Massaker
Ingrid Merckx Journaliste à Politis.fr
Visage caché, six bourreaux racontent le massacre de Sabra et Chatila en 1982. En démontant avec précaution un mécanisme de violence collective, « Massaker » tire le négatif d’atroces fonctionnements humains.
Sabra et Chatila : la parole aux bourreaux. Pour comprendre le mécanisme * un mécanisme * de violence collective. Il existe de nombreux films sur les victimes et les survivants de massacres. Mais il manque souvent, aux récits de leurs souffrances, le témoignage de ceux qui les ont orchestrés. Massaker, de Monika Borgmann, Lokman Slim et Hermann Theissen, s’en tient à la part des responsables. Des quelques-uns qui ont bien voulu raconter. Ils sont six à passer devant la caméra. Avec une exigence : l’anonymat. Parler, oui, mais ne pas être reconnus. Car le massacre de Sabra et Chatila reste un tabou au Liban.
Du 16 au 18 septembre 1982, après l’assassinat du président Béchir Gemayel, des milices chrétiennes des Forces libanaises ont investi le chef-lieu de la présence palestinienne alors encerclé par les forces israéliennes. Elles étaient chargées d’exterminer tout le monde. Pendant deux nuits et trois jours, les camps ont été mis à feu et à sang. Les habitants tués et jetés dans des fosses.
En 1991, une loi d’amnistie a été votée. Le silence s’est installé. Aujourd’hui, les anciens « seigneurs de la guerre » font toujours partie des sphères du pouvoir. Les anciens bourreaux mènent une vie normale au coeur de la société libanaise. Les institutions et les puissances impliquées dans la « guerre civile » n’ont pas entamé le début d’une autocritique.
« Ce film est une protestation contre toute une culture d’amnistie et d’amnésie », explique l’un des réalisateurs. Terrible enjeu pour la caméra documentaire. Si elle n’est pas juge, et se refuse à l’être, elle doit néanmoins composer avec un rôle de justicière. Les six hommes qui parlent devant elle s’expriment pour la première fois et peut-être, comme le dit l’un, pour la dernière. D’où le problème de l’attitude à adopter : regarder l’interlocuteur sans révéler son identité. Établir une relation de confiance avec lui sans devenir complice. Éviter la fascination comme la répulsion. En un mot : trouver le bon regard.
On pense beaucoup à S21, la machine de mort khmère rouge. Même volonté de démonter un système, même façon d’interroger l’inhumanité. À cette différence que Rithy Panh abordait les bourreaux khmers rouges de face, en pleine lumière et avec davantage de recul, dans tous les sens du terme : des plans en extérieur, le regard des familles, et surtout la confrontation des bourreaux avec des rescapés. Massaker superpose, dans l’ombre, différents témoignages pour redessiner la chronologie du saccage. Deux trajectoires se croisent : celle du spectateur qui « connaît » l’histoire et en découvre les rouages et les détails macabres. Et celle des bourreaux qui remontent leurs souvenirs jusqu’à la conscience (relative) de ce qu’ils ont fait. La confrontation a lieu entre ces deux visions.
Lire la suite dans Politis n° 890
Ingrid Merckx Journaliste à Politis.fr
Visage caché, six bourreaux racontent le massacre de Sabra et Chatila en 1982. En démontant avec précaution un mécanisme de violence collective, « Massaker » tire le négatif d’atroces fonctionnements humains.
Sabra et Chatila : la parole aux bourreaux. Pour comprendre le mécanisme * un mécanisme * de violence collective. Il existe de nombreux films sur les victimes et les survivants de massacres. Mais il manque souvent, aux récits de leurs souffrances, le témoignage de ceux qui les ont orchestrés. Massaker, de Monika Borgmann, Lokman Slim et Hermann Theissen, s’en tient à la part des responsables. Des quelques-uns qui ont bien voulu raconter. Ils sont six à passer devant la caméra. Avec une exigence : l’anonymat. Parler, oui, mais ne pas être reconnus. Car le massacre de Sabra et Chatila reste un tabou au Liban.
Du 16 au 18 septembre 1982, après l’assassinat du président Béchir Gemayel, des milices chrétiennes des Forces libanaises ont investi le chef-lieu de la présence palestinienne alors encerclé par les forces israéliennes. Elles étaient chargées d’exterminer tout le monde. Pendant deux nuits et trois jours, les camps ont été mis à feu et à sang. Les habitants tués et jetés dans des fosses.
En 1991, une loi d’amnistie a été votée. Le silence s’est installé. Aujourd’hui, les anciens « seigneurs de la guerre » font toujours partie des sphères du pouvoir. Les anciens bourreaux mènent une vie normale au coeur de la société libanaise. Les institutions et les puissances impliquées dans la « guerre civile » n’ont pas entamé le début d’une autocritique.
« Ce film est une protestation contre toute une culture d’amnistie et d’amnésie », explique l’un des réalisateurs. Terrible enjeu pour la caméra documentaire. Si elle n’est pas juge, et se refuse à l’être, elle doit néanmoins composer avec un rôle de justicière. Les six hommes qui parlent devant elle s’expriment pour la première fois et peut-être, comme le dit l’un, pour la dernière. D’où le problème de l’attitude à adopter : regarder l’interlocuteur sans révéler son identité. Établir une relation de confiance avec lui sans devenir complice. Éviter la fascination comme la répulsion. En un mot : trouver le bon regard.
On pense beaucoup à S21, la machine de mort khmère rouge. Même volonté de démonter un système, même façon d’interroger l’inhumanité. À cette différence que Rithy Panh abordait les bourreaux khmers rouges de face, en pleine lumière et avec davantage de recul, dans tous les sens du terme : des plans en extérieur, le regard des familles, et surtout la confrontation des bourreaux avec des rescapés. Massaker superpose, dans l’ombre, différents témoignages pour redessiner la chronologie du saccage. Deux trajectoires se croisent : celle du spectateur qui « connaît » l’histoire et en découvre les rouages et les détails macabres. Et celle des bourreaux qui remontent leurs souvenirs jusqu’à la conscience (relative) de ce qu’ils ont fait. La confrontation a lieu entre ces deux visions.
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