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Dix bonnes raisons de ne pas faire la guerre

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    Au moment où les Américains soutiennent de nouvelles sanctions contre Téhéran, un chroniqueur du New York Times invite plutôt Washington à soutenir les Iraniens dans leur démarche démocratique.

    09.03.2010 | Roger Cohen | The New York Times



    Un an s’est écoulé depuis que le président Obama a fait à Téhéran l’offre révolutionnaire de Norouz [nouvel an iranien, célébré vers le 21 mars], engageant les deux pays à un respect mutuel. Aujourd’hui, l’Iran est un pays différent. Divisé, le régime est affaibli. Il a été mis en difficulté par le Mouvement vert [né de la contestation à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en juin 2009]. Ce mouvement incarne la plus forte manifestation du pouvoir du peuple au Moyen-Orient et constitue un exemple pour toute la région. Mais les tensions vieilles de trente et un ans qui paralysent les relations américano-iraniennes sont toujours là. La républicaine Sarah Palin exhorte Obama à déclarer la guerre à l’Iran pour sauver sa présidence. Et elle n’est pas la seule. Il n’y a rien de neuf dans la vision des va-t-en-guerre américains qui réduisent l’Iran à une abstraction nucléaire, qui confondent ses 70 millions de citoyens avec une tête nucléaire en puissance, qui ignorent tout de sa civilisation et se moquent de ses griefs envers les Etats-Unis – tout cela dans le seul but de faire de la Perse un pion électoral américain et une menace qui exige des bombes. Reste qu’une guerre est inconcevable ; ce serait un désastre, et pour les Etats-Unis, et pour Israël. Avant que le son des tambours n’aille crescendo dans la course aux élections de mi-mandat, voici donc à ce sujet dix vérités bonnes à répéter. 1. Les ultraconservateurs iraniens font leurs choux gras de l’isolement. Etablir un dialogue avec l’Iran, susceptible de changer la donne, n’est pas incompatible avec un soutien au Mouvement vert ; les deux stratégies semblent même complémentaires. Obama doit dénoncer la vague de répression, avec ses violences et ses viols, qui a suivi l’élection. Il doit soutenir ouvertement le droit des Iraniens à protester contre le régime, alors même qu’il tente de venir à bout de la psychose américano-iranienne par la voie des négociations. Un an d’engagement nous a menés plus loin que sept années passées à diaboliser ce pays membre de l’“axe du mal” [selon l’ex-président américain George W. Bush].
    2. La réaction iranienne à la main tendue d’Obama a été désordonnée. Souvenons-nous des négociations avortées de Genève, le 1er octobre 2009, selon lesquelles l’Iran aurait pu confier à un pays tiers de l’uranium faiblement enrichi pour récupérer de l’uranium enrichi à 20 % (bien en dessous du seuil de l’uranium de qualité militaire) afin d’alimenter un réacteur de recherche médicale à Téhéran. L’échec de cet accord, victime des divisions politiques en Iran, a amèrement déçu Obama et ses principaux conseillers sur l’Iran. Et ils continuent d’être déçus aujourd’hui. La conclusion d’un accord aurait créé de l’espace pour de plus larges négociations. Selon l’Iran, l’idée n’est toutefois pas enterrée. Certes, l’histoire nous pousse au scepticisme, mais si l’objectif est d’ôter l’uranium faiblement enrichi des mains de l’Iran pour le placer entre des mains sûres – celles du Japon peut-être, ou de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) –, il faudra faire preuve d’une souplesse infinie.
    3. La politique de dissuasion est une arme efficace. Les Etats-Unis devraient, comme l’a suggéré Hillary Clinton, construire un “parapluie de défense” pour les Etats amis du Golfe, que le programme nucléaire iranien préoccupe vivement. La remarque la plus juste du secrétaire à la Défense américain, Robert Gates, à propos de l’Iran est celle-ci : “Le seul scénario susceptible de déboucher sur un Iran dépourvu de capacité nucléaire, c’est que Téhéran décide que la possession de telles armes affaiblirait sa sécurité.” Et le meilleur moyen d’y parvenir, c’est de renforcer le soutien militaire aux voisins de l’Iran. Ali Khamenei, le guide suprême, est le gardien de la révolution islamique. Sa mission première : la préservation. L’Iran ne fabriquera pas la bombe s’il est convaincu que le régime révolutionnaire en sera la première victime.
    4. Les sanctions ne modifieront pas la politique de Téhéran. Elles continueront à enrichir les Gardiens de la révolution [armée parallèle du régime], qui contrôlent des canaux d’approvisionnement passant par Dubaï et échappant aux sanctions. Elles permettront certes de gagner du temps pour obtenir d’autres preuves d’engagement. On dit qu’Obama considère que les sanctions sont une nécessité, étant donné la pression du Congrès et d’Israël, mais une nécessité peu susceptible de pousser l’Iran à changer de cap, Téhéran ne s’émouvant plus de telles représailles.

    5. Attaquer l’Iran aurait des conséquences bien connues. Saddam Hussein, qui a tenté l’expérience en 1980, a cimenté la révolution théocratique de l’ayatollah Khomeyni en rassemblant divers groupes pour former un front uni de défense nationale. Les Etats-Unis et l’Europe ont armé l’Irak pendant cette guerre, Saddam a ensuite gazé les Iraniens, le ressentiment des Iraniens est en conséquence profond. Attaquer les structures nucléaires iraniennes serait la façon la plus sûre de mener le Mouvement vert à la faillite, de décevoir la jeunesse iranienne, d’unir les Iraniens en une réaction de défi patriotique, de renforcer les conservateurs, de pousser l’Iran à redoubler d’efforts dans sa course à la bombe et de renforcer le régime.
    6. Selon l’AIEA, l’Iran soulève des inquiétudes quant à de “possibles activités clandestines, présentes ou passées, liées à la mise au point d’une charge nucléaire destinée à équiper un missile”. Cela étant, des inspecteurs de l’Agence se trouvent en ce moment même en Iran, l’inspection de l’usine de Natanz se poursuit rigoureusement, tout y est noté dans le moindre détail, l’Iran a signé le traité de non-prolifération (TNP) et les renseignements américains continuent à penser que Téhéran n’a pas décidé de fabriquer d’arme nucléaire. Il reste encore du temps, au moins deux ans, pour négocier et convaincre l’Iran de faire ce que le Brésil, l’Argentine et l’Afrique du Sud ont fait avant lui.
    7. Avec le scrutin du 12 juin 2009, l’Iran a connu un véritable séisme. La vague de répression brutale a éloigné des millions d’Iraniens de leur gouvernement, créant une situation qui n’est pas sans rappeler celle de la Pologne des années 1980. Cela ne signifie pas que le changement est imminent. Cela signifie que la théocratie a face à elle un peuple qui ne se laisse plus duper. Si l’agitation se propage aux syndicats [de nombreuses manifestations organisées par les syndicats ont eu lieu ces dernières semaines], comme en 1979, ou si la colère de l’establishment religieux de la ville sainte de Qom se déchaîne, nul ne peut dire ce qui adviendra. L’Iran est nettement plus instable qu’il y a un an. Je doute qu’il parvienne à mener une transition dans le calme, si Khamenei, âgé de 70 ans, venait à mourir. Le peuple iranien lutte depuis un siècle pour mettre en place une forme de gouvernement représentatif. La moindre des choses que les Occidentaux peuvent faire pour le soutenir, c’est de ne pas succomber à leurs impulsions punitives. La société iranienne est une des sociétés les plus prometteuses du Moyen-Orient, parce que la lutte entre l’autorité de Dieu et celle du peuple s’y joue chaque jour.
    8. Israël et l’Iran ne sont pas des voisins. Ce sont des étrangers, l’un juif, l’autre chiite, dans cet océan sunnite que constitue le Moyen-Orient. Ils n’ont jamais été en guerre l’un contre l’autre. Ils ont partagé beaucoup de choses, des relations diplomatiques amicales à l’époque du chah et des alliances pendant la décennie qui a suivi la révolution, lorsqu’Israël soutenait l’Iran face à l’Irak. Leur inimitié est féroce, elle n’est pas inévitable. Pour Israël, déjà en guerre contre les Arabes, ouvrir un nouveau front d’hostilité contre l’Iran serait désastreux. Le Hezbollah et le Hamas nous réserveraient le pire dont ils sont capables. Personne, dans le monde arabe, ne ferait plus aucune distinction entre Israël et les Etats-Unis. La principale alliance de l’Etat hébreu serait mise à rude épreuve, et la main tendue d’Obama aux musulmans réduite en lambeaux. La sécurité d’Israël n’y gagnerait rien ; elle se retrouverait plus fragile que jamais.
    9. Ni la pacification de l’Irak, ni l’apaisement de l’Afghanistan, ni le rapprochement entre Israéliens et Palestiniens ne pourront se faire sans une intervention de l’Iran. Mis à l’écart, l’Iran est une puissance perturbatrice. Mais, si l’Amérique lui accorde une place, le pays peut mettre au rancart son impétuosité révolutionnaire et l’aider sur de multiples fronts. Voilà qui changerait la donne, d’une manière aussi radicale que le rapprochement sino-américain a bouleversé le monde en 1972 [date de la visite de Nixon en Chine, considérée comme un pas décisif dans la normalisation des relations entre les deux pays].

    10. Depuis les années 1930, si ce n’est plus, l’Iran avance en zigzaguant entre une occidentalisation à marche forcée et une théocratisation imposée d’une main de fer, interdisant le port du voile puis le rendant obligatoire, mettant en place un pluralisme avant de l’écraser, ouvrant la société avant de la fermer à double tour. Aujourd’hui, en 2010, un mouvement réformiste, souvent mené par des femmes courageuses, soucieuses de trouver un juste équilibre entre la foi chiite de l’Iran et ses instincts républicains, est réprimé sous nos yeux, dans un bain de sang. Aujourd’hui, il est temps pour l’Iran de trouver un équilibre entre la foi et le pluralisme enterré depuis un siècle. Il est temps pour les Etats-Unis d’aider l’Iran à sortir de son isolement. Mais ce ne sera pas le chauvinisme de Sarah Palin qui pourra le faire, ni des sanctions vides de sens, encore moins des bombes. Seuls pourront y parvenir un mélange de fermeté, de diplomatie créative et d’engagement
    soutenu.
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