
La stratégie contre Al-Qaïda, les relations avec la France, le Mali et les autres voisins, la lutte contre la pauvreté, le rôle de l’opposition, la place des Négro-Africains... Un an après son élection à la présidence, l’ancien général livre sa part de vérité.
Mohamed Ould Abdelaziz est là où on ne l’attend pas. En 2008, la communauté internationale avait rechigné à fraterniser avec ce putschiste qui, comme tant d’autres, promettait de « sauver la démocratie ». Depuis son élection à la présidence, en juillet 2009, il est dans les petits papiers des bailleurs de fonds et, vu de France, un allié sûr contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Pendant un an, « Aziz » a ignoré les nombreux appels au dialogue de l’opposition, avant de recevoir son chef de file, Ahmed Ould Daddah, le 26 juillet. Préférant se frotter au peuple plutôt qu’aux médias, il s’est tout de même prêté en direct, le 4 août, à un jeu de questions-réponses face à des journalistes. Ses intentions sont indéchiffrables. Maaouiya Ould Taya, que Mohamed Ould Abdelaziz a renversé en août 2005 (tout en laissant le fauteuil présidentiel à son cousin, Ely Ould Mohamed Vall), fut le premier étonné d’apprendre le nom de son tombeur. Depuis près de vingt ans, le colonel (son grade à l’époque) discret, voire taiseux, veillait au grain à la tête du Bataillon de la sécurité présidentielle sans montrer d’appétit pour le pouvoir.
Depuis son putsch, en août 2008, et plus encore depuis son investiture, il y a tout juste un an, quelques traits de caractère se sont révélés : « Aziz » est un homme d’action. Sur le chantier d’une route, d’un campus universitaire, à Nouakchott et à l’intérieur du pays, il a posé beaucoup de « premières pierres » (ce qui lui a valu au passage le surnom de « président du béton »). Promettant bien sûr de ne pas en rester là, il est attendu au tournant. Les électeurs n’ont pas oublié son slogan de campagne, le « président des pauvres » Autre trait distinctif : l’omniprésence. Des travaux de réfection d’un bâtiment public à l’équipement d’un hôpital, le chef de l’État se mêle de tout et ne s’en cache pas. Des membres de l’opposition voient là le signe d’une concentration des pouvoirs. Lui jure vouloir éviter les dérives. Avec un budget excédentaire, de nombreux chantiers d’infrastructures et un début d’ouverture sur l’opposition, son premier bilan plaide en sa faveur. Mais ce sont les quatre prochaines années de son mandat qui diront si l’expression en vogue de « coup d’État démocratique » a un sens.
Jeune Afrique : Le 22 juillet, les armées mauritanienne et française ont mené un raid contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) au Mali. Quand et comment cette opération a-t-elle été programmée ?
Mohamed Ould Abdelaziz : Quand nous sommes attaqués, nous songeons toujours à réagir. Il y a plus de six mois, des informations concordantes nous ont indiqué que des éléments terroristes à l’extérieur de notre territoire préparaient une attaque contre la Mauritanie. Nous avons commencé à nous préparer, mais nous avons retardé notre intervention à plusieurs reprises, car nous ne voulions pas mettre en danger la vie des otages détenus par Aqmi. Puis ces informations se sont précisées, et il est apparu que la base de Bassiknou [dans le sud-est du pays, NDLR] était visée. Le 22 juillet,nous ne pouvions plus attendre. Le camp des terroristes se trouvait à 170 km à vol d’oiseau de nos frontières. Il fallait les empêcher de s’en approcher.
Avez-vous informé Nicolas Sarkozy de cette menace lors de votre séjour à Paris, le 14 juillet ?
J’étais à Paris pour assister aux cérémonies du 14 Juillet, c’est tout.
Mais vous avez eu un entretien privé avec lui le 14 juillet au matin. Lui en avez-vous parlé à ce moment-là ?
Non, pas forcément.
C’est-à-dire ?
Je ne m’en souviens pas. Je ne suis pas le seul chef d’État à avoir eu des entretiens avec lui à cette occasion.
Avez-vous signalé à la France qu’il était possible que l’otage Michel Germaneau se trouve dans ce camp ?
Non, nous n’avons jamais discuté avec les Français de la présence éventuelle de Germaneau. Ils ont leur propre réseau d’informations.
Ce raid franco-mauritanien entre-t-il dans le cadre d’un accord de coopération ?
Il n’y a pas eu de raid franco-mauritanien, mais une action menée par la Mauritanie contre un camp de terroristes.
La France n’a donc joué aucun rôle ?
Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. La France nous a apporté des renseignements, ainsi qu’un soutien logistique. Mais c’est tout.
Aucun militaire français n’était donc présent sur les lieux de l’opération ?
Non, aucun. D’ailleurs, hormis les six instructeurs basés à Atar, il n’y a aucune autre présence militaire française en Mauritanie.
Le président malien, Amadou Toumani Touré, a-t-il été précisément informé du raid, qui a eu lieu sur son territoire ?
Oui, il a bien été informé.
Avant ou après ?
À temps.
C’est-à-dire ?
Le président malien a toujours été tenu informé et a toujours appelé la Mauritanie à intervenir. Après l’attaque d’Aqmi contre l’Algérie [le 30 juin, NDLR], il a demandé aux Algériens de poursuivre les assaillants sur son territoire. Lorsque trois Espagnols ont été enlevés en Mauritanie [en novembre 2009, NDLR], nous avons parlé au téléphone. Il m’a dit qu’il m’autorisait à venir à tout moment. Les Maliens sont informés de tout ce que nous faisons.
Entretenez-vous de bonnes relations avec Amadou Toumani Touré ?
Il est vrai que lorsqu’il a libéré un djihadiste mauritanien [avec un Burkinabè et deux Algériens, en février, NDLR] en échange de l’otage français Pierre Camatte, nous l’avons très mal pris. Nous sommes toujours à la recherche de ce terroriste. Il a regagné Aqmi dans le Nord-Mali. Mais nous ne pouvons pas camper sur cette position. Nous comprenons aussi l’attitude des Maliens. Leur vision des choses ne cadre pas avec la nôtre, mais nous devons la respecter. J’ai souvent rencontré le président malien depuis.
Dans ce cas, quand votre ambassadeur, que vous avez rappelé en février, retournera-t-il à Bamako ?
Bientôt. Mais la coopération entre les deux pays n’a jamais pâti de cette absence.
Aura-t-il repris son poste début 2011 ?
Peut-être même avant.
Pourquoi êtes-vous opposé à l’élargissement de prisonniers en échange de la libération d’otages ?
C’est un principe. Je ne reconnais pas les terroristes, je ne traite pas avec eux. Libérer des prisonniers et payer des rançons, c’est une manière d’encourager leur folle lutte.
Certains chefs d’État pourraient pourtant vous y inciter en vous proposant une contrepartie.
La Mauritanie est peut-être un pays pauvre, mais nous n’accepterons jamais les pressions. Jamais nous ne traiterons ou ne négocierons avec les terroristes, quel que soit le pays qui nous le demande. Les États européens dont des ressortissants sont aujourd’hui otages respectent notre position.
Votre réponse militaire au terrorisme est passée par la formation de patrouilles spéciales et un contrôle des frontières. Quelle est la prochaine étape ?
Autrefois, nos frontières étaient poreuses. Désormais, tout étranger qui entre en Mauritanie sans passer par les postes frontières est arrêté. Nous avons aussi constitué des unités adaptées avec pour mission de surveiller l’ensemble du territoire. Elles ont mis fin aux incursions terroristes. En outre, nous avons décidé de ne plus rester chez nous. S’il est nécessaire de franchir une frontière pour contrer une éventuelle attaque, nous le faisons. Et, plus globalement, nous avons intégré nos forces à celles de l’Algérie, du Niger et du Mali dans le cadre du commandement unifié de Tamanrasset. La coopération entre États est nécessaire.
Ne conviendrait-il pas que le Maroc rejoigne cette nouvelle structure ?
Ce serait une bonne chose.
Commentaire