DRAMATISATION TUNISIENNE

Est-ce les journées fatidiques de juin 91 en Algérie qui se rejouent actuellement, en juillet, en Tunisie ? La question se pose ouvertement au vu de la dramatisation brusque de la situation politique. L'extrême tension qui a régné en Algérie avec la grève du FIS s'est soldée par le départ du gouvernement réformateur et a été le début de la fin du processus démocratique entamé après les émeutes d'octobre 1988. Toute comparaison n'est pas nécessairement raison, mais il est difficile de ne pas constater que la Tunisie est mise, par certaines forces, dans une logique de polarisation idéologique qui risque de détourner un processus révolutionnaire destiné à mettre en place un système démocratique. Le tout sur fond de crise sociale qui est, on ne le sait que trop, le terrain fertile des manipulations.
Les faits sont en effet inquiétants. Alors que le débat «idéologique» sur la laïcité et l'islam a été allumé à dessein, les choses ont commencé à s'emballer sur le terrain. Des manifestations qui semblaient relever de l'ordinaire sont devenues soudain indésirables et réprimées sans ménagement. Mais d'un autre côté, des incidents violents ont eu lieu dans plusieurs villes, où des commissariats de police ont été attaqués et des armes et des munitions dérobées.
La mort, par balle, d'un adolescent dans la ville emblématique de Sidi Bouzid a poussé le Premier ministre du gouvernement de transition à monter au créneau pour dénoncer, sans les nommer, «des partis et des groupuscules» qui chercheraient, selon lui, à déstabiliser le pays pour empêcher la tenue des élections le 23 octobre prochain.
Tout en promettant que les élections auront bien lieu le 23 octobre comme prévu, Essebssi a déclaré que des «partis politiques et des mouvements marginaux ne sont pas prêts pour les élections, car ils sont sûrs de ne pas les remporter».
Il est clair que le Premier ministre tunisien se contraint dans l'expression ; mais en lançant des accusations imprécises contre des parties indéterminées, il ajoute de fait à la tension et à la confusion.
Il est évident qu'une tension a toujours existé après la chute de Ben Ali entre un mouvement contestataire, diversifié, et ceux qui détiennent les leviers de l'Etat. Le fait que ces derniers incarnent la permanence de l'appareil politico-sécuritaire de Ben Ali alimente cette tension.
La grande contradiction entre la demande de justice sociale, voire la demande de justice tout court, d'une bonne partie de la jeunesse tunisienne et l'exigence «d'ordre» d'une partie des élites et de l'establishment n'est pas anormale. Ce qui l'est par contre est l'absence d'une prise de conscience des politiques qu'une transition ratée ne se rattrape pas facilement.
Entre le risque de perdre les élections en octobre prochain et le risque d'une fermeture autoritaire de longue durée qui serait approuvée, de guerre lasse et par besoin de sécurité, par une majorité de Tunisiens, le choix ne devrait pas être difficile en théorie. Et pourtant
par M. Saâdoune
Le Quotidien d'Oran
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