Par Jad Siri | Avocat | 22/06/2011 | 17H22
Dans les révoltes, révolutions et mouvements sociaux qui ont cours dans les pays arabes depuis le début de l'année, les Marocains vont être les premiers à se prononcer sur une nouvelle constitution. En effet, la commission ad hoc composée discrétionnairement par le roi, à l'issue de son discours du 9 mars dernier, a rendu son projet de révision de la constitution après qu'il ait été validé par le roi.
Ce dernier a par ailleurs annoncé dans son discours du 17 juin que ce projet sera soumis à referendum le 1er juillet, soit tout juste 2 semaines après avoir été rendu public. Il a appelé les marocains à voter favorablement au texte proposé et à inviter les partis politiques à s'engager pour appeler à voter pour ce projet.
La plupart des responsables politiques marocains, répétant ce que le roi a autoproclamé d'« historique », qualifient ce projet d » « historique », présentant des avancées très importantes.
Au-delà de ces commentaires, attardons nous sérieusement sur le contenu du texte.
Le contexte de la nouvelle constitution soumise à referendum
Tout d'abord, rappelons que ce projet de constitution n'est pas une initiative spontanée du roi mais une concession de ce dernier face à la pression de la rue et des premières manifestations du 20 février.
En effet, il suffit de constater que Mohamed VI est roi depuis juillet 1999 et qu'il n'a jamais initié, avant le 9 mars, la moindre révision constitutionnelle. Il a donc cédé à la pression et il ne faudrait pas que la monarchie récupère ou s'attribue cette « avancée » alors qu'elle a essentiellement subie.
Par ailleurs, rappelons que la voie retenue par le roi pour réviser la constitution n'est pas un modèle de processus démocratique : le roi a en effet écarté la voie de l'élection d'une assemblée constituante au suffrage universelle pour lui préférer un mécanisme lui permettant de contrôler étroitement le processus de révision de la constitution.
Il a préféré créer une commission ad hoc restreinte dont il a choisi discrétionnairement tous les membres, et dont il a fixé la feuille de route. Plus lent mais plus légitime, l'élection d'une assemblée constituante aurait été préférable.
Des avancées réelles en matière d'énonciation des droits de l'Homme
Le texte consacre plus de vingt articles à la question. Les principales avancées portent sur l'interdiction tacite de la peine de mort puisque le texte consacre le « droit à la vie » comme étant « le premier droit de tout être humain » et que « la loi protège ce droit ».
Le texte prévoit également :
Le texte organise également des institutions et des mécanismes pour promouvoir et veiller au respect des droits de l'Homme en instituant un Conseil National des Droits de l'Homme et un Médiateur.
Si l'énonciation et l'affirmation de ces droits est certainement une avancée importante, il faut cependant rester vigilant quant aux lois qui devront assurer leur mise en œuvre. En effet, la tentation sera certainement grande chez certains de faire en sorte que les lois de mise en œuvre de ces droits prévoient des mécanismes ou des conditions d'exercice de ces droits tels qu'ils ne seront pas effectifs !
Il sera en effet difficile de faire cesser les réflexes autoritaires et arbitraires de la police et du makhzen, de faire cesser les passe-droits dont ils font régulièrement usage, et de leur faire renoncer à la torture, aux arrestations et détentions arbitraires, aux écoutes illégales etc.
Comment ceux qui ont été les commanditaires et les auteurs de violences, d'arbitraires, de délits d'initier, d'actes de corruptions, qu'ils soient en haut de la pyramide ou en bas de celle-ci, vont, du jour au lendemain, devenir des personnes respectueuses des droits de l'Homme ?
La simple énonciation des droits de l'Homme dans la constitution ne permettra pas de garantir des comportements vertueux.
Le projet de nouvelle constitution apporte par ailleurs trois autres avancées positives :
Un texte qui ne propose pas un régime politique démocratique
Le progrès certain qu'offre ce projet en matière d'énonciation des droits de l'Homme ne doit pas cacher les insuffisances majeures en matière d'institutions et de fonctionnement politiques démocratiques.
Un roi qui continue de gouverner et de disposer de pouvoirs exécutifs exorbitants. Au terme du projet proposé, le roi règne mais gouverne aussi tout en bénéficiant d'une immunité totale puisque sa personne « est inviolable, et respect Lui est dû ».
Ainsi, manifestement, le roi a droit à un respect supérieur à celui dont ont droit les autres marocains. Certes, auparavant se personne était en plus « sacrée », faisant de lui un monarque de droit divin !
Le pouvoir du roi s'étend sur le gouvernement : s'il ne dispose plus de la liberté totale de choisir le chef du gouvernement, puisqu'il doit le choisir au sein du parti politique arrivé en tête aux élections législatives, il nomme les ministres qui lui sont proposés par le chef du gouvernement, ce qui obligera ce dernier à négocier avec le roi le choix des ministres de son gouvernement (cela sera particulièrement vrai avec le ministre de la défense, le ministre du culte, le ministre de l'intérieur, de la justice, des affaires étrangères et de l'économie).
Cet ascendant du roi sur le gouvernement est d'autant plus vrai qu'il peut discrétionnairement révoquer chacun des ministres sans l'accord du chef du gouvernement.
Dès lors, une fois nommés, les ministres verront dans le roi leur chef puisque leur maintien en fonction dépendra de ce dernier, étant précisé que le chef du gouvernement ne pourra révoquer ses ministres sans l'accord du roi.
Par ailleurs, le roi dispose du pouvoir exclusif en matière religieuse et en matière militaire puisque non seulement il « est Chef Suprême des Forces Armées Royales » mais en plus il « nomme (seul) aux emplois militaires ».
Le pouvoir de nomination du roi s'étend aux autres domaines : sur proposition du chef du gouvernement, il nomme
Il est également précisé qu'en présidant le conseil des ministres, le roi aura son mot à dire notamment sur la loi de finance annuelle puisqu'avant d'être soumise au parlement, elle devra être délibérée d'abord en conseil des ministres.
Par ailleurs, en matière de justice, la nomination des magistrats ne peut se faire sans son approbation, il préside le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et dispose, de manière discrétionnaire, du droit de grâce.
En substance, sont de son ressort exclusif ou quasi-exclusif, l'armée, la police, le champ
religieux, et les affaires étrangères. Il a par ailleurs la haute main sur la magistrature ainsi qu'un droit de regard certain sur le champ économique !
Dans les révoltes, révolutions et mouvements sociaux qui ont cours dans les pays arabes depuis le début de l'année, les Marocains vont être les premiers à se prononcer sur une nouvelle constitution. En effet, la commission ad hoc composée discrétionnairement par le roi, à l'issue de son discours du 9 mars dernier, a rendu son projet de révision de la constitution après qu'il ait été validé par le roi.
Ce dernier a par ailleurs annoncé dans son discours du 17 juin que ce projet sera soumis à referendum le 1er juillet, soit tout juste 2 semaines après avoir été rendu public. Il a appelé les marocains à voter favorablement au texte proposé et à inviter les partis politiques à s'engager pour appeler à voter pour ce projet.
La plupart des responsables politiques marocains, répétant ce que le roi a autoproclamé d'« historique », qualifient ce projet d » « historique », présentant des avancées très importantes.
Au-delà de ces commentaires, attardons nous sérieusement sur le contenu du texte.
Le contexte de la nouvelle constitution soumise à referendum
Tout d'abord, rappelons que ce projet de constitution n'est pas une initiative spontanée du roi mais une concession de ce dernier face à la pression de la rue et des premières manifestations du 20 février.
En effet, il suffit de constater que Mohamed VI est roi depuis juillet 1999 et qu'il n'a jamais initié, avant le 9 mars, la moindre révision constitutionnelle. Il a donc cédé à la pression et il ne faudrait pas que la monarchie récupère ou s'attribue cette « avancée » alors qu'elle a essentiellement subie.
Par ailleurs, rappelons que la voie retenue par le roi pour réviser la constitution n'est pas un modèle de processus démocratique : le roi a en effet écarté la voie de l'élection d'une assemblée constituante au suffrage universelle pour lui préférer un mécanisme lui permettant de contrôler étroitement le processus de révision de la constitution.
Il a préféré créer une commission ad hoc restreinte dont il a choisi discrétionnairement tous les membres, et dont il a fixé la feuille de route. Plus lent mais plus légitime, l'élection d'une assemblée constituante aurait été préférable.
Des avancées réelles en matière d'énonciation des droits de l'Homme
Le texte consacre plus de vingt articles à la question. Les principales avancées portent sur l'interdiction tacite de la peine de mort puisque le texte consacre le « droit à la vie » comme étant « le premier droit de tout être humain » et que « la loi protège ce droit ».
Le texte prévoit également :
- la prohibition formelle de la torture et des traitements dégradants et portant atteinte à la dignité,
- les droits fondamentaux en matière d'arrestation et de détention, avec le droit de connaître les motifs de l'arrestation et de la détention,
- le droit de recours de chacun, dans le cadre d'un procès, devant la Cour Constitutionnelle pour faire annuler une loi qui « porte atteinte aux droits et libertés garantis par le constitution »,
- les droits de la défense dans le cadre d'un « procès-équitable » qui doit se dérouler dans un « délai raisonnable ».
Le texte organise également des institutions et des mécanismes pour promouvoir et veiller au respect des droits de l'Homme en instituant un Conseil National des Droits de l'Homme et un Médiateur.
Si l'énonciation et l'affirmation de ces droits est certainement une avancée importante, il faut cependant rester vigilant quant aux lois qui devront assurer leur mise en œuvre. En effet, la tentation sera certainement grande chez certains de faire en sorte que les lois de mise en œuvre de ces droits prévoient des mécanismes ou des conditions d'exercice de ces droits tels qu'ils ne seront pas effectifs !
Il sera en effet difficile de faire cesser les réflexes autoritaires et arbitraires de la police et du makhzen, de faire cesser les passe-droits dont ils font régulièrement usage, et de leur faire renoncer à la torture, aux arrestations et détentions arbitraires, aux écoutes illégales etc.
Comment ceux qui ont été les commanditaires et les auteurs de violences, d'arbitraires, de délits d'initier, d'actes de corruptions, qu'ils soient en haut de la pyramide ou en bas de celle-ci, vont, du jour au lendemain, devenir des personnes respectueuses des droits de l'Homme ?
La simple énonciation des droits de l'Homme dans la constitution ne permettra pas de garantir des comportements vertueux.
Le projet de nouvelle constitution apporte par ailleurs trois autres avancées positives :
- la reconnaissance du berbère comme langue officielle, bien que cela ne sera pas sans difficulté de mise en œuvre (obligation de traduire toutes les lois dans cette langue avec le risque de différences d'interprétation d'un même texte, jugements rendues également dans cette langue, ensemble des actes administratifs en deux langues etc. ) ;
- l'affirmation de l'égalité homme-femme bien que le discours du roi du 17 juin laisse planer une ambigüité en affirmant que cette égalité se fait « dans le respect des dispositions de la constitution ainsi que des lois inspirées de la religion musulmane » (l'égalité homme-femme butera-t-elle sur la règle religieuse prévoyant qu'en matière de succession, une femme hérite de la moitié de ce qu'hérite un homme ? ) ;
- l'ouverture à des mécanismes de démocratie participative (droit des citoyens de faire des propositions de lois pouvant être reprises par les partis politiques ou les groupes parlementaires et droit de pétition).
Un texte qui ne propose pas un régime politique démocratique
Le progrès certain qu'offre ce projet en matière d'énonciation des droits de l'Homme ne doit pas cacher les insuffisances majeures en matière d'institutions et de fonctionnement politiques démocratiques.
Un roi qui continue de gouverner et de disposer de pouvoirs exécutifs exorbitants. Au terme du projet proposé, le roi règne mais gouverne aussi tout en bénéficiant d'une immunité totale puisque sa personne « est inviolable, et respect Lui est dû ».
Ainsi, manifestement, le roi a droit à un respect supérieur à celui dont ont droit les autres marocains. Certes, auparavant se personne était en plus « sacrée », faisant de lui un monarque de droit divin !
Le pouvoir du roi s'étend sur le gouvernement : s'il ne dispose plus de la liberté totale de choisir le chef du gouvernement, puisqu'il doit le choisir au sein du parti politique arrivé en tête aux élections législatives, il nomme les ministres qui lui sont proposés par le chef du gouvernement, ce qui obligera ce dernier à négocier avec le roi le choix des ministres de son gouvernement (cela sera particulièrement vrai avec le ministre de la défense, le ministre du culte, le ministre de l'intérieur, de la justice, des affaires étrangères et de l'économie).
Cet ascendant du roi sur le gouvernement est d'autant plus vrai qu'il peut discrétionnairement révoquer chacun des ministres sans l'accord du chef du gouvernement.
Dès lors, une fois nommés, les ministres verront dans le roi leur chef puisque leur maintien en fonction dépendra de ce dernier, étant précisé que le chef du gouvernement ne pourra révoquer ses ministres sans l'accord du roi.
Par ailleurs, le roi dispose du pouvoir exclusif en matière religieuse et en matière militaire puisque non seulement il « est Chef Suprême des Forces Armées Royales » mais en plus il « nomme (seul) aux emplois militaires ».
Le pouvoir de nomination du roi s'étend aux autres domaines : sur proposition du chef du gouvernement, il nomme
- les walis et gouverneurs (préfets),
- les directeurs d'administrations chargées de la sécurité intérieur (c'est-à-dire la police, les renseignements généraux, le gendarmerie etc.),
- les ambassadeurs (étant précisé que c'est lui qui signe les traités internationaux et qui accrédite les ambassadeurs),
- le directeur de la banque centrale,
- les « responsables des établissements et entreprises stratégiques » (ce qui vise, concrètement, la caisse des dépôts marocaines puisqu'il s'agit d'un établissement stratégique, sans compter les grandes entreprises marocaines telle que l'OCP, la RAM, ou encore les directeurs des établissements de mise en œuvre de la politique du tourisme puisque ce secteur est, au Maroc, stratégique etc.)
Il est également précisé qu'en présidant le conseil des ministres, le roi aura son mot à dire notamment sur la loi de finance annuelle puisqu'avant d'être soumise au parlement, elle devra être délibérée d'abord en conseil des ministres.
Par ailleurs, en matière de justice, la nomination des magistrats ne peut se faire sans son approbation, il préside le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et dispose, de manière discrétionnaire, du droit de grâce.
En substance, sont de son ressort exclusif ou quasi-exclusif, l'armée, la police, le champ
religieux, et les affaires étrangères. Il a par ailleurs la haute main sur la magistrature ainsi qu'un droit de regard certain sur le champ économique !
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