Du temps a donc passé depuis les événements de Laayoune. Il faudra peut-être se ressaisir, savoir raison regarder, et repenser les évènements passés.
L’autre jour des amis m’ont imposé la vision d’une émission télé comme du bon temps de Hassan II. L’émission était pourtant diffusée en direct mais l’animateur, le titulaire de strapontin ministériel qui faisait office d’invité, et le discours étaient tous les trois des orphelins de Hassan II. A leurs corps défendant, dans un anachronisme sidérant, ils parlaient du Sahara, fixaient les paramètres du débat, dictaient aux Marocains la doctrine à suivre. Ils faisaient du recadrage si tant soit peu que ça soit nécessaire.
C’est là que quelqu’un me posa la question pourquoi sur ce blog, je n’ai jamais parlé du Sahara. Dans son esprit, en bon « patriote », je devrais participer à la « défense » de la cause nationale rejoindre le rang comme le sous-ministre était en train de le sommer : tout le monde, journalistes compris, étaient soldats au service du Sahara marocain. Ça tombe bien : je ne suis pas journaliste et les sieurs Naciri et Alaoui ne sont pas mes brigadiers en chefs.
Du temps a donc passé depuis les événements de Laayoune. Et après en avoir laissé beaucoup aux adeptes du patriotisme aveuglant, du nationalisme étroit et du chauvinisme ridicule, il faudra peut-être se ressaisir, savoir raison regarder, et repenser les évènements passés.
Il me faut d’abord évoquer un souvenir personnel. Celui des trois ans durant lesquelles j’ai eu à cohabiter, comme beaucoup, avec des étudiants originaires du Sahara dans la cité universitaire Souissi à Rabat. Une expérience très amère et très déplaisante. Durant cette époque, l’élite des jeunes originaires du Sahara étaient logée à la cité universitaire parce qu’ils avaient le droit au meilleur et c’était la meilleure cité universitaire. Du seul fait qu’ils sont Sahraouis, ils avaient non seulement la priorité d’hébergement étudiant mais aussi des subventions pour la restauration, des transports et autres privilèges. Et si seulement ca les contenteraient, ces étudiants faisaient régner la terreur face aux « marocks » qui partageaient avec eux ce bout de Rabat. Violence physique et verbale, ils se comportaient comme les caïds de l’endroit en totale impunité car étant originaires du Sahara on devrait pas les froisser. Dans leur grande majorité, tout en profitant des privilèges exclusifs, ils avaient comme un compte à régler avec les étudiants originaires des autres régions du Maroc. Pour nous autres les « marocks » cette élite Sahraoui n’avait aucun sentiment d’appartenance au Maroc, vivait sur des privilèges octroyées tout en exerçant une violence et un rejet. Ils savaient jouer sur les deux tableaux.
Aujourd’hui encore, plus de dix ans après, il m’arrive de rencontrer des anciens amis et d’évoquer cette « cohabitation » amère. De cette expérience, d’aucuns diront anecdotique, j’ai gardé surtout une interrogation : et si tous les originaires du territoire, les sahraouis, avaient la même dualité, le même refus et haine pour « les marocks ». Je commençais à m’interroger sur la position des Sahraouis et ce qu’ils en pensent vraiment partant d’un autre constat lucide que les Marocains ont beau croire unanimement à la marocanité du Sahara cela importe peu tant que les Sahraouis eux-mêmes n’y croient pas. Et ceux que j’ai fréquentés n’y croyaient pas à quelques rares exceptions.
Faut-il vous le confesser ? J’ai pensé à tout cela lorsque des milliers de Sahraouis ont dressé un campement près de Laayoune et je n’ai pas eu une sympathie particulière envers leur mouvement moi qui d’habitude suis si sensible aux revendications sociales. Je n’y vu qu’une tentative de chantage afin d’arracher des privilèges contre l’appartenance au Maroc. Ce n’est pas une révélation que de dire que les sahraouis ne sont pas les plus mal lotis : subventions des produits alimentaires, transports publics gratuits, carte d’entraide nationales faisant office de RMI local et emplois dans la fonction publique, … ils restent largement choyés. Et je ne parle même pas des notables locaux ni des ralliés du Polisario qui vivent souvent aux frais de la princesse en monnayant leur appartenance. Je ne prétends pas, bien entendu, que les Sahraouis vivent dans des conditions de dignité et prospérité (personne ne l’est au Maroc sauf les rentiers du pouvoir). Mais il me sembla bien qu’ils étaient mieux traités que d’autres régions du Maroc. Si c’était de bonne guerre d’utiliser les moyens de pression pour arracher des droits sociaux, il était clair dans mon esprit que le faire en se basant sur un chantage d’appartenance au Maroc était détestable sur la forme et le sur fonds.
Je me disais aussi que quelque part ils avaient une circonstance atténuante. Pendant longtemps l’Etat marocain a cru arracher l’appartenance des uns et des autres contre des avantages financiers, il était dès lors normal qu’ils en jouaient. Car la contrepartie de ce deal était aussi injustice. Quand vous êtes pour l’indépendance du territoire, et vous vous placez dehors du marché des privilèges, vous ne pouvez pas dire votre conviction, vous ne pouvez pas l’exprimer et vous êtes obligés de dire ce que vous avez sur le cœur dans la clandestinité. Vous êtes privé de ce droit par une loi répressive qui, il est vrai, sur bien d’autres domaines limite la liberté d’expression et réprime la libre pensée. Il est vrai aussi que les victimes de ces exactions originaires du Sahara trouvent moins de solidarité que les autres au nom de la cause nationale.
Car au-delà du territoire, sur le plan intérieur, la marocanité du Sahara est décrétée comme cause nationale bénéficiant d’un consensus national unanime. J’ai toujours secrètement pensé que cette performance en matière de consensus était trop surhumaine pour être crédible.
L’évocation du Sahara au Maroc est caractérisée par un grand déni. Déni de l’existence même conflit qui se manifeste souvent par des comparaisons simplistes (Ce sont des provinces comme les autres). Comme si au Sahara, il n’y avait pas de forces internationales chargées de faire observer un cessez-le-feu et d’organiser un référendum d’autodétermination, comme si le conseil de sécurité ne tenait pas des réunions périodiques pour évaluer la situation dans le territoire, comme si les émissaires du Maroc ne rencontraient pas régulièrement les émissaires du Polisario pour des pourparlers sous l’égide et sur ordre des Nations Unies. Le plus consternant dans ce déni est qu’il constitue sans aucun doute une énorme insulte à l’avenir.
Ce déni atteint son paroxysme quand un ministre marocain fait un discours sur les provinces du Sud comme partie intégrante du royaume alors que la veille il était en train de rendre compte, au conseil de sécurité et aux parlementaires européens, des événements se déroulant sur le territoire. Quand les officiels marocains se trompent-t-ils ? Quand ils parlent des provinces du sud aux Marocains ou quand ils rendent compte aux instances internationales sur la situation au Sahara Occidental? Quand ils évoquent l’intégrité territoriale non négociable à l’intérieur ou quand ils négocient une sortie du conflit avec les représentants d’Abdelaziz à Manhasset ?
Pendant longtemps, la doctrine marocaine avait comme philosophie, jamais dite, de faire durer le statu quo. Doctrine simplement et efficacement résumée par une phrase de feu Hassan II devenue slogan «le Maroc est dans son Sahara que cela plaise ou pas». Sauf voilà à force d’être engoncé dans ses certitudes on passe à côté d’une métamorphose somme toute humaine : ceux qui sont nés à Tindouf ont maintenant la vingtaine voire la trentaine, ils sont plus nombreux, ils ont grandis dans des conditions humaines inacceptables qui ne peuvent pas durer. Dans les villes du Sahara, des gamins qui sont nés au lendemain du déclenchement du conflit sont majeurs maintenant, révoltés et indisciplinés et refusent de surcroît le marché établi avec leurs ainées et sur lequel se tenait jusqu’à maintenant le statu quo. Cette réalité démographique personne n’y peut rien, elle est là, elle met fin à la possibilité d’un statu quo.
[suite]
L’autre jour des amis m’ont imposé la vision d’une émission télé comme du bon temps de Hassan II. L’émission était pourtant diffusée en direct mais l’animateur, le titulaire de strapontin ministériel qui faisait office d’invité, et le discours étaient tous les trois des orphelins de Hassan II. A leurs corps défendant, dans un anachronisme sidérant, ils parlaient du Sahara, fixaient les paramètres du débat, dictaient aux Marocains la doctrine à suivre. Ils faisaient du recadrage si tant soit peu que ça soit nécessaire.
C’est là que quelqu’un me posa la question pourquoi sur ce blog, je n’ai jamais parlé du Sahara. Dans son esprit, en bon « patriote », je devrais participer à la « défense » de la cause nationale rejoindre le rang comme le sous-ministre était en train de le sommer : tout le monde, journalistes compris, étaient soldats au service du Sahara marocain. Ça tombe bien : je ne suis pas journaliste et les sieurs Naciri et Alaoui ne sont pas mes brigadiers en chefs.
Du temps a donc passé depuis les événements de Laayoune. Et après en avoir laissé beaucoup aux adeptes du patriotisme aveuglant, du nationalisme étroit et du chauvinisme ridicule, il faudra peut-être se ressaisir, savoir raison regarder, et repenser les évènements passés.
Il me faut d’abord évoquer un souvenir personnel. Celui des trois ans durant lesquelles j’ai eu à cohabiter, comme beaucoup, avec des étudiants originaires du Sahara dans la cité universitaire Souissi à Rabat. Une expérience très amère et très déplaisante. Durant cette époque, l’élite des jeunes originaires du Sahara étaient logée à la cité universitaire parce qu’ils avaient le droit au meilleur et c’était la meilleure cité universitaire. Du seul fait qu’ils sont Sahraouis, ils avaient non seulement la priorité d’hébergement étudiant mais aussi des subventions pour la restauration, des transports et autres privilèges. Et si seulement ca les contenteraient, ces étudiants faisaient régner la terreur face aux « marocks » qui partageaient avec eux ce bout de Rabat. Violence physique et verbale, ils se comportaient comme les caïds de l’endroit en totale impunité car étant originaires du Sahara on devrait pas les froisser. Dans leur grande majorité, tout en profitant des privilèges exclusifs, ils avaient comme un compte à régler avec les étudiants originaires des autres régions du Maroc. Pour nous autres les « marocks » cette élite Sahraoui n’avait aucun sentiment d’appartenance au Maroc, vivait sur des privilèges octroyées tout en exerçant une violence et un rejet. Ils savaient jouer sur les deux tableaux.
Aujourd’hui encore, plus de dix ans après, il m’arrive de rencontrer des anciens amis et d’évoquer cette « cohabitation » amère. De cette expérience, d’aucuns diront anecdotique, j’ai gardé surtout une interrogation : et si tous les originaires du territoire, les sahraouis, avaient la même dualité, le même refus et haine pour « les marocks ». Je commençais à m’interroger sur la position des Sahraouis et ce qu’ils en pensent vraiment partant d’un autre constat lucide que les Marocains ont beau croire unanimement à la marocanité du Sahara cela importe peu tant que les Sahraouis eux-mêmes n’y croient pas. Et ceux que j’ai fréquentés n’y croyaient pas à quelques rares exceptions.
Faut-il vous le confesser ? J’ai pensé à tout cela lorsque des milliers de Sahraouis ont dressé un campement près de Laayoune et je n’ai pas eu une sympathie particulière envers leur mouvement moi qui d’habitude suis si sensible aux revendications sociales. Je n’y vu qu’une tentative de chantage afin d’arracher des privilèges contre l’appartenance au Maroc. Ce n’est pas une révélation que de dire que les sahraouis ne sont pas les plus mal lotis : subventions des produits alimentaires, transports publics gratuits, carte d’entraide nationales faisant office de RMI local et emplois dans la fonction publique, … ils restent largement choyés. Et je ne parle même pas des notables locaux ni des ralliés du Polisario qui vivent souvent aux frais de la princesse en monnayant leur appartenance. Je ne prétends pas, bien entendu, que les Sahraouis vivent dans des conditions de dignité et prospérité (personne ne l’est au Maroc sauf les rentiers du pouvoir). Mais il me sembla bien qu’ils étaient mieux traités que d’autres régions du Maroc. Si c’était de bonne guerre d’utiliser les moyens de pression pour arracher des droits sociaux, il était clair dans mon esprit que le faire en se basant sur un chantage d’appartenance au Maroc était détestable sur la forme et le sur fonds.
Je me disais aussi que quelque part ils avaient une circonstance atténuante. Pendant longtemps l’Etat marocain a cru arracher l’appartenance des uns et des autres contre des avantages financiers, il était dès lors normal qu’ils en jouaient. Car la contrepartie de ce deal était aussi injustice. Quand vous êtes pour l’indépendance du territoire, et vous vous placez dehors du marché des privilèges, vous ne pouvez pas dire votre conviction, vous ne pouvez pas l’exprimer et vous êtes obligés de dire ce que vous avez sur le cœur dans la clandestinité. Vous êtes privé de ce droit par une loi répressive qui, il est vrai, sur bien d’autres domaines limite la liberté d’expression et réprime la libre pensée. Il est vrai aussi que les victimes de ces exactions originaires du Sahara trouvent moins de solidarité que les autres au nom de la cause nationale.
Car au-delà du territoire, sur le plan intérieur, la marocanité du Sahara est décrétée comme cause nationale bénéficiant d’un consensus national unanime. J’ai toujours secrètement pensé que cette performance en matière de consensus était trop surhumaine pour être crédible.
L’évocation du Sahara au Maroc est caractérisée par un grand déni. Déni de l’existence même conflit qui se manifeste souvent par des comparaisons simplistes (Ce sont des provinces comme les autres). Comme si au Sahara, il n’y avait pas de forces internationales chargées de faire observer un cessez-le-feu et d’organiser un référendum d’autodétermination, comme si le conseil de sécurité ne tenait pas des réunions périodiques pour évaluer la situation dans le territoire, comme si les émissaires du Maroc ne rencontraient pas régulièrement les émissaires du Polisario pour des pourparlers sous l’égide et sur ordre des Nations Unies. Le plus consternant dans ce déni est qu’il constitue sans aucun doute une énorme insulte à l’avenir.
Ce déni atteint son paroxysme quand un ministre marocain fait un discours sur les provinces du Sud comme partie intégrante du royaume alors que la veille il était en train de rendre compte, au conseil de sécurité et aux parlementaires européens, des événements se déroulant sur le territoire. Quand les officiels marocains se trompent-t-ils ? Quand ils parlent des provinces du sud aux Marocains ou quand ils rendent compte aux instances internationales sur la situation au Sahara Occidental? Quand ils évoquent l’intégrité territoriale non négociable à l’intérieur ou quand ils négocient une sortie du conflit avec les représentants d’Abdelaziz à Manhasset ?
Pendant longtemps, la doctrine marocaine avait comme philosophie, jamais dite, de faire durer le statu quo. Doctrine simplement et efficacement résumée par une phrase de feu Hassan II devenue slogan «le Maroc est dans son Sahara que cela plaise ou pas». Sauf voilà à force d’être engoncé dans ses certitudes on passe à côté d’une métamorphose somme toute humaine : ceux qui sont nés à Tindouf ont maintenant la vingtaine voire la trentaine, ils sont plus nombreux, ils ont grandis dans des conditions humaines inacceptables qui ne peuvent pas durer. Dans les villes du Sahara, des gamins qui sont nés au lendemain du déclenchement du conflit sont majeurs maintenant, révoltés et indisciplinés et refusent de surcroît le marché établi avec leurs ainées et sur lequel se tenait jusqu’à maintenant le statu quo. Cette réalité démographique personne n’y peut rien, elle est là, elle met fin à la possibilité d’un statu quo.
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