaucoup de prisonniers dits « loyalistes » demeurent emprisonnés sans avoir pu bénéficié d’un procès équitable, parfois même condamnés sans preuve attestant de leur culpabilité. Difficile alors de trouver un juste milieu, dans une Libye qui se cherche encore, cicatrisant les plaies d’un vide étatique et d’une dictature de plusieurs décennies. Deuxièmement, l’adoption symbolise surtout la démonstration du pouvoir des armes sur le politique, dans une société ultra militarisée. De larges segments de la population n’étaient pas complètement favorables à l’adoption de cette loi, tout comme beaucoup d’organismes de droits de l’Homme.

    Quoi qu’il en soit, il ne s’agit finalement pas de juger si cette loi est légitime ou illégitime, bénéfique ou nocive pour la reconstruction du pays, même si de nombreuses interrogations subsistent autour des conditions d’application du texte. Ce qui interpelle, c’est la manière dont elle a été votée. Cette démonstration de force a pour le moins été relativement impressionnante : plus de deux cents miliciens sont arrivés sur des véhicules dotés de canons antiaériens, brandissant lance-roquettes et armes en tout genre. Cette intrusion forcée au sein des ministères, symboles de l’Etat, illustre l’influence et la capacité de puissance de certains groupes politiques et tribaux. La loi a donc fait l’objet non pas d’une justice expéditive, mais d’une « politique expéditive », un processus accéléré par la menace de l’emploi de la force et l’emploi de la force effectif. Le pouvoir au peuple et aux armes. Les miliciens réclament aujourd’hui le départ du Premier ministre, concerné par la loi, et de son gouvernement, ébranlé par les dernières évolutions. Le ministre de la Défense, Mohamed al-Barghati, a bien failli démissionner au début du mois. Le ministre de l’Intérieur, Al Achour Chawali, avait quant à lui déjà rendu son tablier. Son successeur, Mohamed Khalifa al-Cheikh, devrait vraisemblablement prêter serment dans les prochains jours. Les assiégeurs vont-ils s’arrêter là et se contenter d’une adoption théorique ? Vont-ils vouloir l’appliquer eux-mêmes ? De plus, il est fort probable que, revigorés par ce « précédent » en la matière, d’autres groupes miliciens envisagent d’utiliser ce mode de pression et d’intimidation pour appuyer ou rejeter de futurs projets politiques et constitutionnels. La loi 63 de 2012, qui interdit les manifestations armées, ne semble être que de l’encre sur du papier. Selon certains, les leaders du siège seraient d’anciens candidats aux élections du CGN en juillet 2012, qui n’auraient pas réussi à obtenir un place au sein du gouvernement par la voie démocratique. Ce ne serait donc ni justice, ni réclamation de démocratie qu’ils rechercheraient, mais simplement une prise de pouvoir.

    Vide institutionnel et constitutionnel

    Ainsi, ce coup de force contre les institutions politiques libyennes illustre le rapport difficile entre la société libyenne, organisée selon un mode tribal, et le concept d’Etat souverain, tout comme il illustre la confrontation permanente entre structures étatiques/centraux, d’une part, et acteurs locaux, d’autre part. La dialectique local/national, matérialisée par un bras de fer évident, a jusque-là mis en lumière la vulnérabilité du gouvernement face aux mouvements armés locaux. De la même manière, les questions de la décentralisation et de l’autonomie régionale, basée sur cette même dialectique, font toujours l’objet d’un débat houleux. Ces conflits d’échelle impactent irrémédiablement le processus constitutionnel, sans cesse retardé. En effet, la Libye ne dispose toujours pas de réelle Constitution, qui pourrait alors raffermir la légitimité du gouvernement et des institutions de l’Etat. La déclaration constitutionnelle, élaborée par le Conseil national de transition (CNT) le 3 août 2011, est toujours en vigueur. Selon cette déclaration, le CGN devait initialement constituer un comité chargé de la rédaction d’une constitution un mois après sa session inaugurale, ce dernier devant alors présenter un texte dans un délai de deux mois. Par la suite, le CNT, craignant un boycott des populations de l’Est, pour la plupart fédéralistes, avait amendé cette disposition, de telle sorte que la nomination du comité revenait à la charge des électeurs libyens. Un amendement qui n’a pas été confirmé par le CGN. A l’heure actuelle, aucun comité n’a été mis sur pied et les délais sont sans cesse repoussés. La difficulté réside dans le fait que ce vide à la fois institutionnel et constitutionnel entache la légitimité gouvernementale.

    Les attaques à l’encontre des représentants de l’Etat, qu’elles soient physiques ou verbales, sont régulières et contribuent à l’aggravation de la crise politique. La souveraineté politique du CGN est loin d’être réelle, et cette faiblesse institutionnelle alimente la survenue de conflits armés et de violences localisées. Bien que nécessaire, le processus de constitutionnalisation contribue aussi paradoxalement à l’émergence de conflits entre les acteurs politiques locaux et centraux, mais aussi entre les acteurs régionaux et tribaux. En effet, le système libyen reposant sur un maillage sociétal complexe, de nombreux acteurs trouvent des intérêts à élargir sans cesse la liste des domaines de compétences attribués au niveau local, une répartition qu’ils entendent constitutionnaliser. Le cercle est vicieux : le manque de répartition claire entre les différents niveaux (national – régional – local – tribal) accroît les dépassements de légitimité ; les tentatives de répartition se soldent, quant à elles, par une compétition accrue pour l’obtention d’un maximum de compétences au niveau local, au détriment du niveau central. A cela s’ajoute une fragmentation du paysage politique libyen. Au sein du camp révolutionnaire, deux factions s’opposent : celle à la recherche d’un total renouveau politique et une autre, constituée à la fois de modérés, mais aussi de conservateurs, qui estime important de ne pas perdre encore plus d’influence et par conséquent de ne pas trop bouleverser les esprits. Au sein du CGN, les divisions internes sont latentes. Une opposition existe entre ceux qui ont milité avec ferveur pour le renversement du régime - notamment les leaders du CNT issus de l’Est, premiers engagés dans la bataille – et ceux qui se sont abstenus de participer au mouvement, particulièrement dans la région du Fezzan. La fragmentation est également d’ordre idéologique : selon Wolfram Lacher, aucun camp idéologique ne serait clairement défini, à l’exception peut-être des Frères musulmans et des salafistes. Ainsi, l’idéologie politique ne serait donc qu’une façade permettant de masquer des fonctionnements basés sur des alliances d’intérêts et un pragmatisme bien loin des idéaux révolutionnaires. Dans ce contexte politique fragilisé, un autre paramètre intervient : la détérioration sans cesse plus patente du climat sécuritaire, provoquant le retrait progressif des diplomaties occidentales.

    Écrit par Yasmine Sbaia
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Dégradation sécuritaire et fuite diplomatique

    Sur le terrain, les personnels diplomatiques occidentaux s’amenuisent de jour en jour. Le 10 mai, la Grande-Bretagne a annoncé la réduction de ses effectifs diplomatiques et a notamment évacué le personnel de soutien. Le centre culturel britannique a fermé ses portes, tout comme l’ambassade allemande, qui a vu une partie de son personnel transférée dans une structure plus sécurisée. Le reste de l’équipe a été rapatrié en Allemagne. Les Etats-Unis ont annoncé, eux aussi, le retrait de leur personnel n’appartenant pas aux services d’urgence. Et même certaines compagnies prennent la fuite, apeurées par la dégradation de la situation en Libye. La compagnie pétrolière française Ponticelli a plié bagages. Ces « désertions » reflètent le sentiment d’insécurité croissant qui pèse autant sur les représentations diplomatiques que sur les sociétés étrangères.

    Alors que la chute de Kadhafi avait déchainé les ardeurs d’entrepreneurs internationaux, et que les Occidentaux tentaient de se partager des parts d’exploitation pétrolières, aujourd’hui l’heure est au désenchantement. Mais après une révolution qui a ruiné l’économie du pays et à laquelle les Occidentaux ont largement contribué, avec l’opération Harmattan, est-ce vraiment le moment de quitter le navire ? Il faut dire que le contexte sécuritaire est détestable. Le 13 mai dernier, un attentat à la voiture piégée a fait une quinzaine de morts à Benghazi. La semaine dernière, plusieurs voitures piégées ont été désamorcées. Des conflits de basse intensité perdurent en Libye, caractérisés par des violences ciblées contre des bâtiments officiels libyens et occidentaux – rappelons l’attentat perpétré à l’encontre de l’ambassade de France à Tripoli le 23 avril dernier – mais aussi contre la population civile. Les attaques à la bombe se sont multipliées suite à l’adoption de la loi d’isolement politique au début de ce mois. Ces évènements sont le reflet d’un dangereux vacuum sécuritaire. A cette violence armée se surajoutent celles induites par l’existence même de trafics en tout genre : armes, drogues, humains. Mercredi dernier, les forces spéciales libyennes ont arrêté un groupe dans l’est du pays. Ce dernier était en possession de 220 mines dites « anti-tanks » et d’explosifs. Le problème est que l’armée libyenne et les services sécuritaires peinent toujours à sécuriser le territoire national. L’armée, garante en théorie de l’ordre public, est toujours plus ou moins en gestation. L’incorporation de milices entières au sein de l’institution a contribué à l’affaiblissement même de cette dernière, dans la mesure où ces groupes armés - qui ne font allégeance qu’à leurs propres chefs et non à l’institution même – se sont reconstitués légalement tout en continuant à servir leurs intérêts personnels. Les milices non officielles, elles, opèrent toujours et peuvent constituer des leviers de pression puissants, à la mesure du poids des alliances et des allégeances tribales existantes.

    Ainsi, difficile de s’y retrouver dans ce patchwork de brigades légalisées et illégales, constituées de civils et d’anciens militaires. Le gouvernement n’est pas parvenu à démilitariser la société, et pour cause : comment la population concèderait-elle à se désarmer alors que l’Etat ne joue toujours pas son rôle de protecteur et en plus cède sous la pression du pouvoir des armes dans l’adoption de ses textes de loi ? Même les employés du gouvernement l’admettent : « Les gens s’inquiètent pour leur propre sécurité et pour leur subsistance, et, de ce fait, ils détiennent des armes », a déclaré Ahmed Salem, un employé du gouvernement. « Quand les choses se calmeront, alors ils les livreront.»

    La situation libyenne ne doit pas être appréhendée au travers un prisme uniquement national. En effet, on le sait bien, la porosité des frontières libyennes, particulièrement au Sud, impacte la sécurité de la zone sahélienne. Les trafics d’armes, notamment vers le Mali, sont récurrents. Pour rappel, le 13 avril dernier, les forces sécuritaires algériennes avaient intercepté un trafic d’armes en provenance de Libye et en partance pour le Mali, un convoi encadré par des hommes du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujuao). De plus, la guerre au Mali fait craindre un possible retour du Mujuao en Libye. Un total retrait occidental serait donc malvenu dans ces conditions de précarité sécuritaire, et surtout après avoir lancé les opérations militaires, qui auguraient inévitablement des périodes postrévolutionnaires difficiles. L’approbation, mercredi dernier, de l’envoi d’une mission d’aide de l’Union européenne en Libye, destinée notamment au renforcement de la sécurité des frontières, et à la demande du gouvernement libyen, constitue une initiative encourageante. Autre question que l’on se pose : la problématique touarègue malienne peut-elle avoir un impact sur la question touarègue libyenne ? Les Touareg libyens peuvent-ils former des alliances avec des islamistes djihadistes ? L’auteur de l’ouvrage Sahelistan, Samuel Laurent, qui s’est rendu dans les zones libyennes sous contrôle islamiste, estime qu’une guerre est possible à Oubari, dans l’extrême sud-ouest libyen, fief des Touareg. Cette zone est, en effet, désertique, loin du centre régalien, hors de contrôle de l’armée. L’auteur affirme même que les Touareg d’Oubari ont « littéralement vendu ce territoire aux islamistes venus du Mali après le lancement de l’opération Serval (…) en échange de ça, les Touareg ont demandé le contrôle des filières de la drogue». « Les islamistes ont donc créé la brigade 315 qui a été fondée par cheikh Ahmed, un Touareg malien – que l’on sait lié par mariage à Mokhtar Belmokhtar - (…) elle recrute activement dans la population du Fezzan ». Les Touareg du Sud libyen disposent bien entendu, eux aussi, de stocks d’armes. L’implantation de groupes terroristes en leur sein ne laisse donc rien présager de bon.

    Lueur d’espoir
    Le tableau jusqu’à présent dressé de la situation libyenne est alarmant, pour certains, voire même décourageant. Un élément, cependant, témoigne d’une volonté d’aller de l’avant et de poursuivre l’œuvre révolutionnaire avec des moyens pacifiques dans le but de sortir la Libye d’un chaos programmé. En effet, la société civile, étouffée à l’époque de Kadhafi, a pris les « armes » pour combattre l’obscurantisme et le terrorisme sur son sol. Qu’elle soit matérialisée par des citoyens lambda, refusant l’utilisation de la violence, ou des organisations nouvellement constituées, cette société civile ne craint plus désormais de s’opposer physiquement aux milices armées. Déjà, en septembre 2012, suite à l’assassinat de l’ambassadeur Chris Stevens, certains citoyens avaient eux-mêmes délogé des milices. Après l’attentat de Benghazi le 14 mai dernier, des manifestations ont eu lieu contre ces attaques. Lors du siège des ministères, des milliers de civils se sont volontairement confrontés aux brigades armées.

    Un grand rassemblement de soutien au gouvernement avait alors été lancé à l’initiative de plusieurs organisations libyennes. Dans la ville de Zawiya, à 40 km de Tripoli, la population a encore une fois clamé la nécessité de désarmer les milices. La société civile tente à la fois de protéger les acquis de la révolution tout en dénonçant de manière pacifique les défaillances du CGN, démocratiquement élu. Elle rappelle que l’Etat ne joue pas son rôle de protecteur, que l’armée doit devenir une institution solide pour l’avenir du pays et qu’une réelle légitimité étatique doit être instaurée, grâce à l’élaboration d’une nouvelle Constitution notamment. Le gouvernement gagnerait par conséquent à laisser toute sa place à cette composante, qui œuvre pour la solidification des instances étatiques et le bon déroulement d’un processus « démocratique ». La société civile est peut-être le dernier rempart contre la violence généralisée. Alors que le siège du mois de mai fait craindre la banalisation de l’utilisation de la force en politique, la société civile, elle, milite pour la réforme de ce domaine par des moyens pacifiques. Elle représente l’espoir libyen.

    1 Eljarh (M.), « Libya raising », Jadaliyya, 02 mai 2013.
    2 Lacher (W.), « Fault lines of the revolution », Stiftung Wissenschaft und Politik Research Paper, mai 2013.
    3 Essam (M.), « La crise sécuritaire en Libye s’intensifie », Magharebia, 20 mai 2013.
    4 Chapleau (P.), « Les islamistes battus au Mali se refont une santé en Libye », interview de Samuel Laurent, Ouest France, 19 mai 2013.



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    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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