Par : Abdeslam Maghraoui, professeur de sciences politiques à l’université de duke (etats-unis)
Si le Maroc manque de recueillir le soutien international en faveur de son plan d’autonomie dans le Sahara occidental, nous nous souviendrons tous du vendredi 13 novembre 2009. C’est évidemment la date à laquelle Aminatou Haidar a été illégalement dépouillée de sa nationalité marocaine et expulsée aux îles Canaries. Aucun jeu de mots superstitieux n’est voulu, mais cette date pourrait revenir hanter les reponsables qui ont pris cette decision si jamais le Maroc est forcé un jour à évacuer les territoires. Haidar peut bien être, volontiers ou à contrecœur, manipulée par l’Algérie comme les autorités marocaines ne cessent de le dire, mais cela ne justifie guère la violation de ses droits et la transgression des procédures régulières à son égard. Au contraire, les réactions illegales et excessives des autorités marocaines lui ont offert une plate-forme en or pour attirer l’attention sur une cause en grande partie oubliée par l’opinion publique internationale et en même temps semer le doute sur le plan d’autonomie proposé par le Maroc.
La maladresse diplomatique du Maroc est incompréhensible considérant le manque de soutien pour l’indépendance du Sahara parmi les membres permanents du Conseil de sécurité. Malgré tous les débats sur l’autodétermination et le droit international, pas un seul pays avec le droit du veto ne veut qu’un Etat independant émerge au Sahara. La crainte partagée que le jeune Etat ne soit défaillant, les risques des espaces vastes non-gouvernés et la crainte du terrorisme, du trafic humain, de la contrebande et de l’instabilité régionale aux portes de l’Europe donnent des frissons aux décideurs occidentaux. Quand ils pèsent les mérites d’autonomie contre l’indépendance du Sahara occidental, il est clair que l’Amérique et l’Europe ne veulent pas d’une République Sahraouie. Combien de temps maintiendront-ils cette attitude et à quel prix?
Mais le dégât fait au Maroc va bien au-delà de l’affaiblissement du soutien international en faveur du plan marocain d’autonomie. La saga de Haidar a fini avec son retour triomphal à Laâyoune après la pression faite sur le Maroc par la France, l’Union européenne et les États-Unis. Malgré les embellissements officiels sur les conditions du retour de Haidar, le recul du Maroc est une claque politique et diplomatique. Plus que l’humiliation militaire infligée au pays par l’Espagne pendant la crise de Leïla en juillet 2002, le cas Haidar écorne la réputation internationale du Maroc et le met à part égale avec les régimes dont la conduite est tout à fait imprévisible. Si la France a soutenu le royaume en 2002 en évoquant des raisons techniques, elle ne pourra pas faire de même en 2009.
Pour être clair, les autorités marocaines sont sans doute correctes quand elles affirment que l’Algérie manipule Aminatou Haidar. Mais l’hostilité et la provocation de l’Algérie ne justifient pas que le Maroc se tire une balle dans la tête. En réagissant excessivement, les autorités marocaines mettent leurs alliés occidentaux dans la position maladroite de choisir entre défendre les violations des droits humains ou défendre une femme qui se bat pour regagner sa terre natale. Ainsi, les autorités marocaines aident l’Algérie et le Polisario dans leur campagne contre le royaume. La suggestion émoussée d’un haut responsable marocain que le Maroc pourrait mettre fin à la coopération avec l’Union européenne sur les questions de sécurité ne peut que compliquer les choses pour le pays. Ce n’est pas la politique du “mauvais voisinage” qui va faciliter l’accès du Maroc à un “statut avancé” permanent dans l’Union européenne.
Sur le plan interne, la débâcle de Haidar expose la détérioration des droits de l’homme, le manque de transparence, le problème des dysfonctionnements des institutions étatiques et l’irresponsabilité de ceux qui gouvernent. Comme dans le cas de la crise de Leïla, il n’y aura aucune commission parlementaire, pas d’enquête transparente, aucun rapport indépendant sur le mécanisme décisionnel, ni de responsabilités assignées ou démissions. Les Marocains restent dans l’obscurité alors que les lois sont violées et le pays est traîné dans la boue. L’épisode de Haidar illustre ce qui est déjà très évident : malgré la façade des réformes pour impressionner les créanciers occidentaux, le système autoritaire au Maroc est plus que jamais retranché.
Pourtant, plus inquiétant, l’épisode Haidar expose le mythe que les réformes sages et modérées aboutiront un jour à un système démocratique.
Sans sacrifices, grands et petits, sans pressions externes sérieuses et persistantes, les Marocains ne seront jamais un peuple libre.
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