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A Haïti, "il y a peu d'architectes et d'ingénieurs pour construire bien"

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  • A Haïti, "il y a peu d'architectes et d'ingénieurs pour construire bien"

    Patrick Coulombel est un spécialiste de la reconstruction des villes et villages dévastés par des séismes, des cyclones ou des tsunamis. Il préside la fondation Architectes de l'urgence qui, depuis 2001, s'attache à "reconstruire vite mais pas précaire, en adéquation avec l'habitat local, les usages sociaux et les contraintes environnementales". Elle est déjà intervenue au Sri Lanka, à Sumatra (Indonésie), en Iran, en Afghanistan ou à Madagascar.Patrick Coulombel, qui avait mené une mission en Haïti après le passage de l'ouragan Jeanne, en 2004, devait partir pour Port-au-Prince jeudi 14 janvier.

    Quel type de constructions trouvait-on à Port-au-Prince ?

    Il y a trois grandes familles de bâtiments. D'abord, un important patrimoine de style colonial, assez beau. Ensuite, beaucoup de gros édifices à ossature en béton construits au XXe siècle. Enfin, il y a l'habitat populaire, des bidonvilles plus ou moins consolidés, souvent situés dans les ravines et à flanc de colline, avec des maisons de tôles, de planches, de briques.

    Aucune de ces catégories n'a semble-t-il résisté au séisme : une secousse de 7 degrés, c'est monstrueux. Plus on est proche de l'épicentre, plus les bâtiments subissent un effet de cisaillement par le bas. Plus on s'en éloigne, plus ils entrent en résonance par le haut.

    Quelles constructions représentent le principal danger ?

    Les bidonvilles ne sont pas ce qui nous inquiète le plus. Les matériaux sont en général assez légers, les constructions sont basses. En revanche, elles n'ont pas d'accroche au sol. Le risque avec les bidonvilles, c'est le glissement de terrain qui peut tout emporter.

    Les bâtiments en béton, eux, ont un poids bien plus considérable et ils n'ont pas été construits selon des normes parasismiques. Ce sont de simples structures de poteaux et de poutres. On construit en béton parce que c'est beaucoup moins cher que des structures en acier, qui résistent mieux aux séismes.

    Le problème, c'est que contrairement aux apparences, la mise en œuvre du béton est très technique. Mal fait, il peut avoir des conséquences dramatiques. Or la plupart des gens compétents sont partis d'Haïti. Il y a peu d'architectes et d'ingénieurs sur place pour construire bien.

    En 2008, une école s'était écroulée toute seule à Pétionville, une banlieue de Port-au-Prince. Le gouvernement avait alors estimé que 60 % des constructions ne respectaient pas les normes de base.

    Comment va s'organiser le travail de reconstruction ?

    On va d'abord établir des périmètres de sécurité, analyser l'état des édifices, interdire des bâtiments, en renforcer d'autres, dégager les décombres. Essayer de remettre en fonctionnement les centres de santé, les écoles, les infrastructures.

    Et il va falloir commencer à penser à l'hébergement de la population. D'abord dans des tentes, au pire sous des bâches en plastique. Enfin, on devra aider les gens à reconstruire leur logement.

    Faudrait-il interdire de reconstruire dans les ravines ?

    On ne peut pas interdire la construction sur un terrain sans fournir une alternative qui offre la même proximité avec le centre-ville, l'économie. Haïti est une société rurale, où les gens vont s'installer en ville pour avoir accès aux services de santé et d'éducation. Si vous les en éloignez, ils se réinstalleront sur les terrains à risque.

    C'est un pays où les gens survivent, celui où j'ai vu les situations les plus dures. Ils prendront le risque.

    Peut-on reconstruire l'habitat populaire de manière plus résistante sans atteindre des coûts inabordables ?

    Oui, bien sûr. Quand on n'a pas de moyens et très peu de matériaux, il faut construire léger et bas. Si l'aide internationale finance des programmes de reconstruction à grande échelle, on peut mettre en place des systèmes d'auto-construction qui reviennent à 2 000 euros pour une maison de 50 mètres carrés, nous l'avons fait en Indonésie par exemple.

    C'est le principe du "cash for work": on définit un modèle de construction avec la population et on paie les gens pour bâtir leur propre logement, avec l'aide de quelques ouvriers spécialisés et notre encadrement, par groupes de cinquante maisons.

    Cela permet de distribuer des revenus, c'est essentiel pour relancer la machine économique et pour donner à des gens qui ont faim le temps de se consacrer à leur logement.

    Quels sont les pièges à éviter dans ce genre de situation ?

    Le premier piège, c'est l'identification du foncier. C'est très difficile de savoir qui exactement a des droits sur quel sol, soit parce que personne ne le sait effectivement, soit parce que les gens sont prêts à tout pour avoir une maison.

    Ensuite, il faut faire attention à la manière dont on aborde la communauté. Il faut identifier les interlocuteurs légitimes et faire valider par tout le monde le choix des bénéficiaires des nouvelles maisons, sachant qu'on ne reconstruit jamais tout mais seulement les habitations les plus touchées. Sans ce travail d'enquête sociale, on risque de créer de graves conflits.

    Propos recueillis par Grégoire Allix
    Le Monde
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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