
Sorbonne, Saint-Cyr, Georgetown, Cornell... En accueillant les meilleures universités mondiales, les pays du Golfe tentent de se faire une place au soleil de l’économie de la connaissance. La rente des pétrodollars les aide beaucoup.
Les sommes sont colossales. Pour les années à venir, les Emirats arabes unis (EAU, sept émirats, dont Dubaï et Abou Dhabi), l’Arabie saoudite et les autres petits Etats du Golfe (Qatar, Bahrein, Koweït et Oman) vont investir plus de 15 milliards d’euros dans l’enseignement supérieur et la recherche selon Reuters. Ces dépenses devraient même surpasser l’an prochain les dépenses militaires ! L’objectif est bien sûr de passer d’une économie rentière, fondée sur l’exploitation du pétrole et du gaz dont les réserves baissent, à une économie fondée sur la connaissance.
Pour cela, le Golfe cherche à supplanter les capitales universitaires traditionnelles que sont Le Caire et Beyrouth et devenir la « plate-forme » éducative du monde arabe. Leur stratégie est calquée sur celle déjà éprouvée de Singapour : l’accueil de formations prestigieuses clé en main. En 2003, Dubaï a ainsi créé son Knowledge Village, un village de la connaissance rassemblant une vingtaine d’écoles et d’institutions internationales. Assez modeste, ce campus a attiré des établissements le plus souvent de seconde zone, à l’image de l’Heriot-Watt university d’Edimbourg ou de l’Esmod, une école privée française de la mode.
Le Qatar voisin a pour sa part créé son Education City. Il a ainsi déboursé des millions d’euros pour attirer certains départements d’universités américaines de premier plan : Virginia Commonwealth University (design, communication), Cornell University (médecine), Carnegie Mellon (commerce et informatique), Texas A&M (ingénierie), Georgetown University (sciences politiques). S’y ajoutera, en 2011, l’école militaire française de Saint-Cyr, qui vient d’y annoncer, en septembre, l’ouverture d’une filiale.
Les autres émirats tentent de suivre la cadence. Abou Dhabi a décidé de jouer la carte française et d’accueillir l’université Paris-IV. Son « université Paris-Sorbonne-Abou Dhabi » propose les diplômes français de lettres, sciences humaines et droit (délivrés par Paris-V). L’objectif est d’y former à terme 2 000 étudiants, contre 225 aujourd’hui.
Le même objectif est assigné à la New York University, qui doit s’installer en 2010 à côté de la Sorbonne dans UniCity, le nouveau campus de l’émirat. Dubaï a pour sa part annoncé, en septembre, la venue de l’université du Michigan dans sa nouvelle International Academic City, près de son Knowledge Village. L’accueil de l’université Lyon-II est également étudié dans le cadre d’un jumelage plus large entre l’émirat et la ville de Lyon.
Ouvrir le dialogue inter culturel
L’Arabie saoudite joue pour sa part une autre partition. Elle a annoncé, début 2007, la création d’une université scientifique de niveau mondial sur les rives de la mer Rouge. L’université de sciences et techniques du roi Abdallah comptera des facultés de sciences, de médecine, d’ingénierie et d’éducation, pour un investissement initial de près de 2 milliards d’euros. Un « trust » de 6,8 milliards d’euros devra lui permettre de garantir son indépendance, notamment vis-à-vis du ministère de l’éducation saoudien, qui n’a pas son mot à dire. Car, à l’image des autres universités occidentales implantées dans la région, ce nouvel établissement sera mixte et la liberté d’expression garantie. « Pour l’instant, Abou Dhabi a respecté le contrat signé avec nous concernant la Sorbonne, relève Jean-Robert Pitte, président de Paris-IV.
La liberté d’expression, la laïcité, la mixité y sont respectées dans les murs. A mon sens, les Emirats jouent la carte de l’ouverture et du dialogue culturel, tout en conservant leur propres valeurs. » En « s’achetant » les meilleures universités, les pays du Golfe s’épargnent également la réforme de leurs propres institutions. Une conférence sur l’enseignement supérieur, tenue fin octobre à Dubaï, a rappelé en effet que les universités arabes souffrent aujourd’hui de sous-investissements et d’une piètre qualité académique.
La lettre de l'éducation
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