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Sahel : Des « bébés » soldats pour le « djihad » au Mali

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  • Sahel : Des « bébés » soldats pour le « djihad » au Mali

    Jour après jour, de nouvelles recrues viennent grossir les rangs des « insurgés » du Nord-Mali : des « bébés soldats », extirpés de leur cocon familial pour mener le « djihad » en terre malienne. Recrutés de force, formatés, utilisés comme de la chair à canon, ces enfants combattants pourraient bien perturber
    le déroulement de l’opération Serval.



    Dans l’Adrar des Ifoghas en février dernier, l’armée française s’est retrouvée nez à nez avec deux enfants soldats. Le phénomène n’était pas nouveau, même si peu en avaient parlé avant. Depuis le début de la scission du Mali, les rebelles traquent de nouvelles proies afin de renforcer leurs effectifs. Le nombre d’enfants enrôlé demeure inconnu à ce jour. Sept enfants soldats auraient été capturés par l’armée française depuis le 9 mars dernier, mais tout laisse à penser qu’ils sont nombreux à avoir pris les armes. On les appelle les «EAFGA » : les enfants associés aux forces armées et aux groupes armés. Leur enrôlement était en soi prévisible. Les nombreuses violations de droits de l’Homme commis par les combattants du Nord envers la population civile laissaient présager le pire : le sacrifice et l’exploitation de l’enfance. En outre, la circulation d’armes en tout genre, en provenance de Libye notamment, a sans aucun doute contribué à faciliter le processus.

    GUIDE DU PETIT COMBATTANT

    Recrutement. Les enfants, âgés de 10 à 18 ans, représentent une main-d’œuvre abordable et docile pour les rebelles. Véritables objets de commerce, certains enfants seraient même achetés pour quelques centaines de dollars (600 dollars selon la BBC) par des extrémistes islamistes. L’enfant, ainsi, se monnaye, une première étape dans le processus de déshumanisation.

    Les écoles, et particulièrement les écoles coraniques, sont devenues des lieux de prédilection pour les rabatteurs. Ces derniers sont à la recherche de «petites mains » à salir, parlant de préférence arabe. Ils font intrusion dans les classes, prodiguent quelques enseignements sur la conduite à tenir dans le cadre de leur djihad et choisissent de nouveaux éléments. D’après certains témoignages, recueillis par Amnesty International, des enfants auraient même été vendus par leurs maîtres coraniques. Les villages et hameaux isolés, où règne un islam souvent très conservateur, sont aussi devenus des cibles pour les recruteurs. Les rapports ne témoignent pas encore d’indices attestant de la présence de fillettes soldates dans les rangs des rebelles. Mais il est fort probable que certaines aient été recrutées. Quoi qu’il en soit, de jeunes filles ont d’ores et déjà été mises à la disposition des troupes, en tant qu’esclaves sexuelles, ce qui accroît notamment le risque de propagation de maladies sexuellement transmissibles, particulièrement le V.I.H. Enrôlés de force par les groupes armés, les disparitions d’enfants se multiplient. Le maire de Gao, Sadou Diallo, estimait en février dernier que 200 à 300 enfants auraient été emmenés par des djihadistes. Mais qui sont ces djihadistes ? Il s’agirait vraisemblablement du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujuao), d’Ansar Dine, du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) ou encore Al Qaïda au Maghreb islamique. Un caporal de l’armée malienne accuserait même le MNLA de recruter des enfants pour le compte d’AQMI. Leur objectif est de renforcer leurs effectifs pour mener les combats contre la France et d’accroître ainsi leur capacité d’occupation au Nord.

    L’enrôlement n’est pas toujours forcé. Certains enfants choisissent délibérément leur destinée de combattants. Toutefois, on ne peut ignorer des paramètres extérieurs qui poussent, consciemment ou inconsciemment, ces jeunes enfants à prendre de telles décisions. Le contexte socio-économique, la faim, la pauvreté jouent sur les comportements. En outre, les enfants peuvent être à la recherche de sécurité dans un climat de chaos, et alors se diriger naturellement et paradoxalement vers le groupe dominant, qu’ils considèrent être le mieux placé pour les protéger. Enfin, certains sont tout simplement à la recherche de prestige, s’enrôlent par mimétisme ou par fascination pour les armes.

    Formation. Une fois recrutés, les enfants maliens subissent un processus de « transformation » destiné à les rendre dépendants du groupe et à les radicaliser. D’après certains témoignages, la formation se base sur plusieurs volets. Il y a, tout d’abord, l’étape théorique. Souvent, les enfants suivent des cours coraniques intensifs et revisités, une formation qui prend plus la forme d’un lavage de cerveau. Leur promet-on le Paradis s’ils en venaient à mourir en martyr ? Sûrement que oui.

    Quoi qu’il en soit, on les manipule pour en faire de vrais guerriers, sans foi ni loi, hermétiques au danger et à la peur. Quitte à leur asséner des coups, à les priver de nourriture ou à exécuter quelques réfractaires à la méthode. On imagine les conditions de vie de ces jeunes adolescents, à l’image des camps d’enfants soldats ailleurs dans le monde, c’est-à-dire déplorables et inhumaines : malnutrition opérée de manière délibérée, châtiments exercés pour obtenir l’obéissance absolue, actes dégradants et instauration d’un climat de terreur, afin qu’aucun des captifs n’ose défier l’autorité des «anciens » et tenter une évasion qui signerait leur arrêt de mort.

    Petit à petit, les recrues sont ainsi endoctrinées, désociabilisées et immergées dans une culture de la violence, de la guerre, des armes. L’objectif est de leur ôter toute inhibition, un objectif d’autant plus atteignable qu’ils sont à un âge charnière, parfois en quête d’une identité, facilement manipulables et à la recherche d’un sens à donner à leur existence parfois misérable. La promesse de prestige, d’en faire des héros de guerre revigore sans doute les plus apeurés. De plus, il est fort probable que beaucoup soient drogués. Un rescapé rapporte avoir reçu des « injections ». Un garçon de 16 ans, interrogé par Amnesty International, raconte: «Avant les combats, nous devions manger du riz mêlé à une poudre blanche (…) On nous faisait aussi des injections (…) Après les piqûres et le riz mélangé à la poudre, on pouvait me manœuvrer comme une voiture, je faisais n’importe quoi pour mes maîtres. Je considérais nos ennemis comme des chiens et je n’avais qu’une idée en tête : leur tirer dessus ». La méthode est courante dans les conflits armés incluant des enfants. Les enfants sont drogués, lors de rites presque initiatiques, de telle sorte qu’ils n’aient plus conscience des réalités, des limites et qu’ils se sentent prêts à mourir ou à tuer de sang-froid. Il est fort probable qu’actuellement de nombreux enfants soldats maliens soient forcés à ingérer ou à s’injecter des drogues, compromettant d’ores et déjà leur hypothétique réinsertion dans la vie civile, qui devra alors aussi passer par un sevrage. Leurs chances de succomber à des overdoses ou à des maladies transmises par l’échange des seringues sont considérables.

    Les missions de ces enfants sont multiples : collecte de renseignements, gardes aux check points, patrouilleurs, gardiens de prison, pilleurs, mais aussi commis de cuisines. De véritables esclaves des temps modernes. On leur apprend à se battre et à tirer, surtout dans les pieds et dans la tête. La prolifération d’ALPC – armes légères et de petits calibres -, facilement transportables et utilisables, aggrave le phénomène. Ils sont ainsi envoyés au « casse-pipe », en première ligne, se transformant en kamikazes ou en boucliers humains armés jusqu’aux dents.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2

    ÉVOLUTION DU RAPPORT AVEC LES FORCES CONVENTIONNELLES


    Droit international. L’existence d’enfants soldats n’est bien entendu pas une spécificité inhérente à la crise malienne et encore moins une spécificité africaine, comme beaucoup pourraient le penser. Il existerait environ 300 000 enfants soldats dans le monde, en Afrique certes, mais aussi en Asie, en Europe ou en Amérique latine. La distinction entre les civils et les combattants constitue l’un des piliers sur lequel s’articule le droit des conflits armés. D’un côté se trouvent ceux qui ont choisi de porter les armes et, avec elles, les conséquences juridiques d’un tel engagement.
    De l’autre, ceux qui ont choisi ou sont sommés de rester à l’écart, les populations civiles et particulièrement les populations vulnérables : les femmes et les enfants, qui bénéficient de protections spécifiques. Les enfants soldats, eux, cristallisent, de par leur existence même, un lot de paradoxes. Comment doit-on les considérer, alors qu’ils sont mineurs, mais combattants, tueurs, mais généralement enrôlés de force ?

    Le Mali est pourtant signataire des conventions de Genève et du Protocole additionnel de la Convention sur les droits des enfants, qui interdisent le recrutement volontaire ou obligatoire et l’utilisation d’enfants de moins de dix-huit ans par les groupes armés. Le statut de la Cour pénale internationale, dans son article 8, interdit quant à lui expressément l’enrôlement ou la participation aux hostilités d’enfants de moins de quinze ans, considérés comme des crimes de guerre. Ces mini-soldats maliens n’ont donc théoriquement pas le droit de participer bon gré mal gré au conflit armé qui divise leur pays.
    Théoriquement. Dans la réalité, l’application du droit demeure dépendante de la bonne volonté des acteurs de la communauté internationale et est rendue extrêmement difficile dans les cas de conflits armés asymétriques, au sein desquels les forces non conventionnelles n’ont que faire du respect des législations internationales. Le Mali n’échappe pas à la règle.

    Des témoins interrogés par Human Rights Watch rapportent avoir vu des enfants de moins de douze ans participer aux combats, notamment dans des villes auparavant sous le contrôle des séparatistes, comme à Konna ou à Gao, aujourd’hui «libérées».
    On ne sait pas si ces «bébés guerriers» ont été victimes des bombardements suite à l’opération Serval, mais il est tout à fait raisonnable de penser que les dégâts collatéraux engendrés par les bombardements intensifs, notamment en janvier dernier, ont eu raison de beaucoup d’entre eux. Une enquête pour crimes de guerre a été ouverte par la procureure de la CPI, Fatou Bensouda. Et les djihadistes ne sont pas les seuls sur le banc des accusés, puisque même le gouvernement malien est suspecté d’avoir commis de nombreuses violations. Reste à savoir si on pourra apporter la preuve que même certains dirigeants maliens ont soutenu des milices utilisant des enfants soldats. Enjeu de sécurité. La question que l’on se pose alors est la suivante : la participation d’enfants peut-elle déstabiliser les forces françaises et africaines engagées dans l’opération Serval ?

    Peut-elle modifier le rapport entre les forces rebelles et les forces conventionnelles ? Dans un conflit asymétrique, la distinction entre les civils et les combattants est toujours très délicate, et les confusions entretiennent un climat permanent de suspicion entre les différents acteurs. La situation se complexifie encore plus avec la présence d’enfants. L’incorporation de mineurs peut provoquer bien des dilemmes d’un point de vue militaire. En effet, les petits soldats maliens sont paradoxalement des victimes dotées de capacités de nuisance létales. Il est fort probable que les forces françaises ont dû repenser certaines tactiques pour faire face au phénomène. Les réactions ne sont et ne doivent pas être les mêmes face à des enfants, même si ceux-ci sont fabriqués pour devenir des machines de guerre.

    Il est légitime de se demander si les militaires ont su adapter leurs méthodes, notamment en usant d’armes non létales de manière à provoquer l’intimidation et non l’élimination des ces ennemis miniatures et à pouvoir ainsi les capturer vivants.
    Quoi qu’il en soit, l’existence de ces enfants soldats au Mali constitue un nouvel enjeu de sécurité pour les militaires français et africains.
    Même s’ils ne sont pas encore aussi nombreux que leurs pairs adultes, il n’est pas irraisonnable de penser qu’ils sont sûrement devenus une menace prise en considération dans la planification stratégique des forces conventionnelles. Certes, la capacité militaire des forces armées de la coalition française demeure supérieure, mais sur le terrain, le rapport aux groupes insurgés a certainement évolué. Les enfants n’hésitent ni à se sacrifier en première ligne, ni à abattre à bout portant un soldat étranger, puisqu’ils sont conditionnés pour le faire, et sont moins visibles que des soldats plus âgés. La petite corpulence de certains leur permet de s’infiltrer et de se tapir partout, en attendant l’ennemi. Ainsi, au-delà de la tactique militaire effective sur le court terme, les Occidentaux devront surtout penser à l’après, et notamment aux processus de démobilisation de ces enfants soldats et de leur réinsertion, de manière à « tuer dans l’œuf » le cycle de la violence armée.

    PROSPECTIVES


    Représailles. Les enfants soldats maliens, qu’ils luttent encore ou qu’ils aient été capturés, souffriront inévitablement de séquelles physiques et mentales. Désociabilisés, coupés de leur famille, parfois même quasiment déshumanisés, ils endureront, comme leurs semblables à travers le monde, traumatismes, handicaps, abandons. A cela s’ajoute le fait que le risque de représailles à leur encontre est bien réel dans la société malienne, traumatisée par des mois de violence. Les enfants maliens seront par conséquent doublement victimes : victimes, car enrôlés de force, sous peine d’être tués ou d’assister à l’exécution d’un proche. Victimes, car considérés comme des assassins, au même titre que les adultes. Ainsi, alors que peu de monde en parle, l’implication d’enfants dans le conflit semble augurer de complications à l’avenir. Sur la base de constats empiriques, il est avéré que l’arrêt d’un conflit après l’incorporation d’enfants dans les groupes armés est plus complexe.

    La poursuite des recrutements au Mali, mais aussi au Niger où des enfants ont été enrôlés pour participer aux hostilités, fait craindre à la fois une multiplication des foyers de recrutements potentiels et l’extension à la fois géographique et temporelle du conflit.
    Ainsi, il importe d’entreprendre des actions rapidement, car le phénomène ne peut que s’aggraver avec le temps. De nombreux enfants représentent aujourd’hui des cibles potentielles pour les recruteurs djihadistes. L’encadrement des réfugiés et des déplacés internes est nécessaire, dans la mesure où les familles y sont souvent désarticulées ou financièrement dans le besoin. Les promesses d’argent en échange d’enfants qui lutteraient pour la « bonne cause » sont alléchantes par ces temps de misère.

    Les enfants des rues et ceux souffrant de troubles mentaux constituent également des cibles privilégiées. L’analyse des méthodes de recrutement ou des catégories visées par les enlèvements est indispensable dans le traitement de ce nouveau problème que les autorités malienne et française ne doivent pas sous-estimer. DDR. La France et ses compères devront donc œuvrer à mettre en place des processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR), en se concentrant particulièrement sur les enfants soldats.

    Il est primordial de pouvoir réintégrer ces enfants dans le tissu social et économique, dans des structures éducatives afin d’enrayer le processus de «militarisation» forcée chez les plus jeunes. La pacification d’un pays passe aussi par le désarmement et la réinsertion.
    Ces enfants devront être resociabilisés, et faire l’objet de suivis psychologiques. Le lien avec les familles devra également être recréé. Certains chercheurs, dont Paul Richards ou Peter Krijn ont démontré que certains enfants soldats en Afrique avaient tout à fait une conscience politique et pouvaient s’engager afin d’assurer leur survie ou celle de leurs proches. Il faudra donc proposer une alternative solide à ces jeunes afin qu’ils ne reprennent pas le chemin du « djihad ».

    Les opérations de DDR ne sont jamais faciles et ne sont pas toujours couronnées de succès. Le désarmement sera incontestablement très difficile, surtout au vu du contexte actuel et de la prolifération d’ALPC à travers tout le Sahel. Le processus est donc à la fois politique, social et économique, et s’inscrit sur le long terme, contrairement à l’offensive militaire. Plus tard, la mission de maintien de la paix onusienne – la Minusma, mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali -, censée se substituer aux forces françaises et celles de la Cédéao, devra faire face à ces enfants soldats, qui pourraient bien profiter de la situation. En effet, les forces de maintien de la paix ont pour principe le non-recours à la force dans les conflits armés, sauf en cas de légitime défense. Les attaques pourraient se perpétrer à leur encontre, et les enfants seront là encore, de parfaits boucliers à envoyer en première ligne.
    ONG. L’action des humanitaires sur le terrain est considérablement réduite à l’heure actuelle, du fait de l’extrême précarité de la situation sécuritaire. Une fois le pays « réunifié » et « sécurisé » - mettons des guillemets, car le doute est permis – la problématique des enfants soldats pourrait cependant bien attirer de nombreuses ONG, dont certaines spécialisées dans l’enfance en temps de guerre.

    Jean-Hervé Jézéquel écrivait en 2006 qu’en Afrique, les enfants soldats étaient devenus l’objet «d’une nouvelle croisade humanitaire, d’un néo-interventionnisme occidental » et que l’enfance constituait « un enjeu central dans l’effort de légitimation des interventions occidentales en Afrique ». Que ce soit avéré ou pas, tout laisse à penser que dans le cas du Mali, l’investissement de l’espace national par les forces occidentales, militaires ou civiles, est parti pour perdurer sur le long terme (indépendamment des périodes prescrites par les mandats onusiens), car la crise a généré, en définitive, une multitude d’autres crises.
    Écrit par Yasmine SBAIA
    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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