Mohammed VI sillonne son royaume et le monde, en bûcheur ou en touriste : inaugurations à la mise en scène grandiose, réunions au sommet, voyages privés, etc. Tous ces déplacements obéissent à une logistique et une symbolique savamment orchestrées. Enquête.
la journaliste Anne Sinclair qui, en octobre 2001, interrogeait le roi du Maroc sur le caractère novateur de ses déplacements et sur son absence récurrente de la capitale, Mohammed VI avait répondu : “Mais le roi n’a jamais été seulement à Rabat ! Je me souviens qu’une année, pendant ma jeunesse, mes parents ont séjourné dix-huit jours à Rabat, sur 365 ! Mon père, que Dieu ait son âme, avait coutume de dire que “le trône des Alaouites est sur la selle de leurs chevaux” ! J’ai bien l’intention de ne pas déroger à ce principe. Et puis, vous savez, j’aime bien me rendre compte par moi-même, sur le terrain, de ce que sont les réalités de mon pays”.
Même si Mohammed VI ne le revendique pas, il a, au moins sur un point, changé l’image qu’on se faisait de la monarchie hassanienne : le choix des destinations de Mohammed VI, la mise en scène de ses déplacements, et les symboles auxquels ils renvoient révèlent un roi soucieux de donner une visibilité territoriale et populaire à son règne. Hassan II n’avait par exemple mis les pieds dans le Rif qu’une fois, en 1958, qui plus est pour y mater un peuple récalcitrant. Depuis 1999, Mohammed VI a au contraire réconcilié les Rifains avec la monarchie, allant jusqu’à rencontrer à Ajdir les héritiers de Abdelkrim Khattabi, héros de la république du Rif.
Nouveau style
En fait, les déplacements de Mohammed VI sont devenus un des outils de son règne : l’occasion de manifester un intérêt particulier pour une question donnée, ou de marquer un mécontentement quand les promesses faites ne sont pas tenues. On se souvient par exemple de la colère de Mohammed VI, rapportée par la presse, à l’occasion d’une visite surprise à l’hôpital militaire de Rabat : le roi, choqué du niveau d’équipement qu’il y avait trouvé, avait sur le champ demandé le renvoi du directeur de l’hôpital. Un événement interprété de la sorte par la vox populi : “Heureusement que Mohammed VI contrôle ce pays”.
En effet, le bon sens populaire associe la venue du roi à un événement positif, synonyme de changements immédiats et visibles : les trottoirs sont invariablement refaits, les façades repeintes et les jardins fleuris au moindre déplacement de Mohammed VI. Du coup, le roi est attendu et réclamé. Le gouvernement, quant à lui, qui souffre de la comparaison, est régulièrement dénoncé par des manifestations de rue aux cris de “vive le roi”.
Pour beaucoup, les bains de foule à l’occasion des déplacements de Mohammed VI sont même devenus le moment rêvé pour glaner un sourire, un souvenir, et surtout une faveur royale. Tous les moyens sont parfois bons pour y parvenir. Comme pour Zhour qui, tout au long de l’été 2009, a fait la Une des principaux quotidiens arabophones. L’expérience de cette quadragénaire est emblématique de la ferveur et de l’attente que suscite Mohammed VI : alors que le roi était en vacances dans sa résidence de Mdiq, cette femme, originaire du nord du pays, passait ses journées à attendre la sortie du cortège royal dans l’unique espoir de baiser la main du souverain et de lui glisser une demande d’agrément. En vain. L’été s’est terminé sans qu’elle réalise son rêve. Aux dernières nouvelles, elle attend la prochaine saison estivale avec impatience !
Je bouge, donc je suis
Si Mohammed VI a fait le bonheur de quelques-uns à l’occasion de certains de ses déplacements, il a aussi fait de sa mobilité un symbole du pouvoir territorial de la monarchie. Ses multiples visites à Marrakech et Tanger ont ainsi précédé et accompagné un boom urbain exceptionnel. A coups d’inaugurations et de visites surprises soigneusement dosées, Mohammed VI a en fait imprimé sa marque : celle d’un souverain de proximité, plus soucieux de vérifier par lui-même, sur le terrain, le résultat de ses initiatives, que d’accorder des interviews.
Par ses déplacements, il donne aussi à voir les priorités de son règne. Au lendemain des attentats du 16 mai 2003, il lançait une vaste série d’inaugurations liées au logement social, à la construction de villes nouvelles et à la lutte contre l’habitat insalubre. L’objectif clairement affiché était alors d’endiguer la ghettoïsation, tenue pour responsable de l’émergence d’un islam marocain violent.
En 2005, c’est de la même manière en s’appuyant sur ses visites de terrain que Mohammed VI
a annoncé le lancement de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), “après une réflexion qui a mûri au fil des déplacements et des visites que j'ai effectués à travers les différentes régions du royaume pour M’enquérir de ta situation”, avait-il alors expliqué à son peuple.
Inaugurator
Comment donc sont organisées ces visites royales de travail, aux allures d’enquêtes de terrain ? Comment, en somme, décide-t-on des projets à montrer au souverain ? “C’est une commission au sein du cabinet royal qui s’en charge”, confie une source gouvernementale. “Plusieurs mois avant le jour J, les différents départements ministériels sont informés de l’éventuelle visite royale et sont appelés à faire des propositions de projets à lancer, chantiers à visiter ou programmes de développement à annoncer. Puis, ultime étape, une délégation se rend sur place et fait le choix final”, poursuit notre source.
Il arrive pourtant que la machine se grippe : le même projet présenté deux fois au roi en 2006 lors d’une visite dans le nord, ou encore cet hôpital du sud, neuf et abritant de nombreuses spécialités médicales, inauguré par le souverain, mais resté fermé de nombreux mois plus tard. Et pour cause : les appareils commandés pour équiper la nouvelle infrastructure n’ayant pas encore été livrés, tout le matériel présenté au roi avait en fait été loué !
Mais, même lorsque la mécanique bureaucratique fonctionne à merveille, le système a ses failles. “Tout est tourné vers l’inauguration finale. Elle devient un objectif en soi”, estime un membre fondateur de l’AMDH. Ce qui n’est pas sans créer des désagréments : le seul but étant de réussir “l’examen de passage” que constitue la visite du roi, certains projets semblent en effet finalisés dans l’urgence, et seulement en apparence, occasionnant parfois de grosses colères royales.
Monarchie de proximité
Les déplacements de Mohammed VI sont loin d’être tous centrés sur des projets d’inaugurations. Quelques-uns sont l’illustration évidente d’un roi qui parle à son peuple. Ces visites soigneusement mises en scène et censées délivrer une certaine image de la monarchie sont bien sûr elles aussi dotées de leur volet ‘inaugurations’, mais l’essentiel est ailleurs : l’objectif est de donner à voir un roi bienfaiteur, soucieux des difficultés de son peuple, actif et efficace.
L’exemple le plus saillant en est El Hoceima. En février 2004, alors que la région panse ses plaies après le séisme qui l’a secouée, la population locale montre des signes de colère suite au retard pris par les secours. Et ce, malgré la présence sur place de plusieurs ministres et hauts responsables rbatis. Cinq jours après la catastrophe, le souverain se rend donc sur place et témoigne de sa totale solidarité… en passant plusieurs nuits sous une tente dressée à la périphérie de la ville meurtrie, y tenant même un Conseil des ministres.
La même histoire se répète quatre ans plus tard dans le Moyen Atlas, après la mort à Anfgou de 33 personnes, femmes et enfants, qui ont tous succombé au froid. Sous une tente, le roi passe tout un week-end dans le lointain village montagnard. La visite royale a certes permis aux habitants d’Anfgou, pour la première fois médiatisés, de recouvrer leur dignité, et de se sentir moins oubliés. Elle a suscité surtout de nombreux espoirs.
la journaliste Anne Sinclair qui, en octobre 2001, interrogeait le roi du Maroc sur le caractère novateur de ses déplacements et sur son absence récurrente de la capitale, Mohammed VI avait répondu : “Mais le roi n’a jamais été seulement à Rabat ! Je me souviens qu’une année, pendant ma jeunesse, mes parents ont séjourné dix-huit jours à Rabat, sur 365 ! Mon père, que Dieu ait son âme, avait coutume de dire que “le trône des Alaouites est sur la selle de leurs chevaux” ! J’ai bien l’intention de ne pas déroger à ce principe. Et puis, vous savez, j’aime bien me rendre compte par moi-même, sur le terrain, de ce que sont les réalités de mon pays”.
Même si Mohammed VI ne le revendique pas, il a, au moins sur un point, changé l’image qu’on se faisait de la monarchie hassanienne : le choix des destinations de Mohammed VI, la mise en scène de ses déplacements, et les symboles auxquels ils renvoient révèlent un roi soucieux de donner une visibilité territoriale et populaire à son règne. Hassan II n’avait par exemple mis les pieds dans le Rif qu’une fois, en 1958, qui plus est pour y mater un peuple récalcitrant. Depuis 1999, Mohammed VI a au contraire réconcilié les Rifains avec la monarchie, allant jusqu’à rencontrer à Ajdir les héritiers de Abdelkrim Khattabi, héros de la république du Rif.
Nouveau style
En fait, les déplacements de Mohammed VI sont devenus un des outils de son règne : l’occasion de manifester un intérêt particulier pour une question donnée, ou de marquer un mécontentement quand les promesses faites ne sont pas tenues. On se souvient par exemple de la colère de Mohammed VI, rapportée par la presse, à l’occasion d’une visite surprise à l’hôpital militaire de Rabat : le roi, choqué du niveau d’équipement qu’il y avait trouvé, avait sur le champ demandé le renvoi du directeur de l’hôpital. Un événement interprété de la sorte par la vox populi : “Heureusement que Mohammed VI contrôle ce pays”.
En effet, le bon sens populaire associe la venue du roi à un événement positif, synonyme de changements immédiats et visibles : les trottoirs sont invariablement refaits, les façades repeintes et les jardins fleuris au moindre déplacement de Mohammed VI. Du coup, le roi est attendu et réclamé. Le gouvernement, quant à lui, qui souffre de la comparaison, est régulièrement dénoncé par des manifestations de rue aux cris de “vive le roi”.
Pour beaucoup, les bains de foule à l’occasion des déplacements de Mohammed VI sont même devenus le moment rêvé pour glaner un sourire, un souvenir, et surtout une faveur royale. Tous les moyens sont parfois bons pour y parvenir. Comme pour Zhour qui, tout au long de l’été 2009, a fait la Une des principaux quotidiens arabophones. L’expérience de cette quadragénaire est emblématique de la ferveur et de l’attente que suscite Mohammed VI : alors que le roi était en vacances dans sa résidence de Mdiq, cette femme, originaire du nord du pays, passait ses journées à attendre la sortie du cortège royal dans l’unique espoir de baiser la main du souverain et de lui glisser une demande d’agrément. En vain. L’été s’est terminé sans qu’elle réalise son rêve. Aux dernières nouvelles, elle attend la prochaine saison estivale avec impatience !
Je bouge, donc je suis
Si Mohammed VI a fait le bonheur de quelques-uns à l’occasion de certains de ses déplacements, il a aussi fait de sa mobilité un symbole du pouvoir territorial de la monarchie. Ses multiples visites à Marrakech et Tanger ont ainsi précédé et accompagné un boom urbain exceptionnel. A coups d’inaugurations et de visites surprises soigneusement dosées, Mohammed VI a en fait imprimé sa marque : celle d’un souverain de proximité, plus soucieux de vérifier par lui-même, sur le terrain, le résultat de ses initiatives, que d’accorder des interviews.
Par ses déplacements, il donne aussi à voir les priorités de son règne. Au lendemain des attentats du 16 mai 2003, il lançait une vaste série d’inaugurations liées au logement social, à la construction de villes nouvelles et à la lutte contre l’habitat insalubre. L’objectif clairement affiché était alors d’endiguer la ghettoïsation, tenue pour responsable de l’émergence d’un islam marocain violent.
En 2005, c’est de la même manière en s’appuyant sur ses visites de terrain que Mohammed VI
a annoncé le lancement de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), “après une réflexion qui a mûri au fil des déplacements et des visites que j'ai effectués à travers les différentes régions du royaume pour M’enquérir de ta situation”, avait-il alors expliqué à son peuple.
Inaugurator
Comment donc sont organisées ces visites royales de travail, aux allures d’enquêtes de terrain ? Comment, en somme, décide-t-on des projets à montrer au souverain ? “C’est une commission au sein du cabinet royal qui s’en charge”, confie une source gouvernementale. “Plusieurs mois avant le jour J, les différents départements ministériels sont informés de l’éventuelle visite royale et sont appelés à faire des propositions de projets à lancer, chantiers à visiter ou programmes de développement à annoncer. Puis, ultime étape, une délégation se rend sur place et fait le choix final”, poursuit notre source.
Il arrive pourtant que la machine se grippe : le même projet présenté deux fois au roi en 2006 lors d’une visite dans le nord, ou encore cet hôpital du sud, neuf et abritant de nombreuses spécialités médicales, inauguré par le souverain, mais resté fermé de nombreux mois plus tard. Et pour cause : les appareils commandés pour équiper la nouvelle infrastructure n’ayant pas encore été livrés, tout le matériel présenté au roi avait en fait été loué !
Mais, même lorsque la mécanique bureaucratique fonctionne à merveille, le système a ses failles. “Tout est tourné vers l’inauguration finale. Elle devient un objectif en soi”, estime un membre fondateur de l’AMDH. Ce qui n’est pas sans créer des désagréments : le seul but étant de réussir “l’examen de passage” que constitue la visite du roi, certains projets semblent en effet finalisés dans l’urgence, et seulement en apparence, occasionnant parfois de grosses colères royales.
Monarchie de proximité
Les déplacements de Mohammed VI sont loin d’être tous centrés sur des projets d’inaugurations. Quelques-uns sont l’illustration évidente d’un roi qui parle à son peuple. Ces visites soigneusement mises en scène et censées délivrer une certaine image de la monarchie sont bien sûr elles aussi dotées de leur volet ‘inaugurations’, mais l’essentiel est ailleurs : l’objectif est de donner à voir un roi bienfaiteur, soucieux des difficultés de son peuple, actif et efficace.
L’exemple le plus saillant en est El Hoceima. En février 2004, alors que la région panse ses plaies après le séisme qui l’a secouée, la population locale montre des signes de colère suite au retard pris par les secours. Et ce, malgré la présence sur place de plusieurs ministres et hauts responsables rbatis. Cinq jours après la catastrophe, le souverain se rend donc sur place et témoigne de sa totale solidarité… en passant plusieurs nuits sous une tente dressée à la périphérie de la ville meurtrie, y tenant même un Conseil des ministres.
La même histoire se répète quatre ans plus tard dans le Moyen Atlas, après la mort à Anfgou de 33 personnes, femmes et enfants, qui ont tous succombé au froid. Sous une tente, le roi passe tout un week-end dans le lointain village montagnard. La visite royale a certes permis aux habitants d’Anfgou, pour la première fois médiatisés, de recouvrer leur dignité, et de se sentir moins oubliés. Elle a suscité surtout de nombreux espoirs.
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