Enquête. Et le roi créa le gouvernement !
En nouant sa cravate, ce mardi 3 janvier, Abdelilah Benkirane ne pouvait s’empêcher de repenser, sourire aux lèvres, à son long parcours politique. Le jeune militant de la Chabiba Islamiya a décidément fait du chemin. Dans quelques heures, les membres de son équipe
gouvernementale, la première sous la nouvelle Constitution, prêteront serment devant Mohammed VI. Une consécration pour ce dirigeant islamiste. “L’histoire retiendra que le docteur Abdelkrim El Khatib a permis au PJD d’exister. Saâd Eddine El Othmani a évité la dissolution du parti au lendemain des attentats du 16 mai 2003. Abdelilah Benkirane lui a fait gagner les élections et le poste de Chef de gouvernement”, analyse, avec beaucoup de satisfaction, un membre du secrétariat général de la formation islamiste.
En route vers le Méchouar…
En milieu de matinée, les onze ministres du parti de la lampe commencent à affluer vers le domicile de Abdelilah Benkirane, dans le quartier des Orangers à Rabat. C’est ici qu’ils se sont donné rendez-vous pour se diriger, ensemble, vers le palais royal. Dans le salon du nouveau patron de l’Exécutif, l’ambiance est assez festive. “Nous sommes habitués aux réunions politiques à domicile”, ironise l’aîné de Abdelilah Benkirane. Après une collation, le cortège des ministres islamistes quitte le “point de rassemblement”. Ils partent en groupe et utilisent leurs voitures personnelles. Abdelaziz Rebbah, nouveau ministre de l’Equipement et du transport, est même obligé de rejoindre le palais royal à bord d’un véhicule utilitaire du parti. Tout un symbole !
Arrivés au palais, les ministre pjdistes rencontrent leurs nouveaux collègues politiques et technocrates. Les 31 ministres sont alors pris en charge par les responsables du protocole royal et patientent à l’entrée, assez étroite, de la salle du trône. Pour l’occasion, Mohammed VI s’est fait accompagner par le prince héritier Moulay El Hassan. Les ministres défilent selon un ordre protocolaire préétabli. Chacun d’entre eux effectue quelques pas, s’incline à trois reprises devant le monarque avant de lui embrasser… l’épaule, à quelques rares exceptions. Allègement du protocole ? “C’est un choix personnel. Rien n’oblige les responsables officiels à faire le baisemain. Rien ne le leur interdit non plus”, explique un nouveau ministre.
Durant toute la cérémonie, qui n’a pas duré plus de 15 minutes, Abdelilah Benkirane est resté collé au monarque, la tête baissée et les traits tirés. Il faut dire que l’accouchement a été difficile. Cela a même laissé quelques séquelles sur le nouveau-né.
Les malformations d’un gouvernement
En tout, cinq ministres technocrates ont conservé leurs postes au sein du nouvel Exécutif, annoncé au départ comme éminemment politique. Il y a d’abord - et c’est une surprise - Ahmed Taoufiq, reconduit à la tête du ministère des Habous et des Affaires islamiques malgré le grand mouvement de protestation des imams dans plusieurs régions du pays. Il y a ensuite Driss Dahak, Secrétaire général du gouvernement, et Abdellatif Loudiyi, ministre délégué en charge de l’Administration de la Défense nationale, véritables gardiens du temple gouvernemental. Le Palais aurait également insisté pour maintenir Aziz Akhannouch à la tête du département de l’Agriculture. Et tant pis si cela passe par la démission en catastrophe de l’homme d’affaires du RNI, passé à l’opposition. Autre nomination surprise, celle de Charki Draiss, jusque-là patron de la DGSN, en tant que ministre délégué à l’Intérieur. Une manière de verrouiller la gestion de “la mère des ministères”, désormais dirigée par Mohand Laenser, SG du Mouvement Populaire (MP).
Ensuite, l’équipe gouvernementale ne compte qu’une seule femme. Nous sommes très loin des sept femmes ministres du cabinet Abbas El Fassi à sa nomination. Bassima Haqqaoui, nouvelle ministre de la Solidarité, de la famille et du développement social, est d’ailleurs la première à s’en offusquer. “C’est une situation inconfortable pour moi. Je regrette que les partis politiques n’aient pas fourni d’efforts pour présenter des femmes et défendre leur candidature aux postes de responsabilité. Les quatre formations de la majorité disposent pourtant de compétences féminines réelles que je connais à titre personnel et qui avaient parfaitement leur place au sein de ce gouvernement. Les femmes ont finalement été victimes des négociations marathon qui ont précédé la formation de l’Exécutif”, s’emporte-t-elle.
En quittant le palais royal, Abdelilah Benkirane a tenu à s’entourer de tous ses ministres pour faire une déclaration à la presse. Une manière d’insister, malgré tout, sur la solidarité et la cohésion gouvernementale ? Sans doute. Mais cette fois, le nouveau Chef du gouvernement ne veut laisser aucune place à l’improvisation. Il déplie soigneusement une feuille sur laquelle il a rédigé un petit speech qu’il s’applique à lire devant les micros des télévisions nationales. Que faut-il en retenir ? Que le gouvernement tiendra tous les engagements pris par l’Etat marocain, qu’il accorde un intérêt particulier pour stimuler l’investissement et que la déclaration gouvernementale est quasi prête. “Les nouveaux ministres y apporteront leur touche avant de la présenter devant les deux chambres du parlement”, a notamment précisé Benkirane. Ce dernier n’a pas omis non plus de féliciter les quatre formations de la majorité, qui ont “tenu bon durant les 35 jours qui se sont écoulés” depuis la réception du Chef du gouvernement par le monarque, le 29 novembre à Midelt.
(à suivre )
Cérémonie. Accompagné du prince héritier, Mohammed VI a sacrifié à la traditionnelle photo officielle avec le nouveau gouvernement. (AFP)
Entre marchandages avec les partis politiques alliés, pressions internes des bases du PJD et tractations houleuses avec le Palais, l’accouchement du gouvernement Benkirane s’est fait dans la douleur. Retour sur 35 jours riches en rebondissements.En nouant sa cravate, ce mardi 3 janvier, Abdelilah Benkirane ne pouvait s’empêcher de repenser, sourire aux lèvres, à son long parcours politique. Le jeune militant de la Chabiba Islamiya a décidément fait du chemin. Dans quelques heures, les membres de son équipe

En route vers le Méchouar…
En milieu de matinée, les onze ministres du parti de la lampe commencent à affluer vers le domicile de Abdelilah Benkirane, dans le quartier des Orangers à Rabat. C’est ici qu’ils se sont donné rendez-vous pour se diriger, ensemble, vers le palais royal. Dans le salon du nouveau patron de l’Exécutif, l’ambiance est assez festive. “Nous sommes habitués aux réunions politiques à domicile”, ironise l’aîné de Abdelilah Benkirane. Après une collation, le cortège des ministres islamistes quitte le “point de rassemblement”. Ils partent en groupe et utilisent leurs voitures personnelles. Abdelaziz Rebbah, nouveau ministre de l’Equipement et du transport, est même obligé de rejoindre le palais royal à bord d’un véhicule utilitaire du parti. Tout un symbole !
Arrivés au palais, les ministre pjdistes rencontrent leurs nouveaux collègues politiques et technocrates. Les 31 ministres sont alors pris en charge par les responsables du protocole royal et patientent à l’entrée, assez étroite, de la salle du trône. Pour l’occasion, Mohammed VI s’est fait accompagner par le prince héritier Moulay El Hassan. Les ministres défilent selon un ordre protocolaire préétabli. Chacun d’entre eux effectue quelques pas, s’incline à trois reprises devant le monarque avant de lui embrasser… l’épaule, à quelques rares exceptions. Allègement du protocole ? “C’est un choix personnel. Rien n’oblige les responsables officiels à faire le baisemain. Rien ne le leur interdit non plus”, explique un nouveau ministre.
Durant toute la cérémonie, qui n’a pas duré plus de 15 minutes, Abdelilah Benkirane est resté collé au monarque, la tête baissée et les traits tirés. Il faut dire que l’accouchement a été difficile. Cela a même laissé quelques séquelles sur le nouveau-né.
Les malformations d’un gouvernement
En tout, cinq ministres technocrates ont conservé leurs postes au sein du nouvel Exécutif, annoncé au départ comme éminemment politique. Il y a d’abord - et c’est une surprise - Ahmed Taoufiq, reconduit à la tête du ministère des Habous et des Affaires islamiques malgré le grand mouvement de protestation des imams dans plusieurs régions du pays. Il y a ensuite Driss Dahak, Secrétaire général du gouvernement, et Abdellatif Loudiyi, ministre délégué en charge de l’Administration de la Défense nationale, véritables gardiens du temple gouvernemental. Le Palais aurait également insisté pour maintenir Aziz Akhannouch à la tête du département de l’Agriculture. Et tant pis si cela passe par la démission en catastrophe de l’homme d’affaires du RNI, passé à l’opposition. Autre nomination surprise, celle de Charki Draiss, jusque-là patron de la DGSN, en tant que ministre délégué à l’Intérieur. Une manière de verrouiller la gestion de “la mère des ministères”, désormais dirigée par Mohand Laenser, SG du Mouvement Populaire (MP).
Ensuite, l’équipe gouvernementale ne compte qu’une seule femme. Nous sommes très loin des sept femmes ministres du cabinet Abbas El Fassi à sa nomination. Bassima Haqqaoui, nouvelle ministre de la Solidarité, de la famille et du développement social, est d’ailleurs la première à s’en offusquer. “C’est une situation inconfortable pour moi. Je regrette que les partis politiques n’aient pas fourni d’efforts pour présenter des femmes et défendre leur candidature aux postes de responsabilité. Les quatre formations de la majorité disposent pourtant de compétences féminines réelles que je connais à titre personnel et qui avaient parfaitement leur place au sein de ce gouvernement. Les femmes ont finalement été victimes des négociations marathon qui ont précédé la formation de l’Exécutif”, s’emporte-t-elle.
En quittant le palais royal, Abdelilah Benkirane a tenu à s’entourer de tous ses ministres pour faire une déclaration à la presse. Une manière d’insister, malgré tout, sur la solidarité et la cohésion gouvernementale ? Sans doute. Mais cette fois, le nouveau Chef du gouvernement ne veut laisser aucune place à l’improvisation. Il déplie soigneusement une feuille sur laquelle il a rédigé un petit speech qu’il s’applique à lire devant les micros des télévisions nationales. Que faut-il en retenir ? Que le gouvernement tiendra tous les engagements pris par l’Etat marocain, qu’il accorde un intérêt particulier pour stimuler l’investissement et que la déclaration gouvernementale est quasi prête. “Les nouveaux ministres y apporteront leur touche avant de la présenter devant les deux chambres du parlement”, a notamment précisé Benkirane. Ce dernier n’a pas omis non plus de féliciter les quatre formations de la majorité, qui ont “tenu bon durant les 35 jours qui se sont écoulés” depuis la réception du Chef du gouvernement par le monarque, le 29 novembre à Midelt.
(à suivre )
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