Le président a compris que le patron du FMI est son plus dangereux rival. Quel est le plan anti-DSK concocté par l'Elysée ? Une enquête d'Ariane Chemin.
Longtemps, ils se sont appelés "Nicolas" et "Dominique". Ils s'embrassaient quand ils se croisaient, se retrouvaient parfois le soir autour d'une nappe. Il y a quinze ans, au creux des années 1990, les Strauss-Kahn étaient conviés avec Nicolas et Cécilia Sarkozy chez Martin Bouygues - où eut lieu leur première rencontre -, pendaient la crémaillère chez Jacques Attali. Ils dînaient aussi parfois tout simplement les uns chez les autres : île de la Jatte, à Neuilly ou plus rarement chez "les Strauss", avenue du Maréchal-Maunoury, dans le 16e arrondissement de Paris.
C'était le temps où les champions de ces deux brillants avocats d'affaires - Edouard Balladur et Lionel Jospin - perdaient dès le premier tour de l'élection présidentielle. L'époque des traversées du désert, qui redonnent le temps de souper et de vivre.
Compagnonnage d'anciens députés oblige, les deux hommes se tutoient toujours. Mais depuis que, en silence, le patron du FMI met tout en oeuvre pour pouvoir devenir le candidat de la gauche en 2012, ne se laissant que l'immense liberté de se dire non à lui-même, les mots ont changé. Aujourd'hui, seul le président de la République appelle encore le secrétaire général du FMI par son prénom. La situation, indéniablement, s'est tendue. Les intimes de DSK ont noté que, en privé, leur "patron" ne parlait plus du chef de l'Etat de la même manière. Désormais, il dit "Sarko". Ou, pire : "l'Autre".
"Meilleur DRH de la gauche"
"L'Autre" n'est plus tout à fait le même, lui non plus, avec "Dominique". Et s'il s'était trompé ? S'il avait eu tort de soutenir la candidature de Strauss-Kahn à la tête du FMI ? Souvenons-nous. C'était l'été 2007. La gauche venait de perdre pour la troisième fois l'élection présidentielle. DSK n'avait pas pardonné à Jospin son silence dans la bataille de la primaire. Certains de ses amis avaient voté au second tour pour le candidat de droite.
Le 6 mai au soir, malgré le score honorable de Ségolène Royal, Strauss avait dénoncé une "très grave défaite". Et puis l'ancien locataire de Bercy avait commencé à s'ennuyer. Alors, quand il avait appris la démission du FMI de l'Espagnol Rodrigo Rato, il avait appelé le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Puis demandé à son copain Alain Minc de sonder Nicolas Sarkozy.
Le président, qui s'autoproclamera peu après "meilleur DRH de la gauche", n'avait pas hésité. "Ce n'est pas Sarkozy qui fait l'élection de Dominique au FMI, loin s'en faut; mais sans lui, rien n'aurait été possible", résume Pierre Moscovici. "Sarko a joué au poker, mais la crise a changé la donne. De placard doré, le FMI est devenu un marchepied", poursuit l'ancien ministre des Affaires européennes.
En l'envoyant au FMI, Sarkozy l'a consacré
"Il n'y a pas eu de deal entre eux, bien sûr. Sarkozy a pensé que donner le feu vert pour DSK au FMI, c'était implicitement la garantie qu'il ne se présenterait pas contre lui. Mais ce sont les pactes qu'on ne passe pas clairement qui sont souvent les plus dangereux", ajoute Julien Dray. "Comme ils sont complices, chacun a pensé qu'il pourrait se servir de l'autre, décrypte aussi l'ex-patron du Crédit lyonnais Jean Peyrelevade. Mais Sarkozy et mon ami Alain Minc ont commis une erreur de jugement : Dominique n'est jamais meilleur que dans ces situations où, sans bouger, les problèmes viennent à lui. En l'envoyant au FMI, Sarkozy l'a consacré. A tel point que je me demande s'il peut encore ne pas se présenter..."
Vous ne m'aimez pas, mais je vous protège de la crise financière, disait jusqu'à présent Sarkozy. Je suis rassurant, je sais faire. Mais s'ils sont deux, désormais, à le dire ? Nicolas Sarkozy a toujours eu DSK à l'oeil ; il l'a aujourd'hui dans sa ligne de mire. Il l'appelle encore "Dominique", mais, devant l'assourdissant silence du patron du FMI, son discours a évolué.
"Mon meilleur challenger"
En 2007, le chef de l'Etat se contentait de balayer : "Il ne veut pas être candidat" Ou, lourd d'allusions mystérieuses, il glissait à ses interlocuteurs : "Tu sais comme moi qu'il ne peut pas être candidat." Et aussi : "C'est un jouisseur", "il vit trop", "il aime trop la vie" ... "Sarkozy restait persuadé que le job était trop emmerdant pour Strauss-Kahn et qu'il n'irait jamais", résume l'ancien porteparole de l'UMP Dominique Paillé.
Au jourd'hui, ce serait plutôt : il ne me fait pas peur. En mai dernier, à quelques députés UMP qu'il réunissait pour déjeuner, le président de la République confiait : "DSK n'est pas capable de tenir une campagne présidentielle. Devant moi, j'ai Martine Aubry et Eva Joly." Ou encore : "Le match sera difficile, mais tous les candidats me vont." Et assure désormais sans faillir que seul François Hollande l'inquiète et ajoute : "Dominique serait le candidat idéal. Il serait mon meilleur challenger."
"Sarkozy veut discréditer Strauss-Kahn avant même l'annonce de la primaire socialiste"
L'un et l'autre ne sont encore que candidats virtuels. Mais ils s'observent et se jaugent dé sormais chaque jour. C'est l'intérêt - ou l'inconvénient - de partager ses réseaux : entre la sarkozie et la strauss-kahnie, infos - et intox circulent plus rapidement chaque jour. Couloirs des banques d'affaires, petits déjeuners de grands patrons ou de communicants, simples dîners mondains, chaque camp croise l'autre, le sonde, l'espionne. Les vacances de Noël au Maroc ont beaucoup fait jaser : le couple Strauss-Kahn a réuni dans son ryad, à Marra kech, un genre de task force. Des amis comme l'écrivain Dan Franck, mais aussi l'avocat Jean Veil, Gilles Finchelstein et Anne Hommel d'Euro-RSCG, et pour un déjeuner ou un café Ramzi Khiroun, le nouvel homme fort du groupe Lagardère, Jean-Paul Huchon, le patron de la région Ile-de-France, ou le philosophe Bernard-Henri Lévy.
Un peu plus loin, à Taroudant, Jacques Chirac confiait à ses interlocuteurs - sous l'oeil effaré de sa femme Bernadette - que, pour 2012, Strauss-Kahn était au fond l'homme le plus apte - parce que "au coeur des choses" à réguler le capitalisme financier. Depuis, l'Elysée, le nez sur les sondages qui font chaque jour de DSK le meilleur challenger du président, est sur le qui-vive. Rue du Faubourg-Saint-Honoré, on a concocté quelque chose qui ressemble à un plan anti-Strauss-Kahn. Puisqu'en politique comme en amour on existe d'abord dans le regard de l'autre, il faut parler de DSK, engager une campagne virtuelle. "Sarkozy veut discréditer Strauss-Kahn avant même l'annonce de la primaire socialiste", lâche un bon connaisseur des deux protagonistes.
Longtemps, ils se sont appelés "Nicolas" et "Dominique". Ils s'embrassaient quand ils se croisaient, se retrouvaient parfois le soir autour d'une nappe. Il y a quinze ans, au creux des années 1990, les Strauss-Kahn étaient conviés avec Nicolas et Cécilia Sarkozy chez Martin Bouygues - où eut lieu leur première rencontre -, pendaient la crémaillère chez Jacques Attali. Ils dînaient aussi parfois tout simplement les uns chez les autres : île de la Jatte, à Neuilly ou plus rarement chez "les Strauss", avenue du Maréchal-Maunoury, dans le 16e arrondissement de Paris.
C'était le temps où les champions de ces deux brillants avocats d'affaires - Edouard Balladur et Lionel Jospin - perdaient dès le premier tour de l'élection présidentielle. L'époque des traversées du désert, qui redonnent le temps de souper et de vivre.
Compagnonnage d'anciens députés oblige, les deux hommes se tutoient toujours. Mais depuis que, en silence, le patron du FMI met tout en oeuvre pour pouvoir devenir le candidat de la gauche en 2012, ne se laissant que l'immense liberté de se dire non à lui-même, les mots ont changé. Aujourd'hui, seul le président de la République appelle encore le secrétaire général du FMI par son prénom. La situation, indéniablement, s'est tendue. Les intimes de DSK ont noté que, en privé, leur "patron" ne parlait plus du chef de l'Etat de la même manière. Désormais, il dit "Sarko". Ou, pire : "l'Autre".
"Meilleur DRH de la gauche"
"L'Autre" n'est plus tout à fait le même, lui non plus, avec "Dominique". Et s'il s'était trompé ? S'il avait eu tort de soutenir la candidature de Strauss-Kahn à la tête du FMI ? Souvenons-nous. C'était l'été 2007. La gauche venait de perdre pour la troisième fois l'élection présidentielle. DSK n'avait pas pardonné à Jospin son silence dans la bataille de la primaire. Certains de ses amis avaient voté au second tour pour le candidat de droite.
Le 6 mai au soir, malgré le score honorable de Ségolène Royal, Strauss avait dénoncé une "très grave défaite". Et puis l'ancien locataire de Bercy avait commencé à s'ennuyer. Alors, quand il avait appris la démission du FMI de l'Espagnol Rodrigo Rato, il avait appelé le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Puis demandé à son copain Alain Minc de sonder Nicolas Sarkozy.
Le président, qui s'autoproclamera peu après "meilleur DRH de la gauche", n'avait pas hésité. "Ce n'est pas Sarkozy qui fait l'élection de Dominique au FMI, loin s'en faut; mais sans lui, rien n'aurait été possible", résume Pierre Moscovici. "Sarko a joué au poker, mais la crise a changé la donne. De placard doré, le FMI est devenu un marchepied", poursuit l'ancien ministre des Affaires européennes.
En l'envoyant au FMI, Sarkozy l'a consacré
"Il n'y a pas eu de deal entre eux, bien sûr. Sarkozy a pensé que donner le feu vert pour DSK au FMI, c'était implicitement la garantie qu'il ne se présenterait pas contre lui. Mais ce sont les pactes qu'on ne passe pas clairement qui sont souvent les plus dangereux", ajoute Julien Dray. "Comme ils sont complices, chacun a pensé qu'il pourrait se servir de l'autre, décrypte aussi l'ex-patron du Crédit lyonnais Jean Peyrelevade. Mais Sarkozy et mon ami Alain Minc ont commis une erreur de jugement : Dominique n'est jamais meilleur que dans ces situations où, sans bouger, les problèmes viennent à lui. En l'envoyant au FMI, Sarkozy l'a consacré. A tel point que je me demande s'il peut encore ne pas se présenter..."
Vous ne m'aimez pas, mais je vous protège de la crise financière, disait jusqu'à présent Sarkozy. Je suis rassurant, je sais faire. Mais s'ils sont deux, désormais, à le dire ? Nicolas Sarkozy a toujours eu DSK à l'oeil ; il l'a aujourd'hui dans sa ligne de mire. Il l'appelle encore "Dominique", mais, devant l'assourdissant silence du patron du FMI, son discours a évolué.
"Mon meilleur challenger"
En 2007, le chef de l'Etat se contentait de balayer : "Il ne veut pas être candidat" Ou, lourd d'allusions mystérieuses, il glissait à ses interlocuteurs : "Tu sais comme moi qu'il ne peut pas être candidat." Et aussi : "C'est un jouisseur", "il vit trop", "il aime trop la vie" ... "Sarkozy restait persuadé que le job était trop emmerdant pour Strauss-Kahn et qu'il n'irait jamais", résume l'ancien porteparole de l'UMP Dominique Paillé.
Au jourd'hui, ce serait plutôt : il ne me fait pas peur. En mai dernier, à quelques députés UMP qu'il réunissait pour déjeuner, le président de la République confiait : "DSK n'est pas capable de tenir une campagne présidentielle. Devant moi, j'ai Martine Aubry et Eva Joly." Ou encore : "Le match sera difficile, mais tous les candidats me vont." Et assure désormais sans faillir que seul François Hollande l'inquiète et ajoute : "Dominique serait le candidat idéal. Il serait mon meilleur challenger."
"Sarkozy veut discréditer Strauss-Kahn avant même l'annonce de la primaire socialiste"
L'un et l'autre ne sont encore que candidats virtuels. Mais ils s'observent et se jaugent dé sormais chaque jour. C'est l'intérêt - ou l'inconvénient - de partager ses réseaux : entre la sarkozie et la strauss-kahnie, infos - et intox circulent plus rapidement chaque jour. Couloirs des banques d'affaires, petits déjeuners de grands patrons ou de communicants, simples dîners mondains, chaque camp croise l'autre, le sonde, l'espionne. Les vacances de Noël au Maroc ont beaucoup fait jaser : le couple Strauss-Kahn a réuni dans son ryad, à Marra kech, un genre de task force. Des amis comme l'écrivain Dan Franck, mais aussi l'avocat Jean Veil, Gilles Finchelstein et Anne Hommel d'Euro-RSCG, et pour un déjeuner ou un café Ramzi Khiroun, le nouvel homme fort du groupe Lagardère, Jean-Paul Huchon, le patron de la région Ile-de-France, ou le philosophe Bernard-Henri Lévy.
Un peu plus loin, à Taroudant, Jacques Chirac confiait à ses interlocuteurs - sous l'oeil effaré de sa femme Bernadette - que, pour 2012, Strauss-Kahn était au fond l'homme le plus apte - parce que "au coeur des choses" à réguler le capitalisme financier. Depuis, l'Elysée, le nez sur les sondages qui font chaque jour de DSK le meilleur challenger du président, est sur le qui-vive. Rue du Faubourg-Saint-Honoré, on a concocté quelque chose qui ressemble à un plan anti-Strauss-Kahn. Puisqu'en politique comme en amour on existe d'abord dans le regard de l'autre, il faut parler de DSK, engager une campagne virtuelle. "Sarkozy veut discréditer Strauss-Kahn avant même l'annonce de la primaire socialiste", lâche un bon connaisseur des deux protagonistes.
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