La stratégie d'Erdogan, qui a entamé ce lundi au Caire une tournée dans les pays du "Printemps arabe" est pleine de contradictions.
Son prestige va croissant, mais son embarras tout autant. Depuis le déclenchement des révolutions arabes, la Turquie, qui a tant investi au sud de la Méditerranée, navigue entre les écueils. Après avoir exprimé de vraies réticences lors de l'intervention de l'Otan en Libye, Ankara a opéré un retournement et a apporté son appui au Conseil national de transition.
Même attitude envers la Syrie: embarrassés au début des manifestations hostiles au pouvoir, les hauts responsables turcs ont progressivement infléchi leur position, jusqu'à condamner maintenant, sans ambages, la ligne répressive et sanglante suivie par Bachar El-Assad. Ajoutons que c'est à Istanbul que les différentes forces de l'opposition syrienne ont procédé à leur jonction.
En réalité, il n'y a guère que lors du "printemps" égyptien que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a pris fait et cause pour les manifestants dès les premières heures du soulèvement. Ce qui résulte d'une conjonction précise. D'une part, Moubarak, qui entendait jouer un rôle majeur en Méditerranée en raison du poids de son pays, faisait quelque part concurrence à Erdogan ; d'autre part, les Frères musulmans, dont les théories ont partiellement inspiré les islamistes turcs, ne pouvaient que bénéficier du renversement de régime.
Le paradoxe veut que l'AKP turc jouisse d'une immense aura auprès des populations arabes, jusqu'à apparaître aux nouveaux leaders tunisiens, égyptiens ou libyens comme un modèle ou un exemple à suivre, mais qu'en même temps le printemps arabe vienne remettre en question les liens serrés que la diplomatie turque a su tisser dans les dernières années avec des régimes arabes désormais honnis. En cause, donc, le travail accompli par le patient et rusé ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, infatigable voyageur et théoricien du "bon voisinage", doctrine qui a produit un important rapprochement avec la Syrie d'El-Assad et l'Iran d'Ahmadinejad. Raison de plus pour mettre les bouchées doubles. Tantôt Erdogan recommence à défier Israël et exprime le souhait de se rendre à Gaza ; tantôt il effectue une tournée triomphale en Egypte, en Tunisie et en Libye. Au-dessus de cet activisme plane la volonté farouche de se poser en géant mondial. Avec une croissance économique flamboyante (8,9 % en 2010 et au moins 7 % attendus en 2011), la prospérité turque exerce une réelle force d'attraction, et pas seulement sur le monde arabe.
Car la Turquie n'est pas un simple pont entre l'Orient et l'Occident, elle est le centre d'un triptyque, Europe - Moyen-Orient - Asie, qui désigne des enjeux majeurs.
Deux réserves régionales marquent toutefois les limites de la stratégie internationale d'Erdogan et soulignent de fortes contradictions. La première, de taille, concerne les relations avec Israël. En s'engageant toujours plus avant au côté des Palestiniens, non seulement Ankara a compromis pour longtemps sa relation hier encore cruciale avec Jérusalem, mais de plus, elle risque de s'enfoncer dans un chemin dont les Palestiniens eux-mêmes ne savent pas où il mène. Pour un bénéfice à court terme, cette politique se heurtera à un moment au fait que la Turquie, membre de l'Otan, entend par ailleurs rester l'alliée des Etats-Unis. La seconde, de bien moindre importance stratégique mais essentielle au plan des principes, vise Chypre - où l'armée turque compte toujours une force d'occupation de 40 000 soldats - et l'Arménie - avec laquelle les pourparlers de paix ont été stoppés sans lendemain. Ce sont là deux conflits historiques, dont la cristallisation ne montre ni un grand sens de la modernité ni une profonde conviction démocratique.
Finalement, c'est vis-à-vis de l'Union européenne que la Turquie devra faire preuve de la plus grande persuasion pour s'imposer comme vraie puissance en Méditerranée. Ce qui lui laisse encore une marge de manoeuvre, vu l'état de l'Europe...
lexpress.fr
Son prestige va croissant, mais son embarras tout autant. Depuis le déclenchement des révolutions arabes, la Turquie, qui a tant investi au sud de la Méditerranée, navigue entre les écueils. Après avoir exprimé de vraies réticences lors de l'intervention de l'Otan en Libye, Ankara a opéré un retournement et a apporté son appui au Conseil national de transition.
Même attitude envers la Syrie: embarrassés au début des manifestations hostiles au pouvoir, les hauts responsables turcs ont progressivement infléchi leur position, jusqu'à condamner maintenant, sans ambages, la ligne répressive et sanglante suivie par Bachar El-Assad. Ajoutons que c'est à Istanbul que les différentes forces de l'opposition syrienne ont procédé à leur jonction.
En réalité, il n'y a guère que lors du "printemps" égyptien que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a pris fait et cause pour les manifestants dès les premières heures du soulèvement. Ce qui résulte d'une conjonction précise. D'une part, Moubarak, qui entendait jouer un rôle majeur en Méditerranée en raison du poids de son pays, faisait quelque part concurrence à Erdogan ; d'autre part, les Frères musulmans, dont les théories ont partiellement inspiré les islamistes turcs, ne pouvaient que bénéficier du renversement de régime.
Le paradoxe veut que l'AKP turc jouisse d'une immense aura auprès des populations arabes, jusqu'à apparaître aux nouveaux leaders tunisiens, égyptiens ou libyens comme un modèle ou un exemple à suivre, mais qu'en même temps le printemps arabe vienne remettre en question les liens serrés que la diplomatie turque a su tisser dans les dernières années avec des régimes arabes désormais honnis. En cause, donc, le travail accompli par le patient et rusé ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, infatigable voyageur et théoricien du "bon voisinage", doctrine qui a produit un important rapprochement avec la Syrie d'El-Assad et l'Iran d'Ahmadinejad. Raison de plus pour mettre les bouchées doubles. Tantôt Erdogan recommence à défier Israël et exprime le souhait de se rendre à Gaza ; tantôt il effectue une tournée triomphale en Egypte, en Tunisie et en Libye. Au-dessus de cet activisme plane la volonté farouche de se poser en géant mondial. Avec une croissance économique flamboyante (8,9 % en 2010 et au moins 7 % attendus en 2011), la prospérité turque exerce une réelle force d'attraction, et pas seulement sur le monde arabe.
Car la Turquie n'est pas un simple pont entre l'Orient et l'Occident, elle est le centre d'un triptyque, Europe - Moyen-Orient - Asie, qui désigne des enjeux majeurs.
Deux réserves régionales marquent toutefois les limites de la stratégie internationale d'Erdogan et soulignent de fortes contradictions. La première, de taille, concerne les relations avec Israël. En s'engageant toujours plus avant au côté des Palestiniens, non seulement Ankara a compromis pour longtemps sa relation hier encore cruciale avec Jérusalem, mais de plus, elle risque de s'enfoncer dans un chemin dont les Palestiniens eux-mêmes ne savent pas où il mène. Pour un bénéfice à court terme, cette politique se heurtera à un moment au fait que la Turquie, membre de l'Otan, entend par ailleurs rester l'alliée des Etats-Unis. La seconde, de bien moindre importance stratégique mais essentielle au plan des principes, vise Chypre - où l'armée turque compte toujours une force d'occupation de 40 000 soldats - et l'Arménie - avec laquelle les pourparlers de paix ont été stoppés sans lendemain. Ce sont là deux conflits historiques, dont la cristallisation ne montre ni un grand sens de la modernité ni une profonde conviction démocratique.
Finalement, c'est vis-à-vis de l'Union européenne que la Turquie devra faire preuve de la plus grande persuasion pour s'imposer comme vraie puissance en Méditerranée. Ce qui lui laisse encore une marge de manoeuvre, vu l'état de l'Europe...
lexpress.fr
Commentaire