“Allo, Housni”
Une nouvelle vie commence alors pour le fraîchement nommé commandant de la Gendarmerie royale. Première mission : la gestion du dossier Tazmamart. Les putschistes sont transférés au sinistre bagne, sous escorte de la Gendarmerie. Le contact avec le bagne est également maintenu grâce à un homme de Benslimane : le commandant Feddoul. “Finalement, témoigne un ex-bagnard, je n'en veux pas à Benslimane d'avoir exécuté les ordres. À cette époque, personne ne pouvait tenir tête à Hassan II. Mais il avait une certaine marge de manœuvre qu'il n'a pas utilisée pour améliorer les conditions de notre détention. Ses subordonnés ont fait du zèle pour mieux plaire au monarque. Il a préféré ne pas prendre de risques”. Lorsque les portes du sinistre bagne se referment sur ses malheureux résidents, Housni Benslimane s'attelle alors au chantier de sa vie : protéger la monarchie. Le gardien de but est propulsé gardien du régime… sans pour autant en devenir l'homme fort. À cette époque, c'est en effet Ahmed Dlimi qui tire les ficelles de la vie politique et militaire. Benslimane hérite cependant d'un rôle central : contrôler l'armée. “Lors des séances de tir, un gendarme est toujours là pour faire le compte des cartouches tirées. Aucun déplacement de troupe ou de personnel militaire ne se fait sans en aviser le commandement local de la Gendarmerie. C'était l'œil du roi sur les troupes”, explique un officier des FAR.
À partir de 1975, l'affaire du Sahara occupe le devant de la scène. Ahmed Dlimi s'y investit corps et âme, livrant le nord du pays au désormais lieutenant-colonel Housni Benslimane. Ce dernier saute sur l'occasion pour se rapprocher davantage de Hassan II. Il hérite de la sécurité des résidences royales et de celle des princes et princesses. Hassan II parle alors de “sa” gendarmerie et témoigne une affection particulière à “Housni”, qu'il appelle publiquement par son prénom, notamment lors d’une communication téléphonique télévisée qui passera à la postterité (“Allo Housni ?”).
En 1983, la mort mystérieuse d'Ahmed Dlimi ouvre une voie royale devant “Housni”, devenu colonel-major. Il est enfin débarrassé de ses deux mentors (Oufkir et Dlimi) qui lui ont tout appris. Il devient l'interlocuteur sécuritaire numéro 1 de Hassan II. Certes, le jeune Driss Basri lui fait de l'ombre à l'Intérieur, mais ce n'est pas pour déplaire à Benslimane “qui trouve en Basri le bouc émissaire parfait pour rester dans l'ombre et continuer à peser sur la vie politique et sociale du pays”, explique Mahjoub Tobji, auteur du brûlot intitulé “Les officiers de Sa Majesté”.
Au milieu des années 80, la Gendarmerie devient un corps polyvalent, organisé et efficace. Bref, incontournable. Mais Benslimane garde les pieds sur terre. Il sait que pour durer, il doit plaire… au plus grand nombre. Le colonel-major est alors aux petits soins avec la famille du monarque. Il ne leur refuse aucun caprice. “Là où Basri irait prendre l'avis de Hassan II avant d'agir, Benslimane remue ciel et terre pour satisfaire directement les désirs des princes et des princesses”, rapporte un haut gradé. En 1985, comme pour le remercier de cette attention familiale, Hassan II le fait général de brigade. “Dans un Maroc secoué par les crises sociales, c'est un signe qui ne trompe pas. Le général devait maintenir l'ordre coûte que coûte”, explique un observateur. La gendarmerie a-t-elle, dans ce cas, participé à la répression sauvage des émeutes de Casablanca (1981), de Nador (1984) et de Fès (1990) ? Difficile de répondre. Les différents témoignages recueillis évoquent l'intervention musclée d'éléments principalement issus de l'armée ou des forces auxiliaires. “La gendarmerie est également intervenue en milieu urbain, avoue un ex-officier de la gendarmerie royale. Elle n'a peut-être tué personne, mais le général Benslimane était constamment consulté pour ce genre d'interventions, qu'il a donc certainement validées”.
Vers la fin des années 80, le général est déjà une célébrité. Il est partout ou presque. En plus de la gendarmerie, qui contrôle désormais de larges pans du territoire national, le général supervise le service des prévisions météo, coordonne les actions de secourisme maritime, dispose d'un puissant service de renseignement, etc. Il gagne naturellement des galons et devient général de division en 1992. Ses ambitions grandissent et sa relation avec Hassan II se raffermit davantage.
Le roi, le général et le foot
En 1994, les deux hommes suivent, avec amertume, la débâcle de l'équipe nationale lors de la Coupe du monde de football organisée aux Etats-Unis. Furieux, Hassan II procède à un énième remaniement au sein de la Fédération royale marocaine de football. Il installe un comité provisoire chargé de mettre le football national à niveau. “Une liste de noms lui a été soumise pour validation. La légende dit qu'il a rajouté le nom de Housni Benslimane au stylo en disant qu'il pourrait lui aussi apporter son aide”, rapporte un journaliste sportif. Mythe ou réalité ? Toujours est-il qu'en 1994, le général de division Housni Benslimane se retrouve à la tête du sport national par excellence. Il est président de la puissante Fédération de football et du Comité national olympique. Il renoue ainsi avec ses premières amours, retrouve les pelouses et, surtout, les tribunes officielles. On lui découvre alors un autre visage. “À la Fédération, il est plus courtois, plus chaleureux, mais tout aussi réservé”, affirme un membre fédéral encore en fonction. Comme à chaque étape de sa vie, Housni Benslimane se tue à la tâche. Il apporte une certaine rigueur au monde du football et pèse de tout son poids pour ramener de nouveaux sponsors et convaincre de nouveaux investisseurs. “Il n'a jamais arrêté de faire du sport, il est obsédé par sa condition physique. Et n'oubliez pas qu'il a été le compagnon d'un roi mordu de foot. Ses responsabilités à la tête de la Fédération l'ont donc certes exposé davantage, mais il a également su en tirer plusieurs bénéfices”, confie un ex-responsable du Raja de Casablanca. En 1998, soit quatre ans après la débâcle des Etats-Unis, l'équipe nationale manque de peu la qualification au deuxième tour dans le Mondial français. La déception est générale mais, au soir de sa vie, Hassan II réserve un accueil triomphal à la sélection nationale. “Housni Benslimane ne s'est jamais fait d'illusion. Il a toujours dit que le sport était le parti politique numéro 1 au Maroc, rapporte un journaliste sportif qui l'a longuement fréquenté. Pour lui, le sport servait à former la jeunesse. Mais il disait souvent qu'on était soumis aux résultats de l'équipe nationale car on ne peut pas travailler dans une atmosphère de défaite”. Du coup, le général chouchoute les différentes sélections nationales. “Lors des matchs internationaux, il y a toujours quelqu'un de son état-major avec l'équipe. Après un match, le premier appel que reçoivent les joueurs ou les membres du staff technique vient du général, qui essaye à tout prix de dissocier l'image du général froid et calculateur de celle du président de la Fédération, disponible et affable”, affirme un joueur international. “Rien n'y fait pourtant, réplique un dirigeant de club casablancais. Le monde du football est un château de cartes qui ne tient que grâce au général. Les présidents de clubs, les dirigeants et les sponsors se tiennent à carreau parce qu'ils craignent les colères de Benslimane et sa puissance. Ils ne voient en lui que le général, et c'est pour ça que ça marche encore”. Un signe qui ne trompe pas : le président dispose de vestiaires privés au sein du siège de la Fédération. Il y conserverait en permanence une tenue militaire officielle, au cas où le roi le convoquerait en urgence. Une de ces convocations que “Benslimane craint plus que tout au monde”, selon plusieurs de ses collaborateurs… et qui finit par tomber un certain 23 Juillet 1999.
Une nouvelle vie commence alors pour le fraîchement nommé commandant de la Gendarmerie royale. Première mission : la gestion du dossier Tazmamart. Les putschistes sont transférés au sinistre bagne, sous escorte de la Gendarmerie. Le contact avec le bagne est également maintenu grâce à un homme de Benslimane : le commandant Feddoul. “Finalement, témoigne un ex-bagnard, je n'en veux pas à Benslimane d'avoir exécuté les ordres. À cette époque, personne ne pouvait tenir tête à Hassan II. Mais il avait une certaine marge de manœuvre qu'il n'a pas utilisée pour améliorer les conditions de notre détention. Ses subordonnés ont fait du zèle pour mieux plaire au monarque. Il a préféré ne pas prendre de risques”. Lorsque les portes du sinistre bagne se referment sur ses malheureux résidents, Housni Benslimane s'attelle alors au chantier de sa vie : protéger la monarchie. Le gardien de but est propulsé gardien du régime… sans pour autant en devenir l'homme fort. À cette époque, c'est en effet Ahmed Dlimi qui tire les ficelles de la vie politique et militaire. Benslimane hérite cependant d'un rôle central : contrôler l'armée. “Lors des séances de tir, un gendarme est toujours là pour faire le compte des cartouches tirées. Aucun déplacement de troupe ou de personnel militaire ne se fait sans en aviser le commandement local de la Gendarmerie. C'était l'œil du roi sur les troupes”, explique un officier des FAR.
À partir de 1975, l'affaire du Sahara occupe le devant de la scène. Ahmed Dlimi s'y investit corps et âme, livrant le nord du pays au désormais lieutenant-colonel Housni Benslimane. Ce dernier saute sur l'occasion pour se rapprocher davantage de Hassan II. Il hérite de la sécurité des résidences royales et de celle des princes et princesses. Hassan II parle alors de “sa” gendarmerie et témoigne une affection particulière à “Housni”, qu'il appelle publiquement par son prénom, notamment lors d’une communication téléphonique télévisée qui passera à la postterité (“Allo Housni ?”).
En 1983, la mort mystérieuse d'Ahmed Dlimi ouvre une voie royale devant “Housni”, devenu colonel-major. Il est enfin débarrassé de ses deux mentors (Oufkir et Dlimi) qui lui ont tout appris. Il devient l'interlocuteur sécuritaire numéro 1 de Hassan II. Certes, le jeune Driss Basri lui fait de l'ombre à l'Intérieur, mais ce n'est pas pour déplaire à Benslimane “qui trouve en Basri le bouc émissaire parfait pour rester dans l'ombre et continuer à peser sur la vie politique et sociale du pays”, explique Mahjoub Tobji, auteur du brûlot intitulé “Les officiers de Sa Majesté”.
Au milieu des années 80, la Gendarmerie devient un corps polyvalent, organisé et efficace. Bref, incontournable. Mais Benslimane garde les pieds sur terre. Il sait que pour durer, il doit plaire… au plus grand nombre. Le colonel-major est alors aux petits soins avec la famille du monarque. Il ne leur refuse aucun caprice. “Là où Basri irait prendre l'avis de Hassan II avant d'agir, Benslimane remue ciel et terre pour satisfaire directement les désirs des princes et des princesses”, rapporte un haut gradé. En 1985, comme pour le remercier de cette attention familiale, Hassan II le fait général de brigade. “Dans un Maroc secoué par les crises sociales, c'est un signe qui ne trompe pas. Le général devait maintenir l'ordre coûte que coûte”, explique un observateur. La gendarmerie a-t-elle, dans ce cas, participé à la répression sauvage des émeutes de Casablanca (1981), de Nador (1984) et de Fès (1990) ? Difficile de répondre. Les différents témoignages recueillis évoquent l'intervention musclée d'éléments principalement issus de l'armée ou des forces auxiliaires. “La gendarmerie est également intervenue en milieu urbain, avoue un ex-officier de la gendarmerie royale. Elle n'a peut-être tué personne, mais le général Benslimane était constamment consulté pour ce genre d'interventions, qu'il a donc certainement validées”.
Vers la fin des années 80, le général est déjà une célébrité. Il est partout ou presque. En plus de la gendarmerie, qui contrôle désormais de larges pans du territoire national, le général supervise le service des prévisions météo, coordonne les actions de secourisme maritime, dispose d'un puissant service de renseignement, etc. Il gagne naturellement des galons et devient général de division en 1992. Ses ambitions grandissent et sa relation avec Hassan II se raffermit davantage.
Le roi, le général et le foot
En 1994, les deux hommes suivent, avec amertume, la débâcle de l'équipe nationale lors de la Coupe du monde de football organisée aux Etats-Unis. Furieux, Hassan II procède à un énième remaniement au sein de la Fédération royale marocaine de football. Il installe un comité provisoire chargé de mettre le football national à niveau. “Une liste de noms lui a été soumise pour validation. La légende dit qu'il a rajouté le nom de Housni Benslimane au stylo en disant qu'il pourrait lui aussi apporter son aide”, rapporte un journaliste sportif. Mythe ou réalité ? Toujours est-il qu'en 1994, le général de division Housni Benslimane se retrouve à la tête du sport national par excellence. Il est président de la puissante Fédération de football et du Comité national olympique. Il renoue ainsi avec ses premières amours, retrouve les pelouses et, surtout, les tribunes officielles. On lui découvre alors un autre visage. “À la Fédération, il est plus courtois, plus chaleureux, mais tout aussi réservé”, affirme un membre fédéral encore en fonction. Comme à chaque étape de sa vie, Housni Benslimane se tue à la tâche. Il apporte une certaine rigueur au monde du football et pèse de tout son poids pour ramener de nouveaux sponsors et convaincre de nouveaux investisseurs. “Il n'a jamais arrêté de faire du sport, il est obsédé par sa condition physique. Et n'oubliez pas qu'il a été le compagnon d'un roi mordu de foot. Ses responsabilités à la tête de la Fédération l'ont donc certes exposé davantage, mais il a également su en tirer plusieurs bénéfices”, confie un ex-responsable du Raja de Casablanca. En 1998, soit quatre ans après la débâcle des Etats-Unis, l'équipe nationale manque de peu la qualification au deuxième tour dans le Mondial français. La déception est générale mais, au soir de sa vie, Hassan II réserve un accueil triomphal à la sélection nationale. “Housni Benslimane ne s'est jamais fait d'illusion. Il a toujours dit que le sport était le parti politique numéro 1 au Maroc, rapporte un journaliste sportif qui l'a longuement fréquenté. Pour lui, le sport servait à former la jeunesse. Mais il disait souvent qu'on était soumis aux résultats de l'équipe nationale car on ne peut pas travailler dans une atmosphère de défaite”. Du coup, le général chouchoute les différentes sélections nationales. “Lors des matchs internationaux, il y a toujours quelqu'un de son état-major avec l'équipe. Après un match, le premier appel que reçoivent les joueurs ou les membres du staff technique vient du général, qui essaye à tout prix de dissocier l'image du général froid et calculateur de celle du président de la Fédération, disponible et affable”, affirme un joueur international. “Rien n'y fait pourtant, réplique un dirigeant de club casablancais. Le monde du football est un château de cartes qui ne tient que grâce au général. Les présidents de clubs, les dirigeants et les sponsors se tiennent à carreau parce qu'ils craignent les colères de Benslimane et sa puissance. Ils ne voient en lui que le général, et c'est pour ça que ça marche encore”. Un signe qui ne trompe pas : le président dispose de vestiaires privés au sein du siège de la Fédération. Il y conserverait en permanence une tenue militaire officielle, au cas où le roi le convoquerait en urgence. Une de ces convocations que “Benslimane craint plus que tout au monde”, selon plusieurs de ses collaborateurs… et qui finit par tomber un certain 23 Juillet 1999.
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