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Lors d’une interview accordée à un représentant des médias turcs en Juillet 2012 [1], le Président syrien Bachar al-Assad avait déclaré : « Les deux pires phases qui ont traversé l’Histoire des relations syro-turques ont eu lieu en 1998 lorsque la Turquie a massé son armée à nos frontières et dans les années cinquante, en 1955 je crois, au moment du « Pacte de Bagdad » ; cependant, nous n’avons pas vu la Turquie comme un ennemi. Il est donc évident que nous ne la verrons pas comme un ennemi ni aujourd’hui, ni demain, même si nous sommes en désaccord entre gouvernements. Pour qu’il y ait hostilités entre la Syrie et la Turquie, il faudrait qu’il y’ait hostilités entre les deux peuples… L’hostilité entre les gouvernements n’est pas suffisante… ».
À la lecture de cet article de Ghaleb Kandil, il devient clair que face à la Turquie, transformée en sanctuaire du « terrorisme international » par la volonté de son gouvernement, le peuple syrien vit aujourd’hui la tragédie d’une troisième phase extrêmement pire que les précédentes, mais toujours motivée par le même projet atlanto-sioniste de dépeçage de la Syrie avec, si possible, le règlement de « la question kurde » sur le dos de l’Irak et de la Syrie sauvagement agressée [2] par les révolutionnaires tortionnaires chéris de l’Occident… du gouvernement français en particulier !
Quant à Abdullah Öcalan, sujet de l’article, la question n’est pas de savoir s’il est un héros ou un terroriste puisque désormais tout est affaire de propagande… La question est de savoir si être Kurde en Turquie est la même chose qu’être Kurde en Syrie [NdT].
La crise turco-syrienne d’octobre 1998 [3], exacerbée par les déclarations politiques et médiatiques hautement menaçantes d’Istanbul accusant abusivement la Syrie de soutenir les opérations terroristes du PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan] à partir de son territoire, a mené les deux pays au bord de l’affrontement militaire et a plongé la région dans une atmosphère de guerre imminente pouvant éclater à tout moment sur la frontière nord de la Syrie, autrement dit la « mâchoire nord » selon les termes utilisés par l’OTAN et Israël depuis 1948…
À l’époque, Abdullah Öcalan [le chef emprisonné du PKK [4]] commentant les événements m’avait dit être convaincu que les menaces de la Turquie et de l’OTAN devaient être prises au sérieux car, de tout le monde arabe, la Syrie était désormais la seule citadelle de liberté, de souveraineté, et de résistance contre le colonialisme ; que c’est pour cela qu’elle était visée ; et que c’est aussi pour cela qu’elle méritait tous les sacrifices pour la défendre et la protéger… Ces mots ont été prononcés au cours d’un long entretien portant sur l’analyse stratégique détaillée des conséquences de l’effondrement de l’Union soviétique et des déséquilibres mondiaux qui allaient en résulter… C’est dans cet état d’esprit qu’il se préparait à prendre sa décision de quitter la Syrie ; décision qu’il m’a confirmée quelques mois plus tard et qui, comme on le sait, s’est soldée par un périple chaotique suivi de sa capture au cours d’une opération menée conjointement par les services secrets turcs, américains et israéliens.
Notre entretien de 1998 a eu lieu à Damas en réponse à son invitation personnelle en tant que Chef du PKK. Elle m’a été transmise par un militant kurde résidant au Liban et qui, trente ans auparavant, avait déjà fait office d’interprète lors de mes premières rencontres avec celui qu’on surnomme « le camarade Apo ». C’était donc avant la fondation du PKK et alors qu’il dirigeait un groupe de ses camarades engagés dans la défense du Sud Liban contre l’agression sioniste aux côtés de combattants issus de divers partis libanais et factions palestiniennes… Mes compagnons du Sud m’ayant parlé de ce groupe de jeunes turcs particulièrement motivés et cultivés qu’ils avaient côtoyés au poste avancé de Quasmiyé, j’ai cherché à les rencontrer pour en savoir plus sur leur pensée et leur ligne politique, et aussi pour leur présenter notre revue quotidienne distribuée par de jeunes bénévoles, filles et garçons. C’est ainsi qu’en 1978 j’avais obtenu mon rendez-vous à Beyrouth et que j’ai rencontré, pour la première fois, ce groupe qui n’était encore que le noyau de ce qui allait devenir le PKK et dont le chef s’est présenté comme « le camarade Ali »… Je n’ai su qu’il s’agissait d’Abdullah Öcalan que lorsque j’ai vu ses photos dans la presse, un an après l’invasion israélienne du Liban en 1982.
Je me suis donc rendu en voiture avec l’un de ses camarades qui m’a accompagné tout au long du trajet depuis la région libanaise du Bekaa jusqu’à son domicile situé dans le quartier Mazzé à Damas. C’était la première fois que je le revoyais en personne après trente années d’une correspondance ininterrompue. Son accueil fut des plus chaleureux avant de me déclarer qu’il avait réfléchi à certaines de mes idées dont nous avions discuté par écrit. Notamment celle concernant le projet d’une « Union du levant » qui réunirait la Syrie, la Turquie, l’Iran et l’Irak en un cadre stratégique pour résoudre la question kurde, plutôt que d’adopter les idées séparatistes qui serviraient les plans des puissances colonialistes visant à démolir les peuples du Moyen Orient, en parfait accord avec le plan sioniste. Le « Camarade Ali » a ajouté qu’il avait révisé sa position concernant les religions et l’avait consignée par écrit, insistant auprès de notre interprète de faire en sorte que je saisisse pleinement le sens de certaines phrases. Il est aussi revenu sur nos discussions à propos du marxisme et mon insistance à renoncer à la tendance athéiste du communisme traditionnel avec, par conséquent, la nécessité pour les forces révolutionnaires de faire l’effort d’un travail intellectuel, et culturel, pour saisir la dimension progressiste et libératoire des expériences historiques et des textes religieux… Ce qui permettrait de lutter contre les forces colonialistes qui cherchent à utiliser la religion comme arme idéologique pour tromper les misérables et les embrigader à leur service. Ainsi, l’héritage religieux très fortement ancré dans la mémoire des peuples d’Orient, dont l’Histoire semble se confondre avec celle des religions, pourrait stimuler des forces religieuses de progrès là où le colonialisme n’engendre que des mouvements réactionnaires inféodés, que ce soit sous une bannière de la religion ou sous un « étendard de la Gauche ». En réponse, je lui ai réaffirmé qu’en matière de politique, je refusais la catégorisation idéologique et ne m’intéressais qu’à son contenu réel et pratique en lui rappelant toutes les trahisons et désillusions auxquelles nous assistions depuis la chute de l’Union soviétique…
[…] Pendant le déjeuner où nous n’étions plus en tête à tête, je me demandais encore quel était le but de cette invitation. Était-elle motivée par le seul besoin de remonter dans nos souvenirs et de prolonger nos débats intellectuels et politiques ? M’ayant proposé de reprendre notre aparté après déjeuner, Öcalan avait-il quelque chose d’autre à m’apprendre ?
En effet, Öcalan avait quelque chose à me dire puisque dès que nous nous sommes retrouvés seuls, il m’a déclaré : « Je ne t’ai pas invité pour la seule raison que tu me manquais et que je souhaitais que tu saches où nous en sommes, mais aussi parce que je veux te parler d’un sujet dangereux me concernant et dont tu pourrais parler au bon moment… peut-être dans quelques années. J’ai décidé de quitter la Syrie parce que ma présence est désormais un fardeau pour l’État syrien et son valeureux Président Hafez al-Assad. Je sais que les menaces turques sont sérieuses, planifiées par l’OTAN et Israël. Je suis convaincu que tu penses aussi que si nous perdons la Syrie, cette citadelle libre en ces temps difficiles, tous les peuples du Moyen-Orient auront à en souffrir et toutes les équations seront déséquilibrées en faveur des sionistes et des colonialistes ». Étant parfaitement d’accord avec ses déductions, je l’ai interrogé sur les solutions alternatives qu’il entrevoyait. Il m’a répondu : « Comme tu le sais, au niveau international la situation actuelle ne nous est pas favorable en raison de la rupture des grands équilibres depuis l’effondrement de l’Union soviétique et de l’activisme sioniste partout dans le monde. En ce qui me concerne, il est essentiel que je délivre la Syrie, son Président et son projet libératoire pour la région, du poids de notre présence. Le Président continue à nous soutenir malgré les pires difficultés en la circonstance. Mon peuple et moi-même resterons reconnaissants à la Syrie et à ses autorités notre vie durant. Je dis cela car je ne mesure pas notre situation sous l’angle des seules revendications des Kurdes en Syrie, ces problèmes trouveront facilement leurs solutions et se résoudront par le dialogue. Non, je mesure notre situation du point de vue de tous les Kurdes de la région et dont les centres de gravité se situent en Turquie et en Irak. Au cours des trente dernières années, la Syrie a assumé avec honneur une lourde charge politique, économique, sécuritaire et stratégique. Mon peuple est à jamais dépositaire de ce fait et nul ne pourra prétendre qu’Abdullah Öcalan a autorisé un Kurde à porter atteinte à la Syrie !
Lors d’une interview accordée à un représentant des médias turcs en Juillet 2012 [1], le Président syrien Bachar al-Assad avait déclaré : « Les deux pires phases qui ont traversé l’Histoire des relations syro-turques ont eu lieu en 1998 lorsque la Turquie a massé son armée à nos frontières et dans les années cinquante, en 1955 je crois, au moment du « Pacte de Bagdad » ; cependant, nous n’avons pas vu la Turquie comme un ennemi. Il est donc évident que nous ne la verrons pas comme un ennemi ni aujourd’hui, ni demain, même si nous sommes en désaccord entre gouvernements. Pour qu’il y ait hostilités entre la Syrie et la Turquie, il faudrait qu’il y’ait hostilités entre les deux peuples… L’hostilité entre les gouvernements n’est pas suffisante… ».
À la lecture de cet article de Ghaleb Kandil, il devient clair que face à la Turquie, transformée en sanctuaire du « terrorisme international » par la volonté de son gouvernement, le peuple syrien vit aujourd’hui la tragédie d’une troisième phase extrêmement pire que les précédentes, mais toujours motivée par le même projet atlanto-sioniste de dépeçage de la Syrie avec, si possible, le règlement de « la question kurde » sur le dos de l’Irak et de la Syrie sauvagement agressée [2] par les révolutionnaires tortionnaires chéris de l’Occident… du gouvernement français en particulier !
Quant à Abdullah Öcalan, sujet de l’article, la question n’est pas de savoir s’il est un héros ou un terroriste puisque désormais tout est affaire de propagande… La question est de savoir si être Kurde en Turquie est la même chose qu’être Kurde en Syrie [NdT].
La crise turco-syrienne d’octobre 1998 [3], exacerbée par les déclarations politiques et médiatiques hautement menaçantes d’Istanbul accusant abusivement la Syrie de soutenir les opérations terroristes du PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan] à partir de son territoire, a mené les deux pays au bord de l’affrontement militaire et a plongé la région dans une atmosphère de guerre imminente pouvant éclater à tout moment sur la frontière nord de la Syrie, autrement dit la « mâchoire nord » selon les termes utilisés par l’OTAN et Israël depuis 1948…
À l’époque, Abdullah Öcalan [le chef emprisonné du PKK [4]] commentant les événements m’avait dit être convaincu que les menaces de la Turquie et de l’OTAN devaient être prises au sérieux car, de tout le monde arabe, la Syrie était désormais la seule citadelle de liberté, de souveraineté, et de résistance contre le colonialisme ; que c’est pour cela qu’elle était visée ; et que c’est aussi pour cela qu’elle méritait tous les sacrifices pour la défendre et la protéger… Ces mots ont été prononcés au cours d’un long entretien portant sur l’analyse stratégique détaillée des conséquences de l’effondrement de l’Union soviétique et des déséquilibres mondiaux qui allaient en résulter… C’est dans cet état d’esprit qu’il se préparait à prendre sa décision de quitter la Syrie ; décision qu’il m’a confirmée quelques mois plus tard et qui, comme on le sait, s’est soldée par un périple chaotique suivi de sa capture au cours d’une opération menée conjointement par les services secrets turcs, américains et israéliens.
Notre entretien de 1998 a eu lieu à Damas en réponse à son invitation personnelle en tant que Chef du PKK. Elle m’a été transmise par un militant kurde résidant au Liban et qui, trente ans auparavant, avait déjà fait office d’interprète lors de mes premières rencontres avec celui qu’on surnomme « le camarade Apo ». C’était donc avant la fondation du PKK et alors qu’il dirigeait un groupe de ses camarades engagés dans la défense du Sud Liban contre l’agression sioniste aux côtés de combattants issus de divers partis libanais et factions palestiniennes… Mes compagnons du Sud m’ayant parlé de ce groupe de jeunes turcs particulièrement motivés et cultivés qu’ils avaient côtoyés au poste avancé de Quasmiyé, j’ai cherché à les rencontrer pour en savoir plus sur leur pensée et leur ligne politique, et aussi pour leur présenter notre revue quotidienne distribuée par de jeunes bénévoles, filles et garçons. C’est ainsi qu’en 1978 j’avais obtenu mon rendez-vous à Beyrouth et que j’ai rencontré, pour la première fois, ce groupe qui n’était encore que le noyau de ce qui allait devenir le PKK et dont le chef s’est présenté comme « le camarade Ali »… Je n’ai su qu’il s’agissait d’Abdullah Öcalan que lorsque j’ai vu ses photos dans la presse, un an après l’invasion israélienne du Liban en 1982.
Je me suis donc rendu en voiture avec l’un de ses camarades qui m’a accompagné tout au long du trajet depuis la région libanaise du Bekaa jusqu’à son domicile situé dans le quartier Mazzé à Damas. C’était la première fois que je le revoyais en personne après trente années d’une correspondance ininterrompue. Son accueil fut des plus chaleureux avant de me déclarer qu’il avait réfléchi à certaines de mes idées dont nous avions discuté par écrit. Notamment celle concernant le projet d’une « Union du levant » qui réunirait la Syrie, la Turquie, l’Iran et l’Irak en un cadre stratégique pour résoudre la question kurde, plutôt que d’adopter les idées séparatistes qui serviraient les plans des puissances colonialistes visant à démolir les peuples du Moyen Orient, en parfait accord avec le plan sioniste. Le « Camarade Ali » a ajouté qu’il avait révisé sa position concernant les religions et l’avait consignée par écrit, insistant auprès de notre interprète de faire en sorte que je saisisse pleinement le sens de certaines phrases. Il est aussi revenu sur nos discussions à propos du marxisme et mon insistance à renoncer à la tendance athéiste du communisme traditionnel avec, par conséquent, la nécessité pour les forces révolutionnaires de faire l’effort d’un travail intellectuel, et culturel, pour saisir la dimension progressiste et libératoire des expériences historiques et des textes religieux… Ce qui permettrait de lutter contre les forces colonialistes qui cherchent à utiliser la religion comme arme idéologique pour tromper les misérables et les embrigader à leur service. Ainsi, l’héritage religieux très fortement ancré dans la mémoire des peuples d’Orient, dont l’Histoire semble se confondre avec celle des religions, pourrait stimuler des forces religieuses de progrès là où le colonialisme n’engendre que des mouvements réactionnaires inféodés, que ce soit sous une bannière de la religion ou sous un « étendard de la Gauche ». En réponse, je lui ai réaffirmé qu’en matière de politique, je refusais la catégorisation idéologique et ne m’intéressais qu’à son contenu réel et pratique en lui rappelant toutes les trahisons et désillusions auxquelles nous assistions depuis la chute de l’Union soviétique…
[…] Pendant le déjeuner où nous n’étions plus en tête à tête, je me demandais encore quel était le but de cette invitation. Était-elle motivée par le seul besoin de remonter dans nos souvenirs et de prolonger nos débats intellectuels et politiques ? M’ayant proposé de reprendre notre aparté après déjeuner, Öcalan avait-il quelque chose d’autre à m’apprendre ?
En effet, Öcalan avait quelque chose à me dire puisque dès que nous nous sommes retrouvés seuls, il m’a déclaré : « Je ne t’ai pas invité pour la seule raison que tu me manquais et que je souhaitais que tu saches où nous en sommes, mais aussi parce que je veux te parler d’un sujet dangereux me concernant et dont tu pourrais parler au bon moment… peut-être dans quelques années. J’ai décidé de quitter la Syrie parce que ma présence est désormais un fardeau pour l’État syrien et son valeureux Président Hafez al-Assad. Je sais que les menaces turques sont sérieuses, planifiées par l’OTAN et Israël. Je suis convaincu que tu penses aussi que si nous perdons la Syrie, cette citadelle libre en ces temps difficiles, tous les peuples du Moyen-Orient auront à en souffrir et toutes les équations seront déséquilibrées en faveur des sionistes et des colonialistes ». Étant parfaitement d’accord avec ses déductions, je l’ai interrogé sur les solutions alternatives qu’il entrevoyait. Il m’a répondu : « Comme tu le sais, au niveau international la situation actuelle ne nous est pas favorable en raison de la rupture des grands équilibres depuis l’effondrement de l’Union soviétique et de l’activisme sioniste partout dans le monde. En ce qui me concerne, il est essentiel que je délivre la Syrie, son Président et son projet libératoire pour la région, du poids de notre présence. Le Président continue à nous soutenir malgré les pires difficultés en la circonstance. Mon peuple et moi-même resterons reconnaissants à la Syrie et à ses autorités notre vie durant. Je dis cela car je ne mesure pas notre situation sous l’angle des seules revendications des Kurdes en Syrie, ces problèmes trouveront facilement leurs solutions et se résoudront par le dialogue. Non, je mesure notre situation du point de vue de tous les Kurdes de la région et dont les centres de gravité se situent en Turquie et en Irak. Au cours des trente dernières années, la Syrie a assumé avec honneur une lourde charge politique, économique, sécuritaire et stratégique. Mon peuple est à jamais dépositaire de ce fait et nul ne pourra prétendre qu’Abdullah Öcalan a autorisé un Kurde à porter atteinte à la Syrie !
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