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Maroc :Enquête. La machine des déplacements royaux

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  • Maroc :Enquête. La machine des déplacements royaux

    Mohammed VI sillonne son royaume et le monde, en bûcheur ou en touriste : inaugurations à la mise en scène grandiose, réunions au sommet, voyages privés, etc. Tous ces déplacements obéissent à une logistique et une symbolique savamment orchestrées. Enquête.

    la journaliste Anne Sinclair qui, en octobre 2001, interrogeait le roi du Maroc sur le caractère novateur de ses déplacements et sur son absence récurrente de la capitale, Mohammed VI avait répondu : “Mais le roi n’a jamais été seulement à Rabat ! Je me souviens qu’une année, pendant ma jeunesse, mes parents ont séjourné dix-huit jours à Rabat, sur 365 ! Mon père, que Dieu ait son âme, avait coutume de dire que “le trône des Alaouites est sur la selle de leurs chevaux” ! J’ai bien l’intention de ne pas déroger à ce principe. Et puis, vous savez, j’aime bien me rendre compte par moi-même, sur le terrain, de ce que sont les réalités de mon pays”.
    Même si Mohammed VI ne le revendique pas, il a, au moins sur un point, changé l’image qu’on se faisait de la monarchie hassanienne : le choix des destinations de Mohammed VI, la mise en scène de ses déplacements, et les symboles auxquels ils renvoient révèlent un roi soucieux de donner une visibilité territoriale et populaire à son règne. Hassan II n’avait par exemple mis les pieds dans le Rif qu’une fois, en 1958, qui plus est pour y mater un peuple récalcitrant. Depuis 1999, Mohammed VI a au contraire réconcilié les Rifains avec la monarchie, allant jusqu’à rencontrer à Ajdir les héritiers de Abdelkrim Khattabi, héros de la république du Rif.

    Nouveau style
    En fait, les déplacements de Mohammed VI sont devenus un des outils de son règne : l’occasion de manifester un intérêt particulier pour une question donnée, ou de marquer un mécontentement quand les promesses faites ne sont pas tenues. On se souvient par exemple de la colère de Mohammed VI, rapportée par la presse, à l’occasion d’une visite surprise à l’hôpital militaire de Rabat : le roi, choqué du niveau d’équipement qu’il y avait trouvé, avait sur le champ demandé le renvoi du directeur de l’hôpital. Un événement interprété de la sorte par la vox populi : “Heureusement que Mohammed VI contrôle ce pays”.
    En effet, le bon sens populaire associe la venue du roi à un événement positif, synonyme de changements immédiats et visibles : les trottoirs sont invariablement refaits, les façades repeintes et les jardins fleuris au moindre déplacement de Mohammed VI. Du coup, le roi est attendu et réclamé. Le gouvernement, quant à lui, qui souffre de la comparaison, est régulièrement dénoncé par des manifestations de rue aux cris de “vive le roi”.
    Pour beaucoup, les bains de foule à l’occasion des déplacements de Mohammed VI sont même devenus le moment rêvé pour glaner un sourire, un souvenir, et surtout une faveur royale. Tous les moyens sont parfois bons pour y parvenir. Comme pour Zhour qui, tout au long de l’été 2009, a fait la Une des principaux quotidiens arabophones. L’expérience de cette quadragénaire est emblématique de la ferveur et de l’attente que suscite Mohammed VI : alors que le roi était en vacances dans sa résidence de Mdiq, cette femme, originaire du nord du pays, passait ses journées à attendre la sortie du cortège royal dans l’unique espoir de baiser la main du souverain et de lui glisser une demande d’agrément. En vain. L’été s’est terminé sans qu’elle réalise son rêve. Aux dernières nouvelles, elle attend la prochaine saison estivale avec impatience !

    Je bouge, donc je suis
    Si Mohammed VI a fait le bonheur de quelques-uns à l’occasion de certains de ses déplacements, il a aussi fait de sa mobilité un symbole du pouvoir territorial de la monarchie. Ses multiples visites à Marrakech et Tanger ont ainsi précédé et accompagné un boom urbain exceptionnel. A coups d’inaugurations et de visites surprises soigneusement dosées, Mohammed VI a en fait imprimé sa marque : celle d’un souverain de proximité, plus soucieux de vérifier par lui-même, sur le terrain, le résultat de ses initiatives, que d’accorder des interviews.
    Par ses déplacements, il donne aussi à voir les priorités de son règne. Au lendemain des attentats du 16 mai 2003, il lançait une vaste série d’inaugurations liées au logement social, à la construction de villes nouvelles et à la lutte contre l’habitat insalubre. L’objectif clairement affiché était alors d’endiguer la ghettoïsation, tenue pour responsable de l’émergence d’un islam marocain violent.
    En 2005, c’est de la même manière en s’appuyant sur ses visites de terrain que Mohammed VI
    a annoncé le lancement de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), “après une réflexion qui a mûri au fil des déplacements et des visites que j'ai effectués à travers les différentes régions du royaume pour M’enquérir de ta situation”, avait-il alors expliqué à son peuple.

    Inaugurator
    Comment donc sont organisées ces visites royales de travail, aux allures d’enquêtes de terrain ? Comment, en somme, décide-t-on des projets à montrer au souverain ? “C’est une commission au sein du cabinet royal qui s’en charge”, confie une source gouvernementale. “Plusieurs mois avant le jour J, les différents départements ministériels sont informés de l’éventuelle visite royale et sont appelés à faire des propositions de projets à lancer, chantiers à visiter ou programmes de développement à annoncer. Puis, ultime étape, une délégation se rend sur place et fait le choix final”, poursuit notre source.
    Il arrive pourtant que la machine se grippe : le même projet présenté deux fois au roi en 2006 lors d’une visite dans le nord, ou encore cet hôpital du sud, neuf et abritant de nombreuses spécialités médicales, inauguré par le souverain, mais resté fermé de nombreux mois plus tard. Et pour cause : les appareils commandés pour équiper la nouvelle infrastructure n’ayant pas encore été livrés, tout le matériel présenté au roi avait en fait été loué !
    Mais, même lorsque la mécanique bureaucratique fonctionne à merveille, le système a ses failles. “Tout est tourné vers l’inauguration finale. Elle devient un objectif en soi”, estime un membre fondateur de l’AMDH. Ce qui n’est pas sans créer des désagréments : le seul but étant de réussir “l’examen de passage” que constitue la visite du roi, certains projets semblent en effet finalisés dans l’urgence, et seulement en apparence, occasionnant parfois de grosses colères royales.

    Monarchie de proximité
    Les déplacements de Mohammed VI sont loin d’être tous centrés sur des projets d’inaugurations. Quelques-uns sont l’illustration évidente d’un roi qui parle à son peuple. Ces visites soigneusement mises en scène et censées délivrer une certaine image de la monarchie sont bien sûr elles aussi dotées de leur volet ‘inaugurations’, mais l’essentiel est ailleurs : l’objectif est de donner à voir un roi bienfaiteur, soucieux des difficultés de son peuple, actif et efficace.
    L’exemple le plus saillant en est El Hoceima. En février 2004, alors que la région panse ses plaies après le séisme qui l’a secouée, la population locale montre des signes de colère suite au retard pris par les secours. Et ce, malgré la présence sur place de plusieurs ministres et hauts responsables rbatis. Cinq jours après la catastrophe, le souverain se rend donc sur place et témoigne de sa totale solidarité… en passant plusieurs nuits sous une tente dressée à la périphérie de la ville meurtrie, y tenant même un Conseil des ministres.
    La même histoire se répète quatre ans plus tard dans le Moyen Atlas, après la mort à Anfgou de 33 personnes, femmes et enfants, qui ont tous succombé au froid. Sous une tente, le roi passe tout un week-end dans le lointain village montagnard. La visite royale a certes permis aux habitants d’Anfgou, pour la première fois médiatisés, de recouvrer leur dignité, et de se sentir moins oubliés. Elle a suscité surtout de nombreux espoirs.

  • #2
    Combien ça coûte ?
    Si la monarchie citoyenne et de proximité d’un roi qui bouge a parfois trouvé ses limites, ce n’est pas encore le cas du budget consacré aux déplacements de Mohammed VI. En 2008, sur les 1,9 milliard de dirhams réservés par la Loi de Finances à la liste civile et à la cour royale, 380 millions ont servi à couvrir les frais de déplacements du roi et de sa suite, que ce soit à l’intérieur du pays ou à l’étranger. Frais de logement, restauration, transport et indemnités de déplacement, la facture détaillée est des plus salées.
    Le transport de personnes a coûté 28 millions de dirhams, le transport de matériel (mobilier, ustensiles de cuisines, tentes, matériel de communication…) plus de 130 millions de dirhams. Vient ensuite l’hébergement, rubrique très budgétivore, avec 80 millions de dirhams en douze mois pour loger le roi et ses accompagnants. Last but not least, comme tout fonctionnaire ou employé, le souverain touche des indemnités de déplacement. En 2008, elles ont atteint 37 millions de dirhams, dont deux millions seulement pour les voyages officiels à l’étranger.
    Voilà pour le budget royal proprement dit. Restent les frais engendrés par les déplacements occasionnels des ministres et autres hauts commis de l’Etat. Car les ministres peuvent être obligés de se rendre auprès du souverain en déplacement hors de sa capitale pour une audience, une inauguration ou tout autre réunion informelle. Le roi n’attend pas non plus d’être à Rabat pour tenir un Conseil des ministres. Le tout dernier, qui s’est réuni le 19 octobre, a eu lieu à Casablanca. En mai, c’est à Fès que Mohammed VI a réuni son gouvernement, informé la veille seulement.
    “Dans ce genre de situation, soit le Palais affrète un avion pour transporter tout le gouvernement, soit chaque ministre s’y rend par ses propres moyens”, explique un membre du gouvernement El Fassi. Cette deuxième option peut revenir cher au contribuable. Un ministre, appelé en urgence à Errachidia où se trouvait le monarque, a par exemple dû louer un jet privé pour faire l’aller-retour en une seule journée. Facture finale : 94 000 dirhams ponctionnés sur le budget de son département.

    Logistique de luxe
    Il ne se passe pas une saison sans que Mohammed VI ne visite une région du royaume, faisant du chef-lieu local, le temps d’une visite, une capitale à part entière. A chaque fois, la localité concernée se met sur son trente et un pour rendre au roi ce qui est considéré comme une attention particulière de sa part. Rien n’est laissé au hasard. “Quand il s’agit d’accueillir le souverain, la province, la préfecture, les conseils communaux, ainsi que les différents services de l’Etat sont tous mis à contribution”, explique ce gouverneur à la retraite.
    En règle générale, le roi élit domicile dans un de ses palais ou résidences (une bonne trentaine) éparpillés dans les quatre coins du pays. A défaut, c’est la résidence du gouverneur qui est réquisitionnée et embellie pour cet hôte de marque. Les meubles sont acheminés du palais le plus proche et les cuisines sont prises d’assaut par les chefs du sérail. Petit détail à prendre en considération dans cette préparation de plusieurs semaines : la climatisation. Le système est revérifié ou réinstallé de bout en bout. “Tous les climatiseurs sont programmés sur une température de 15°”, nous a confié un gouverneur qui a prêté sa villa de fonction à Mohammed VI.
    Le même soin est accordé aux conditions de séjour de la cour et des VIP (conseillers, ministres, hauts gradés de l’armée…). Là, ce sont les demeures des notabilités locales les plus en vue qui sont empruntées. Leurs habitants habituels sont invités à demander asile, l’espace de quelques jours, à leurs proches. Mais ce n’est souvent pas pour leur déplaire. Car en échange de ce gros service qui donne parfois lieu à quelques menus larcins et à de la casse de vaisselle, les heureux hôtes peuvent espérer des compensations ou une récompense royale. C’est donnant-donnant, en quelque sorte. “C’est avec plaisir que je mets ma maison à la disposition de Sa Majesté à chaque fois qu’il est chez nous”, nous a ainsi confié un notable du Moyen-Atlas.
    Une fois logé, l’entourage royal est entièrement pris en charge par le palais (on n’a pas besoin d’argent quand on est l’invité du roi). La restauration sur place est assurée par le traiteur Rahal, qui doit une bonne partie de son succès à la confiance et aux commandes royales.

    Garde rapprochée
    La ville ou le chef-lieu qui accueille Mohammed VI connaît en outre l’affluence de personnes tout à fait anonymes. Ce sont ces milliers de policiers qui s’y rendent pour assurer la sécurité du roi et de sa cour. Pour chaque déplacement, la DGSN effectue ainsi un redéploiement de ses effectifs pour renforcer le dispositif de sécurité sur place. Les lignes téléphoniques, fixes surtout, sont systématiquement mises sur écoute.
    Ces mesures sécuritaires sont parfois contrariées par la géographie. Comme à l’automne 2008, à Anfgou, où un grand opérateur télécom s’est trouvé dans l’obligation d’étendre la couverture de son réseau. Un investissement “imprévu” évalué à plusieurs millions de dirhams. Petite satisfaction néanmoins pour le PDG : une présentation officielle devant le roi a permis de mettre en avant les efforts déployés par l’opérateur en matière de service universel.
    Mais le plus difficile à gérer pour les sécuritaires du Palais reste les convois royaux. Gendarmerie, police, différents services de l’Intérieur et parfois même l’armée s’y attellent. La sécurité rapprochée du monarque est assurée par ses propres gardes du corps. Armés, ces “men in black” le suivent partout, aidés des technologies de brouillage les plus sophistiquées.
    Pour ce qui est de son escorte, elle est constituée d’une équipe spéciale de gendarmes, le fameux “escadron d’honneur”. Composé d’une vingtaine de motards, il est de tous les déplacements à l’intérieur du pays. La tête du cortège est occupée par un lieutenant, chef de l’escadron. Il est en contact radio permanent avec les gardes du corps. “Nous devions nous tenir prêts 24h/24h. Le palais pouvait à tout moment faire appel à nos services”, se souvient cet ancien motard de la gendarmerie, à la retraite depuis deux ans.
    S’ils ne perçoivent aucun avantage matériel en contrepartie de leurs services, ces gendarmes, qui subissent une sélection draconienne avant d’être directement rattachés à la sécurité royale, sont choyés en nature. Leurs uniformes par exemple sont signés par un grand couturier parisien (Pierre Cardin pour ne pas le nommer). Leurs motos sont régulièrement changées (actuellement, ils roulent en Honda).
    Sauf qu’ils ne sont pas non plus à l’abri d’une colère royale. En 2005, juste avant que le souverain ne se rende aux Etats-Unis pour une visite d’Etat, il se trouvait à Fès. Reconduit au palais après une activité officielle, l’escadron a pris la direction d’une station-service de la capitale spirituelle pour faire le plein d’essence. Sur le chemin du retour au palais, ils croisent une Mercedes banalisée. Ne s’imaginant pas qu’elle était conduite par le roi en personne, les motards n’y prêtent pas attention. Mal leur en prend. La plupart d’entre eux sont mutés dans le sud, sanctionnés pour ne pas avoir salué le roi sur son passage !

    Ici plus qu’ailleurs
    Mohammed VI donne souvent l’impression de préférer les routes de son pays aux grandes messes internationales. A l’étranger, il se fait dans la majorité des cas représenter par son frère Moulay Rachid, ou son Premier ministre du moment. Cette tendance ne surprend plus grand-monde. Mohammed VI s’en était même expliqué dans les médias au tout début de son règne.
    Nombreux sont donc les sommets de la Ligue Arabe, de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) ou de l’Assemblée générale des Nations Unies que le souverain a boudés. Son absence de certains événements a parfois été vivement critiquée par la presse arabe et internationale. Comme quand, en 2004, Yasser Arafat, dirigeant très proche de la dynastie alaouite, décède à Paris. Le Caire, qui a décidé de lui organiser des funérailles nationales, reçoit tout le gotha des chefs d’Etat et têtes couronnées du monde arabe et islamique. Mais, comme de juste, Mohammed VI brille par son absence. La raison en est toute simple : les monarques alaouites n’assistent jamais à des funérailles. Hassan II lui-même, de son vivant, n’a jamais pris part à des cérémonies funéraires.
    Pourtant, quand le roi s’y met, il ne passe pas inaperçu. On se souvient de cette participation, l’une des rares du chef de l’Etat, au sommet de la Ligue Arabe à Alger. C’était en mars 2005. Pendant des semaines, la presse a beaucoup spéculé sur l’éventuel déplacement de Mohammed VI à Alger. Une fois sur place, le roi du Maroc a fait office de super-star. Sa franche poignée de main avec Abdelaziz Bouteflika, son discours lors de ce sommet, mais surtout ses fréquentes escapades au centre-ville d’Alger, avec un service de sécurité minimum, ont défrayé la chronique algéroise.
    Même scénario en mars 2008. Pour une semaine, Dakar accueille le sommet de l’OCI. Mohammed VI, contrairement à son habitude, fait le déplacement jusqu’à la capitale sénégalaise, à la tête d’une importante délégation d’officiels marocains. Il pousse la générosité jusqu’à participer à la logistique de l’événement en mettant à la disposition du gouvernement d’Abdoulaye Wade le fameux paquebot de la marine marocaine, le Marrakech. Ce dernier, mouillant dans le port de Dakar, a servi tout au long des sept jours à accueillir les hôtes du Sénégal.

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    • #3
      Escapades royales
      Restent ces déplacements royaux dont on ne sait rien ou très peu, mi publics, mi secrets. Car Mohammed VI est jaloux de son indépendance et de sa liberté de mouvement. Certains observateurs ont déjà rapporté ce trait de caractère qui lui vient de l’enfance. Adolescent, Sidi Mohammed avait ainsi la réputation de chercher à fuir la compagnie de ses gardes du corps. Il se disait aussi qu’il détestait le ministre de l’Intérieur, Driss Basri, justement parce qu’il était chargé d’exercer une surveillance stricte sur le précieux prince héritier de Hassan II.
      Certains se sont même faits l’écho d’un accident de Sidi Mohammed qui aurait pu lui coûter la vie, quand, roulant trop vite sur la route Tanger-Rabat, sa voiture avait fait des tonneaux. Hassan II serait alors entré dans une colère noire et lui aurait dit en substance : “En tant que futur roi, ta vie ne t’appartient pas. Tu n’as pas le droit de mettre ta vie en danger”.
      Vu le soin qui est mis dans l’organisation de ses déplacements, Mohammed VI semble avoir suivi le conseil de son père. Outre le fait qu’ils soient entièrement balisés et sécurisés, ses itinéraires sont aussi naturellement placés sous le sceau du secret. Et quand certains membres de la garde rapprochée du roi osent les divulguer, ils sont aussitôt publiquement punis…

      RAM. 001, vol royal
      “Le roi est notre premier client”, c’est en ces termes qu’un cadre de la Royal Air Maroc évoque la mise à la disposition du roi des appareils de la compagnie nationale à chacun de ses déplacements à l’étranger, malgré ses multiples jets privés. Mohammed VI paie rubis sur l’ongle les frais d’affrètement des avions pour le transporter, avec sa famille et sa cour.
      L’avion royal est un Boeing 747-400 qui, à chaque fois que Mohammed VI en a besoin, est entièrement aménagé pour son passager de luxe. De son vivant, un autre chef d’Etat africain, Omar Bongo en l’occurrence, louait le même avion pour ses déplacements hors du Gabon. Ce long courrier, utilisé occasionnellement par la RAM lors de la saison estivale et pour le Haj, se transforme, quand le roi est à bord, en une cabine VIP. Chambre à coucher, salle de bain, salle de conférence… tout est pensé dans un souci d’ergonomie et de luxe. Un système de rails permet en effet aux techniciens de la RAM de refaire toute la déco. L’arrière de l’appareil est réservé quant à lui au transport de la cour. Par souci de sécurité, aucun bagage n’est transporté à bord de l’appareil royal. Un second avion, un Boeing 737, est entièrement réservé aux bagages royaux.
      Le personnel navigant est le même depuis des années. Les pilotes comptent à leur actif des milliers d’heures de vol et les hôtesses royales, au nombre de deux uniquement, ont même atteint l’âge de la retraite, mais sont régulièrement appelées pour rendre le vol royal des plus gais. L’une d’elles est une rescapée de l’attentat contre le Boeing de Hassan II en 1972. Aucun membre de ce personnel navigant ne connaît d’avance la destination royale. Le tarmac de l’aéroport et sa zone de vol sont momentanément fermés, le temps que l’avion du roi décolle ou atterrisse. Dans le jargon des spécialistes, cette mesure de sécurité prend le nom de “ciel fermé”. Priorité au vol 001, notre Air Force One à nous.

      Histoire. La harka selon Tozy
      Dans Monarchie et islam politique au Maroc (Presses de Sciences-Po, 1999), le politologue Mohamed Tozy analyse la harka, ce déplacement royal aux allures de campagne militaire, qui constituait le moment privilégié de la présence du sultan dans les contrées lointaines de son royaume. Résumé : “La harka désigne à proprement parler une campagne militaire visant à rétablir l’ordre dans une contrée insoumise et à y collecter l’impôt. C’est une action ponctuelle aussi courte que violente, dont l’objectif symbolique est de rétablir le prestige du Makhzen. Pour autant, la présence du Makhzen dans les régions reculées du territoire n’a historiquement été ni toujours effective, ni permanente. On peut y voir une mise à l’épreuve des potentialités du pouvoir central, un rappel des dons d’ubiquité du sultan ou, comme l’a laissé entendre le sultan Hassan Ier lui-même, “une opération de fécondation de ces terres désertes”. Il est aussi question d’une grandiose mise en scène du pouvoir. Une mise en ordre symbolique du chaos à travers un inventaire des membres de l’élite locale susceptibles de fournir au Makhzen des données et des informations sur leur région”.
      ça ne vous rappelle rien ? Aujourd’hui, les déplacements du roi, s’ils ont perdu leur caractère guerrier, participent du même souci d’apparat, de mise scène, et de cooptation des élites locales.

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      • #4
        Etranger. Longues, longues tournées
        S’il y a un déplacement de Mohammed VI qui a fait couler beaucoup d’encre, c’est bien sa tournée en Amérique Centrale et du Sud à la fin de l’année 2004. Durée du voyage : un mois et demi. Après des visites officielles au Mexique, au Pérou, au Chili, en Argentine et au Brésil, le souverain et sa suite de 300 personnes ont prolongé leur périple à Saint Domingue pour une petite pause farniente et privée largement relayée par la presse locale. Une tournée qui n’est pas pour rien dans l’article au titre évocateur (“Mohammed VI gouverne le Maroc en nomade”) qu’a consacré le quotidien français Le Figaro aux déplacements du roi en 2005. Morceau choisi : “Sa Majesté n'hésite pas, après le séisme d'Al Hoceïma, à planter sa tente royale sur le site du tremblement de terre, à la manière d'un bédouin fortuné, “pour être plus près de son peuple”. Voyageur, il apprécie surtout les périples au long cours. (...) Il arrive aussi au roi de disparaître pour une escapade secrète de plusieurs jours à l'étranger. Seuls quelques proches connaissent sa destination : l'hôtel Ritz, à Paris, ou sa résidence new-yorkaise”.

        Plus loin. Contradictions
        Les déplacements royaux sont un moment privilégié où le roi rencontre son peuple : c’est dire l’importance qu’ils revêtent aux yeux des monarchistes purs et durs. C’est dire aussi le casse-tête qu’ils représentent pour les organisateurs, chargés de faire passer “les messages royaux” de l’heure. On veut tout faire dire au moindre déplacement du monarque, au risque d’écarteler la machine entre des aspirations contradictoires. Mohammed VI doit ainsi en imposer par sa grandeur et par le lustre de sa monarchie mais, entre saluts protocolaires, distances réglementaires, et nécessaires bains de foule, le roi citoyen doit aussi paraître le plus proche possible de ses sujets : le souci est d’apparaître au faîte de sa puissance tout en restant homme. L’équation n’est pas des plus simples.
        Une autre difficulté réside dans la nécessaire médiatisation de tous les déplacements royaux, pourtant auréolés d’une aura de secret et de mystère. Car le Palais, qui alimente la MAP et les télés officielles en commentaires des visites royales, a une conception pour le moins propagandiste de la communication du roi. Du coup, la mise en scène d’un Mohammed VI qui arpente son royaume en long et en large crée une attente nouvelle dans la population, un “besoin de roi” qui reste inassouvi quand le souverain, pour des raisons privées, disparaît de la circulation. Il y a pourtant un léger mieux : sous le règne précédent, les absences royales, relayées par la rue, n’étaient jamais officiellement commentées. A l’opposé, il faudrait prendre les récents communiqués du Palais sur le rotavirus de Mohammed VI et le malaise de Moulay Rachid comme un signe de transparence expliquant l’absence des deux premiers personnages de l’Etat à des rendez-vous officiels. Et (officiellement du moins) rien de plus.
        Reste le coût financier et symbolique du moindre déplacement royal, parfois contraire aux pratiques de la bonne gouvernance. Reste également le fait que le roi, grâce ou à cause de ses déplacements, occupe tout l’espace public que les hommes politiques ont déserté. Et ce n’est pas fait pour redorer leur blason. Mais cela, aucun de nos politiques ne le confirmera.
        Souleïman Bencheikh

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