Quelle date précise les historiens retiendront-ils comme celle du jour du déclenchement de la seconde intifada ? Le 28, le 29 ou le 30 septembre 2000 ? A moins que ces trois dates [1] ne constituent un tout indivisible : trois journées terribles qui, dans un enchaînement irrésistible de causes et d’effets, virent exploser le processus d’Oslo, et marquèrent le point de départ d’un cycle de violences et d’affrontements de plusieurs années qui n’est pas encore vraiment éteint aujourd’hui.
Mais quelle que soit la date retenue, l’analyse du déclenchement de la seconde Intifada ne peut, en tout cas, être dissociée de son contexte, avant et après ce déclenchement : un lent pourrissement de la situation sur le terrain, consécutif à l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 et à la politique menée par son successeur Benyamin Netanyahu qui n’avait jamais caché son hostilité aux accords d’Oslo ; l’échec du sommet de Camp David, en juillet 2000, où l’on tenta de rattraper en deux semaines le gâchis de plusieurs années, par la conclusion aussi soudaine qu’improbable d’une paix définitive entre Israéliens et Palestiniens ; la poursuite néanmoins des pourparlers, pendant les mois d’août et septembre qui suivirent l’échec de ce sommet - avant que n’éclate la tempête - et même après, puisque de nouvelles avancées – les « paramètres Clinton » - firent alors espérer une paix possible lors d’un ultime sommet tenu à Taba en janvier 2001.
Espoir vite déçu. Si le sommet de Taba s’acheva le 24 janvier sur un communiqué commun aux deux parties, qualifiant de « sans précédent (…) l’atmosphère positive des discussions » et déclarant n’avoir « jamais été aussi proches d’un accord », les négociateurs estimèrent toutefois, dans le même communiqué, que la proximité des élections israéliennes ne permettait pas de surmonter les dernières divergences et qu’il convenait d’en attendre le résultat avant de reprendre les discussions. La fin de l’histoire est connue : le 6 février 2001, Ariel Sharon remportait le scrutin…
Le seul rappel de cette chronologie suffit à ruiner la thèse qui fut alors avancée par les services de communication israéliens – thèse abondamment relayée en France – selon laquelle les Palestiniens n’avaient répondu à « l’offre généreuse » des Israéliens à Camp David qu’en déclenchant une guerre dont ils étaient, par conséquent, les seuls responsables. A les supposer généreuses, les propositions israéliennes ne furent donc pas faites à Camp David en juillet 2000 mais à Taba, six mois plus tard. L’échec du premier sommet était prévisible, pour ne pas dire inéluctable, au regard des circonstances dans lesquelles il fut engagé.
Quant à l’échec du second, nul observateur n’a jamais rapporté ni preuve ni indice sérieux d’un « refus palestinien », formellement démenti, de surcroit, par les termes du communiqué final[2].
Des sources nombreuses et solides attestent également que ni le déclenchement des violences, les 29 et 30 septembre 2000, ni l’escalade des semaines suivantes ne résultèrent d’une volonté palestinienne unilatérale et planifiée de mettre fin au processus de paix. Aucune des deux parties ne souhaitait un affrontement majeur, mais chacun s’y préparait depuis des mois en raison du blocage total de ce processus. Le sommet de Camp David constitua précisément, à cet égard, comme une solution d’urgence, une ultime tentative de sauver une situation déjà fortement compromise.
Plusieurs années après, des officiels israéliens et non des moindres reviendront sur la thèse officielle d’un plan concerté des Palestiniens. Comme par exemple, Avi Dichter, le patron du Shin Beth : « Au contraire de ce que nous disions à l’époque, Arafat n’a pas fomenté l’Intifada.
L’Intifada a débuté par un phénomène boule de neige. » [3] Même analyse de son prédécesseur, Ami Ayalon : « On aurait dit un cheval sauvage que personne ne parvenait à contrôler, alors que Yasser Arafat se trouvait par hasard sur la selle ». Ce que confirmera le rapport de la commission d’enquête internationale dirigée par l’ancien sénateur américain George Mitchell, qui soulignera comme principale cause de l’escalade des violences des premières semaines « l’incapacité des deux parties à faire preuve de retenue ».
Il faut aussi parler de l’incapacité de chacun à penser le conflit en termes rationnels. Autant au Proche-Orient qu’ici, en France. L’objectivité pure n’existe pas, mais un discours engagé n’interdit pas pour autant l’honnêteté intellectuelle ni surtout un minimum d’acceptation de la réalité.
Nulle incompatibilité, à cet égard, entre le soutien de la cause d’Israël (dont l’existence est aussi légitime que le droit des Palestiniens à avoir leur Etat) et ce bref rappel qui vient d’être fait des circonstances du déclenchement de la seconde Intifada. Or, en France, les militants pro-israéliens les plus fervents ont développé depuis des années un discours non seulement partial (ce qui serait compréhensible), mais plus grave, totalement déconnecté du réel, c’est-à-dire en l’occurrence, du contexte dans lequel le processus d’Oslo explosa brutalement : les mois qui précédèrent et ceux qui suivirent.
La séquence des trois dernières journées du mois de septembre 2000 n’y est considérée que comme une planète isolée, hors du temps et de toute autre causalité que la sienne propre, comme un scénario de fiction qui n’existe pas en dehors des limites étroites que lui assigne son auteur entre le générique de début et le générique de fin. Pire encore, chacune de ces trois journées est prise en elle-même comme un tout isolé des deux autres : une fable édifiante, codifiée comme une série télé, dans laquelle le Palestinien viendrait toujours jouer de manière lisse et transparente le rôle du fauteur de trouble ou de la fausse victime (ce qui revient au même), chaque nouvel épisode commençant sur un terrain vierge, sous un ciel sans nuage. Ainsi, la controverse sur les causes de l’Intifada serait toute entière contenue dans celle de la « visite » d’Ariel Sharon, le 28 septembre, à Jérusalem, sur l’esplanade des mosquées. Manière biaisée de poser le problème, car cet incident ne fut en définitive qu’une étincelle sur un baril de poudre, l’élément déclencheur et non pas la cause du soulèvement.[4]
par Guillaume Weill-Raynal
Mais quelle que soit la date retenue, l’analyse du déclenchement de la seconde Intifada ne peut, en tout cas, être dissociée de son contexte, avant et après ce déclenchement : un lent pourrissement de la situation sur le terrain, consécutif à l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 et à la politique menée par son successeur Benyamin Netanyahu qui n’avait jamais caché son hostilité aux accords d’Oslo ; l’échec du sommet de Camp David, en juillet 2000, où l’on tenta de rattraper en deux semaines le gâchis de plusieurs années, par la conclusion aussi soudaine qu’improbable d’une paix définitive entre Israéliens et Palestiniens ; la poursuite néanmoins des pourparlers, pendant les mois d’août et septembre qui suivirent l’échec de ce sommet - avant que n’éclate la tempête - et même après, puisque de nouvelles avancées – les « paramètres Clinton » - firent alors espérer une paix possible lors d’un ultime sommet tenu à Taba en janvier 2001.
Espoir vite déçu. Si le sommet de Taba s’acheva le 24 janvier sur un communiqué commun aux deux parties, qualifiant de « sans précédent (…) l’atmosphère positive des discussions » et déclarant n’avoir « jamais été aussi proches d’un accord », les négociateurs estimèrent toutefois, dans le même communiqué, que la proximité des élections israéliennes ne permettait pas de surmonter les dernières divergences et qu’il convenait d’en attendre le résultat avant de reprendre les discussions. La fin de l’histoire est connue : le 6 février 2001, Ariel Sharon remportait le scrutin…
Le seul rappel de cette chronologie suffit à ruiner la thèse qui fut alors avancée par les services de communication israéliens – thèse abondamment relayée en France – selon laquelle les Palestiniens n’avaient répondu à « l’offre généreuse » des Israéliens à Camp David qu’en déclenchant une guerre dont ils étaient, par conséquent, les seuls responsables. A les supposer généreuses, les propositions israéliennes ne furent donc pas faites à Camp David en juillet 2000 mais à Taba, six mois plus tard. L’échec du premier sommet était prévisible, pour ne pas dire inéluctable, au regard des circonstances dans lesquelles il fut engagé.
Quant à l’échec du second, nul observateur n’a jamais rapporté ni preuve ni indice sérieux d’un « refus palestinien », formellement démenti, de surcroit, par les termes du communiqué final[2].
Des sources nombreuses et solides attestent également que ni le déclenchement des violences, les 29 et 30 septembre 2000, ni l’escalade des semaines suivantes ne résultèrent d’une volonté palestinienne unilatérale et planifiée de mettre fin au processus de paix. Aucune des deux parties ne souhaitait un affrontement majeur, mais chacun s’y préparait depuis des mois en raison du blocage total de ce processus. Le sommet de Camp David constitua précisément, à cet égard, comme une solution d’urgence, une ultime tentative de sauver une situation déjà fortement compromise.
Plusieurs années après, des officiels israéliens et non des moindres reviendront sur la thèse officielle d’un plan concerté des Palestiniens. Comme par exemple, Avi Dichter, le patron du Shin Beth : « Au contraire de ce que nous disions à l’époque, Arafat n’a pas fomenté l’Intifada.
L’Intifada a débuté par un phénomène boule de neige. » [3] Même analyse de son prédécesseur, Ami Ayalon : « On aurait dit un cheval sauvage que personne ne parvenait à contrôler, alors que Yasser Arafat se trouvait par hasard sur la selle ». Ce que confirmera le rapport de la commission d’enquête internationale dirigée par l’ancien sénateur américain George Mitchell, qui soulignera comme principale cause de l’escalade des violences des premières semaines « l’incapacité des deux parties à faire preuve de retenue ».
Il faut aussi parler de l’incapacité de chacun à penser le conflit en termes rationnels. Autant au Proche-Orient qu’ici, en France. L’objectivité pure n’existe pas, mais un discours engagé n’interdit pas pour autant l’honnêteté intellectuelle ni surtout un minimum d’acceptation de la réalité.
Nulle incompatibilité, à cet égard, entre le soutien de la cause d’Israël (dont l’existence est aussi légitime que le droit des Palestiniens à avoir leur Etat) et ce bref rappel qui vient d’être fait des circonstances du déclenchement de la seconde Intifada. Or, en France, les militants pro-israéliens les plus fervents ont développé depuis des années un discours non seulement partial (ce qui serait compréhensible), mais plus grave, totalement déconnecté du réel, c’est-à-dire en l’occurrence, du contexte dans lequel le processus d’Oslo explosa brutalement : les mois qui précédèrent et ceux qui suivirent.
La séquence des trois dernières journées du mois de septembre 2000 n’y est considérée que comme une planète isolée, hors du temps et de toute autre causalité que la sienne propre, comme un scénario de fiction qui n’existe pas en dehors des limites étroites que lui assigne son auteur entre le générique de début et le générique de fin. Pire encore, chacune de ces trois journées est prise en elle-même comme un tout isolé des deux autres : une fable édifiante, codifiée comme une série télé, dans laquelle le Palestinien viendrait toujours jouer de manière lisse et transparente le rôle du fauteur de trouble ou de la fausse victime (ce qui revient au même), chaque nouvel épisode commençant sur un terrain vierge, sous un ciel sans nuage. Ainsi, la controverse sur les causes de l’Intifada serait toute entière contenue dans celle de la « visite » d’Ariel Sharon, le 28 septembre, à Jérusalem, sur l’esplanade des mosquées. Manière biaisée de poser le problème, car cet incident ne fut en définitive qu’une étincelle sur un baril de poudre, l’élément déclencheur et non pas la cause du soulèvement.[4]
par Guillaume Weill-Raynal
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