Mohamed Yassine Mansouri. Le nouvel homme fort
Sa discrétion n’a d’égale que sa puissance. Renseignement intérieur, lutte anti-terroriste, affaires étrangères…
L’ombre du patron de la DGED est partout.
PHOTO :
Voilà un personnage mystérieux. Depuis son passage au collège royal aux côtés du futur Mohammed VI, on sait que Mohamed Yassine Mansouri est extrêmement réservé, voire timide. Le genre à rougir légèrement les rares fois où il lui arrive de prendre la parole. Ses amis parlent d’un homme pieux (c’est un habitué de la Omra aux lieux saints de l’islam), attaché à ses origines. Lors de ses apparitions publiques, plutôt fréquentes pour un patron de services secrets, il étonne par sa simplicité et sa disponibilité. Ne l’a-t-on pas vu, par exemple, marcher lors de manifestations pro-palestiniennes, ou jouant des coudes lors de funérailles de grands hommes d’Etat ?
Ceux qui l’ont pratiqué s’arrêtent sur son flegme et sa prudence, parfois exagérée. “Il lui arrive de ne pas trancher sur des questions cruciales tant qu’il n’a pas reçu un feu vert d’en haut lieu”, se rappelle l’un de ses anciens collaborateurs au ministère de l’Intérieur. A la DGED (Direction générale des études et de la documentation, renseignements extérieurs ou contre espionnage), Mansouri n’a pas changé. Travailleur infatigable, il reste malgré tout proche de sa famille et de ses amis. Vaguement, on sait qu’il a rajeuni les équipes de l’agence et élargi son champ d’action, aussi bien au Maroc qu’à l’international. On sait aussi qu’il a fini par imposer la DGED comme une super-agence, qui semble de plus en plus, et c’est une grande nouveauté, coordonner l’action de tous les autres services de renseignement. Vrai ou faux ? Difficile de trancher, ou de confirmer cela auprès du premier intéressé, totalement injoignable. Mais une chose reste sûre, toutes les grandes affaires du royaume, ou presque, portent aujourd’hui l’empreinte de l’agence dirigée par l’enfant prodige de Bejaâd, son fief natal.
Il a surfé sur l’affaire Mustapha Salma
Dernier cas en date, celui de Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud. L’affaire de l’ex-policier indépendantiste n’a pas encore livré tous ses secrets. Il y a quelques semaines, le Front Polisario a certes annoncé sa libération. Mais Mustapha Salma demeure introuvable. Sa famille, aussi bien à Tindouf qu’au Maroc, n’a pas encore réussi à le localiser, encore moins à lui parler. Le Polisario aurait-il “bluffé” pour contenir la pression (grandissante) à l’international ? “Cela reste possible, analyse ce militant de gauche à Laâyoune. Mais alors, ils ont mal calculé leur coup parce que la mobilisation pour le cas Mustapha Salma a repris de plus belle. Parfois même avec plus d’intensité”. En fin de semaine dernière en effet, Human Rights Watch et Amnesty International ont fait part de leur “préoccupation” quant au cas du dissident sahraoui. “Le Polisario est dans une situation pour le moins inconfortable, poursuit notre militant. Le Front a d’abord abusivement arrêté un Sahraoui qui n’a fait qu’exprimer une opinion politique. Aujourd’hui, les responsables de l’organisation indépendantiste sont, de plus, soupçonnés d’avoir menti à la communauté internationale. De toute évidence, le Maroc marque des points dans la guerre médiatique et politique qui l’oppose au Polisario”. Derrière ce “coup”, se cache un homme : Yassine Mansouri, patron de la DGED. Selon plusieurs sources qui suivent de très près l’affaire du Sahara, il a pris le temps de “travailler son dossier”. Avant d’organiser sa conférence de presse à Smara et de proclamer ouvertement sa préférence pour le plan d’autonomie marocain, Mustapha Salma a en effet tranquillement traversé le Maroc, du nord au sud. L’ex-responsable sahraoui aurait-il réussi à déjouer “la vigilance” des autorités marocaines ? La question fait sourire ce journaliste sahraoui. “Il a évidemment été fiché dès son entrée au Maroc, peut-être même avant, mais on l’a laissé tranquille. C’est lors de son deuxième séjour au royaume (en août) que les services de sécurité sont entrés en contact avec lui. Ils sont tombés sur une perle rare. Un Sahraoui suffisamment souple pour accepter de dialoguer, mais assez têtu pour tenter le diable, et revenir à Tindouf”, conclut le journaliste.
Dans cette affaire, comme dans plusieurs autres, difficile d’évaluer la part d’intervention de chaque service. Néanmoins, sur le terrain, le lobbying discret mais insistant et l’influence grandissante de la DGED ne font aucun doute. L’agence, théoriquement dédiée au renseignement à l’international, a peu à peu élargi son périmètre d’intervention à l’intérieur du territoire. “Il n’y a pas de mystère à cela, confie cet officier. Les thématiques sur lesquelles travaille la DGED, comme le Sahara, le terrorisme ou la lutte contre le trafic de drogue, ont des implications aussi bien au Maroc qu’à l’étranger”.
Ce n’est pas tout. Depuis le départ de Fouad Ali El Himma, confie-t-on, Mohamed Yassine Mansouri est devenu le nouvel homme fort de l’ensemble de l’appareil sécuritaire marocain. Une sorte de coordinateur général des différents services même si, selon certains de ses proches, l’ancien camarade de classe de Mohammed VI n’aime pas ce genre de classification. “En fait, explique notre source, c’est un poste qui n’existe pas officiellement. Fouad Ali El Himma l’a incarné au lendemain des attentats du 16 mai, le général Laânigri l’a certainement convoité en secret. Aujourd’hui, c’est au tour de Mansouri d’en hériter. Et force est de reconnaître qu’il a la tête de l’emploi”.
Il a un accès direct au roi
Réservé et discret, Mohamed Yassine Mansouri a d’abord toujours su se préserver des guerres secrètes, et souvent violentes, qui secouent le premier cercle royal. Il continue donc d’avoir un accès direct au monarque, ce qui lui confère une crédibilité certaine auprès de ses différents interlocuteurs. “Qu’ils soient acteurs politiques, dissidents sahraouis ou partenaires sécuritaires internationaux, tous savent qu’ils ont en face d’eux un émissaire privilégié et personnel du roi. Cela fait souvent la différence”, affirme un proche du patron de la DGED.
C’est ensuite un travailleur qui a patiemment fait son apprentissage du “métier”. D’abord aux côtés de Driss Basri puis sous Mohammed VI. Il a successivement été patron de la Direction des affaires générales (DAG) au ministère de l’Intérieur, puis directeur général de l’agence MAP avant d’atterrir dans la forteresse de la route de Rommani (siège de la DGED à Rabat). “Il a même effectué un stage au FBI sur recommandation personnelle de Hassan II”, confie un vieil ami de Mohamed Yassine Mansouri.
La carrière makhzénienne n’a pas empêché le fils de Bejaâd d’entretenir un vaste réseau politique. On le dit ainsi proche de plusieurs figures de la gauche marocaine comme Bensaid Aït Idder, dirigeant de l’OADP puis du PSU. L’homme dispose également de relais solides dans sa région natale, ainsi qu’au Sahara, voire même à Tindouf. Pour entretenir ce réseau, Mansouri n’hésite pas à s’offrir quelques “bains de foule politiques” à l’occasion d’évènements spéciaux, comme ce fut le cas lors des funérailles de Abdallah Ibrahim ou de Abdelaziz Meziane Belfqih.
Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, sa nomination à la tête du contre-espionnage marocain ne l’a pas rendu invisible. Bien au contraire. Il est ainsi l’un des principaux négociateurs marocains dans l’affaire du Sahara. Il pose, sans complexes, aux côtés du secrétaire général de l’ONU et s’affiche publiquement lors des points de presse et des séances de briefing qui suivent les rounds de négociations entre le Maroc et le Polisario. “Mais alors, raconte un journaliste qui s’est déjà retrouvé à sa table, impossible de lui extirper la moindre information ou le moindre commentaire. Il arrive toujours à changer de sujet ou à vous retourner votre question, tout en restant poli et cordial”.
Au lendemain du putsch qui a renversé le président mauritanien Ould Cheikh Abdellahi en 2008, c’est encore lui que Mohammed VI dépêche officiellement à Nouakchott afin de sonder les intentions du nouveau chef de l’Etat. La capitale mauritanienne est d’ailleurs une véritable plaque tournante pour le renseignement marocain à l’étranger. Une sorte de hub africain de première importance. “Les agents de la DGED y ont d’ailleurs leurs habitudes depuis plusieurs années, confie cet entrepreneur mauritanien. Ils résident toujours dans le même hôtel, vont au même restaurant et gardent un œil sur tout ce qui se passe dans le pays. Mansouri se rend souvent sur place également”. Depuis 2005, le pays de Mohamed Ould Abdelaziz est, de plus, devenu une véritable tour de contrôle pour les équipes de la DGED, sérieusement préoccupées par les activités d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) dans la région du Sahel.
Sa discrétion n’a d’égale que sa puissance. Renseignement intérieur, lutte anti-terroriste, affaires étrangères…
L’ombre du patron de la DGED est partout.
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Voilà un personnage mystérieux. Depuis son passage au collège royal aux côtés du futur Mohammed VI, on sait que Mohamed Yassine Mansouri est extrêmement réservé, voire timide. Le genre à rougir légèrement les rares fois où il lui arrive de prendre la parole. Ses amis parlent d’un homme pieux (c’est un habitué de la Omra aux lieux saints de l’islam), attaché à ses origines. Lors de ses apparitions publiques, plutôt fréquentes pour un patron de services secrets, il étonne par sa simplicité et sa disponibilité. Ne l’a-t-on pas vu, par exemple, marcher lors de manifestations pro-palestiniennes, ou jouant des coudes lors de funérailles de grands hommes d’Etat ?
Ceux qui l’ont pratiqué s’arrêtent sur son flegme et sa prudence, parfois exagérée. “Il lui arrive de ne pas trancher sur des questions cruciales tant qu’il n’a pas reçu un feu vert d’en haut lieu”, se rappelle l’un de ses anciens collaborateurs au ministère de l’Intérieur. A la DGED (Direction générale des études et de la documentation, renseignements extérieurs ou contre espionnage), Mansouri n’a pas changé. Travailleur infatigable, il reste malgré tout proche de sa famille et de ses amis. Vaguement, on sait qu’il a rajeuni les équipes de l’agence et élargi son champ d’action, aussi bien au Maroc qu’à l’international. On sait aussi qu’il a fini par imposer la DGED comme une super-agence, qui semble de plus en plus, et c’est une grande nouveauté, coordonner l’action de tous les autres services de renseignement. Vrai ou faux ? Difficile de trancher, ou de confirmer cela auprès du premier intéressé, totalement injoignable. Mais une chose reste sûre, toutes les grandes affaires du royaume, ou presque, portent aujourd’hui l’empreinte de l’agence dirigée par l’enfant prodige de Bejaâd, son fief natal.
Il a surfé sur l’affaire Mustapha Salma
Dernier cas en date, celui de Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud. L’affaire de l’ex-policier indépendantiste n’a pas encore livré tous ses secrets. Il y a quelques semaines, le Front Polisario a certes annoncé sa libération. Mais Mustapha Salma demeure introuvable. Sa famille, aussi bien à Tindouf qu’au Maroc, n’a pas encore réussi à le localiser, encore moins à lui parler. Le Polisario aurait-il “bluffé” pour contenir la pression (grandissante) à l’international ? “Cela reste possible, analyse ce militant de gauche à Laâyoune. Mais alors, ils ont mal calculé leur coup parce que la mobilisation pour le cas Mustapha Salma a repris de plus belle. Parfois même avec plus d’intensité”. En fin de semaine dernière en effet, Human Rights Watch et Amnesty International ont fait part de leur “préoccupation” quant au cas du dissident sahraoui. “Le Polisario est dans une situation pour le moins inconfortable, poursuit notre militant. Le Front a d’abord abusivement arrêté un Sahraoui qui n’a fait qu’exprimer une opinion politique. Aujourd’hui, les responsables de l’organisation indépendantiste sont, de plus, soupçonnés d’avoir menti à la communauté internationale. De toute évidence, le Maroc marque des points dans la guerre médiatique et politique qui l’oppose au Polisario”. Derrière ce “coup”, se cache un homme : Yassine Mansouri, patron de la DGED. Selon plusieurs sources qui suivent de très près l’affaire du Sahara, il a pris le temps de “travailler son dossier”. Avant d’organiser sa conférence de presse à Smara et de proclamer ouvertement sa préférence pour le plan d’autonomie marocain, Mustapha Salma a en effet tranquillement traversé le Maroc, du nord au sud. L’ex-responsable sahraoui aurait-il réussi à déjouer “la vigilance” des autorités marocaines ? La question fait sourire ce journaliste sahraoui. “Il a évidemment été fiché dès son entrée au Maroc, peut-être même avant, mais on l’a laissé tranquille. C’est lors de son deuxième séjour au royaume (en août) que les services de sécurité sont entrés en contact avec lui. Ils sont tombés sur une perle rare. Un Sahraoui suffisamment souple pour accepter de dialoguer, mais assez têtu pour tenter le diable, et revenir à Tindouf”, conclut le journaliste.
Dans cette affaire, comme dans plusieurs autres, difficile d’évaluer la part d’intervention de chaque service. Néanmoins, sur le terrain, le lobbying discret mais insistant et l’influence grandissante de la DGED ne font aucun doute. L’agence, théoriquement dédiée au renseignement à l’international, a peu à peu élargi son périmètre d’intervention à l’intérieur du territoire. “Il n’y a pas de mystère à cela, confie cet officier. Les thématiques sur lesquelles travaille la DGED, comme le Sahara, le terrorisme ou la lutte contre le trafic de drogue, ont des implications aussi bien au Maroc qu’à l’étranger”.
Ce n’est pas tout. Depuis le départ de Fouad Ali El Himma, confie-t-on, Mohamed Yassine Mansouri est devenu le nouvel homme fort de l’ensemble de l’appareil sécuritaire marocain. Une sorte de coordinateur général des différents services même si, selon certains de ses proches, l’ancien camarade de classe de Mohammed VI n’aime pas ce genre de classification. “En fait, explique notre source, c’est un poste qui n’existe pas officiellement. Fouad Ali El Himma l’a incarné au lendemain des attentats du 16 mai, le général Laânigri l’a certainement convoité en secret. Aujourd’hui, c’est au tour de Mansouri d’en hériter. Et force est de reconnaître qu’il a la tête de l’emploi”.
Il a un accès direct au roi
Réservé et discret, Mohamed Yassine Mansouri a d’abord toujours su se préserver des guerres secrètes, et souvent violentes, qui secouent le premier cercle royal. Il continue donc d’avoir un accès direct au monarque, ce qui lui confère une crédibilité certaine auprès de ses différents interlocuteurs. “Qu’ils soient acteurs politiques, dissidents sahraouis ou partenaires sécuritaires internationaux, tous savent qu’ils ont en face d’eux un émissaire privilégié et personnel du roi. Cela fait souvent la différence”, affirme un proche du patron de la DGED.
C’est ensuite un travailleur qui a patiemment fait son apprentissage du “métier”. D’abord aux côtés de Driss Basri puis sous Mohammed VI. Il a successivement été patron de la Direction des affaires générales (DAG) au ministère de l’Intérieur, puis directeur général de l’agence MAP avant d’atterrir dans la forteresse de la route de Rommani (siège de la DGED à Rabat). “Il a même effectué un stage au FBI sur recommandation personnelle de Hassan II”, confie un vieil ami de Mohamed Yassine Mansouri.
La carrière makhzénienne n’a pas empêché le fils de Bejaâd d’entretenir un vaste réseau politique. On le dit ainsi proche de plusieurs figures de la gauche marocaine comme Bensaid Aït Idder, dirigeant de l’OADP puis du PSU. L’homme dispose également de relais solides dans sa région natale, ainsi qu’au Sahara, voire même à Tindouf. Pour entretenir ce réseau, Mansouri n’hésite pas à s’offrir quelques “bains de foule politiques” à l’occasion d’évènements spéciaux, comme ce fut le cas lors des funérailles de Abdallah Ibrahim ou de Abdelaziz Meziane Belfqih.
Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, sa nomination à la tête du contre-espionnage marocain ne l’a pas rendu invisible. Bien au contraire. Il est ainsi l’un des principaux négociateurs marocains dans l’affaire du Sahara. Il pose, sans complexes, aux côtés du secrétaire général de l’ONU et s’affiche publiquement lors des points de presse et des séances de briefing qui suivent les rounds de négociations entre le Maroc et le Polisario. “Mais alors, raconte un journaliste qui s’est déjà retrouvé à sa table, impossible de lui extirper la moindre information ou le moindre commentaire. Il arrive toujours à changer de sujet ou à vous retourner votre question, tout en restant poli et cordial”.
Au lendemain du putsch qui a renversé le président mauritanien Ould Cheikh Abdellahi en 2008, c’est encore lui que Mohammed VI dépêche officiellement à Nouakchott afin de sonder les intentions du nouveau chef de l’Etat. La capitale mauritanienne est d’ailleurs une véritable plaque tournante pour le renseignement marocain à l’étranger. Une sorte de hub africain de première importance. “Les agents de la DGED y ont d’ailleurs leurs habitudes depuis plusieurs années, confie cet entrepreneur mauritanien. Ils résident toujours dans le même hôtel, vont au même restaurant et gardent un œil sur tout ce qui se passe dans le pays. Mansouri se rend souvent sur place également”. Depuis 2005, le pays de Mohamed Ould Abdelaziz est, de plus, devenu une véritable tour de contrôle pour les équipes de la DGED, sérieusement préoccupées par les activités d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) dans la région du Sahel.
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