Les salafis, à Marrakech, ont commencé à prêcher, à croître et à élever des "Maisons du Coran", sous la supervision du Ministère des Affaires Religieuses (Habous), déjà durant ces années-là.
Haoues Seniguer est un ancien conférencier en philosophie et sciences politiques à l'Université Tous Âges de Lyon II (2010-2011). Il est actuellement Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherches (ATER) à Sciences-po Lyon, membre du GREMMO. Philosophe de formation (philosophie médiévale arabe, islamique et chrétienne), il achève actuellement une thèse de sciences politiques sur les islamistes marocains.
Selon vous, le PJD a bénéficié du vote salafiste?
Oui, très clairement. Je reviens d'une enquête de terrain où de nombreux témoignages ainsi que des écrits (pour partie encore non publiés) concordants, confirment une tendance, au fond transversale à l'ensemble du monde arabe, d'une sensible progression du salafisme y compris au sein des rangs islamistes les plus légalistes ou légitimistes tels que ceux du Parti de la Justice et du Développement justement.
Ce qui peut constituer, pour plus d'un d'entre nous, une nouveauté ou une demi-surprise tant il est vrai que, par le passé, salafistes et islamistes ont fréquemment été aux prises les uns aux autres et/ou mis en opposition, pas forcément inopportunément du reste, dans le discours scientifique. Ce qui fait voler en éclats le traditionnel clivage entre islamistes et salafis qui pouvait s'observer, ici ou là, dans le monde musulman. Celui-ci a, semble-t-il, vécu.
Par ailleurs, avant de parler de soutien proprement dit, cette "salafisation" (qui existe chez les Frères Musulmans comme l'avait montré, avec brio, il y a quelque temps déjà feu Husam Tammam) se donne déjà à voir, notamment au niveau de la base militante du PJD, à dominante religieuse ou "néo-fondamentaliste"; c'est-à-dire, très concrètement, au sein du Mouvement Unicité et Réforme (MUR). Il s'agit d'une organisation qui, en plus d'avoir des salafis en son sein, a battu campagne, officieusement, pour le parti de la lampe (PJD) dont il est l'une des principales chevilles ouvrières nonobstant les déclarations récurrentes des cadres du parti islamiste sur la prétendue indépendance des deux structures. Que nenni.
Le MUR, selon l'expression de l'un de mes amis journalistes marocains, est "le noyau dur du PJD" dont les personnalités produisent à la fois des textes théologiques pour accompagner/justifier l'action politique et se mobilisent, de surcroît, dans l'espace social pour y ré-ancrer la prise en compte de la référence religieuse à tous les niveaux de la vie privée et publique. Pour ces derniers, l'islam est tout à la fois principe, moyen et fin. Ils usent d'ailleurs souvent d'une formule itérative dans leurs publications: "iqâmat al-dîn 'ala mustawat al-dawla"(établir la religion au niveau de l'État). C'est une espèce de survivance de l'État islamique que ces derniers ne déclament plus si ouvertement !
A présent, afin d'illustrer, plus avant, le rapprochement entre islamistes et salafis, j'apporterai et commenterai au moins trois éléments d'observation: premièrement, quand on scrute, avec minutie, le détail cartographique des résultats des différents partis aux dernières élections législatives, région par région, il est remarquable que le PJD, pourtant totalement absent par le passé, arrivât très confortablement en tête, dans la région de Marrakech-Tensift-Al-Haouz, avec 8 sièges remportés auxquels s'ajoutent deux autres sièges dans le cadre de la liste nationale.
Le Parti Authenticité et Réforme de Fouad Ali Al-Himma, nouvellement promu au rang de conseiller du roi, n'arrive qu'en seconde position alors même que ce dernier est originaire de la région en question. Le PJD est parvenu, d'une certaine manière, même s'il ne faut pas en exagérer la portée, à casser quelque peu les logiques nobiliaires ou clientélistes classiques en promouvant, pour sa part, un discours de la fraternité "islamique" au service de la proximité avec les citoyens qui brise toutes les "intermédiations" comme nous l'a confié un cadre du parti, récemment rencontré à Rabat.
Or Marrakech, justement, est le haut lieu de naissance et la pépinière par excellence des mouvements salafis marocains. Et la prédication salafie, là-bas, s'est construite et s'est ordonnée dès les années 1970, soit parallèlement à l'islamisme alors naissant. Il est donc, à cet égard, inadéquat de voir le salafisme comme une espèce de suite chronologique (et quasi naturelle) à l'islam politique dans une perspective évolutionniste. Ceux-ci ne sont pas forcément des déçus de l'islamisme. Les salafis, à Marrakech, ont commencé à prêcher, à croître et à élever des "Maisons du Coran", sous la supervision du Ministère des Affaires Religieuses (Habous), déjà durant ces années-là. Il faut savoir aussi que Marrakech est la ville qui abrite, très officiellement, le très influent et fréquenté centre (al-markaz) salafi de l'Association pour l'appel au Coran et à la Sunna ("jam'iyya al-da'wa ilâ al-qur'ân wa al-sunna").
Deuxièmement, le PJD s'est rapproché et réciproquement, avec le cheikh Al-Maghrâwî, leader spirituel des salafis marocains à la tête justement de "L'association pour l'appel au Coran" à Marrakech. Ce dernier reconnaît ainsi, ouvertement, vouloir "renforcer" la place et les assises du PJD dans le champ politique. Ce propos a été relayé, sans démenti aucun, par Ahmad Al-Shqîrî Al-Dînî du PJD, le 29 novembre dernier. Maghrâwî a même été reçu par Benkirane. C'est, visiblement, l'entente cordiale entre les deux courants et chacun semble s'en accommoder.
Ce qui aurait déterminé ce "mariage de raison" est le fait objectif que le PJD est le seul parti, avec une base sociale religieuse importante, d'une part, à prendre en compte les revendications identitaires des Marocains dans le champ politique institué et d'autre part, à lutter, y compris en prenant la défense des salafis, contre les atteintes ou dérives "sécuritaires" de certains agents d'autorité à l'endroit de ces derniers.
Enfin, salafis et islamistes communient dans un légitimisme absolu à l'égard du roi et des institutions monarchiques. Ce qui constitue aussi, je le crois fort, un des motifs du vote salafi pour le PJD et cette alliance de prime abord inattendue. Bien sûr, le Palais voit en cela un effet d'aubaine pour conserver sa mainmise sur les champs politique et religieux et trouvent, en ceux-là, deux alliés de taille contre les frondeurs de toutes sortes, à commencer par Justice et Bienfaisance qui est l'objet de procès en sorcellerie de la part des salafis.
Vous affirmez que les salafistes sont assez présents dans les institutions religieuses marocaines?
Peut-être m'autoriserez-vous une petite nuance: sans forcément être présents physiquement dans les institutions religieuses (ce qui apparaît cependant fort probable), leurs idées, en tout état de cause, prospèrent et sont relayées, appuyées au plus haut niveau de l'État sans grande entrave. A commencer par des hommes de foi, parfois de renom, rémunérés par l'État et qui demeurent, par conséquent, sous son autorité. La parole de fonctionnaires, que nous le voulions ou non, engage, de facto, celle de l'État à moins d'une expression vive, contrastée ou contraire. On peut donc raisonnablement supposer que les services de sécurité les connaissent parfaitement et savent de quoi leur idéologie est faite. Personnellement, j'ai pu mesurer toutes ces dernières années, dans les mosquées marocaines, un tropisme islamiste et salafiste évident. Il y a bel et bien porosité entre clercs (oulémas) et islamistes ou salafis. Il n'y a pas ou plus véritablement de sens à opposer les deux catégories d'agents sociaux en termes de représentation du monde à la différence près que certains s'engagent en politique et/ou soutiennent des courants d'opinion, d'autres non...
Maintenant, pour répondre directement à votre question, je dirai qu'il s'agit d'une révélation, si révélation il y a, qui m'a été faite à l'occasion d'une interview et d'échanges répétés avec des leaders d'opinion marocains. J'y apporterai ensuite quelques nuances avec, à la clé, une analyse personnelle et complémentaire. Dans un livre à paraître, Mountassir Hamada, écrit deux chapitres tout à fait éclairants dans le cadre d'une seconde partie intitulée al-salâfiyya al-wahâbiyya fî al-maghrib bayna al-mû'ssasât al-dînîyya wa al-harakât al-islâmiyya (le salafisme wahhabite au Maroc entre les institutions religieuses et les mouvements islamistes) : "Le salafisme wahhabite au sein des institutions religieuses" (al-salâfiyya al-wahâbiyya fî awsât al-mû'ssasât al-dîniyya) et "le salafisme wahhabite au sein des mouvements islamistes" (al-salâfiyya al-wahâbiyya fî awsât al-harakât al-islâmiyya).
Haoues Seniguer est un ancien conférencier en philosophie et sciences politiques à l'Université Tous Âges de Lyon II (2010-2011). Il est actuellement Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherches (ATER) à Sciences-po Lyon, membre du GREMMO. Philosophe de formation (philosophie médiévale arabe, islamique et chrétienne), il achève actuellement une thèse de sciences politiques sur les islamistes marocains.
Selon vous, le PJD a bénéficié du vote salafiste?
Oui, très clairement. Je reviens d'une enquête de terrain où de nombreux témoignages ainsi que des écrits (pour partie encore non publiés) concordants, confirment une tendance, au fond transversale à l'ensemble du monde arabe, d'une sensible progression du salafisme y compris au sein des rangs islamistes les plus légalistes ou légitimistes tels que ceux du Parti de la Justice et du Développement justement.
Ce qui peut constituer, pour plus d'un d'entre nous, une nouveauté ou une demi-surprise tant il est vrai que, par le passé, salafistes et islamistes ont fréquemment été aux prises les uns aux autres et/ou mis en opposition, pas forcément inopportunément du reste, dans le discours scientifique. Ce qui fait voler en éclats le traditionnel clivage entre islamistes et salafis qui pouvait s'observer, ici ou là, dans le monde musulman. Celui-ci a, semble-t-il, vécu.
Par ailleurs, avant de parler de soutien proprement dit, cette "salafisation" (qui existe chez les Frères Musulmans comme l'avait montré, avec brio, il y a quelque temps déjà feu Husam Tammam) se donne déjà à voir, notamment au niveau de la base militante du PJD, à dominante religieuse ou "néo-fondamentaliste"; c'est-à-dire, très concrètement, au sein du Mouvement Unicité et Réforme (MUR). Il s'agit d'une organisation qui, en plus d'avoir des salafis en son sein, a battu campagne, officieusement, pour le parti de la lampe (PJD) dont il est l'une des principales chevilles ouvrières nonobstant les déclarations récurrentes des cadres du parti islamiste sur la prétendue indépendance des deux structures. Que nenni.
Le MUR, selon l'expression de l'un de mes amis journalistes marocains, est "le noyau dur du PJD" dont les personnalités produisent à la fois des textes théologiques pour accompagner/justifier l'action politique et se mobilisent, de surcroît, dans l'espace social pour y ré-ancrer la prise en compte de la référence religieuse à tous les niveaux de la vie privée et publique. Pour ces derniers, l'islam est tout à la fois principe, moyen et fin. Ils usent d'ailleurs souvent d'une formule itérative dans leurs publications: "iqâmat al-dîn 'ala mustawat al-dawla"(établir la religion au niveau de l'État). C'est une espèce de survivance de l'État islamique que ces derniers ne déclament plus si ouvertement !
A présent, afin d'illustrer, plus avant, le rapprochement entre islamistes et salafis, j'apporterai et commenterai au moins trois éléments d'observation: premièrement, quand on scrute, avec minutie, le détail cartographique des résultats des différents partis aux dernières élections législatives, région par région, il est remarquable que le PJD, pourtant totalement absent par le passé, arrivât très confortablement en tête, dans la région de Marrakech-Tensift-Al-Haouz, avec 8 sièges remportés auxquels s'ajoutent deux autres sièges dans le cadre de la liste nationale.
Le Parti Authenticité et Réforme de Fouad Ali Al-Himma, nouvellement promu au rang de conseiller du roi, n'arrive qu'en seconde position alors même que ce dernier est originaire de la région en question. Le PJD est parvenu, d'une certaine manière, même s'il ne faut pas en exagérer la portée, à casser quelque peu les logiques nobiliaires ou clientélistes classiques en promouvant, pour sa part, un discours de la fraternité "islamique" au service de la proximité avec les citoyens qui brise toutes les "intermédiations" comme nous l'a confié un cadre du parti, récemment rencontré à Rabat.
Or Marrakech, justement, est le haut lieu de naissance et la pépinière par excellence des mouvements salafis marocains. Et la prédication salafie, là-bas, s'est construite et s'est ordonnée dès les années 1970, soit parallèlement à l'islamisme alors naissant. Il est donc, à cet égard, inadéquat de voir le salafisme comme une espèce de suite chronologique (et quasi naturelle) à l'islam politique dans une perspective évolutionniste. Ceux-ci ne sont pas forcément des déçus de l'islamisme. Les salafis, à Marrakech, ont commencé à prêcher, à croître et à élever des "Maisons du Coran", sous la supervision du Ministère des Affaires Religieuses (Habous), déjà durant ces années-là. Il faut savoir aussi que Marrakech est la ville qui abrite, très officiellement, le très influent et fréquenté centre (al-markaz) salafi de l'Association pour l'appel au Coran et à la Sunna ("jam'iyya al-da'wa ilâ al-qur'ân wa al-sunna").
Deuxièmement, le PJD s'est rapproché et réciproquement, avec le cheikh Al-Maghrâwî, leader spirituel des salafis marocains à la tête justement de "L'association pour l'appel au Coran" à Marrakech. Ce dernier reconnaît ainsi, ouvertement, vouloir "renforcer" la place et les assises du PJD dans le champ politique. Ce propos a été relayé, sans démenti aucun, par Ahmad Al-Shqîrî Al-Dînî du PJD, le 29 novembre dernier. Maghrâwî a même été reçu par Benkirane. C'est, visiblement, l'entente cordiale entre les deux courants et chacun semble s'en accommoder.
Ce qui aurait déterminé ce "mariage de raison" est le fait objectif que le PJD est le seul parti, avec une base sociale religieuse importante, d'une part, à prendre en compte les revendications identitaires des Marocains dans le champ politique institué et d'autre part, à lutter, y compris en prenant la défense des salafis, contre les atteintes ou dérives "sécuritaires" de certains agents d'autorité à l'endroit de ces derniers.
Enfin, salafis et islamistes communient dans un légitimisme absolu à l'égard du roi et des institutions monarchiques. Ce qui constitue aussi, je le crois fort, un des motifs du vote salafi pour le PJD et cette alliance de prime abord inattendue. Bien sûr, le Palais voit en cela un effet d'aubaine pour conserver sa mainmise sur les champs politique et religieux et trouvent, en ceux-là, deux alliés de taille contre les frondeurs de toutes sortes, à commencer par Justice et Bienfaisance qui est l'objet de procès en sorcellerie de la part des salafis.
Vous affirmez que les salafistes sont assez présents dans les institutions religieuses marocaines?
Peut-être m'autoriserez-vous une petite nuance: sans forcément être présents physiquement dans les institutions religieuses (ce qui apparaît cependant fort probable), leurs idées, en tout état de cause, prospèrent et sont relayées, appuyées au plus haut niveau de l'État sans grande entrave. A commencer par des hommes de foi, parfois de renom, rémunérés par l'État et qui demeurent, par conséquent, sous son autorité. La parole de fonctionnaires, que nous le voulions ou non, engage, de facto, celle de l'État à moins d'une expression vive, contrastée ou contraire. On peut donc raisonnablement supposer que les services de sécurité les connaissent parfaitement et savent de quoi leur idéologie est faite. Personnellement, j'ai pu mesurer toutes ces dernières années, dans les mosquées marocaines, un tropisme islamiste et salafiste évident. Il y a bel et bien porosité entre clercs (oulémas) et islamistes ou salafis. Il n'y a pas ou plus véritablement de sens à opposer les deux catégories d'agents sociaux en termes de représentation du monde à la différence près que certains s'engagent en politique et/ou soutiennent des courants d'opinion, d'autres non...
Maintenant, pour répondre directement à votre question, je dirai qu'il s'agit d'une révélation, si révélation il y a, qui m'a été faite à l'occasion d'une interview et d'échanges répétés avec des leaders d'opinion marocains. J'y apporterai ensuite quelques nuances avec, à la clé, une analyse personnelle et complémentaire. Dans un livre à paraître, Mountassir Hamada, écrit deux chapitres tout à fait éclairants dans le cadre d'une seconde partie intitulée al-salâfiyya al-wahâbiyya fî al-maghrib bayna al-mû'ssasât al-dînîyya wa al-harakât al-islâmiyya (le salafisme wahhabite au Maroc entre les institutions religieuses et les mouvements islamistes) : "Le salafisme wahhabite au sein des institutions religieuses" (al-salâfiyya al-wahâbiyya fî awsât al-mû'ssasât al-dîniyya) et "le salafisme wahhabite au sein des mouvements islamistes" (al-salâfiyya al-wahâbiyya fî awsât al-harakât al-islâmiyya).
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