Pauvre américains, comme s'ils ne savaient pas où va leurs argent.
Quatre ans après le passage de l'ouragan Katrina, les séquelles physiques, morales et culturelles de la catastrophe pèsent toujours lourdement sur l'avenir d'une cité qui a perdu près d'un quart de sa population, mais tente avec énergie de renaître de ses cendres.
Il dit sobrement : «Chaque jour est une lutte. On finira par reconstruire, on est comme ça à La Nouvelle-Orléans. On résiste.» Mais son regard empli d'une fatigue profonde semble démentir ses paroles. James Johnson, vieil homme noir de 72 ans, dont la médaille d'or tangue sur son tee-shirt blanc, est en train de planter des poteaux devant sa maison. Cela fait quatre ans qu'il se bat pour assainir son logement dévasté par les flots qui ont inondé 85 % de la ville, lors du passage du cyclone Katrina en août 2005.
Malgré les dizaines de milliards de dollars de subventions déversés sur la Louisiane et La Nouvelle-Orléans par l'Agence fédérale de gestion des catastrophes naturelles, la Fema (théoriquement de 80 000 à 150 000 dollars par famille), ce septuagénaire qui vit de la sécurité sociale est loin d'avoir obtenu tout l'argent dont il aurait eu besoin pour terminer ses travaux. Le fait qu'il n'ait pas été assuré a joué contre lui et il n'a pas su mener à terme les démarches bureaucratiques complexes mais nécessaires… Il en est donc réduit, comme beaucoup de si*nistrés, à reconstruire de ses propres mains. Mais il se sent bien seul. Entouré de fantômes.
Voisins et enfants sont partis tenter leur chance au Texas ou en Alabama, vendant à de nouveaux venus ou abandonnant carrément des maisons vides, envahies par les ronces et l'humidité. «J'essaie de me faire de nouveaux amis mais ce n'est pas facile», soupire James. De quelque 450 000 habitants, la ville serait passée à quelque 380 000 dont 10 % environ sont des nouveaux venus. Ce qui signifie que près de 80 000 personnes ne seraient pas revenues (même si les chiffres, très imprécis, restent sujets à caution).
Un traumatisme terrible pour une ville dont plus de 70 % des habitants - taux le plus élevé du pays - étaient enracinés sur place depuis des générations. Près de mille personnes ont péri dans les inondations.
L'arrondissement inférieur numéro 9, où habite Ja*mes, est l'endroit qui a le plus souffert de la catastrophe. Ce quartier a la particularité d'être situé au-dessous du niveau de la mer, juste au sud du lac de Pontchartrain. Quand ce dernier a débordé, la pression de l'eau a emporté sur son passage les digues mal construites, dévastant la plupart des 18 000 maisons de l'arrondissement. Depuis, seulement 1 500 maisons ont été re*construites, selon les évaluations de l'architecte-paysagiste Tim Duggan, responsable d'une ONG qui s'occupe de réhabilitation.
Certaines sont flambant neuves, comme celles, aux couleurs pastel et aux normes écologiques édifiées à l'initiative de l'acteur Brad Pitt. Une rue des musiciens, où s'alignent des maisonnettes pimpantes, a également été réaménagée sur les fonds de l'ONG Habitat for Humanity… Mais en dehors de ces projets financés par un mélange de fonds privés et d'aides publiques, on a une étrange impression d'inachevé, de désolation insidieuse. Comme si la ville n'avait pas encore décidé tout à fait ce qu'elle entendait faire de son avenir et que l'État s'en désintéressait un peu, malgré la mobilisation de l'actuel gouvernement à Washington.
Un chagrin économe de mots
Certaines maisons ne sont que des squelettes désossés. D'autres semblent s'être pétrifiées depuis ce fameux 29 août 2005 qui vit basculer la ville, vers 6 h 45 du matin. Sur certains toits, on aperçoit encore les trous creusés à main d'homme par lesquels sont sorties les familles réfugiées au grenier pendant la tempête. La trace de la crue elle-même reste visible. Détail émouvant, la plupart des maisons fermées portent encore les croix peintes que les patrouilles de l'armée et de la garde nationale américaine avaient dessinées, y précisant la date de l'inspection, le numéro de leur unité et le nombre de cadavres.
Jusqu'à il y a quelques mois, on trouvait dans arrondissement numéro 9 beaucoup de caravanes dans lesquelles les gens vivotaient en attendant d'avoir nettoyé leur maison. La Mairie a fini par les faire enlever, question d'image. Mais celle de Tamara et John est toujours garée devant leur demeure en travaux. «Cela fait trois ans que mon mari vit dans cette caravane et je l'ai rejoint cette année avec nos enfants. Comment ne pas revenir ? J'ai grandi dans cette maison», dit la femme. Aucune plainte ne sort de sa bouche, sinon pour regretter «les voisins». On a le chagrin économe de mots à La Nouvelle-Orléans. Peut-être parce que cette ville ne s'est jamais sentie comme «une victime» mais comme «une privilégiée», avance le journaliste Chris Rose, dans un best-seller consacré à Katrina.
Quatre ans après la tourmente, on peut d'ailleurs passer complètement à côté des traumatismes de La Nouvelle-Orléans si l'on reste cantonné à la haute ville. Construit sur la berge élevée du Mississippi par les Français, qui furent les premiers à coloniser la Louisiane, le French Quarter, cœur touristique de la cité, n'a pas été touché. Restaurants, galeries d'art, boutiques chics et boîtes de jazz, un temps désertés, s'alignent joyeusement dans les ruelles étroites aux maisons de bois ornées de vérandas à colonnades et de balcons de fer forgé. Surgis de nulle part, des musiciens égrènent des accords de blues plaintifs. À la nuit tombée, quand partout en Amérique on va se coucher, les bars se remplissent de foules de touristes hilares et de locaux accueillants prêts à célébrer ensemble la passion du jazz dans des effluves d'alcool et de beignets. Mais cette joie de vivre reste fragile.
Katrina est toujours là, dans les têtes, cicatrice profonde. Dès qu'on en parle, les habitants deviennent intarissables pour raconter «la lumière qui avait changé parce qu'il n'y avait plus d'arbres» ou «le silence d'une ville désertée par les oiseaux». Puis ils en viennent à l'essentiel : la responsabilité de l'État, car les digues présentaient un sérieux défaut de construction. La lenteur bureaucratique de la réponse fédérale au drame. Et tous les problèmes avec lesquels la ville bataille encore. Ses maisons à reconstruire. Ses familles séparées. Sa culture amputée.
Ses tensions raciales. Et enfin les défis climatiques de taille que le réchauffement climatique ne cesse d'accélérer. La Nouvelle-Orléans a le sentiment d'avoir été partiellement abandonnée à son sort. Et même la récente visite de Barack Obama, tellement aimé ici, ne semble pas avoir suscité autant d'espoir que prévu.
«Malgré les spectaculaires progrès de la reconstruction, il y a beaucoup de colère et de misère», résume le père Moody, qui officie en l'église catholique de Saint Augustine, dans le quartier créole Trémé. Tandis qu'il lutte pour payer les dettes et les frais de reconstruction de sa paroisse, notamment avec l'aide de la France, ce prêtre originaire du Belize, qui souffre tant d'avoir perdu dans l'ouragan sa précédente église, s'efforce de venir en aide à ses paroissiens. Il conte les ravages du chômage et de la drogue, ces deux fléaux bien antérieurs à Katrina qui n'ont fait que prospérer.
«Le désespoir des vieux restés sans famille» et les vagues de suicides qui ont suivi l'ouragan. Les maladies mentales fréquentes qui se sont déclarées. «L'hôpital public qui les soignait a fermé, c'est une grande perte pour la ville», dit-il, in*quiet aussi de la disparition des écoles et des églises.
La suite...
Quatre ans après le passage de l'ouragan Katrina, les séquelles physiques, morales et culturelles de la catastrophe pèsent toujours lourdement sur l'avenir d'une cité qui a perdu près d'un quart de sa population, mais tente avec énergie de renaître de ses cendres.
Il dit sobrement : «Chaque jour est une lutte. On finira par reconstruire, on est comme ça à La Nouvelle-Orléans. On résiste.» Mais son regard empli d'une fatigue profonde semble démentir ses paroles. James Johnson, vieil homme noir de 72 ans, dont la médaille d'or tangue sur son tee-shirt blanc, est en train de planter des poteaux devant sa maison. Cela fait quatre ans qu'il se bat pour assainir son logement dévasté par les flots qui ont inondé 85 % de la ville, lors du passage du cyclone Katrina en août 2005.
Malgré les dizaines de milliards de dollars de subventions déversés sur la Louisiane et La Nouvelle-Orléans par l'Agence fédérale de gestion des catastrophes naturelles, la Fema (théoriquement de 80 000 à 150 000 dollars par famille), ce septuagénaire qui vit de la sécurité sociale est loin d'avoir obtenu tout l'argent dont il aurait eu besoin pour terminer ses travaux. Le fait qu'il n'ait pas été assuré a joué contre lui et il n'a pas su mener à terme les démarches bureaucratiques complexes mais nécessaires… Il en est donc réduit, comme beaucoup de si*nistrés, à reconstruire de ses propres mains. Mais il se sent bien seul. Entouré de fantômes.
Voisins et enfants sont partis tenter leur chance au Texas ou en Alabama, vendant à de nouveaux venus ou abandonnant carrément des maisons vides, envahies par les ronces et l'humidité. «J'essaie de me faire de nouveaux amis mais ce n'est pas facile», soupire James. De quelque 450 000 habitants, la ville serait passée à quelque 380 000 dont 10 % environ sont des nouveaux venus. Ce qui signifie que près de 80 000 personnes ne seraient pas revenues (même si les chiffres, très imprécis, restent sujets à caution).
Un traumatisme terrible pour une ville dont plus de 70 % des habitants - taux le plus élevé du pays - étaient enracinés sur place depuis des générations. Près de mille personnes ont péri dans les inondations.
L'arrondissement inférieur numéro 9, où habite Ja*mes, est l'endroit qui a le plus souffert de la catastrophe. Ce quartier a la particularité d'être situé au-dessous du niveau de la mer, juste au sud du lac de Pontchartrain. Quand ce dernier a débordé, la pression de l'eau a emporté sur son passage les digues mal construites, dévastant la plupart des 18 000 maisons de l'arrondissement. Depuis, seulement 1 500 maisons ont été re*construites, selon les évaluations de l'architecte-paysagiste Tim Duggan, responsable d'une ONG qui s'occupe de réhabilitation.
Certaines sont flambant neuves, comme celles, aux couleurs pastel et aux normes écologiques édifiées à l'initiative de l'acteur Brad Pitt. Une rue des musiciens, où s'alignent des maisonnettes pimpantes, a également été réaménagée sur les fonds de l'ONG Habitat for Humanity… Mais en dehors de ces projets financés par un mélange de fonds privés et d'aides publiques, on a une étrange impression d'inachevé, de désolation insidieuse. Comme si la ville n'avait pas encore décidé tout à fait ce qu'elle entendait faire de son avenir et que l'État s'en désintéressait un peu, malgré la mobilisation de l'actuel gouvernement à Washington.
Un chagrin économe de mots
Certaines maisons ne sont que des squelettes désossés. D'autres semblent s'être pétrifiées depuis ce fameux 29 août 2005 qui vit basculer la ville, vers 6 h 45 du matin. Sur certains toits, on aperçoit encore les trous creusés à main d'homme par lesquels sont sorties les familles réfugiées au grenier pendant la tempête. La trace de la crue elle-même reste visible. Détail émouvant, la plupart des maisons fermées portent encore les croix peintes que les patrouilles de l'armée et de la garde nationale américaine avaient dessinées, y précisant la date de l'inspection, le numéro de leur unité et le nombre de cadavres.
Jusqu'à il y a quelques mois, on trouvait dans arrondissement numéro 9 beaucoup de caravanes dans lesquelles les gens vivotaient en attendant d'avoir nettoyé leur maison. La Mairie a fini par les faire enlever, question d'image. Mais celle de Tamara et John est toujours garée devant leur demeure en travaux. «Cela fait trois ans que mon mari vit dans cette caravane et je l'ai rejoint cette année avec nos enfants. Comment ne pas revenir ? J'ai grandi dans cette maison», dit la femme. Aucune plainte ne sort de sa bouche, sinon pour regretter «les voisins». On a le chagrin économe de mots à La Nouvelle-Orléans. Peut-être parce que cette ville ne s'est jamais sentie comme «une victime» mais comme «une privilégiée», avance le journaliste Chris Rose, dans un best-seller consacré à Katrina.
Quatre ans après la tourmente, on peut d'ailleurs passer complètement à côté des traumatismes de La Nouvelle-Orléans si l'on reste cantonné à la haute ville. Construit sur la berge élevée du Mississippi par les Français, qui furent les premiers à coloniser la Louisiane, le French Quarter, cœur touristique de la cité, n'a pas été touché. Restaurants, galeries d'art, boutiques chics et boîtes de jazz, un temps désertés, s'alignent joyeusement dans les ruelles étroites aux maisons de bois ornées de vérandas à colonnades et de balcons de fer forgé. Surgis de nulle part, des musiciens égrènent des accords de blues plaintifs. À la nuit tombée, quand partout en Amérique on va se coucher, les bars se remplissent de foules de touristes hilares et de locaux accueillants prêts à célébrer ensemble la passion du jazz dans des effluves d'alcool et de beignets. Mais cette joie de vivre reste fragile.
Katrina est toujours là, dans les têtes, cicatrice profonde. Dès qu'on en parle, les habitants deviennent intarissables pour raconter «la lumière qui avait changé parce qu'il n'y avait plus d'arbres» ou «le silence d'une ville désertée par les oiseaux». Puis ils en viennent à l'essentiel : la responsabilité de l'État, car les digues présentaient un sérieux défaut de construction. La lenteur bureaucratique de la réponse fédérale au drame. Et tous les problèmes avec lesquels la ville bataille encore. Ses maisons à reconstruire. Ses familles séparées. Sa culture amputée.
Ses tensions raciales. Et enfin les défis climatiques de taille que le réchauffement climatique ne cesse d'accélérer. La Nouvelle-Orléans a le sentiment d'avoir été partiellement abandonnée à son sort. Et même la récente visite de Barack Obama, tellement aimé ici, ne semble pas avoir suscité autant d'espoir que prévu.
«Malgré les spectaculaires progrès de la reconstruction, il y a beaucoup de colère et de misère», résume le père Moody, qui officie en l'église catholique de Saint Augustine, dans le quartier créole Trémé. Tandis qu'il lutte pour payer les dettes et les frais de reconstruction de sa paroisse, notamment avec l'aide de la France, ce prêtre originaire du Belize, qui souffre tant d'avoir perdu dans l'ouragan sa précédente église, s'efforce de venir en aide à ses paroissiens. Il conte les ravages du chômage et de la drogue, ces deux fléaux bien antérieurs à Katrina qui n'ont fait que prospérer.
«Le désespoir des vieux restés sans famille» et les vagues de suicides qui ont suivi l'ouragan. Les maladies mentales fréquentes qui se sont déclarées. «L'hôpital public qui les soignait a fermé, c'est une grande perte pour la ville», dit-il, in*quiet aussi de la disparition des écoles et des églises.
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